Washington DC : une ville façonnée par et pour le pouvoir, un concentré de puissance

Créée ex-nihilo aux lendemains de la guerre d’indépendance, Washington est intimement liée à l’histoire des Etats-Unis d’Amérique et de la nation américaine. La ‘’national capital’’ est symbole de l’administration et d’un pouvoir fédéral qui s’affirme. Creuset et emblème national, c’est une ville à part, tant par son histoire que par son urbanisme et son architecture atypiques en Amérique du Nord. Elle est à ce titre le théâtre d’enjeux de pouvoirs et mémoriels qui se traduisent dans l’espace.
Ville compacte de 700 000 habitants, à la densité élevée comparée à la moyenne américaine (4 300 hab./km2), elle est le centre d’une aire métropolitaine de 6 millions d’habitants à l’extrémité sud de la Mégalopolis. C’est une métropole à la fonction politique hypertrophiée, qui incarne la puissance américaine. Rares sont les métropoles à ce point façonnées par et pour le pouvoir, et ayant développé une telle dimension évocatrice de la puissance, réelle ou imaginée, ce qui n’est pas sans poser des défis spatiaux.

 

Légende de l’image

Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 20/06/2016. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.

 

Ci-contre, acceder à l'image globale avec, en complément, des repères géographiques.



Accéder à l'image générale sans repère en cliquant ici.


Contient des informations PLEIADES © CNES 2016, Distribution Airbus DS, tous droits réservés. Usage commercial interdit.


 

 

 

Présentation de l'image globale

Washington DC : une ville façonnée par et pour le pouvoir,
un concentré de puissance

La création d’une ville nouvelle, symbole d’un nouvel Etat

L’image couvre l’hypercentre du “10 miles square”, le site originel de la ville, sur la rive nord du Potomac qui coule du Nord vers le Sud. Le fleuve marque la limite administrative entre le District of Columbia au nord-est, et la Virginie au sud-ouest, où est visible une partie de la ville d’Arlington. Le confluent avec la rivière Anacostia se dessine au sud-est, tandis qu’au nord-ouest la Rock Creek river marque la limite avec le quartier historique de Georgetown, ville fondée au XVIIIe siècle et devenue quartier de Washington.

Une situation géographique résultant d’un compromis politique interne

Où établir la capitale des jeunes Etats-Unis d’Amérique après la guerre d’indépendance ? La question est éminemment politique et, par nature, géographique. Philadelphie, Princeton, Annapolis… les institutions de la nouvelle nation ont dû déménager plusieurs fois durant la guerre avant de s’établir à New York. La question divise encore Etats fédérés et pères fondateurs après l’accession à l’indépendance en 1783. Les Etats du Sud refusent d’accepter une capitale dans le Nord et inversement. L’existence de deux capitales est même un temps envisagée.

Le choix du site est le résultat d’un compromis. Le Residence Act, adopté par le Congrès le 16 juillet 1790 à New York, prévoit l'établissement d'une capitale nationale et d'un siège permanent du gouvernement au Sud, sur un site le long de la rivière Potomac, entre le bras est (la rivière Anacostia) et la Connogochegue (actuellement la Conococheague creek, dans le Maryland). Elle doit couvrir une superficie maximale de "dix milles carrés" (“10 miles square”) soit un carré de 16 km de côté pour une superficie maximale de 100 milles carrés (environ 259 km2). Satisfaisant les vœux des représentants du Sud, dont les plus illustres sont le secrétaire d’Etat Thomas Jefferson et James Madison, tous deux de Virginie, la capitale est donc proche des intérêts agricoles esclavagistes. Les Etats du Sud ont en contrepartie permis le vote du plan de reprise du New Yorkais Hamilton, plan qui prévoyait que le nouveau gouvernement fédéral assume les dettes de la guerre d’indépendance contractées par les Etats, et qu’ils jugeaient en leur défaveur.

Le Residence Act habilite George Washington, le premier président des Etats-Unis, à superviser le projet.  La capitale doit être prête pour décembre 1800, Philadelphie étant alors capitale temporaire. Au nord des Etats du Sud, elle est grossièrement à mi-chemin entre les frontières nord et sud des nouveaux Etats-Unis d’Amérique, les vallées du Potomac et de l’Ohio permettant des communications aisées avec la Frontière à l’ouest. Située à 300 km au sud de New York c’est une ville du Sud, à la même latitude que… Lisbonne.

Un site de confluence à cheval sur les Etats de Virginie et du Maryland

George Washington choisit le site exact, au confluent de la rivière Anacostia. La ville est officiellement fondée en janvier 1791 après que les Etats du Maryland et de Virginie aient accepté de céder les terrains nécessaires pour établir ce nouveau ‘’district’’.

Ce territoire est en effet un district fédéral, placé sous la juridiction exclusive du Congrès par la Constitution américaine. Il n’a donc pas les mêmes pouvoirs que les Etats fédérés. Le district ne fait partie d’aucun État, et ne fait pas partie des Etats de l’Union. En 1846, le Congrès rétrocède à la Virginie les terres qu’elle avait cédé, amputant ainsi le quadrilatère originel d’environ un tiers de sa surface. Washington naît donc et grandit sur la rive gauche du Potomac, au voisinage immédiat de Georgetown et d’Alexandria plus en aval sur la rive sud, en Virginie. Georgetown, visible au nord-ouest, marque la limite de navigabilité des navires de haute mer qui du littoral remontent sur le Potomac. Ces deux villes portuaires, ainsi que leurs plus importantes voisines Baltimore et Philadelphie, veilleront à contenir jalousement les ambitions commerciales et maritimes de la nouvelle venue...

Trois entités administratives : gouvernance et fiscalité

L’aire urbaine déborde largement du “10 miles square” d’origine et s’étend sur les deux Etats limitrophes, Maryland et Virginie (voir image annexe de l’aire métropolitaine). Cette configuration fait donc se côtoyer au sein de la même unité urbaine trois entités administratives différentes, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de gouvernance, le gouvernement fédéral n’ayant autorité qu’à l’intérieur des limites du district fédéral, appelé de manière formelle D.C. pour “District of Columbia”.

Entreprises et habitants intègrent donc cette particularité dans leurs stratégies de localisation car taxes, régimes fiscaux et d’exemptions n’y sont pas les mêmes. Beaucoup de grandes firmes transnationales ont ainsi choisi la Virginie du Nord pour y installer leur siège : Airbus Group, Nestlé USA, Lafarge North America, Northrop Grumman, BAE Systems sont basés à Arlington. En 2018 Amazon choisit également Arlington, avec New York, pour établir son deuxième siège.

Une morphologie urbaine atypique, symbole des équilibres politiques

Washington est une ville créée ex-nihilo. George Washington choisit pour la concevoir Pierre Charles L’Enfant, ingénieur militaire français ayant participé à la guerre d’indépendance. Celui-ci propose en 1791 un plan audacieux pour une ville nouvelle, moderne et aérée, structurée par de grands boulevards, places et esplanades. Le plan s’inspire de lieux familiers de l’Enfant : les jardins dessinés par Le Nôtre à Versailles, et Paris, sa ville natale. Les principaux bâtiments gouvernementaux sont prévus sur la rive gauche, entre les rivière Anacostia et Rock Creek. Un amphithéâtre de collines délimite le site au nord.

L’image rend compte d’une morphologie urbaine singulière. Le plan hippodamien (grid plan) délimitant des îlots urbains rectangulaires (blocks), conforme à la planification traditionnelle nord-américaine, se double d’un réseau de grandes avenues radiales. Leur tracé résulte d’une trame géométrique complexe obtenue en juxtaposant et imbriquant des cercles de rayons différents où sont tracées des étoiles à cinq branches.

Il en résulte un réseau de rues orientées nord-sud (nommées par des numéros) et est-ouest (nommées alphabétiquement), croisant un second réseau de larges diagonales (nommées d’après les Etats de l’Union). Celles-ci connectent des lieux emblématiques en rayonnant depuis des places rectangulaires (plazas) et de grands carrefours circulaires (circles, nommés d’après des personnages remarquables). Au nord de l’image Dupont Circle et Logan Circle, d’où partent les avenues Connecticut et Vermont qui convergent vers la Maison-Blanche, sont un exemple remarquable de cet urbanisme rayonnant.

Cette double structure engendre une grande variété de forme et de taille parmi les blocks, la grille n’est donc pas uniforme. Les intentions de L’Enfant ont donné naissance à de nombreuses interprétations accordant une large place à la symbolique, voire au sacré, faisant le bonheur des amateurs de numérologie et d’ésotérisme de toute nature...

