France / Royaume-Uni. Le détroit du Pas de Calais / Dover Strait : un détroit contraint mais géostratégique

Avec un chenal navigable de seulement 28 km de large, des eaux peu profondes et de puissants courants, le détroit du Pas de Calais, ou Dover Strait en anglais, est un espace maritime contraint qui explique dès 1967 la mise en place d’un dispositif de séparation de trafic. Car cette fenêtre océane joue un rôle géostratégique et géoéconomique majeure avec 25 % du trafic maritime mondial. Elle connecte en effet les systèmes Mer du Nord-Baltique et Manche-Atlantique et dessert les grands ports d’estuaire de la Northern Range. A ceci s’ajoute son rôle d’interface entre les iles Britanniques et le continent européen qui confère à cet espace une densité géohistorique exceptionnelle, de l’Antiquité au tunnel sous la Manche puis au Brexit. Ces logiques frontalières et transfrontalières cristallisent aujourd’hui de fortes tensions migratoires.

 

Légende de l’image

 

Cette image du du détroit, entre la France et le Royaume-Uni, a été prise par le satellite Sentinel-2A le 22 juin 2022. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

Ci-contre, la même image satelitte présente des repères géographiques de la région.

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2022, tous droits réservés.

 


Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

Le détroit du Pas de Calais : une fenêtre maritime atlantique,
un pont entre îles britanniques et continent

Le détroit du Pas de Calais – Dover Strait en anglais est tout à la fois l’espace de jonction entre deux espaces maritimes - la Manche et la Mer du Nord - et entre le continent européen et l’île de Grande-Bretagne qui appartient à l’archipel des Iles britanniques. Du fait de cette proximité, cet espace a été un laboratoire géohistorique d’une intensité exceptionnelle dans l’histoire de l’Europe : invasion romaine, invasion normande, affrontement franco-britannique de la Guerre de Cent Ans au blocus napoléonien, 1er puis Seconde Guerre mondiale... Jusqu’à l’ouverture du tunnel sous la Manche long de 20,5 km le 1er juin 1994 jusqu’au Brexit et à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne en janvier 2021 qui reconfigurent profondément les logiques d’articulations frontalières.    

 

Un système maritime aux fortes contraintes  

Comme le définissait le géographe Jacques Marcadon, les détroits sont des bras de mer plus ou moins resserrés entre les deux côtes qui les bordent ; ce sont des voies de communication qui mettent en relation deux étendues maritimes. Un détroit est aussi un point de plus grande proximité entre deux masses terrestres plus ou moins importantes ; ce sont donc aussi des ponts enjambant les mers. Ce sont bien ces deux logiques que l’on retrouve clairement exprimées sur l’image. Cette région maritime du détroit du Pas-de-Calais se caractérise par son étroitesse, sa faible profondeur, l’intensité de son trafic, la densité démographique et économique de ses rivages (cf. grands ports de la Northern Range), son caractère transfrontalier et son unité physique.

Il convient en effet de rappeler que nous sommes ici devant un vaste plateau sédimentaire unique ; cependant coupé en deux – bassin parisien à l’ouest, bassin londonien à l’est – lors de la remontée des eaux marines consécutive à la fin des grandes glaciations quaternaires (cf. fonte du grand inlandsis scandinave) il y a quelques 10 000 ans.  Ceci explique par exemple la grande proximité géologique, morphologique et paysagère des milieux naturels entre le Nord et le Kent (cf. grandes falaises de craie à silex).   

Pour la navigation, le détroit du Pas-de-Calais présente de fortes contraintes : forts vents et courants, brouillards et brumes, marées importantes, courants changeants, températures de l’eau basse... Grandes tempêtes, brumes et brouillards jouent leur rôle pour rendre la navigation parfois difficile, voire interdire par exemple dans certains cas la circulation des ferries...

Le détroit est étroit puisqu’il s’étend sur 32 km dans sa partie la plus restreinte ; mais de plus son chenal navigable se réduit à 28 km car il est peu profond (20 m. à 30 m.). Le détroit fonctionne d’abord en termes de circulation des masses d’eau comme un entonnoir entre deux systèmes maritimes puissants et dynamiques. Au sud-ouest se trouve la terminaison septentrionale de la Manche qui couvre 75 000 km2, fait 500 km sur 250 km et présente une profondeur moyenne de 52 m. avec un maximal de 170 m. Au nord-est se trouve la terminaison méridionale de la mer du Nord, qui couvre 580 000 km2 et présente une profondeur moyenne de 70 m.

