Publié le 22 avril 2025

70 ans après la mort d’Einstein, une horloge atomique sur l'ISS pour tester la relativité générale

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Les scientifiques travaillent toujours activement à vérifier les prédictions de la relativité générale, toujours aussi puissante, et toujours en conflit avec la mécanique quantique.

© ESA - D. DUCROS

Cet article, écrit par Didier Massonnet, chef de projet PHARAO au CNES, et Martin Boutelier, responsable de la thématique Physique fondamentale au CNES, est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. 

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Soixante-dix ans après la disparition d’Albert Einstein, sa théorie de la relativité générale est l’un des deux piliers fondamentaux sur lequel s’appuie la science pour expliquer l’Univers. Les succès de cette théorie sont nombreux et elle a été largement vérifiée, en particulier appliquée à l’infiniment grand.

Son grand défaut ? Elle n’est pas compatible en l’état avec l’autre pilier fondamental sur lequel s’appuie la physique, la théorie quantique des champs, autrement appelée mécanique quantique. Alors, comment réconcilier ces deux théories ? Quelles modifications faut-il faire pour les rendre compatibles ? Y a-t-il une nouvelle physique encore inconnue qui pourrait surgir de cette incompatibilité ?

Pour progresser sur ces questions, il est essentiel de vérifier les deux théories actuelles à des niveaux toujours plus précis, afin d’identifier d’éventuelles déviations qui pourraient conduire à les retoucher à la marge, avec l’espoir que ces retouches ouvrent la voie vers une compatibilité entre elles, voire vers une théorie englobant les deux.

Une horloge atomique dans l’espace pour vérifier la relativité générale

Une telle expérience de vérification sera lancée vers la station spatiale internationale (ISS) le 21 avril prochain. Cette expérience, appelée ACES (Atomic Clock Ensemble in Space), est conduite sous l’égide de l’ESA, l’agence spatiale européenne. L’élément principal est une horloge atomique d’une précision exceptionnelle, appelée Pharao et développée par l’agence spatiale française, le CNES.

L’objectif est de mesurer avec une précision inégalée une prédiction étrange de la relativité générale : la masse d’un objet modifie l’écoulement du temps dans son entourage. Plus vous êtes proche de cette masse ou plus la masse est grande, plus le temps s’écoule lentement. Cette prédiction atteint son paroxysme à la limite des trous noirs, où le temps… s’arrête !

Pour notre petite Terre, cet effet est moins spectaculaire : à 400 kilomètres d’altitude, soit l’altitude de l’ISS, un astronaute vieillit plus vite que son jumeau resté sur Terre d’une seconde tous les 300 ans. À l’altitude des systèmes de positionnement par satellite (Galileo, GPS, Beidou et Glonass volent à plus de 20 000 kilomètres d’altitude), cet effet est plus important. S’il n’était pas corrigé, la précision de positionnement de ces systèmes serait dégradée.

L’objectif de Pharao est de mesurer ce ralentissement très faible avec une précision inégalée. Pour ce faire, il faut que notre horloge ne se trompe pas de plus d’une seconde en 300 millions d’années, soit une dérive de deux dixièmes de seconde depuis la disparition des dinosaures ; ou de façon équivalente, de moins d’une minute depuis le Big Bang, le début du temps ! Traduit en termes de distances, cela reviendrait à mesurer une année-lumière au mètre près…

Vue schématique de PHARAO
Vue schématique du refroidissement des atomes dans l’horloge atomique Pharao. © CNES/ill./VOUILLON Jean, 2005

Pour pouvoir vérifier que Pharao bat le temps moins vite dans l’espace que sur Terre, il faut pouvoir la comparer de façon très précise à des horloges restées au sol. Pour cela, elle est accompagnée de deux systèmes chargés de cette comparaison : un lien microonde qui permet de communiquer le temps au sol lorsque l’ISS survole un laboratoire métrologique abritant une horloge atomique, ainsi qu’un lien laser permettant de définir des « tops » de synchronisation entre le sol et l’espace.

L’horloge Pharao est une horloge très exacte mais également très complexe et qui a besoin de temps pour obtenir sa précision ultime. Pour remplir cette mission, elle est épaulée par deux autres horloges, moins exactes mais permettant d’initier et de garder le temps. D’une part, un oscillateur à quartz ultra stable est intégré à Pharao et permet d’initialiser grossièrement son heure, lui permettant d’interroger les atomes avec une fréquence déjà proche de leur fréquence de référence.