Urbanisme et architecture : mettre en espace la séparation et l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif

Pour l’urbaniste, la nouvelle “Federal City” doit incarner les idéaux d’une république nouvelle. L’enjeu est de définir et d’équilibrer les pouvoirs entre peuple, Etats fédérés et Etat fédéral ; entre pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. La Constitution des Etats-Unis, élaborée quatre ans plus tôt, établit une séparation stricte des pouvoirs. Le plan de 1791 prévoit donc deux sites bien distincts : l’un pour le pouvoir exécutif, l’autre pour le pouvoir législatif.

L’image montre la monumentalité du cœur de ville, structuré par deux perspectives majeures qui mettent en scène les branches du pouvoir. L’axe est-ouest est le National Mall, vaste esplanade de 3 km de longueur se terminant à l’est par l’imposant Capitole, où siège le Congrès ("Congress House") au point culminant du site choisi pour la ville. La perspective sud-nord s’achève sur la Maison Blanche ("President's House") moins imposante que le Capitole. Les deux sites sont mis en valeur par de vastes esplanades et par la convergence de grandes avenues structurantes, mais la morphologie urbaine célèbre la prééminence du pouvoir législatif et donc la démocratie. A l’intersection se situe le monument à George Washington, commandant en chef de l’armée continentale et premier président des Etats-Unis.

Maison-Blanche et Capitole sont connectés par Pennsylvania Avenue NW, mais à bonne distance, presque deux kilomètres, marquant bien la séparation des pouvoirs et le principe des Checks and Balances. Ces “freins et contrepoids” visent à l’équilibre et au contrôle des pouvoirs, les pouvoirs d’une branche pouvant être contestés par l’autre.

La Cour Suprême, quant à elle, incarne le pouvoir judiciaire mais ne quitte le Capitole qu’en 1935 pour siéger dans son propre bâtiment, situé juste à l’Est du Capitole.

Emprises ferroviaires, autoroutières et autres infrastructures ont pu altérer ponctuellement le plan initial, mais l’unité urbanistique cependant a été globalement préservée. La Commission McMillan au début du XXe siècle puis la National Capital Planning Commission réglementent en effet l’urbanisme et planifient l’extension de la ville dans un souci de cohérence et de respect de l’héritage urbanistique. Une loi du Congrès de 1910 limite ainsi la hauteur légale des bâtiments du District à 130 pieds (environ 40 m).

Washington est donc une ville horizontale d’où émergent quelques clochers, dômes et monuments. Mise à part l’antenne radio de la police, c’est l’obélisque du Washington Monument qui avec ses 169 mètres est la plus haute construction ; la Basilique de l’Immaculée Conception (100 m), le Old Post Office Pavilion (devenu Trump International Hôtel, 96 m), la Washington National Cathedral (92 m) et le Capitole (88 m) rythment la skyline.

Une ville mondiale, reflet et support de la puissance étatsunienne

Une concentration de lieux de pouvoirs planétaires dans un espace contraint

Washington doit à la fonction politique et diplomatique son rang de métropole mondiale. En 2018, la ville est classée au premier rang mondial de l’influence politique, d’après le Global Cities Index du cabinet de conseil en stratégie A.T. Kearney. Une concentration exceptionnelle de lieux de pouvoir politique, d’influence culturelle et intellectuelle est présente sur l’image. L’économie et les grandes firmes ne sont pas absentes, mais préfèrent installer leurs quartiers généraux dans les périphéries du Maryland et de Virginie où elles sont moins à l’étroit, et moins réglementées sur le plan des constructions et de l’urbanisme.

L’histoire et l’urbanisme singuliers de Washington - s’ils contribuent à son attractivité et à son rayonnement - constituent aussi une contrainte pour les administrations qui ont besoin de locaux fonctionnels et accessibles pour leurs milliers d’agents. Le magnétisme des lieux majeurs du pouvoir entraîne une pression sur l’espace et une compétition pour l’espace.

La lente affirmation d’une capitale nationale

Capitale depuis 1800, Washington reste un pôle urbain et politique modeste, ravagé par les Britanniques en 1814, encore peu peuplé durant la première moitié du XIXe siècle. La vision initiale de George Washington - le développement du bassin du Potomac pour accueillir une grande ville qui soit aussi un centre économique – se heurte à celle des Etats, qui cherchent à freiner les pouvoirs du gouvernement fédéral, et donc le développement d’une ville « nationale ». 

La construction et le développement de la ville dépendent en effet des décisions et des financements votés par le Congrès, qui représente les différentes circonscriptions électorales du pays. Les sénateurs du Maryland voisin privilégient ainsi le développement urbain et portuaire de… Baltimore.

La ville n’acquiert sa légitimité en tant que capitale qu'à la fin de la guerre de Sécession (1861-1865), devenant alors le symbole de l'unité retrouvée. Les Etats confédérés d’Amérique, sécessionnistes, s’étaient donnés en effet pour capitale Richmond en Virginie, située à peine 150 km plus au sud.

Une montée en puissance liée à l’affirmation des Etats-Unis

L’influence internationale de la ville s’accroît au fur et à mesure des inflexions de la politique étrangère du pays, et notamment de sa sortie de l’isolationnisme. La Deuxième Guerre mondiale est un tournant majeur. Capitale d’un Etat vainqueur, devenu superpuissance, et désormais interventionniste de manière assumée, la ville devient un pôle décisionnel majeur, et un symbole des valeurs et idéaux politiques américains.

Dès 1944 elle accueille à Dumbarton Oaks, dans le quartier de Georgetown (légèrement hors cadre au nord-ouest de l’image), la conférence qui jette les bases de la future O.N.U. La même année est décidée à Bretton Woods la localisation à Washington du Fond Monétaire International et de la BIRD, future Banque Mondiale. L’Organisation des Etats Américains (OEA ou OAS) s’y installe également en 1948.

Washington incarne donc symboliquement le leadership des Etats-Unis, renforcé par la guerre froide. Elle est un centre d’attraction planétaire, très médiatisé, ainsi qu’un haut lieu de la diplomatie mondiale : la ville accueille 177 ambassades étrangères (seule Bruxelles faisant mieux sur ce plan) qui dessinent une géographie diplomatique polarisée sur la Maison-Blanche et le secteur Dupont Circle/Massachusetts avenue.

La présence des grandes Agences et Ministères au service de la puissance

Le quart environ de l’espace urbain visible sur l’image est dédié à la fonction politique et administrative, notamment de part et d’autre du National Mall. Ministères, agences fédérales, institutions et représentations étrangères ont des besoins croissants d’espace au fur et à mesure que s’affirme la puissance.

Le War Department, dont l’importance a crû proportionnellement à l’affirmation militaire des Etats-Unis, a ainsi dû se restructurer et déménager plusieurs fois dans l’hypercentre avant de trouver le site adapté à ses besoins, devenus ceux d’une superpuissance militaire. La présence du Pentagone à Arlington, au sud-ouest de l’image, sur l’autre rive du Potomac, témoigne bien de la triple pression sur l’espace - verticale, horizontale et financière - qui s’exerce sur l’hypercentre. La CIA, agence du renseignement a également dû quitter une dizaine de locaux situés dans la ville centre dès le milieu des années 1950 et se relocaliser en Virginie, à Langley.

A une autre échelle, l’ambassade de France a également fait le choix dans les années 1980 de regrouper des services autrefois répartis sur plusieurs sites sur un des plus vastes domaines diplomatiques de Washington (2,5 hectares environ), plus excentré.

Une métropole intellectuelle et culturelle

Washington et ses banlieues du Maryland et de Virginie détiennent parmi les plus hauts taux d’éducation des Etats-Unis. Cette concentration de matière grise s’explique par la présence de nombreuses écoles et universités, tant publiques que privées, mais aussi par l’attractivité de la métropole mondiale, spécialisée dans la politique et les relations internationales, sur les populations hautement diplômées américaines et étrangères.

Georgetown University, légèrement hors cadre, et la George Washington University, à l’Ouest de la Maison-Blanche ont des programmes réputés, notamment en relations internationales, qui attirent de nombreux étudiants étrangers. D’autres universités, comme la réputée Johns Hopkins de Baltimore, ont également des annexes dans le centre.

« Inside the Beltway » (« à l’intérieur du périphérique ») ne désigne pas seulement le centre de l’agglomération, ceinte par un anneau autoroutier, mais aussi le microcosme du pouvoir, qui attire son cortège de lobbyistes, conseillers en communication, avocats… La compétence et les réseaux des insiders sont une ressource recherchée.

Une nébuleuse de think tanks (ou “groupes d’experts”) gravite autour du pouvoir. Ils sont des acteurs majeurs de l’influence intellectuelle. L’université de Pennsylvanie en 2017 dénombrait pour les seuls Etats-Unis 1 872 think tanks sur les 7 815 les plus influents du monde. Parmi eux 397 sont basés à Washington D.C., très loin devant le Massachusetts, la Californie et l’Etat de New York.

