C’est une image que l’on n’avait plus vue sur le Vendée Globe depuis 2008. Le 1er janvier 2025, plusieurs skippers engagés dans la course autour du monde sans escale et sans assistance ont partagé les photos, aussi belles qu’effrayantes, d’un iceberg croisant dans l’océan Pacifique hors de la zone d’exclusion Antarctique. Le bloc, gigantesque, était identifié et suivi par le service iceberg de la course et sa position avait été signalée aux navigateurs. Cet épisode rappelle le danger que représentent ces « montagnes de glace » dérivantes détachées de la calotte polaire, alors qu’une partie de la flottille du Vendée Globe n’en a pas encore terminé avec les mers australes.
Tout au long de la course, les glaces de mer font l’objet d’une surveillance étroite depuis l’espace, grâce à un ensemble de moyens satellitaires qui permettent de sécuriser la route des bateaux et d’éviter toute collision. C’est la société CLS (Collecte Localisation Satellites), filiale du CNES et de la CNP, qui assure ce service depuis 2008 pour le Vendée Globe et pour d’autres courses à la voile autour du monde.
Observations satellitaires et modèle de dérive
Ce service de détection s’appuie à la fois sur les observations spatiales et sur un modèle océanographique numérique simulant la dérive des icebergs. Il fait en particulier appel à l’altimétrie, une technologie spatiale dans laquelle le CNES a été pionnier, avec son partenaire la NASA, au travers des programmes Topex-Poseidon, la série des Jason et plus récemment SWOT. Ce programme a révolutionné la mesure de hauteur des océans en permettant la mesure d’images de hauteur des océans et de rugosité de surface, avec une couverture globale sans précédent.
D’autres types d’observations sont utilisées, comme l’imagerie radar SAR, avec une résolution spatiale plus fine que l’altimétrie, capable de distinguer des glaces plus petites, de l’ordre de 80 m, des satellites optiques comme MODIS et VIIRS, ou encore le satellite commercial canadien RadarSat-2 spécialisé dans l’observation des pôles. « Pour cette édition du Vendée Globe, il faut aussi souligner la contribution de l’ESA, qui a adapté le plan de programmation du satellite Sentinel 1 du programme d’observation de la Terre européen Copernicus, afin d’avoir des observations le long de l’Antarctique », ajoute Jean-François Legeais.
Une zone d’exclusion qui s’affine peu à peu
Comment ces données sont-elles utilisées pour déterminer et affiner la zone d’exclusion ? Plusieurs semaines avant le départ, un premier état des lieux global de la distribution des icebergs dans l’océan austral permet de proposer une première ébauche. Celle-ci s’affine ensuite progressivement en intégrant des images plus précises au fur et à mesure de l’avancée des navigateurs sur le parcours. Cette année, jusqu’à sept versions de la zone d’exclusion ont été définies. « À partir du moment où le premier bateau arrive sur zone, la ligne n’évolue plus jusqu’à ce que le dernier concurrent soit passé. Nous devons donc la déterminer avec suffisamment de marge, pour qu’elle reste valable pendant plusieurs semaines, détaille l’expert de CLS. Mais ensuite, nous continuons à surveiller la zone pour émettre des avis d’urgence en cas de besoin. » C’est ce qui s’est produit fin décembre : les icebergs, qui avaient été détectés et étaient positionnés au sud de la zone d’exclusion au moment où celle-ci a été définie, ont finalement dérivé plus au nord qu’attendu.
Pour assurer ce service, CLS mobilise une dizaine de personnes au quotidien, dont 3 sont en interaction avec la direction de course. Ces professionnels opèrent principalement au siège de Toulouse, pour l’exploitation des données des différents satellites et du modèle de dérive et la définition de la zone d’exclusion. L’équipe de la station d’acquisition VigiSat, située à Brest, effectue la programmation des acquisitions satellites et analyse les images SAR.
Des premiers pas prometteurs pour SWOT
Cette année, pour la première fois, le satellite de nouvelle génération SWOT est entré en partie dans le service opérationnel du Vendée Globe. « Le radar altimétrique “classique” est pleinement utilisé, mais nous nous intéressons à titre expérimental aux mesures de l’interféromètre KaRIn, qui s’annonce prometteur pour la détection de petits blocs de glaces avec une précision beaucoup plus importante, indique Yannice Faugère. Cette innovation contribuera à l’amélioration du service pour de prochaines courses. » À ce titre, le CNES joue son rôle d’agence de R&D, dont bénéficieront les successeurs de SWOT dans les années à venir, en particulier les satellites Sentinel 3 Nouvelle Generation (S3 NG Topo) du programme européen Copernicus, qui doivent être déployés à partir de 2032.
CLS, pionnier des produits et services satellitaires
Filiale du CNES et de la CNP, CLS est depuis 1986 l’un des acteurs de référence de la fourniture de solutions d’observation de la Terre. Créée à l’origine pour opérer le système satellitaire de localisation Argos, la société s’est diversifiée à partir des années 1990 dans le domaine de l’océanographie spatiale avec le développement de la filière altimétrique française, puis dans les services radar, notamment en déployant à Brest la station de réception VigiSat. Plus de 35 ans après sa création, l’entreprise emploie 950 salariés répartis sur une trentaine de sites dans le monde. Elle exerce son activité dans cinq domaines stratégiques : la gestion durable des pêches, la surveillance environnementale, la sécurité maritime, la mobilité et les énergies et infrastructures.