Publié le 14 mai 2025

« L'horloge atomique PHARAO ouvre les portes d’une nouvelle physique du temps »

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Immuable durant des siècles, la notion de temps a été révolutionnée par la relativité générale. Décryptage avec Martin Boutelier, responsable de la thématique physique fondamentale au CNES.

© CNES/MALIGNE Frédéric, 2024 / ESA

Dans l'actu : PHARAO livre ses premières données !

Après un lancement réussi le 21 avril, la mission européenne ACES a été installée le 25 avril à bord de la Station spatiale internationale. À son bord, l'horloge atomique française PHARAO (Projet d'Horloge A Refroidissement d'Atomes en Orbite)​.

PHARAO a livré ses premières données ce mercredi 14 mai sous la forme de franges de Ramsey, une technique utilisée pour mesurer des fréquences avec une extrême précision. Ces premières franges indiquent que l’horloge atomique fonctionne correctement et que certains paramètres restent à affiner afin d'obtenir le temps le plus précis possible. 

Pourquoi mesure-t-on le temps ?

Martin Boutelier : Le temps est lié à notre expérience de vie humaine. Historiquement, il a d’abord été mesuré par l’observation de phénomènes périodiques plutôt liés au cycle du Soleil – la journée, la saison – en comptant combien de fois ces phénomènes se répétaient. À ce niveau de représentation et de précision, cette mesure du temps servait à rythmer les activités humaines. 

Peu à peu, l’essor de l’exploration de la Terre lui a donné une autre fonction : celle de se repérer dans l’espace. Les navigateurs partis en bateau sur les océans, sans cartographie ni GPS, utilisaient des horloges réglées sur le midi solaire du point de départ. En comparant le décalage du midi solaire au long de leur trajet, ils étaient capables de déduire la distance qu’ils avaient parcourue. La précision de ces navigations dépendait de la précision des horloges sur le temps long, et la maîtrise du temps est devenue un enjeu majeur. Des erreurs de navigation survenues parce que des horloges avaient trop dérivé sont à l’origine de naufrages dramatiques. Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, les recherches technologiques ont donc eu pour but d’améliorer ces horloges afin de les rendre plus précises.

Comment est-on arrivé à une unité de mesure commune du temps ?

M. B. : Pendant longtemps, les différentes nations utilisaient des systèmes un peu différents. C’est une instance internationale, le Bureau international des poids et mesures, qui a proposé une homogénéisation à la fin du XIXe siècle, en définissant la seconde comme une fraction de 1/86400e d’un jour solaire moyen à l’échelle du globe. 

Et jusqu’au début du XXe siècle, dans les sociétés occidentales au moins, le temps a été perçu comme un mouvement immuable, s’écoulant de façon constante et linéaire dans tout l’Univers. 

Comment Einstein a-t-il changé cette perception ?

M. B. : Einstein a eu le génie de ne plus considérer le temps comme quelque chose d’absolu mais comme une dimension, au même titre que la dimension d’espace, avec sa relativité. 

À partir de ses travaux sur la lumière, qui avaient montré que la vitesse de la lumière est constante quelle que soit la position de l’observateur, il a fait une expérience de pensée. Il a imaginé une horloge où l’unité de temps est mesurée par l’aller-retour d’une particule de lumière, un photon, entre deux miroirs. Selon que cette horloge est à l’arrêt ou en mouvement, par exemple dans un train, le photon ne suit pas la même trajectoire et donc ne parcourt pas la même distance. Puisque la vitesse de la lumière est constante, le temps ne s’écoule pas de la même manière dans les deux situations. Einstein en conclut que le temps n’est ni immuable, ni homogène, ni universel mais qu’il est une dimension comme une autre, qui dépend du mouvement de l’observateur et de l’horloge. 

La mise en équation de cette intuition a confirmé ce changement de paradigme, connu sous le nom de théorie de la relativité restreinte. 

Mais Einstein ne s’est pas arrêté là : il a étendu sa théorie à la relativité générale. L’écoulement du temps ne dépend pas seulement de la vitesse de déplacement, mais aussi de l’accélération ou potentiel gravitationnel, c’est-à-dire de la masse qui se trouve à proximité de l’horloge. La théorie de la relativité générale prédit ainsi que le temps s’écoule plus vite dans l’espace qu’à la surface de la Terre.

Ces phénomènes ont-ils été mesurés expérimentalement ?

M. B. : Quand Einstein a énoncé ses théories de la relativité, au début du XXe siècle, on ne disposait pas des outils pour le faire. La précision des horloges mécaniques est très dépendante de l’environnement dans lequel elles sont utilisées et de la qualité de fabrication des pièces. Il a fallu trouver un autre moyen de mesurer le temps, un autre phénomène répétitif qui soit moins soumis aux conditions de fabrication du battement de la seconde. 

Ce phénomène, c’est la fréquence de transition électronique d’un atome de césium lorsqu’on l’éclaire, qui est la même partout dans l’univers. Avec l’horloge atomique, le principe de mesure devient universel. Les premières horloges atomiques construites sur ce principe à partir des années 1950 ont apporté une stabilité beaucoup plus précise. En comparant une horloge placée dans un avion et une autre laissée au sol, la théorie de la relativité restreinte a ainsi pu être confirmée de manière expérimentale. 

La prédiction de la relativité générale a quant à elle été mesurée avec une certaine précision par deux satellites Galileo qui s’étaient retrouvés sur des orbites très elliptiques après avoir dévié de leur trajectoire. Les horloges atomiques à bord des satellites avaient confirmé un écoulement du temps différent de part et d’autre de l’orbite. 

Avec PHARAO, placé sur la Station spatiale internationale, on atteindra un niveau de précision jamais obtenu. 

PHARAO, le nouveau temps de référence

La mission européenne ACES, lancée fin avril, a placé plusieurs horloges atomiques sur le module Columbus de la Station spatiale internationale. Élément central de la mission, PHARAO est devenue la première horloge à atomes de césium refroidis en orbite autour de la Terre intégrée dans un réseau de comparaison du temps. L’instrument permettra de mesurer avec une précision inégalée à ce jour l’« effet Einstein » de la théorie de la relativité générale, qui prédit que l’écoulement du temps ralentit à proximité de toute masse. Son degré d’exactitude est de 10-16, ce qui correspond à une dérive de 1 seconde tous les 300 millions d’années. PHARAO a été développé et intégré par le CNES, avec la contribution de laboratoires français.

En savoir plus sur les objectifs de la mission PHARAO

Quel est l’intérêt de rechercher une telle précision ?

M. B. : On peut se poser la question : le décalage temporel dont on parle ne représente que quelques secondes de dérive depuis le début de l’âge de l'Univers. Mais c’est très important pour notre conception du temps et notre compréhension du monde. Aujourd’hui, la physique s’appuie sur deux grandes théories pour expliquer ce qui se passe dans l’Univers : la théorie quantique des champs pour ce qui concerne le niveau subatomique de la matière et la théorie de la relativité qui décrit plutôt les interactions entre les différentes masses sur les très grandes échelles. 

Or, ces deux théories, qui prédisent énormément de choses et qui sont vérifiées sur bien des points, sont contradictoires dans leur manière de concevoir l’Univers. Pour les réconcilier, il nous faut comprendre où elles ne fonctionnent pas, et pour cela nous avons besoin de les expérimenter avec la plus grande précision. Tout l’intérêt de PHARAO est d’essayer d’ouvrir des portes sur une nouvelle théorie plus générale qui engloberait la théorie de la relativité et la théorie quantique des champs en les complétant. 

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