Leurs recherches et analyses portent sur un large éventail de questions stratégiques et de société (politiques publiques, éducation, coopération internationale…). The Heritage Foundation, à quelques blocs du Congrès, est par exemple l’une des organisations conservatrices les plus influentes aux Etats-Unis.

Leur influence repose sur leur capital humain : leurs membres sont souvent d’anciens responsables politiques, parlementaires, des chercheurs et directeurs d’université... Dix prix Nobel, dont F. Hayek et M. Friedman, ont ainsi travaillé pour l’Institut Cato. Ben Bernanke, ancien directeur de la FED (Banque Centrale des Etats-Unis) travaille à la Brookings Institution. Ils s’appuient également sur leurs nombreuses publications (plus de 1 200 par an pour l’Heritage Foundation) dans des revues nationales et internationales de référence, et sur leurs revenus importants (plus de 100 millions de dollars pour la Brookings Institution). Ils participent pleinement du rayonnement du soft power étatsunien.

L’image présente également une exceptionnelle densité de lieux de culture de rayonnement mondial. La Smithsonian Institution est le plus grand complexe muséal au monde, avec 17 musées et galleries, pour l’essentiel regroupés de part et d’autre des pelouses du Mall et dans le quadrant Nord-Ouest. Cet alignement remarquable d’institutions culturelles, gratuites, est le fruit d’un développement commencé au XIXe siècle et qui se poursuit : inauguration du musée national des Indiens Américains en 2004, musée national d’histoire et de la culture des Africains Américains en 2016. La bibliothèque du Congrès, à l’Est du Capitole, dispose du fond documentaire le plus riche au monde. Le Kennedy Center, grand bâtiment rectangulaire au bord du fleuve visible au nord-ouest, est centre culturel national dédié à la musique, à la danse, à l’opéra, au théâtre… qui héberge le National Symphony Orchestra et le Washington National Opera. Il contribue fortement à la notoriété mondiale de la scène culturelle washingtonienne.

 

Zooms d'étude

 



L’hypercentre, une densité exceptionnelle de lieux de pouvoir

Cet espace comprend principalement les quartiers centraux de Downtown et Foggy Bottom, marqués par la très grande proximité, voire la contiguïté de lieux de pouvoir qui confèrent à Washington son influence mondiale. Ce site originel est un espace contraint, au centre d’une aire urbaine en extension. La ville en effet a été conçue monumentale, sur de grands espaces au bord du fleuve. Les principes urbanistiques de l’Enfant sont visibles ici de manière remarquable. Les besoins toujours plus importants d’espaces décisionnels et administratifs de la superpuissance y sont contrariés par le quartier historique de Georgetown à l’Ouest, le National Mall et le fleuve au Sud, les premiers quartiers résidentiels au Nord, à partir de Dupont Circle. La pression sur l’espace est donc importante et engendre recompositions ainsi que relocalisations de certaines activités hors du centre.

Georgetown: un quartier historique en mutation

Au nord-ouest, délimité par la rivière Rock Creek, le quartier le plus ancien de Washington est reconnaissable à son plan orthogonal, ses rues plus étroites et blocs plus petits. Fondé en 1751, 40 ans avant Washington, il est à l’origine une ville portuaire établie dans le Maryland pour le commerce du tabac qui ne sera incorporée à Washington qu’en 1871. Elle est le point de départ du Chesapeake and Ohio canal (C&O), achevé en 1850, dont les 296 km permettaient, en s’affranchissant des rapides du Potomac, d'ouvrir le pays vers l'Ouest et les ressources en charbon des Monts Allegheny (Appalaches).

Sa situation stratégique proche du fleuve et de Downtown, le charme de ses maisons colorées, de son architecture des XVIIIe et XIXe siècles et de ses rues pavées font de Georgetown l’une des principales attractions touristiques de la ville, mais aussi un quartier recherché, parmi les plus chers. La réputée Georgetown University, hors cadre légèrement plus à l’Ouest, contribue à cette attractivité.

Le quartier connaît donc une importante mutation urbaine marquée par la gentrification de l’habitat et la reconversion des berges du fleuve (waterfront). Usine d’incinération des déchets, anciens entrepôts et bâtiments industriels au bord du fleuve et du canal ont laissé place à des espaces résidentiels, de bureaux et de loisirs. L’image montre très bien le Washington Harbour à l’embouchure de la Rock Creek, opération immobilière achevée dans les années 1980, qui se poursuit vers l’ouest par des espaces verts et voies cyclables le long du fleuve et de l’ancien chemin de halage.

Le complexe de la Maison-Blanche et les Ministères : l’empreinte du pouvoir exécutif

Le complexe de la Maison-Blanche occupe un site de 7 hectares dans l’angle inférieur droit du zoom. Le site est particulièrement mis en valeur par un système de parcs et jardins qui vient se greffer sur le Mall: Lafayette Square au nord, parc présidentiel et Ellipse (espace public) au sud. Un axe Nord-Sud, la 16ème rue, ainsi que quatre avenues radiales convergent vers la face nord du bâtiment. Parmi elles, traversant l’image en diagonale, se distingue Pennsylvania avenue NW, que le rectangle du complexe de la Maison-Blanche interrompt, avant de se prolonger en direction du Capitole.

Le site abrite depuis 1800 la résidence officielle du président des Etats-Unis, la tête du pouvoir exécutif. Au-delà du lieu de pouvoir, la Maison-Blanche désigne par métonymie la superpuissance étatsunienne, ainsi que le mode de gouvernement impulsé par chaque président. Bien que moins imposant que le siège du pouvoir législatif (le Capitole), le bâtiment a connu plusieurs modifications et extensions qui lui ont donné sa configuration actuelle et ses 5 000 m2, grâce notamment à deux niveaux en sous-sol. Plusieurs bâtiments composent le complexe où officie plus de 1 800 agents.

Au centre se trouve la résidence officielle historique qui abrite les appartements présidentiels. C’est l’aile Ouest (West Wing), ajoutée en 1901 et reliée au bâtiment central par une colonnade, qui est le centre exécutif : elle abrite les réunions du gouvernement (Cabinet Room), le bureau du POTUS (President of the United States) et de ses principaux collaborateurs (soit près de 50 personnes). Le toit blanc du bureau ovale, de même forme, est visible sur l’image. La célèbre Situation Room (salle de crise) est en sous-sol. L’aile Est ajoutée en 1942 masque un bunker, véritable centre d’opération hyperconnecté en cas de crise. Le reste de l’équipe présidentielle, l’administration de l’exécutif fédéral et le Bureau du vice-président sont hébergés dans un grand bâtiment attenant, à l’Ouest, l'Eisenhower Executive Office Building, qui abrite aussi le Conseil de sécurité nationale. Blair House, à l’angle sud-ouest de Lafayette Square est la résidence des personnalités invitées du président des Etats-Unis.

A proximité immédiate du complexe se situent des ministères clés du pouvoir. Le Département du Trésor (ministère des Finances), se situe à l’Est de la Maison-Blanche, dans une symétrie parfaite avec l’Eisenhower Executive Office Building. Quelques mètres plus au sud le Herbert C. Hoover Building reconnaissable à ses toitures rouges abrite le Département du Commerce. Au ras de l’image (voir également zoom 2), les multiples ailes rectangulaires du Département de l’Intérieur.

Les 8 000 agents du Département d’Etat, le ministère des affaires étrangères, sont hébergés dans l’immense Harry S. Truman Building, situé sur la parcelle voisine, à l’Ouest. Ils dirigent le plus vaste réseau de missions diplomatiques au monde. Ce site est particulièrement révélateur de la pression sur l’espace de la fonction administrative, et des contraintes d’aménagement dans la capitale nationale. Promis dans les années 1930 au ministère de la guerre, alors en pleine expansion, le bâtiment livré en 1941 s’avèrera finalement sous-dimensionné. La même année le Congrès autorise la construction du Pentagone à Arlington, qui offre les avantages de l’étendue et de la proximité... mais hors D.C.

Lieux de pouvoir, pouvoir des lieux : une médiatisation vectrice du soft power

La Maison-Blanche participe au rayonnement culturel de la ville et des Etats-Unis, elle est sans conteste le lieu le plus médiatisé de Washington. Façades, bureau ovale, pelouse sud où se pose l’hélicoptère Marine One… font partie des lieux iconiques indissociables de la puissance américaine. La portion de Pennsylvania avenue passant devant le complexe est un espace public et piétonnier, fermé pour des raisons de sécurité à la circulation automobile. Elle offre avec E Street (côté sud) des points de vue rapprochés prisés par les journalistes, et les groupes de manifestants souhaitant attirer l’attention des médias sur leur cause.

