Publié le 26 février 2018

L’héritage de Cassini sur Saturne

Depuis sa mise en orbite autour de Saturne en juillet 2004, la sonde Cassini a pu étudier la planète et ses satellites sous tous les angles. Avant son plongeon et sa destruction dans l'atmosphère de la géante gazeuse le 15 septembre, retour avec Thierry Fouchet, professeur à l’UPMC et chercheur à l’Observatoire de Paris sur les découvertes qu’elle y a réalisées 13 ans durant.

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Les saisons sur Saturne

En 13 ans d’orbite autour de la planète, Cassini a pu observer une demi année de Saturne (qui fait le tour du Soleil en 30 ans) et certains phénomènes saisonniers impossibles à voir depuis la Terre. « Un seul hémisphère est visible à la fois, l’autre étant caché par les anneaux, explique Thierry Fouchet. Pour observer les deux simultanément, il fallait aller sur place. La trajectoire de Cassini est idéale pour cela parce qu’elle passe au-dessus des pôles, qui sont peu visibles depuis la Terre et présentent les contrastes saisonniers les plus importants ».

En effet, c’est au pôle d’été que l’atmosphère reçoit le plus d’énergie solaire puisque le soleil ne s’y couche jamais. Ce contraste est renforcé par une sorte de suie très sombre présente autour des pôles de Saturne, qu’elle réchauffe en été et refroidit en hiver. Ce sont des aérosols produits par une chimie très particulière entre l’atmosphère de Saturne, et les flux de particules lors des aurores boréales qui existent comme sur la Terre.

En comparaison, notre planète a la particularité d’avoir des océans dont l’inertie thermique diminue les écarts de température dus aux saisons.

«Aux latitudes tempérées, les variations de températures mesurées par Cassini sont globalement celles attendues, poursuit Thierry Fouchet, sauf vers 30° de latitude où en hiver, il fait plus chaud qu’on ne s’y attendait. L’ombre des anneaux occultent le Soleil en permanence sur cette région, qui s’avère plus chaude que prévue. Il doit donc y avoir une redistribution de chaleur. C’est la preuve d’une circulation méridienne qui transporte l’énergie de la zone été vers la zone hiver, et qui adoucit le climat. »

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Gros plan sur l’hexagone

Cette étrange structure a été vue pour la première fois il y a 30 ans par la mission Voyager, et existait depuis sûrement bien plus longtemps. Ce qui surprend au premier abord, c’est sûrement de voir une telle forme géométrique. Mais pour Thierry Fouchet, c’est surtout que cet hexagone soit toujours là trois décennies plus tard. « En comparaison sur Terre, toutes les structures dynamiques se dissipent en quelques jours voire dizaines de jours. Elles perdurent beaucoup mieux sur les planètes géantes, comme la grande tache rouge de Jupiter. Ce sont des exemples de structures extrêmement stables, ce qui est très difficile à expliquer sur le plan dynamique et très intéressant à étudier. »

Mais pourquoi cette forme ? La première hypothèse voulait que ce soit un anticyclone au départ présent autour de l’hexagone, qui sculptait ses contours. Seul problème : il a depuis disparu, contrairement à l’hexagone. Alors quelle en serait l’origine ? D’après Thierry Fouchet, probablement une onde de Rossby : « une des manières pour un fluide de répondre à des contraintes, c’est de générer une onde. Or l’atmosphère n’est pas homogène, elle possède des gradients de densité et de température. Il y a donc un rappel vers le nord puis vers le sud, qui est en plus perturbé par les forces de Coriolis (causées par la différence de vitesse de rotation aux différentes latitudes). Un équilibre se met en place, et l’onde circulaire peut alors prendre la forme d’un hexagone. »

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Aux premières loges de l’orage géant

