Euclid en détails
Contexte
Le modèle cosmologique standard permet aujourd’hui d’estimer que l’Univers est constitué de 69% d’énergie noire, de 26% de matière et de seulement 5 % de matière visible, dite baryonique (matière constituée d’atomes). 95% de l’Univers nous échappe. L’existence et la gamme d’énergie de l’énergie sombre ne peuvent pas être expliquée avec nos connaissances actuelles en physique fondamentale et la matière noire reste désespérément invisible à tous nos instruments.

Les effets de la gravité induits par la matière, visible et surtout noire, et les effets de l’énergie noire sont antagonistes et ne s’équilibrent pas. Après une phase de décélération principalement due aux effets gravitationnels induites par la matière (visible et noire) pendant les premiers milliards d’années, l’Univers est donc aujourd’hui en expansion accélérée sous l’effet de l’énergie noire qui manifestement a pris le dessus sur la gravité.

La nature de l’énergie noire et celle de la matière noire sont donc aujourd’hui inconnues, et nous n’en voyons que les effets. Euclid propose donc de les étudier sur la base de deux sondes cosmologiques, l’effet de lentille gravitationnelle (ou WL pour Weak gravitational Lensing) et les oscillations acoustiques de baryons (ou BAO pour Baryonic Acoustic Oscillations).
Les observations d’Euclid couvriront toute la période au cours de laquelle l'énergie noire a joué un rôle significatif dans l'accélération de l'expansion, c’est-à-dire jusqu’à 10 milliards d’années dans le passé, ce qui impose d’observer des objets dont les spectres sont décalés vers le rouge (redshift, jusqu’à une valeur de z = 2).
L’évolution des grandes structures de l’Univers nécessite de suivre la distribution spatiale (3D) des galaxies et des amas de galaxies en fonction du temps, donc en fonction du redshift. Celui-ci est déterminé de manière précise par spectrophotométrie, c’est-à-dire en mesurant le décalage vers le rouge de raies d’émissions caractéristiques telles que celles de l’hydrogène après dispersion de la lumière. Il est prévu d’observer environ 35 millions de sources.
La distribution de matière noire est reconstruite à partir d’images de galaxies, images déformées par la gravitation, plus précisément pas les effets de lentille gravitationnelle, et ce dans l’espace et dans le temps. Ceci nécessite également de connaitre pour chaque source leur redshift. Celui-ci est effectué par des méthodes photométriques, ce qui nécessite de compléter les images du télescope Euclid par des mesures photométriques infrarouge à bord et avec l’assistance de télescopes terrestres pour des mesures dans le domaine visible. Ces télescopes doivent opérer dans les hémisphères nord et sud de façon à couvrir la totalité des 14 700 degrés² de la mission. Il est prévu d’observer environ 1,5 milliards de sources.
Objectifs
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Comprendre la nature de l’énergie noire
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Comprendre la nature de la matière noire
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Comprendre la formation des grandes structures
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Prédire le futur de l’Univers
Euclid est une mission de l’ESA pour cartographier la géométrie de l’Univers. Cette cartographie permettra d’étudier l’évolution des structures cosmiques à travers les âges sous l’effet antagoniste des deux composantes suivantes :
- une composante mystérieuse appelée énergie noire, ou sombre (de l’anglais “dark energy”), responsable de l’expansion accélérée de l’Univers. L’expansion de l’Univers a été prédit par Georges Lemaître en 1927 sur la base d’un modèle bâti à partir des équations de Friedmann-Lemaître en exploitant la théorie de la relativité générale éditée par Albert Einstein en 1915. Cette expansion a été observée pour la première fois par Edwin Hubble en 1929 et mise en équation sous la forme de la célèbre loi de Hubble, rebaptisée loi de Hubble-Lemaître au congrès de l’IAU (International Astronomical Union) en 2018. Elle fait désormais partie intégrante du modèle cosmologique standard actuel et a été confirmée à maintes reprises par des observations beaucoup plus lointaines/profondes. La découverte que cette expansion s’accélérait depuis plusieurs milliards d’années sous l’effet d’une énergie mystérieuse a valu le prix nobel de Physique en 2011 aux 3 astronomes Saul Perlmutter, Brian P. Schmidt et Adam G. Reiss.