Le cinéma également met en scène la ville et ses monuments emblématiques ainsi que le pouvoir, indissociable des lieux. Guerre froide et espionnage, coulisses du pouvoir, scandales politiques… offrent aux scénaristes un matériau inépuisable. Le scandale du Watergate (dont les bâtiments en courbe et semi-circulaire sont visibles juste au sud de l’embouchure de la Rock Creek) a fait l’objet de plus d’une douzaine de films depuis “Les Hommes du Président” (All the President's Men, 1976).

La présence des institutions internationales et des représentations diplomatiques

Institutions internationales et missions diplomatiques contribuent à la densification des lieux de pouvoir dans l’hypercentre. Le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale occupent tout ou partie des quatre blocs formant un triangle au sud de Pennsylvania avenue NW, à deux blocs seulement à l’ouest de la Maison-Blanche. Cette proximité remarquable entre les deux institutions, puisque leurs quartiers généraux se font face, rappelle leur fonctionnement en étroite relation.

Leur installation dès 1945 à la suite de la conférence de Bretton Woods marque bien l’accélération du rayonnement mondial de la ville après guerre. Elles sont des acteurs majeurs du système bancaire et financier international dans lequel les Etats-Unis et le dollar jouent un rôle central. Cette situation alimente par ailleurs les critiques envers les deux institutions, accusées d’être sous l’influence des Etats-Unis et de défendre, à travers leurs politiques de prêts aux pays en développement ou leurs recommandations, les parti-pris idéologiques et économiques états-uniens. FMI et Banque mondiale sont devenus deux employeurs majeurs de l’aire métropolitaine. Avec environ 2 400 employés le FMI a dû se doter en 2005 d’un nouveau bâtiment, hq2, sur le bloc voisin au Nord.

Plus de 25 ambassades étrangères se succèdent sur la portion de Massachusetts avenue visible sur l’image, ce qui lui vaut le nom informel d’« embassy row » (“rangée des ambassades”). A la fin du XIXème s. et au début du XXème s. les demeures de caractère de l’avenue (“mansions”) sont des adresses de prestige : c’est “l’allée des millionnaires”, dont beaucoup seront obligés de vendre à la suite de la Grande Dépression. Ces domaines, le long d’un axe structurant reliant directement l’hypercentre de Washington au Maryland, se sont avérés bien adaptés aux besoins des missions diplomatiques.

Cette présence de fonctionnaires internationaux et des personnels d’ambassade s’accompagne enfin d’instituts culturels étrangers (Instituts Confucius et Goethe Institut sont sur l’image), et d’écoles internationales, comme la Washington International School.

Les fonctions intellectuelles : une très forte densité de capital humain

Les quartiers à l’Ouest et au Nord de la Maison-Blanche présentent une forte densité de lieux dédiés à la recherche, à l’enseignement supérieur, au lobbying et aux services de conseil, qui contribuent à la concentration des élites.

L’université George Washington (GWU), la plus grande institution d'enseignement supérieur du District de Columbia, occupe un campus de plus de 17 hectares, soit plus d’une vingtaine de blocs au sud du Washington Circle et de Pennsylvania avenue. Elle est le principal propriétaire du quartier de Foggy Bottom. Ville dans la ville, GWU comprend 14 écoles et facultés, hôpital, installations sportives, centres de conférence, musée, services et logements, puisque parmi les 27 000 étudiants les première et seconde années doivent y loger. Ce campus urbain à deux blocs seulement à l’ouest de la Maison-Blanche bénéficie donc d’une situation stratégique. Il est au cœur d’enjeux fonciers importants. En effet GWU n’a pu s’étendre dans les années 1990 que par l’achat de deux campus annexes, l’un en Virginie, l’autre à Palisades, aux limites occidentales du District de Columbia. Parallèlement, elle loue certains de ces terrains : FMI et Banque Mondiale sont situées dans le campus.

GWU contribue fortement au rayonnement intellectuel de la ville, à la formation de ses élites et à la constitution des réseaux de pouvoir. Elle accueille 17 % d’étudiants internationaux de 130 pays environ et héberge des instituts de recherche de premier plan. La revue Foreign Policy classe régulièrement l’Elliott School of International Affairs (ESIA) et son Institute for International Economic Policy (IIEP) parmi les meilleurs dans le domaine des relations internationales. Beaucoup de ses étudiants intègrent le Département d’Etat, situé dans la même rue. La Princeton Review classe également GWU parmi les écoles les plus actives politiquement. Les “College Democrats” et “College Republicans” (associations politiques d’étudiants) y sont particulièrement actifs, de même que la tradition des sociétés savantes et confréries d’étudiants, où se constituent les embryons de réseau.

La Georgetown University, dans le quartier du même nom, joue le même rôle. Elle héberge un centre de recherche : le CSIS (Center for Strategic and International Studies). La prestigieuse université Johns Hopkins de Baltimore dispose également d’annexes le long de Massachusetts Avenue, notamment la University School of Advanced International Studies.

Au nord de l’image, le secteur Dupont Circle et Massachusetts avenue, axe radial coupant en biseau le nord-est de l’image depuis Dupont Circle, est également surnommé « Think Tank Row ». S’y côtoient la Brookings Institution (éducation, politiques étrangères…), le Peterson Institute for International Economics, le Carnegie Endowment for International Peace, le Cato Institute, connu pour ses orientations politiques libertariennes, l’American Enterprise Institute...

De nombreuses ONG et groupes de pression trouvent également domicile dans le secteur (Oxfam America, National Education Association, Human Rights Campaign…) pour mener leurs activités de levées de fond, d’information et de lobbying auprès des différentes institutions gouvernementales ou internationales. Les bureaux de l’AFL-CIO, la plus puissante confédération syndicale des Etats-Unis, donnent sur Lafayette Square, quasiment en face de la Maison-Blanche...

 



Le Capitole et l’Est du National Mall, le centre de la démocratie américaine

L’image montre l’est du Washington monumental, structuré par l’axe magistral du Mall, dont les 1,6 km se terminent à l’Est par l’imposant bâtiment du Capitole. La majeure partie de cet espace urbain est publique. C’est un Washington politique, administratif, culturel et touristique qui incarne la démocratie américaine en action.

Le Capitole : le centre du pouvoir législatif

Le Capitole abrite le Congrès, les deux chambres de la branche législative du gouvernement fédéral : le Sénat dans l’aile Nord et la Chambre des Représentants dans l’aile Sud. C’est ici qu’a lieu également l’investiture officielle du président des Etats-Unis. Ses 230 m de long et plus de 16 000 m2, résultent de nombreuses extensions et restructurations héritées de l’histoire, l’entrée dans l’Union de nouveaux Etats nécessitant notamment d’accueillir davantage de parlementaires et de personnels administratifs.

Le plan de L’Enfant en 1791 conçoit le Capitole comme l’épicentre, qui sert de point de départ pour tracer le plan complexe de la nouvelle capitale. Il se situe sur une colline, Jenkins Hill, point culminant du site, 26 m environ au-dessus du niveau du Potomac : “un piédestal en attente d’un monument”. L’urbanisme est particulièrement aéré, dans une mise en perspective valorisant le bâtiment, précédé d’un miroir d’eau et entouré de vastes parcs et pelouses. Le Capitole est le centre d’une croix structurante formée par North et South Capitol Streets, East Capitol Street, et le Mall à l’Ouest, à la manière d’un cardo et d’un decumanus, organisant ainsi l’espace urbain en quadrants qui déterminent la dénomination des rues (NW, SW, NE, SE). Il est de plus le point de convergence de sept grandes avenues radiales qui ménagent de vastes perspectives, dont Pennsylvania Avenue NW, axe menant à la Maison-Blanche, et Maryland Avenue SW. L’inspiration versaillaise et l’analogie avec les avenues de Paris, Saint-Cloud et Sceaux sont ici évidentes. Cette morphologie permet donc d’affirmer symboliquement la place centrale des citoyens et du pouvoir législatif dans le nouvel Etat.

 Dans le même esprit, le méridien de Washington devait passer par le bâtiment, avant que ne lui soit préférés la Maison blanche, l’observatoire naval, puis le méridien de Greenwich (adopté en 1884 à la conférence internationale de … Washington).

Capitol Hill et le complexe du Congrès

“The Hill” (la colline) désigne par métonymie le pouvoir législatif et le microcosme qui gravite autour des parlementaires : conseillers, avocats, lobbyistes, journalistes politiques…

Le Capitole est le centre d’un complexe d’environ un km2, composé de parcs et d’une douzaine de bâtiments ajoutés au cours du XXe siècle. Il dispose de son propre système de métro léger depuis 1909, et de sa propre centrale électrique (thermique) visible au Sud. Au nord de Constitution Avenue, les bâtiments abritant les bureaux du Sénat (Russell, Dirksen et Hart Buildings) sont reconnaissables à leurs toits verts. Au Sud d’Independence Avenue se situent les trois immeubles de bureaux de la Chambre des Représentants, deux autres se situant à l’ouest de l’entrée du tunnel autoroutier.