En décembre 2010 sous l’œil de Cassini, une énorme tempête a changé l'atmospère de Saturne : un orage convectif, causé par la montée d’un air chaud et humide. Pendant 7 mois, la cellule orageuse a été visible sous la forme d’une grande tache blanche et d’un immense panache.
« La taille du panache convectif était pratiquement de la taille de la Terre et descendait sûrement sur une centaine de kilomètres de profondeur. Une fois qu’il a atteint le sommet de l’atmosphère, il a été entraîné tout autour de la planète, l’entourant d’un grand ruban blanc. »

Ce phénomène avait déjà été observé depuis la Terre et semblait survenir environ une fois tous les 30 ans, chaque année saturnienne. Il est donc probable que ce soit également un phénomène saisonnier. Mais grâce à Cassini, c’était la première fois que cette tempête pouvait être observée de près et dans la durée, permettant d’y détecter jusqu’à 10 éclairs d’orages par seconde : « c’est la preuve d’une convection avec des nuages d’eau, étant donné que c’est le composé qui conduit le mieux l’électricité. Cassini a pu voir comment la tempête se créait dans l’atmosphère profonde, la troposphère, puis se propageait à la surface de Saturne. Au-dessus, la stratosphère s’est réchauffée de manière extraordinaire en quelques mois, donnant une zone très chaude visible comme un phare dans les infrarouges. »

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Atmosphère, un air de déjà vu

Etudier des planètes différentes de la Terre est aussi l’occasion d’en apprendre davantage sur notre propre planète. A 30 km d’altitude au-dessus de nos têtes dans la stratosphère (entre 20 et 50km), la dynamique est très différente de ce que nous pouvons percevoir au sol : deux vents superposés se déplacent dans le sens opposés, provoquant une alternance entre vent d’est et vent d’ouest tous les 26 mois.

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Figure : Vents zonaux dans la stratosphère terrestre. A une altitude donnée, un régime de vent d’ouest (rouge) alterne avec un régime de vent d’est (bleu) avec une période d’environ 26 mois. ©2001 by the American Geophysical Union. 8755-1209/01/1999RG000073$15.00 Reviews of Geophysics, 39, 2 / May 2001 pages 179–229

« Cette fois c’est un phénomène qui n’a rien à voir avec l’ensoleillement et les saisons, poursuit Thierry Fouchet. C’est la convection équatoriale qui monte depuis le bas de la troposphère et s’arrête en dessous de la stratosphère, vers 16 km. La température de la stratosphère augmente au-dessus avec l’altitude, c’est la tropopause. C’est ce qui bloque la convection et qui fait vibrer la stratosphère comme on fait vibrer la peau d’un tambour. Les ondes se propagent vers le haut et font osciller le régime des vents. Les vents sur Saturne se comportent exactement de la même manière. La dynamique de la stratosphère obéit aux mêmes lois d’une planète à l’autre. Même s’il est très intéressant de faire de nouvelles découvertes, ça l’est également de pouvoir constater une universalité de ces mécanismes. »

Et si Cassini n’a pas non plus détecté de nouveau gaz dans l’atmosphère de Saturne par rapport à ce qui avait déjà été fait, elle a pu en étudier la répartition spatiale et saisonnière, comme le benzène qui s’avère plus présent aux pôles qu’à l’équateur. Mais selon Thierry Fouchet, il reste un grand mystère à résoudre : l’abondance d’hélium. « C’est le second gaz le plus abondant après l’hydrogène, et pourtant sa quantité reste mal connue. C’est un gaz dit noble, ce qui veut dire qu'il ne crée pas de réactions chimiques et peu de signature spectrale. A cause de cela, les tentatives de le mesurer donnent des barres d’erreur parfois contradictoires. Donc nous n’y arriverons pas sans descendre dans l’atmosphère de Saturne, et le Grand Finale de Cassini sera l’occasion rêvée de faire quelques ultimes découvertes. »

Pour en savoir plus

Contacts scientifiques

  • Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du Système solaire au CNES, francis.rocard at cnes.fr
  • Thierry Fouchet, professeur à l’UPMC et chercheur à l’Observatoire de Paris thierry.fouchet at obspm.fr