- une composante de matière, indétectable par les instruments actuels et appelée matière noire qui renforce la gravitation et le lien entre les étoiles et la galaxie. La gravitation, qui nait de la distribution des masses, façonne la distribution de matière, et lie entre elles les étoiles et les galaxies dans l’Univers au sein d’une structure en filaments appelée toile cosmique. La quantité de matière visible est largement insuffisante pour en expliquer les effets, d’où la présence supposée d’une matière indétectable avec les instruments d’aujourd’hui appelée matière noire, ou sombre (de l’anglais “dark matter”). Le concept de matière noire a été proposé pour la première fois par l’astronome Fritz Zwicky en 1933. En observant la cohésion de galaxies de la chevelure de Bérénice (Amas de la COMA) et en calculant la masse dynamique de l’amas à partir de la loi de Newton, il s’est aperçu que cette masse était très supérieure à la masse effective de l’amas déterminée à partir de la loi masse-luminosité. Plus tard, l’astronome Vera Rubin a fait le même constat, dès 1973, en exploitant les courbes de rotation de nombreuses galaxies et en mesurant la vitesse de rotation des étoiles du disque autour de leur centre galactique par effet Doppler-Fizeau. Les vitesses mesurées étaient bien supérieures aux vitesses calculées avec la loi de Newton, montrant la présence d’une source de gravitation bien supérieure que celle issue de la matière visible, validant ainsi le concept de matière noire. Il est aujourd’hui estimé qu’il y a 5 fois plus de matière noire que de matière visible dans l‘Univers.
Avec ses capacités large champ et sa conception à haute précision, Euclid permettra, entre autres de :
1. rechercher les propriétés de l'énergie sombre en mesurant précisément l'accélération ainsi que la variation d'accélération à différents âges de l'Univers,
2. tester la validité de la relativité générale à l'échelle cosmique,
3. rechercher la nature et les propriétés de la matière noire en cartographiant en 3 dimensions la distribution de matière noire dans l'Univers,
4. raffiner les conditions au début de notre Univers, qui ont initié la formation des structures cosmiques que nous voyons aujourd'hui.
Euclid permettra de répondre à de nombreuses questions dont les principales sont les suivantes :
- L’énergie noire est-elle simplement une constante cosmologique, comme proposé tout d’abord par Einstein ?
- Existe-t-il un nouveau type de champ, à l’instar des champs connus comme par exemple le champ magnétique ou le champ de gravitation, qui évolue dynamiquement avec l’expansion de l’Univers ?
- L’énergie noire serait-elle plutôt la manifestation d’une rupture avec la relativité générale et une déviation de la loi de la gravité ?
- Quelles sont la nature et les propriétés de la matière noire ?
- Quelles sont les conditions initiales à l’origine de la formation des grandes structures de l’Univers ?
- Quel sera le futur de l’Univers dans les prochains milliards d’années ?
Pour aller plus loin
Pour en savoir plus sur les objectifs scientifiques d’Euclid, consultez le pdf « Explications scientifiques » téléchargeable depuis la page Ressources.
Pour aller plus loin
Pour en savoir plus sur les méthodes de mesure d’Euclid, consultez le pdf « Méthodes de mesure » téléchargeable depuis la page Ressources.
Déroulé du projet
La mission Euclid a été lancée le 1er juillet 2023 par un lanceur Falcon 9 depuis la base spatiale de Cap Canaveral en Floride, aux USA.
Euclid a été injecté sur une orbite de transfert directe par le lanceur. La phase de transfert vers l’orbite ciblée autour du second point de Lagrange, nommé L2, situé à 1,5 millions de km de la Terre a duré approximativement 30 jours.
Une manœuvre de correction a eu lieu après deux jours de vol, une fois que suffisamment de données de suivi ont été acquises pour évaluer l’erreur de vitesse radiale dues aux incertitudes sur les conditions durant le lancement. La recette en vol du satellite a été effectuée pendant les 30 jours de transfert vers le point L2, suivie d’une phase de 2 mois appelée PV (Performance Verification) Phase destinée à vérifier les performances instrumentales. Aucune manœuvre d’insertion n’a finalement été nécessaire pour atteindre l’orbite choisie.