Troisième branche du pouvoir, le système judiciaire fédéral partage le site avec le Congrès : la Cour Suprême, siégeant auparavant dans le Capitole, dispose depuis 1935 de son propre bâtiment, reconnaissable à ses quatre cours carrées, juste à l’est du Capitole.

Au Sud de la Cour Suprême se trouve le Thomas Jefferson Building, abritant la Bibliothèque du Congrès. Créée en 1800, elle est la plus ancienne bibliothèque fédérale du pays, réservée aux chercheurs, parlementaires et juges de la Cour Suprême. Avec le fond documentaire le plus riche au monde, plus de 150 millions de références, elle a dû s’étendre sur deux blocs adjacents à l’est (John Adams Building) et au sud (James Madison Memorial Building).

La présence des pouvoirs législatif et judiciaire attire également sur “The Hill” de nombreux lobbies et associations. C’est le cas des partis démocrate sur South Capitol Street SE, et républicain, sur la Première rue juste au sud de la bibliothèque du Congrès. Y sont actifs des groupes industriels comme le géant du tabac Altria (anciennement Philip Morris) qui dispose de bureaux sur Constitution avenue à deux pas du Capitole, des associations professionnelles et d’anciens combattants, des groupes opposés à l’avortement, religieux... La très puissante NRA (National Rifle Association, le lobby des armes à feu) est présente sur 1st Street.

A droite de l’image, le quartier de Capitol Hill est le plus grand et parmi les plus densément peuplés des quartiers résidentiels historiques de Washington. Avec ses allures de village il offre un contraste saisissant avec le complexe du Capitole et sa monumentalité. Le quartier s’est développé au XIXe siècle grâce à l’implantation des chantiers navals de la marine, sur la rivière Anacostia plus à l’est, et à l’activité parlementaire à l’ouest. Après avoir connu une certaine dégradation dans la deuxième moitié du XXe siècle, le quartier, où résident de nombreux parlementaires, est l’objet d’une gentrification très importante depuis les années 1990.

Le Mall et les musées de la Smithsonian Institution : un complexe culturel de rang mondial

Le Mall est pensé à l’origine comme une large avenue bordée d’espaces verts, de haies d’arbres, flanquée de bâtiments publics, s’étirant du Capitole au Potomac. L’image permet de saisir l’ampleur de cet espace public, ses 2 km de longueur et 200 m de largeur (500 m si l’on inclut les musées). Il est délimité par deux grands axes : Constitution Avenue au Nord et Independence Avenue au Sud.

Conçu pour le peuple, il est le lieu, avec les avenues l’encadrant, des grandes manifestations et marches de protestation. Il a été aussi un espace convoité avant d’être protégé : au XIXe siècle des aménagements parfois désordonnés y implantent grands arbres, bâtiments publics et industriels, et même gare de chemin de fer au pied du Capitole. Le Washington City canal reliant le Potomac à la rivière Anacostia traverse aussi l’espace avant de tomber en désuétude, d’être couvert ou remblayé (par ex. sous Constitution Avenue). Au début du XXe siècle, le plan McMillan réaménage l’espace dans l’esprit d’origine afin de rétablir les perspectives : l’herbe remplace les parcs victoriens, la largeur est diminuée pour permettre la construction de musées et de centres culturels dans le style néoclassique.

Plus d’une douzaine de musées et centres culturels de la Smithsonian Institution, administrée par le gouvernement, s’alignent sur les franges Nord et Sud du Mall. Leurs collections exceptionnelles accueillent gratuitement plus de 20 millions de visiteurs par an et font de Washington une métropole culturelle de premier plan. L’Institution siège dans le Smithsonian Castle, au centre, depuis 1855. A ses côtés, le pavillon des Arts et de l’Industrie ouvre en 1881. Parmi les plus fréquentés ouvrent durant la première moitié du XXème siècle le musée d’histoire naturelle et la National Gallery of Art, dont les vastes toits verts sont visibles côté Nord, le jardin botanique...  

Après-guerre, le National Museum of American History (1964), situé à gauche du musée d’histoire naturelle sur l’image, le Hirshhorn (dédié à l’art contemporain, 1974), circulaire, le musée national de l’air et de l’espace (1976) au Sud en face de la National Gallery, et le bâtiment Est de la National Gallery, consacré à l’art moderne et contemporain.  A partir des années 1980 la volonté de conserver et de questionner histoire et mémoire retient l’attention : le U.S. Holocaust Memorial Museum ouvre en 1993, le musée national des Indiens Américains en 2004 (à l’extrémité Est du Mall, côté Sud, de forme biseautée), et enfin le musée national d’histoire et de la culture des Africains Américains inauguré en 2016, de forme carrée, côté Nord, à gauche de l’image. Cette chronologie révèle donc l’évolution des rapports que les Etats-Unis et les Américains entretiennent avec leur histoire, et leurs enjeux politiques et sociétaux.

Le Nord du Mall est également riche d’autres lieux de culture et de la mémoire des Etats-Unis : les archives nationales, où est conservé l’original de la Constitution, sur Constitution avenue, le Newseum dédié au journalisme (1997), le Ford’s Theatre ou Lincoln fut assassiné...

Dans l’angle nord-est, Washington Union Station est créée en 1907 après le démantèlement de la gare du Mall. Un tunnel ferroviaire sous 1st Street permet d’éviter le rebroussement des trains et d’assurer des liaisons vers la Virginie et le Sud. La gare est l’une des plus fréquentées d’Amérique du Nord, elle accueille trains de banlieues et du réseau Amtrak, la société ferroviaire publique américaine, qui y a aussi son siège social.

L’emprise administrative du gouvernement fédéral

De part et d’autre du Mall et de ses musées plusieurs rangées de blocs sont occupées par l’administration fédérale. Au Sud d’Independence Avenue sont visibles de droite à gauche : le département de la santé, les studios de la radio publique d’Etat “Voice of America”, le département de l’éducation, l’administration fédérale de l’aviation, les départements de l’énergie et de l’agriculture (dont les deux bâtiments sont reliés par deux arches au-dessus d’Independence avenue), le Bureau of Engraving and Printing, qui élabore notamment les billets de la Réserve fédérale.

Côté Nord est visible à l’est le département du travail, mais surtout le Federal Triangle, reconnaissable à ses toits rouges, qui abrite agences fédérales, mairie de la ville et ministère du commerce (à l’ouest). La dizaine de bâtiments qui le composent ont été construits pour la plupart dans les années 1930 dans le cadre d’un plan d’aménagement ambitieux, qui donne à l’ensemble sa cohérence architecturale, mais qui a connu de nombreuses vicissitudes jusqu’à l’achèvement du Ronald Reagan Building en 1998.

 

 



L’Ouest du National Mall : une dimension mémorielle et symbolique

L’ouest du National Mall s’étire sur 1,3 km, entre le Washington Monument à l’Est et le Lincoln Memorial à l’Ouest, l’ensemble du Mall jusqu’au Capitole faisant 3 km environ. L’étendue des espaces verts et la mise en scène des monuments sont ici particulièrement majestueuses et symboliques. Le Mall se connecte perpendiculairement avec la perspective Nord-Sud du complexe de la Maison-Blanche. A l’ouest, le Arlington Memorial Bridge le relie au fameux cimetière national d’Arlington, situé au nord-ouest du Pentagone en Virginie. Le Tidal Basin occupe la partie sud de l’image, au bord du fleuve. Au nord sont visibles les bâtiments du Départements d’Etat (affaires étrangères), de l’Intérieur, la FED (banque centrale) et l’ouest du Triangle Fédéral.

L’extension du cœur monumental

Les espaces à l'ouest du Washington Monument et au sud de Constitution Avenue NW ont été gagnés par remblaiement à la suite des inondations de 1881, qui ont touché une grande partie du centre-ville. Ces opérations, ainsi que l’exhaussement des terrains proches de la Maison-Blanche, ont permis la création du Tidal Basin et de nouveaux parcs, comme le parc du Potomac Ouest, ainsi que la prolongation d’Independence avenue. Ces nouveaux espaces sont l’objet en 1902 d’un plan d’aménagement cruciforme dirigé par la commission sénatoriale McMillan. Le Mall est pensé comme le cœur de la ville en pleine croissance. Le Washington Monument (achevé en 1884), au lieu d’en être l’extrémité, devient le centre du Mall rallongé, alors qu’un monument en hommage à Lincoln est prévu à la nouvelle extrémité Ouest.