Dans ces conditions, c’est en Manche que l’on trouve les marnages – terme qui définit les différences de hauteur d’eau entre marée basse et marée haute - les plus importants et les courants de marée les plus puissants de toutes les côtes métropolitaines françaises. De même, l’action des vents de surface joue un rôle important dans la circulation des eaux, et peut même parfois l’inverser dans le cas de puissants flux venant du nord durant plusieurs jours. Tout ceci interfère bien sûr en Manche avec un courant de fond sud/nord qui atteint dans le Pas de Calais une vitesse de 5 à 10 cm/s et qui représente annuellement un volume moyen Atlantique/ mer du Nord évalué entre 94 000 et 130 000 m3/s. L’action des eaux se traduit enfin par des processus d’érosion, transport et accumulation de matériaux sédimentaires en suspension comme le montre bien l’image le long des rivages (bancs de sables changeants car mobiles, hauts fonds...).

doc 3 : Systeme gestion trafic maritime .pdf

 

 

doc 4 : Contraintes pêche pas de calais.pdf

 

 

 

Un des plus grands systèmes maritimes mondiaux densément mis en valeur

De par sa position et ses qualités, le détroit du Pas de Calais appartient à l’un des plus grands systèmes maritimes mondiaux et à l’une des plus puissantes façades maritimes, celle de l’Europe occidentale. Cet espace se caractérise par l’intensité et la diversité de sa mise en valeur : trafic maritime à toutes les échelles, activité de pêche professionnelle, nautisme, extraction de granulats, énergie avec la multiplication des projets de parcs éoliens, zone de protection naturelle (Zones spéciales de conservation - ZSC, Zones de protection spéciale  - ZPS, sites Ramsar), câbles sous-marins dont le premier au monde fut posé des 1850 entre les caps Gris-Nez et Southerland pour joindre Paris à Londres... Le tout aboutit à des concurrences fonctionnelles croissantes dans l’occupation et la mise en valeur de cet espace marin (cf. haute pêche et parcs éoliens).

Le détroit du Pas-de-Calais se caractérise singulièrement par la densité de son trafic maritime puisqu’il polarise 25 % du trafic maritime mondial avec le passage d’environ 400 navires par jour. A ce trafic longue distance s’ajoute l’important trafic maritime transversal des compagnies de ferries qui assurent selon les saisons entre 20 à 100 liaisons par jour entre Calais et Douvres. Ces liens transmanche relient une série de grandes villes portuaires qui s’égrènent le long des côtes : Dunkerque, Calais, Boulogne, Douvres, Folkestone.  

C’est dans ce contexte qu’est mis en place dès 1967 le système des DST, ou dispositif de séparation de trafic, adopté par l’OMI – l’organisation maritime internationale dont le siège est à Londres. Tout navire de plus de 300 tonnes entrant dans la Manche doit obligatoirement se signaler (voyages, cargaisons, problèmes à bord...) aux centres de contrôle de Ouessant depuis 1996, aux Casquets et à Gris-Nez depuis 2000. Le DST se traduit géographiquement par une spécialisation zonale de l’espace avec la création de couloirs ou de rails de navigation, avec un couloir montant à l’est et un couloir descendant à l’ouest séparés par une zone interdite.

L’objectif est de réduire les risques de collision entre navires dans les zones traversées par d’importants flux maritimes. Ceci est d’autant plus important que 345 millions de tonnes de marchandises dangereuses ou polluantes ont transité en 2021 en Manche. Du fait de son efficacité, cette innovation majeure va progressivement se diffuser dans l’espace maritime mondial et concerner tous les grands détroits (Gibraltar, Bad el-Mandeb, Sumatra...).

Le système de coopération transfrontalier Royaume-Uni / France : mise en sécurité de la navigation

Du fait de son caractère frontalier et transfrontalier, les deux États riverains – la France et le Royaume-Uni – ont mis en place un certain nombre de dispositifs de gestion et de coopération maritimes. Les liens sont ainsi étroits et permanents entre les administrations des deux pays (police, armée, marine, douane...), par exemple entre la Maritime Coastguard Agency et la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord.