Placé sur ce point, Euclid a des compagnons, entre autres les télescopes spatiaux GAIA et JWST. Il effectue autour de L2 une orbite en halo (orbite de Lissajous) de large amplitude (environ 1 million de km). Ce point a été sélectionné car il offre des conditions d’opération optimum pour Euclid : un environnement radiatif bénin, qui est requis pour les détecteurs sensibles et des conditions d’observations très stables, qui sont suffisamment loin du système perturbateur Terre-Lune. De plus, la quantité d’ergol nécessaire est très favorable en comparaison avec les orbites alternatives

Organisation
Organisation générale
L'ESA est responsable de la mission. Le consortium Euclid est en charge de la fourniture à l'ESA des instruments Euclid et de la partie majeure du Segment Sol Scientifique (SGS – Sciences Ground Segment). La NASA contribue à Euclid via la fourniture des détecteurs de vol de l'instrument NISP et de leur électronique de lecture.
Plus précisément, l'ESA à la responsabilité de :
- développer le satellite Euclid, confié à Thales Alenia Space Italie (TAS-I) à Turin,
- développer le module charge utile (PLM – PayLoad Module) confié à Airbus Defense and Space (ADS) à Toulouse,
- fournir des détecteurs CCD de l'instrument VIS (contrat avec la société E2V),
- développer le Segment Sol Opérations (OGS – Operations Ground Segment), à savoir le MOC (Mission Operation Center) et le SOC (Science Operation Center),
- lancer et mettre à poste le satellite,
- archiver les produits scientifiques et les mettre à disposition de la communauté scientifique.
L'Euclid Science Team (EST) supervise l'ensemble du développement, des opérations et des performances scientifiques en s'assurant que les objectifs scientifiques sont tenus. Il est présidé par le responsable scientifique Euclid de l'ESA assisté de 2 experts scientifiques chargés de science additionnelle ("legacy science", ou science hors Euclid qui pourra ultérieurement être effectuée à l'aide des données Euclid) et 8 membres du consortium Euclid en charge du bon déroulement scientifique de la mission.
Le Consortium Euclid
Il regroupe aujourd’hui plus de 2 200 personnes (dont 425 en France) réparties dans 250 laboratoires (dont 35 en France) de 16 pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Suisse, Canada et États-Unis).
Le consortium Euclid est dirigé par l'Euclid Consortium Board (ECB). Il est représenté et présidé par le l'ECL (Euclid Consortium Lead), actuellement un expert scientifique de l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP/CNRS).
Les pays contributeurs au consortium Euclid et l'ESA se sont engagés sur leurs fournitures respectives au travers d'un accord multilatéral (MLA – MultiLateral Agreement). Ce sont les agences spatiales, signataires de l'accord, qui sont garantes des contributions de leur pays. Un Comité de pilotage ("Steering Committee") mis en place au niveau des agences suit l'avancement du projet et s'assure de la bonne implémentation du MLA.
Les laboratoires du Consortium sont soutenus par les agences spatiales nationales, qui garantissent les engagements de chaque pays, et par leurs structures nationales de recherche (agences de recherche, observatoires ou universités). Ces soutiens apportent des moyens en complément de ceux de l'ESA et représentent environ 30 % du coût total de la mission.
Organisation et responsabilités du consortium Euclid
Le consortium Euclid (EC) est en charge de :
- la fourniture à l'ESA de l’Instrument VIS (VISible Instrument) développé sous la responsabilité du Mullard Space Science Laboratory (MSSL, Grande-Bretagne),
- la fourniture à l'ESA de l’instrument NISP (Near Infrared Spectro Photometer) développé sous la responsabilité Laboratoire d'Astrophysique de Marseille (LAM),
- le développement et des opérations du Segment Sol Scientifique (SGS – Sciences Ground Segment) et de la livraison à l'ESA des produits scientifiques. Placé sous la responsabilité de l'Instituto Nazionale d'AstroFisica (INAF, Italie), il développe notamment pour cela les algorithmes nécessaires (PF – Processing Functions) en s'appuyant sur des groupes de travail scientifiques (Science Working Groups : SWG), et développe les logiciels correspondants et les infrastructures de calcul nécessaires dans des centres de données scientifiques (SDC - Science Data Center),
- l'analyse des données recueillies de leur interprétation scientifique.