L’obélisque du Washington Monument est donc un élément structurant majeur. Plus haut obélisque au monde, avec ses 169 mètres, et plus haute construction de Washington, il est un repère visuel incontournable qui honore le chef de l’armée continentale ayant mené à l’Indépendance, le premier président des Etats-Unis, et l’homme-clé à l’origine de la capitale. L’image permet de se rendre compte que le monument n’est pas situé à l’exacte intersection de l’axe central du Mall et de l’axe Nord-Sud passant la Maison-Blanche. L’instabilité du terrain pour supporter une telle structure a en effet contraint son déplacement une centaine de mètres plus à l’Est. Il est la plus haute structure du monde de 1884 à 1889, date à laquelle la Tour Eiffel le supplante.

Le Lincoln Memorial, symbole de réconciliation

Le monument, rappelant un temple grec de style dorique et abritant la célèbre statue assise du 16ème président, est inauguré en 1922. A l’extrémité ouest du Mall, au centre d’un nœud d’avenues et de promenades, il vient clore la perspective Est-Ouest qui aligne remarquablement trois monuments parmi les plus emblématiques de la capitale avec le Capitole et le Washington Monument. La perspective est également soulignée par l’adjonction de la reflecting pool, miroir d’eau de 618 m de long pour 51 m de large, inspirée des bassins de Versailles.

Plus de cinquante ans après la fin de la guerre civile et son assassinat, et l’apaisement des querelles partisanes, Lincoln est devenu symbole de réconciliation. Il est le héros ayant préservé l’unité des Etats-Unis d’Amérique, qui pourtant restent ségrégationnistes. En témoigne la stricte séparation du public lors de l’inauguration, la présence d’un seul orateur noir, ignoré par la presse, ou bien la manifestation du Ku Klux Klan sur Pennsylvania Avenue…

Le mémorial, en plus d’être une attraction touristique majeure, a donc une dimension symbolique et politique importante. Il est devenu un point central des manifestations touchant aux questions raciales, dans la lignée des luttes pour les droits civiques. Le discours de Martin Luther King Jr. "I Have a Dream" est prononcé sur les marches du monument le 28 août 1963, lors du rassemblement mettant fin à la marche pour l'emploi et la liberté.

 Le Memorial Bridge complète ce symbolisme. Il connecte Washington, l’ancienne capitale nordiste, à la Custis-Lee Mansion, demeure du général Robert E. Lee, chef des armées confédérées, dont une partie du domaine est devenu le cimetière national d’Arlington. Par extension, le pont connecte D.C. et la Virginie, le Nord et le Sud.

Le National Mall, lieu de mémoires de guerres controversées

Le National Mall est un lieu touristique, un lieu de mémoire et de recueillement, où se situent de nombreux mémoriaux. Entre l’obélisque et la reflecting pool est visible le mémorial de la Seconde Guerre mondiale, longtemps retardé jusqu’à son inauguration en 2004. Sa position centrale dans le cœur monumental illustre le rôle majeur de la Deuxième Guerre mondiale dans l’histoire des Etats-Unis, mais aussi le patriotisme américain. Le sacrifice des GI’s s’accompagne en effet de l’accès au statut de superpuissance des Etats-Unis, qui assument dès lors leur rôle de leader dans un ordre mondial redessiné. De très grande dimension, avec son bassin et ses colonnades, il s’inscrit dans la tradition des grands monuments qui l’ont précédé, à la différence des mémoriaux voisins dédiés aux vétérans des Guerres de Corée et du Vietnam, plus modernes dans leur conception. Il est parfois critiqué comme ‘’vainglorious’’, inutile et peu glorieux.

Le Vietnam Veterans Memorial se situe au nord-est du Lincoln Memorial, proche de Constitution avenue. Inauguré en 1982, il illustre clairement une approche mémorielle différente, alors que l’idée d’un mémorial fut aussi controversée que le fut la guerre elle-même. Choisi à la suite d’un concours d’architecture, le projet de Maya Lin privilégie l’aspect funéraire et le recueillement sur la dimension héroïque et triomphante.

Au sud-ouest du Lincoln Memorial, le monument aux vétérans de la Guerre de Corée est le pendant sud du Vietnam Veterans Memorial. Inauguré en 1995, soit 13 ans après le mémorial aux Vétérans du Vietnam, il n’est pas porteur des mêmes controverses que celui-ci. La guerre de Corée n’a pas divisé le pays, les Etats-Unis luttaient alors dans le cadre d’une coalition internationale, sous les couleurs de l’ONU, contre le Nord communiste, objectif bien plus consensuel.  

Le Tidal Basin, une extension des lieux du mémoire du National Mall

Le Tidal Basin (‘’bassin de marées’’), en forme de trèfle aplati au sud, est un ancien bras de rivière aménagé en réservoir. Il a été construit pour servir de pièce d’eau et chasser le limon et les sédiments du chenal de Washington, qui débute dans l’angle sud-est de l’image. Ville de fond d’estuaire, Washington voit les marées remonter le Potomac et remplir le bassin deux fois par jour ; les eaux sont ensuite relâchées dans le chenal, le bassin agissant alors comme une chasse d’eau.

Les berges du bassin sont un lieu de promenade réputé. Chaque printemps le National Cherry Blossom Festival célèbre la floraison des centaines de cerisiers japonais offerts par le maire de Tokyo à la ville de Washington en 1912, et célèbre les relations étroites entre les deux nations.

Plusieurs monuments et mémoriaux sont répartis autour du bassin. Ils témoignent d’une géohistoire de la mémoire, rappelant que l’inauguration d’un mémorial en hommage à une personnalité est l’aboutissement d’un processus complexe mêlant enjeux politiques, sociétaux, financiers… Ils sont érigés en symboles mais ne sont pas exempts de controverses, qui rappellent que la société américaine est plurielle, multiethnique, et que son rapport à son histoire évolue, comme en témoignent les derniers musées ouverts sur le Mall (zoom 2).

Au sud de l’image est partiellement visible la coupole blanche du Jefferson Memorial, inauguré en 1943 pour le bicentenaire de la naissance de Jefferson, sur la proposition de F.D. Roosevelt. Le célèbre monument termine la perspective Nord-Sud menant à la Maison-Blanche. Il rend hommage à l’un des pères fondateurs et des principaux auteurs de la Constitution. Il s’inspire du Panthéon de Rome, de la Rotunda de l’université de Virginie à Charlottesville et de la demeure de Jefferson, Monticello, toutes deux dessinées par Jefferson lui-même. Les détracteurs de Roosevelt l’accusèrent de vouloir récupérer la pensée de Jefferson pour justifier le New Deal.

Inauguré en mai 1997 sur les berges ouest, le Franklin Delano Roosevelt Memorial s’échelonne sur quatre espaces en plein air, retraçant chacun de ses quatre mandats, soit 12 ans de l'histoire des États-Unis. Le président y est représenté en fauteuil roulant, en rupture avec l’image publique du temps de sa présidence, de crainte que le handicap n’affecte sa stature de président dans l’opinion.

Au Nord-Ouest du bassin, juste au Sud d’Independance avenue et donc en lisière du Mall, le Martin Luther King Jr Memorial est inauguré en 2011 après plus de 20 ans de planification, de collecte de fonds et de construction. Figure iconique du Mouvement des Droits Civiques, avocat de la non-violence et de la lutte contre la pauvreté, les luttes du personnage rappellent la ségrégation et une Amérique divisée. Il ne s’agit pas du premier mémorial hommage à un Africain Américain à Washington, mais il est le premier à bénéficier d’un site aussi honorifique.

 

 



Le Pentagone : le quartier général de la puissance militaire

Une ville dans la ville

L’image est en grande partie occupée par le Pentagone, siège du département de la Défense. Il est situé sur la rive droite du Potomac, à Arlington en Virginie, au sud du Cimetière national d’Arlington. Au sud-est débutent les pistes du Ronald Reagan National Airport.

Le zoom et l’image globale permettent de saisir l’énormité de la structure : plus de 600 000 m2, 281 mètres de long pour chacune des cinq ailes externes. Le Pentagone abrite environ 30 000 personnels, civils et militaires. Il est à lui seul une petite ville avec ses innombrables bureaux, salles d'opérations mais aussi services et boutiques pour les employés. Le bâtiment, formé de cinq pentagones emboîtés les uns dans les autres, est toujours considéré comme le plus vaste au monde.

Une structure d’une telle taille soulève des problèmes de fonctionnalité et d’accessibilité. Les immenses parkings qui l’entourent triplent environ l’emprise au sol et témoignent du mode de transport privilégié par les employés. Le complexe est ceinturé par un triangle autoroutier de très grande capacité permettant des connexions vers le centre de Washington, vers la Beltway (autoroute de ceinture) et le Maryland au Nord, vers Alexandria et le reste de la Virginie au sud. Les ponts jumeaux Rochambeau Memorial Bridge et George Mason Memorial Bridge, comptant chacun quatre voies de circulation, servent de véritable cordon ombilical avec le centre de Washington (la Maison-Blanche est à environ 5,5 km de route).

