Ils sont 40 hommes et femmes à avoir pris le départ d’une course à la voile sans équivalent, le 10 novembre dernier aux Sables-d’Olonne. Pour la dixième fois, la flotte du Vendée Globe s’est élancée pour un tour du monde à travers trois océans, en solitaire, sans escale et sans assistance. Les plus rapides devraient boucler ce périple de quelque 45 000 kilomètres en un peu plus de 70 jours de navigation, et revenir à bon port avant la fin du mois de janvier.
À l’heure d’écrire ces lignes, les 37 navigateurs encore en course s’apprêtent à passer les fêtes de fin d’année dans leur cabine ou leur cockpit, quelque part entre les îles Kerguelen et le Cap Horn. Et, depuis les redoutables mers du Sud, ils pourront quand même goûter un peu, à distance, aux réjouissances familiales. Car naviguer en solitaire ne signifie pas être coupé du monde et le lien avec la terre ferme ne s’interrompt jamais durant cet « Everest des mers ».
Comme à la maison, ou presque
Le fil d’Ariane des navigateurs, ce sont les télécommunications par satellite, seul moyen de connexion avec l’extérieur dans l’environnement maritime. Pour des raisons de sécurité, le règlement impose d’ailleurs aux voiliers de la classe IMOCA qui participent au Vendée Globe de disposer d’une liaison satellite permettant de communiquer sans interruption avec un débit suffisant (de l’ordre de 1 Mb/seconde).
« Les bateaux du Vendée Globe sont quasiment tous des prototypes bardés de technologie, dotés de moyens de communication qui répondent à leurs différents besoins, explique Stéphane Rozes, expert des télécommunications par satellite au centre d’expertise CESARS du CNES (lire encadré ci-dessous). Les skippers ont avec eux un ordinateur pour la navigation, et ils communiquent presque comme à la maison avec tablette et smartphone et une sorte de box, en plus sophistiquée, connectée à Internet. En utilisant les applications classiques, ils envoient quotidiennement messages, photos et vidéos, téléphonent et peuvent même faire des visioconférences. »
Satellites géostationnaires et constellations
Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ? Chaque bateau dispose, à l’arrière, d’une plateforme équipée de plusieurs antennes qui permettent de communiquer avec la terre par l’intermédiaire d’une liaison hertzienne avec un satellite. Cela est rendu possible en particulier par la miniaturisation des matériels de communication.
La solution historique à la disposition des navigateurs passe par les satellites géostationnaires du système Inmarsat. Il s’agit de satellites de grande dimension positionnés à 36 000 kilomètres de la Terre qui se déplacent à la même vitesse que la rotation de la Terre, de telle sorte qu’ils restent constamment au-dessus d’une même zone géographique. Les 4 satellites du système Inmarsat couvrent ensemble la totalité du globe, à l’exception des pôles, ce qui, compte tenu de la zone d’exclusion antarctique, correspond à l’itinéraire de la course. Sur le bateau, une petite parabole pointe en permanence sur le satellite situé au-dessus de sa position pour assurer une liaison continue.
Plus récemment, des constellations sont venues compléter cette solution. Il s’agit de groupes de plusieurs dizaines à plusieurs milliers de petits satellites qui défilent en permanence autour de la Terre à une altitude beaucoup plus basse, permettant de communiquer avec un temps de latence réduit par rapport aux satellites géostationnaires. Ce système nécessite un terminal plus sophistiqué, avec une intelligence embarquée pour suivre le satellite au-dessus du bateau et passer de l’un à l’autre sans interruption. L’utilisation de la constellation Iridium, composée de 66 satellites, fait ainsi partie des exigences réglementaires de la classe IMOCA.
Dans ce domaine, la nouveauté de ce dixième Vendée Globe, c’est l’arrivée de la constellation Starlink avec ses plus de 6000 satellites, utilisée par une partie des concurrents. « Cette solution permet d’obtenir une connexion très haut débit, de l’ordre de 100 Mb par seconde. Elle répond bien aux nouveaux besoins de communication des skippers, qui interviennent désormais chaque jour en direct sur Internet avec une meilleure qualité d’image et de son, précise Stéphane Rozes. Toutefois, il faudra attendre le passage des mers du Sud pour avoir le recul nécessaire et confirmer les performances de Starlink sur la totalité du parcours de la course. »
Fiabilité et robustesse
En réalité, la question n’est pas de choisir entre deux technologies qui sont complémentaires : tous les bateaux embarquent au minimum les deux solutions Inmarsat et Iridium, voire Starlink, avec la possibilité de substituer l’une à l’autre en fonction des besoins. L’objectif est de garantir la fiabilité des communications, quelles que soient les conditions atmosphériques. Lorsque survient une grosse tempête ou un orage par exemple, la qualité de transmission peut être dégradée, mais la communication reste opérationnelle. En cas d’extrême urgence, les marins disposent par ailleurs d’un téléphone satellitaire qui fonctionne sur de basses fréquences, moins performant en termes de débit, mais plus robuste aux perturbations atmosphériques.
Quoi qu’il en soit, on mesure facilement le chemin parcouru depuis le premier Vendée Globe, en 1989, que l’on parle de capacité ou du coût des communications. « Au départ, les performances étaient vraiment très limitées, il s’agissait juste de maintenir le lien entre les marins et la direction de course et de recevoir les informations météo, se souvient Stéphane Rozes. Les skippers se filmaient avec leur caméra 8 mm et des bateaux de l’organisation venaient récupérer les films en mer ! Les avancées des télécommunications par satellite ont changé beaucoup de choses, et les marins d’aujourd’hui évoluent dans un monde ultraconnecté pour leur sécurité, pour la navigation et pour leur confort. Ils peuvent aussi communiquer entre eux pour signaler des objets flottants ou de gros navires croisant leur route. »
Malgré ces progrès, ils ne sont pas tout à fait devenus des connectés comme les autres. Le Vendée Globe demeure avant tout une course sans assistance, et le règlement pose des limites strictes aux échanges avec la terre. Cela signifie que les informations communiquées ne doivent en aucun cas influencer les performances du bateau ni apporter un soutien psychologique au skipper. L’Everest des mers reste bien le sommet de la course au large.
CESARS, un centre dédié à la promotion des télécommunications par satellite
CESARS est le centre de support et d’expertise du CNES sur l’usage des télécommunications par satellite. Il accompagne des structures professionnelles de tout type pour s’approprier les différentes technologies, définir leurs besoins et effectuer des tests de solutions techniques et de matériels utilisant des moyens satellitaires. CESARS met gratuitement à leur disposition ses moyens techniques pour démontrer différents usages, et trouver des solutions correspondant à leurs besoins et à leurs capacités financières : antennes, équipements pour les objets connectés, véhicules laboratoires… CESARS a par exemple accompagné le Conseil Départemental des Yvelines pour expérimenter des solutions de télémédecine dans des zones où la couverture 4G est insuffisante. Le centre conseille également plusieurs services départementaux d’incendie et de secours et de sécurité civile sur des moyens de gestion de crise. Dans le domaine des communications maritimes et en lien avec le Vendée Globe, CESARS a aussi accompagné la société Thalos, spécialisée dans les solutions digitales au service de la performance opérationnelle des navires, pour qualifier sur la constellation OneWeb sa solution dédiée à la connectivité en mer.