Ces responsabilités s'appuient sur des contributions multiples des autres pays membres du consortium. Le consortium Euclid est également assisté par un groupe d’experts en ingénierie système (ECL Local Support Office), par un groupe d’experts scientifiques (SWG – Science Working Group), par une cellule de communication (COM), l’ensemble étant coordonné par l’ECCG (Euclid Consortium Coordination Group).

Le rôle de la France à la mission Euclid
Parmi les principaux contributeurs à la mission Euclid (contribution ESA et consortium), la France en est première (33%), avec ensuite l’Italie (25%), le Royaume-Uni et l’Allemagne (10% chacun).
La France participe également au board du consortium Euclid placé sous leadership de l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP/CNRS) comme EC Lead (Responsable scientifique du consortium Euclid). À ce jour, 35 laboratoires français participent au consortium Euclid, dont un représentant a la fonction de SGS Scientist au sein du Project Office de l’ESA et participe à l’Euclid Science Team de l’ESA (EST).
Responsabilité et contributions sous la maîtrise d'ouvrage du CNES
À travers le consortium, les responsabilités et contributions de la France, sous la maitrise d’ouvrage du CNES, sont les suivantes :
- L’instrument NISP (Near Infrared Spectro Photometer) : responsabilité globale et fourniture de l’instrument développé sous la maitrise d’œuvre du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM/CNRS), développé en partenariat avec de nombreux instituts européens. De plus, le Centre de Physique des Particules de Marseille (CPPM-Université d'Aix-Marseille/CNRS-IN2P3) et l'Institut de Physique des 2 Infinis de Lyon (IP2I-Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS-IN2P3) sont responsables du développement du plan focal de l'instrument et de la caractérisation de ses détecteurs.
- L’instrument VIS (VISible Instrument) : fourniture de contributions instrumentales, à savoir le FPA (Focal Plane Assembly, ou plan focal) et le PMCU (Power and Mechanisms Control Unit, ou unité de contrôle des puissances et des mécanismes) par l’Institut de Recherche sur les lois Fondamentales de l’Univers (IRFU/CEA), et la CU (Calibration Unit, ou source de calibration) par l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS/CNRS).
Sur le Segment Sol Scientifique (SGS – Sciences Ground Segment) :
- Fourniture du centre de données scientifiques (SDC-France ou Science Data Center) en partenariat avec le Centre de Calcul de l'Institut National de Physique Nucléaire et de Physique des Particules (CC-IN2P3 Villeurbanne).
- Développement et fourniture d’algorithmes (PF ou Processing Functions) qui seront installés sur les SDC, à savoir 3 livraisons complètes (lead), 3 en position de co-lead et 4 contributions au développement ou à la spécification d’autres PF avec d’autres pays. Tous les développements se font dans les laboratoires du CEA, de l’IN2P3 et de l’INSU.
- Responsabilité directe du CNES de l’équipe système du Segment sol scientifique du consortium Euclid (SGS-EC).
Le CNES assure également la Direction adjointe du Segment sol scientifique du consortium Euclid (SGS-EC), sous leadership italien.
Financement des activités de 13 laboratoires ou instituts par le CNES
- Centre de Physique des Particules de Marseille (CPPM-Université d'Aix-Marseille/CNRS-IN2P3)
- Institut de Physique des 2 Infinis de Lyon (IP2I-Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS-IN2P3)
- Laboratoire AstroParticules et Cosmologie (APC-Université Paris Diderot / CNRS-IN2P3)
- Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (LPSC Grenoble/CNRS-IN2P3)
- Institut d’Astrophysique Spatiale (Orsay/CNRS-INSU)
- Institut d'Astrophysique de Paris (Université Pierre et Marie Curie/CNRS)
- Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (Université Toulouse 3 - Paul Sabatier/CNRS
- Laboratoire Joseph-Louis Lagrange (Observatoire de la Côte d'Azur/CNRS/Université de Nice Sophia Antipolis)
- Laboratoire Astrophysique Instrumentation et Modélisation (AIM-Université Paris Diderot/CNRS)
- Laboratoire d'Etude du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique (LERMA/Observatoire de Paris)
- Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM / CNRS)
- Institut de Recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (CEA / IRFU)
- Centre de Calcul de l'Institut National de Physique Nucléaire et de Physique des Particules (CC-IN2P3 Villeurbanne)