Le Pentagone est par ailleurs desservi par deux lignes de métro de grande capacité, créées à la fin des années 1970 et au début des années 1980, assurant un cadencement de navettes vers le District of Columbia d’une part, et le Sud de l’aire urbaine d’autre part. Malgré la taille et la capacité des infrastructures de transport le secteur reste un point d’engorgement aux heures de pointe, tant la concentration de navetteurs y est importante.

Au sud de la voie rapide Interstate 395, Pentagon City est une annexe commerciale et résidentielle. Ce quartier de 25 000 habitants doit, avec Crystal City, une part importante de son développement et de son attractivité à la proximité du Pentagone. Irrigués par des voies rapides, de vastes centres commerciaux (Fashion Centre at Pentagon City, desservi par le métro, Costco Wholesales…), hôtels, bâtiments de bureau et leurs parkings consommateurs d’espace sont caractéristiques de l’étalement urbain en périphérie des métropoles. La partie Est de Pentagon City visible ici fait partie du gigantesque plan d’investissement d’Amazon pour implanter son nouveau siège-social (National Landing) : 2,5 milliards de dollars, plus de 25 000 emplois, plus de 370 000 m2 de bureaux (et potentiellement le double) sont prévus.  

Le paradoxe washingtonien : concilier besoin d’espace, accessibilité et urbanisme

L’origine du Pentagone, abritant les différents services du département de la Défense, remonte à la Seconde Guerre mondiale, qui a considérablement accru le rôle du gouvernement fédéral.  

Construit entre 1941 et 1943 le Pentagone succède aux multiples locaux du War Department disséminés dans Washington, en particulier le Munitions Building le long du Mall… Les énormes besoins créés par l’entrée en guerre obligent à concilier deux contraintes : disposer de locaux suffisants grands et accessibles, et respecter l’urbanisme monumental de la capitale. Arlington, sur l’autre rive du Potomac, répond à cette exigence tout en étant proche des centres de décision que sont le Congrès et la Maison Blanche, où siège le président, commandant en chef des forces armées.

Un premier site, proche de l’entrée du cimetière national d’Arlington et en face du Lincoln Memorial, fut écarté par le président Roosevelt, suivant ainsi les recommandations de la Commission of Fine Arts : le plan et les perspectives de la capitale nationale auraient été altérés. Le site est relocalisé plus au sud, sur les terrains de l’ancien aéroport et d’une ferme expérimentale du département de l’agriculture. Limité à cinq étages le bâtiment doit donc compenser par une très imposante surface au sol.

Le quartier général d’une puissance militaire mondiale et interventionniste

Le Pentagone est le centre de commandement de la puissance militaire, l’une des pièces maîtresses du DOD (Department of Defense): il abrite le siège du Secrétaire à la Défense, les chefs d’état-major, et les quartiers généraux des quatre armes : US Army, US Navy, US Air Force, US Marine Corps, auxquels s’ajoutent les commandements des gardes côtes et des forces spéciales. Il abrite à la fois les centres de commandement des forces armées organisées en spécialités (cf. Cyber Command) et les commandements gérant diverses régions du monde (European Command, Africa Command…).

A l’image du Capitole et de la Maison-Blanche, le Pentagone est un bâtiment, une institution mais aussi un symbole. Il incarne l’influence grandissante du pouvoir militaire et l’interventionnisme croissant des Etats-Unis dans un pays marqué par une longue tradition isolationniste. Lors de sa construction le gouvernement et une large part de l’opinion publique ne l’envisageaient que comme une réponse provisoire à des circonstances exceptionnelles, et dont l’importance n’aurait plus lieu d’être après la guerre. Guerre froide et nouvelles menaces apparues depuis les années 1990 ont au contraire renforcé le pouvoir militaire et l’institution de la Défense. Malgré son âge et ses 28 km de couloirs le bâtiment reste fonctionnel, mais le Pentagone a annoncé en 2018 que le Army Futures Command sera situé à Austin, au Texas.

Les attentats du 11 septembre 2001

Le Pentagone est la cible de l’un des attentats du 11 septembre 2001, le vol 77 American Airlines percutant l’aile ouest du bâtiment, faisant 184 victimes.

La proximité du Ronald Reagan National Airport et du Pentagone est frappante : les premiers mètres de pistes, visibles dans l’angle sud-est de l’image, sont distants d’environ 1 mile, soit 1,6 km. Le « National Airport » inauguré en 1941 remplace l’ancien aérodrome Hoover Field, obsolète et dangereux. Roosevelt évoque dans son discours d’inauguration la nécessité de développer la puissance aérienne des Etats-Unis pour faire face à la menace aérienne des forces de l’Axe. Pentagone et aéroport ont donc été construits à la même époque, au nom de la « Défense nationale » et de l’efficacité, bien avant l’explosion du trafic aérien et des nuisances qui affectent aujourd’hui les espaces périphériques produits par l’étalement urbain.

La proximité des deux infrastructures est aussi le signe d’une capitale fédérale devenant métropole mondiale, qui peine à concentrer les lieux de son pouvoir grandissant dans ses limites géographiques historiques. Le Reagan Airport, déjà, est en grande partie construit en remblai sur le fleuve, ce qui lui permet de bénéficier aujourd’hui d’une grande proximité et d’excellentes connexions avec la ville-centre (autoroute, métro). Ses concepteurs ont été confrontés au dilemme traditionnel des grandes infrastructures washingtoniennes : créer une installation très moderne tout en respectant l'esprit de l'architecture classique de la capitale nationale, et l'histoire coloniale du lieu. Le design rappelle donc Mont Vernon, résidence et domaine de George Washington, situé à quelques kilomètres plus au sud.

Dans les années 1960, avec l’augmentation du trafic aérien, la principale porte d’entrée internationale de la ville devient le Dulles International Airport, situé plus de 40 km à l’ouest, en Virginie. L’aéroport Reagan est donc essentiellement dédié aux vols domestiques et continentaux, avec quelques vols transcontinentaux.

L’attentat de 2001 confirme la dimension symbolique que Washington et les bâtiments emblématiques de ses différents pouvoirs, devenus iconiques, ont acquis. C’est la toute puissance militaire que visaient les islamistes d’Al Qaïda, mais aussi la matérialisation dans l’espace de la politique étrangère interventionniste des « gendarmes du monde », qui alimente aussi l’anti-américanisme. Les bâtiments et les lieux du pouvoir peuvent donc se prêter à une double lecture : patriotisme, défense des intérêts américains et symbole national pour les uns ; militarisme, interventionnisme voire volonté de domination pour les autres.

 

 



Le confluent et Southwest Washington, un ancien espace industriel en recomposition

L’image montre la confluence de la rivière Anacostia et du Potomac. Cet espace urbain marqué par une forte tradition militaire et industrielle fait partie du quadrant sud-ouest, le plus petit et le moins peuplé de D.C. Il est aussi plus pauvre que les quartiers centraux. Capitol Street SW, axe nord-sud prolongé par le Frederick Douglass Memorial Bridge vers le quartier d’Anacostia, sépare les quartiers de Southwest waterfront à l’Ouest et ceux de Navy Yard à l’Est. La voie rapide I695, aérienne, marque une coupure urbaine qui sépare le quartier du Mall et de Capitol Hill, seulement 1,2 km plus au Nord. A gauche, l’extrémité méridionale de l’East Potomac Parc, vaste espace de loisirs en plein cœur de ville, sépare le Potomac du Washington Channel, un ancien bras du fleuve.

Un site stratégique de longue tradition militaire

Les emprises militaires occupent une part très importante de l’image. Le Fort McNair, reconnaissable à ses vastes pelouses, occupe un site d’une trentaine d’hectares à Greenleaf Point, la pointe sud de la péninsule. Il est l’une des plus anciennes installations militaires des Etats-Unis et l’ancien arsenal de Washington. Il est un point de défense stratégique de la ville depuis 1791, même s’il n’arrête pas l’incursion britannique et les destructions dans la ville lors de la guerre anglo-américaine de 1812. Il contribue également à défendre la ville face au Sud confédéré lors de la guerre de Sécession.

Le site abrite actuellement le commandement du district militaire de Washington (MDW), en charge de la défense de la métropole capitale. Il est la résidence officielle du chef d’état-major adjoint de la U.S. Army, et comprend deux institutions de formation militaire supérieure : la National Defense University (et son institut pour les études nationales stratégiques), et l’Inter-American Defense College, qui forme des officiers de l’Organisation des Etats Américain (OAS), dont le siège est à Washington.