D’autre part, un maser utilisant l’atome d’hydrogène (une horloge atomique d’un autre type), maintient la référence de temps pendant les phases de réglage. L’effet de ces réglages peut alors être mesuré par rapport à cette référence.

Une horloge atomique sur la station spatiale internationale

Pharao volera accrochée à l’extérieur de l’ISS, sur un balcon du module européen Colombus. Même si les années de l’ISS sont désormais comptées avec une mise hors service suivie d’une désorbitation envisagées pour 2030, Pharao aura largement le temps de remplir ses objectifs.

Installer cette horloge à bord de l’ISS présente des avantages et des inconvénients : parmi les avantages, on trouve des occasions de transports fréquents, des niveaux de radiation modérés, des services de commandes et de communication éprouvés ainsi que des moyens de positionnement, d’attitude, de chauffage/refroidissement et d’alimentation électrique.

Parmi les inconvénients, on trouve le fait que l’ISS vole au final assez bas… si Aces avait été placée sur une orbite géostationnaire (à 36 000 kilomètres de la surface de la Terre), l’effet de relativité générale serait douze fois plus marqué, améliorant d’autant la précision obtenue avec la même horloge. Par ailleurs, la proximité des astronautes peut perturber l’expérience, en particulier à cause des vibrations de leurs machines d’entraînement musculaire.

Des horloges atomiques toujours plus précises

Depuis leur invention dans les années 1950, les horloges atomiques ont connu un rythme d’amélioration comparable à celui des systèmes électroniques (la fameuse « loi de Moore »).

Leur principe est de se caler sur une des nombreuses fréquences propres à un atome et qui reflètent son état d’excitation, un signal universel. Selon l’énergie de la vibration choisie, l’horloge peut être dans le domaine radio (10 giga Hertz), optique (visible et infrarouge), voire « nucléaire » (ultra-violet lointain).

Les fréquences plus basses des horloges radio sont les plus faciles à maîtriser et la définition officielle de la seconde (1967) est basée sur une vibration des électrons de l’atome de césium dans le domaine radio. Depuis quelques années, des horloges dans le domaine optique, plus performantes, sont apparues et sont disponibles au sol. Leur complexité les rend encore difficiles à envoyer dans l’espace. Enfin, des résultats prometteurs ont été obtenus en interrogeant des vibrations du noyau d’un atome, préfigurant peut-être des « horloges nucléaires » encore plus performantes.

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L’horloge Pharao est quant à elle basée sur une amélioration décisive des horloges radio, obtenue par l’utilisation d’atomes refroidis par laser. Cette technique de refroidissement par laser a notamment valu le prix Nobel au physicien français Claude Cohen-Tannoudji en 1997. Les atomes ainsi refroidis à un millionième de degré absolu ont des vitesses résiduelles très faibles. Couplé à un environnement de microgravité, on obtient des durées d’auscultation importantes, paramètre clé de la performance des horloges. Les horloges au sol qui mettent en œuvre ce principe sont appelées « fontaines atomiques ».

Afin de préserver les atomes froids de toute interaction avec d’autres atomes, un vide très poussé, dit « ultravide » doit régner au centre de l’horloge Pharao. Ce vide est 1000 fois meilleur que l’environnement spatial autour de l’ISS. Seuls des métaux ou des verres peuvent être utilisés pour les éléments de la cavité et les joints qui les lient entre eux, tout autre matériau comme du caoutchouc ou des plastiques s’évapore dans le vide (phénomène de dégazage) rendant impossible l’obtention d’un ultravide. La conception de la cavité ultravide a donc été particulièrement complexe, notamment à cause des joints entre hublots de silice et pièces en titane (deux matériaux dont le contact étanche est difficile) ou encore la tenue à l’étanchéité des joints en acier.

En mesurant l’effet de la gravitation sur l’écoulement du temps, Pharao est capable de détecter d’infimes variations du potentiel gravitationnel équivalent à un changement d’altitude de 1 mètre. Les dernières horloges optiques au sol, encore plus précises, peuvent détecter un changement dans le potentiel gravitationnel équivalent à une variation d’un centimètre.

À ce niveau de précision, de tels changements peuvent être liés non seulement à des variations d’altitude de l’horloge, mais aussi à des variations dans la répartition des masses à la surface et à l’intérieur de la Terre : mouvement des nappes phréatiques, mouvements internes de la Terre, mouvement des masses d’air… C’est le domaine de la « géodésie chronométrique ».

Gageons que, dans un avenir pas si lointain, des horloges encore plus performantes que Pharao, connectées et comparées à une horloge de référence placée dans l’espace, pourraient bien mesurer à peu près tout… sauf le temps !