Le contrôle et la sécurité de la voie maritime sont assurés conjointement par le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage - CROSS du Cap Gris-Nez et le centre de la Coast Guard de Douvres. Relevant des Affaires maritimes du Ministère de la Mer, le CROSS coordonne sous la direction du préfet maritime l’ensemble des moyens maritimes, aériens et terrestres, publics et privés, mobilisés pour les opérations de sauvetage ou d’assistance en mer. Dans le cadre du Système Mondial de Détresse et Sécurité en Mer – SMDSM défini par la Convention de Hambourg de 1979 sous l’égide de l’Organisation Maritime Internationale, les mers et océans du monde ont été divisés en grandes zones, les SRR- Search and Rescue Region. A chaque grande zone SRR correspond un ou des MRCC – Maritime Rescue Coordination Center, dont le CROSS du Gris-Nez pour la Manche. Il est appelé à intervenir dans de nombreuses situations difficiles : collision, chavirage, échouement, voie d’eau, homme à la mer, aide médicale, accidents de plongée, voilier ou kite-surf en difficulté...

Cette coopération renforcée repose en particulier depuis mai 1978 sur un accord de coopération bilatéral dit « ManchePlan » organisant la coordination des actions en matière de sécurité maritime en Manche et en mer du Nord permettant la réunion régulière de groupes de travail (cf. Anglo-French Accident Technical Group, ou AFATG) et la tenue d’exercices conjoints bilatéraux : exercices de sauvetage maritime de grande ampleur (SMGA), exercices majeurs d’assistance à navire en difficulté (ANED), exercices de lutte contre une pollution maritime (POLMAR). Les enjeux de sécurité maritimes sont en effet considérables. En 2021, le CROSS du cap Gris-Nez a ainsi coordonné 2 314 opérations, dont 2 020 opérations de recherche et de sauvetage et 122 opérations d'assistance à navire en difficulté.

Fermeture frontalière et hausse des flux migratoires maritimes clandestins

On assiste enfin à l’explosion des tentatives de traversées migratoires clandestines de la Manche à partir de 2016 en lien à la fois avec la hausse de la pression migratoire d’un côté, la fermeture du passage par la voie terrestre avec le net renforcement de la sécurité du tunnel sous la Manche de l’autre. La situation est d’autant plus tendue que le Brexit et le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne a modifié le statut de la frontière entre la France et ce dernier pays.

Face à ces stratégies de fermeture, les réseaux de passeurs initient un déplacement des lieux de départ vers les plages entre Dunkerque et Calais, puis plus récemment descendent vers le sud jusqu’à Berck, allongeant d’autant la distance à parcourir en pleine mer. Le nombre d’opérations identifiées par la préfecture maritime se monte à 1 360 en 2021 (78 en 2018) impliquant 35 400 personnes (586 en 2018) et aboutissant à 35 décès ou disparus. Au niveau de l’État, ces opérations mobilisent la Marine nationale, la sécurité civile, les douanes, les affaires maritimes, la gendarmerie maritime, la gendarmerie départementale, les services portuaires, la SNSM.

 

Images complémentaires

Zooms sur le détroit du Pas de Calais

 

 

 

 

Ressources et bibliographie

Le site Géoimage

Sur le littoral de la Manche dans le Nord-Pas de Calais :

Laura Carbonnier et Aurélien Gack : Calais : un port de la façade maritime européenne aux fonctions transfrontalières transmanche
/geoimage/hauts-de-france-calais-un-port-de-la-facade-maritime-europeenne-aux-fonctions

Stéphanie Fayolle : Boulogne-sur-Mer : une ville portuaire en pleine recomposition, entre gestion durable de la pêche et Brexit
/nord-pas-de-calais-boulogne-sur-mer-une-ville-portuaire-en-pleine-recomposition-entre-gestion

Sur les grands détroits maritimes mondiaux

/geoimage/le-detroit-de-gibraltar-une-porte-un-verrou-et-une-interface-strategique-entre-atlantique

/geoimage/danemarksuede-les-detroits-danois-verrou-strategique-de-la-mer-baltique-et-laboratoire-de

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/geoimage/le-detroit-de-bering-fenetre-frontiere-et-interface-geostrategiques-entre-oceans-glacial

Sites web

Préfecture Maritime de la Manche et de la Mer du Nord
https://www.premar-manche.gouv.fr/

Site du CROSS du cap Gris-Nez
https://www.cross-grisnez.developpement-durable.gouv.fr/

Atlas transmanche en ligne de l’Université de Caen
http://atlas-transmanche.certic.unicaen.fr/fr/page-255.html

L’Atlas bleu  en ligne
https://atlas-bleu.cnrs.fr/peche-professionnelle-et-risque-accidentel-l…

Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du Sport et de la Recherche, Directeur de Recherche à l’Institut Français de Géopolitique de l’Université Paris VIII.