La Marine des Etats-Unis (U.S. Navy) est un occupant historique des lieux et a donné son nom au secteur nord-est de l’image : les Navy Yards. Les chantiers navals, créés en 1799, vont durant des décennies être les plus importants des Etats-Unis, le Potomac étant accessible aux navires de haute mer jusqu’à Georgetown. Ils sont pendant la Deuxième Guerre mondiale les plus grands du monde, avant de céder progressivement la place à la conception de navires, à la production de produits finis et de munitions. Ce sont les plus vieilles installations militaires de la Marine sur le sol américain, encore en service au sein du District Naval de Washington.

Les quartiers de la Marine débutent à l’est du bâtiment rectangulaire au toit blanc, en bord de rivière à droite de l’image. C’est le siège du NAVSEA (Naval Sea Systems Command). C’est ici que sont conçus les navires et les systèmes de combat de l’U.S. Navy, représentant le quart de son budget total. Le NAVSEA dispose dans la région de chantiers navals et de "centres de guerre" pour tester grandeur nature les innovations apportées aux matériels navals.

Légèrement hors cadre au Nord-Ouest, les Marine Barracks sont le plus ancien poste du corps des Marines des États-Unis (1801). Cette caserne est la résidence officielle du commandant du corps.

Les espaces en grande partie inoccupés sur la rive sud de la rivière Anacostia, entre les berges et la voie rapide, sont également des terrains militaires en réserve appartenant à la base Anacostia- Bolling, dont les principales installations débutent plus au sud. Il s’agit d’une base regroupant des services des différentes armées (joint base), dont une base d’hélicoptères de l’US Air Force depuis laquelle opère l’hélicoptère présidentiel. La base abrite également l’agence des communications de la Maison-Blanche, en charge de fournir renseignements et communications en n’importe quelles circonstances aux services présidentiels et aux services secrets.

La revitalisation des berges de l’Anacostia River et du Washington Channel

Navy Yard a été le principal quartier industriel de Washington. Les activités commerciales et industrielles, liées au secteur naval, atteignent leur apogée au milieu des années 1940, où elles emploient plus de 26 000 ouvriers sur plus de 50 hectares. La reconversion des chantiers navals après la guerre s’accompagne d’un déclin progressif de l’activité dans la deuxième moitié du XXe siècle. La mise en service du pont autoroutier plus en amont sur l’Anacostia accélère ce déclin en empêchant l’accès aux navires et à certaines berges. Dans les années 1980, le secteur est dégradé et connaît une forte criminalité ; la rivière est l’une des plus polluées des Etats-Unis.
 
L’ensemble des berges, le long du chenal de Washington et de la rivière Anacostia, jusqu’à la limite nord-est du district de Columbia avec le Maryland, fait l’objet d’un plan de revitalisation et de développement ambitieux adopté en 2003 : le Anacostia Waterfront Framework Plan (AWI Plan). Il prévoit sur 30 ans 10 milliards de dollars d’investissements, engagés par 19 organismes fédéraux et du district regroupés dans la Anacostia Waterfront Initiative (AWI, « projet des berges de l’Anacostia »).

La revitalisation s’est appuyée tout d’abord sur l’assainissement de la rivière et de ses berges, la restauration de zones humides plus en amont, qui ont contribué à la dépollution de la rivière. L’aménagement des berges comprend la création d’un réseau de parcs et promenades, de pistes cyclables et de marinas permettant aux habitants et employés, anciens et nouveaux, de se réapproprier ces espaces autrefois industriels.

Deux sections achevées sont visibles sur l’image. Les berges allant du stade de baseball au NAVSEA, en passant par le Yards Park et ses jeux d’eau (20 000 m2), inauguré en 2010. Le long du Washington channel, au nord du fort McNair, le quartier des quais est également un exemple de revitalisation, avec sa marina, sa promenade et ses pontons dédiés aux loisirs, en cours d’aménagement. On distingue au nord de l’image les formes courbées de l’Arena Stage at the Mead Center, complexe théâtral rénové. Les programmes immobiliers haut de gamme, vantant les vues sur le fleuve et la rivière à proximité du Mall, traduisent le processus de gentrification d’un quartier en pleine transformation devenu à la mode.

Un espace en restructuration et en voie de gentrification

L’espace urbain fait ici l’objet de réhabilitations de grande ampleur, planifiée par l’AWI, mais qui mobilise acteurs publics et privés. L’image rend bien compte des nombreux blocs encore en chantier au sud de la péninsule.

L’amélioration de l’accessibilité de Southwest Washington est un enjeu. L’espace, excentré et coupé du centre par l’Interstate 695, parallèle au Mall, a nécessité de repenser les plans de circulation. Des axes structurants majeurs ont été embellis, à l’exemple de South Capitol Street SW et New Jersey Avenue (oblique, orientée NW/SE) qui permettent de connecter le quartier au Mall et à Capitol Hill, au Nord. Des voies élargies ou rendues piétonnes facilitent l’accès aux berges restaurées. Des travaux sur les échangeurs visent également à améliorer l’accès à la voie rapide qui permet de connecter tout le sud du District à Arlington. Un nouveau pont Frederick Douglass Memorial Bridge est prévu pour 2021 pour améliorer les connexions vers le Sud et l’Est de l’agglomération.

En 2007, l’installation du nouveau siège du ministère des transports (Department of Transportation, ou D.O.T.) a permis de catalyser et d’accélérer les opérations de rénovation et de développement urbain. Le site, qui s’étend sur deux blocs entiers visibles au nord-est, desservis par le métro, à proximité du NAVSEA, emploie plus de 5 000 agents et met fin au besoin d’espace chronique des services du ministère. Depuis sa création en 1967 le D.O.T. est en effet le mal-logé des ministères : il est hébergé tout d’abord dans les locaux de la Federal Aviation Administration, puis dans des immeubles dispersés avant d’être regroupé dans des locaux loués dans le Constitution Center, au sud du Mall, proches des autres ministères, mais qui sont devenus vétustes et inadaptés au cours du temps. Pour aménager ce périmètre et le reconvertir en quartier à usage mixte, le conseil municipal du D.C. a créé le Capitol Riverfront, un “secteur de développement commercial” (Business Improvement District, ou BID). Sont planifiés un centre d'affaires (plus de 3 millions de m2 de surface de bureaux), 9 000 nouveaux appartements, plus de 90 000m2 de surfaces commerciales, des hôtels, des espaces de loisirs et parcs...

De grandes infrastructures sportives visent également à stimuler l’attractivité de ces quartiers. Près du pont, le Nationals Park et ses 42 000 places est depuis 2008 la nouvelle enceinte de baseball des Washington Nationals. Il est localisé sur l’artère principale South Capitol Street SW, à un bloc de la station de métro. Le périmètre est encore en travaux afin d’aménager les berges jusqu’à Buzzard Point, au niveau de la marina jouxtant Fort McNair. L’Audi Field, un stade de 20 000 places dédié au football, y a ouvert ses portes en juillet 2018. Au bord de l’Anacostia, l’ancienne centrale thermique et des bâtiments des Garde-côtes attendent leur démantèlement et la poursuite des aménagements du site.

 

D’autres ressources

Documents complémentaires

Residence Act
https://www.loc.gov/rr/program/bib/ourdocs/residence.html
http://teachingamericanhistory.org/past-programs/hfotw/07152012-2/

La plan L’Enfant
https://www.nps.gov/nr/travel/wash/lenfant.htm
https://www.cnu.org/publicsquare/2018/02/21/l%E2%80%99enfant%E2%80%99s-…

Le National Mall
https://www.nps.gov/nama/index.htm
https://www.washingtonpost.com/graphics/lifestyle/the-evolution-of-the-…
http://mallhistory.org/explorations/show/early-protests
https://www.politico.com/magazine/story/2018/05/28/washington-world-war…
Christopher Thomas, The Lincoln Memorial and American Life, Princeton, 2002, 9-13.

Sur l’aménagement et la planification urbaine
https://planning.dc.gov/
https://www.ncpc.gov/
http://opendata.dc.gov/pages/dc-from-above (orthophotographies et images aériennes depuis les années 1990)
http://datatools.dcactionforchildren.org/ Des données sur la structure de la population, la pauvreté

Pentagone
https://history.defense.gov/DOD-History/Pentagon/History/

Les think tanks et lobbies
https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1012&context=t…
https://www.gotothinktank.com/global-goto-think-tank-index/ Le "2018 Global Go-ToTo Think Tank Index"

Capitol Hill
https://www.nytimes.com/2016/11/20/realestate/capitol-hill-historic-dis…

Southwest Washington, rénovation urbaine et revitalisation des berges

https://planning.dc.gov/node/897542
https://planning.dc.gov/sites/default/files/dc/sites/op/publication/att…
https://www.anacostiawaterfront.org/


Traduction

[Traduction en espagnol]

Contributeurs

Olivier Ricard, agrégé, professeur au Lycée Français de Washington.