Publié le 10 mars 2023
Simuler des risques de collision, des rentrées atmosphériques incontrôlées de gros objets, des perturbations de satellites, ou encore imaginer des manœuvres complexes pour « s’extraire » d’une menace… ce sont les « principaux ingrédients » d'AsterX : l’exercice spatial militaire français unique en Europe.
Le CNES participe à cet exercice, organisé par le Commandement de l’Espace (CDE), depuis la 1ère édition qui a eu lieu en 2021, en tant qu'expert dans 3 domaines : la surveillance de l'espace, la dynamique du vol et les opérations satellite. L’agence spatiale française prend part à toutes les phases de l’exercice : de la conception du scénario à la préparation des trajectoires de l’ensemble des objets spatiaux de la simulation, jusqu’à son exécution.
Cette année, la simulation a eu lieu du 21 /02 au 10 /03 sur le site du CNES à Toulouse. Durant 3 semaines, les unités du CDE et des experts du CNES étaient mobilisés dans la simulation de nombreuses menaces.
Un exercice à plusieurs objectifs
AsterX est un exercice d'entraînement aux opérations spatiales militaires de niveau tactique et opératif. Il poursuit plusieurs objectifs :
- assurer la montée en puissance du CDE dans le domaine spatial,
- tester les chaînes de décisions et les moyens actuellement disponibles pour répondre aux menaces qui peuvent surgir dans l'Espace,
- valider les concepts d’emploi et la coordination avec le CNES et les partenaires industriels,
- et développer et renforcer les coopérations opérationnelles avec les partenaires étrangers du CDE.
Rencontre avec les salariés du CNES mobilisés dans AsterX 2023
Un bon jeu commence par un bon décor (et un bon scénario !)
C'est l'un des évènements qui peut se produire dans l'Espace et sur lequel le service Surveillance et Maîtrise de l'Espace du CNES est mobilisé. Florian Delmas, spécialiste en surveillance de l'Espace, s'occupe notamment de la gestion des risques de collisions dans le cadre du projet européen EUSST (European Union Space Surveillance and Tracking). 7 pays d'Europe, dont la France, participent à ce programme de surveillance de l'environnement spatial afin de protéger les économies, les sociétés et les citoyens européens.
Joueurs « vs » animateurs
Cette année, Florian participera pour la 3e fois à l'exercice de défense spatiale AsterX en tant qu'animateur. Deux équipes sont en effet impliquées dans cet exercice : les joueurs et les animateurs qui les encadrent. Les joueurs découvriront le scénario au fur et à mesure de son déroulement. Les animateurs, eux, connaissent le scénario par cœur en s'y impliquant dès sa conception. Ils participent notamment à son écriture, puis à sa validation d'un point de vue technique. Ce travail de préparation s'étale sur plusieurs mois et est mené main dans la main avec le Commandement de l’Espace.
Conception du scénario et du décor
Le scénario présente des évènements réalistes, inspirés d'événements réels ou susceptibles de se produire dans un futur proche. Dans cette trame, il y a des éléments que Florian connaît très bien et que l'on peut définir comme « classiques » : « On simule souvent des risques de collision, des rentrées atmosphériques incontrôlées de gros objets, des rapprochements d'objets inconnus vers nos satellites, ou encore des perturbations de satellites … ce ne sont que quelques-uns des évènements auxquels l'équipe des joueurs sera confrontée au cours des 3 semaines d'AsterX ».
Le choix des événements est fait sur la base des chaînes de décisions que le Commandement de l’Espace veut tester et « entraîner ». Une fois écrit, le scénario est validé sur le plan technique : une étape qui relève de la compétence du groupe de travail technique, piloté par le CDE et auquel le CNES participe.
La trame décidée et validée, on travaille sur le décor : celui-ci se compose de divers objets spatiaux (satellites actifs ou morts, étages de lanceurs, débris…) avec des rôles tous différents. Le service Surveillance de l'Espace du CNES fournit alors le catalogue des objets du scénario, nommé SATCAT, qui servira de référence à tous les acteurs du jeu. Parmi ces objets, il y a ceux qui ont un rôle actif dans le scénario, séparés entre « bleus » et « rouges ». Florian nous en décrit les rôles : « Si un satellite joue le rôle d'un objet bleu, cela signifie qu'il est là pour simuler sa mission principale (renseignement optique, télécommunication…) et le service rendu sera simulé. » Pas plus de suspense : les rouges sont les « méchants » de ce récit. Mais, pas tous : quelques objets rouges sont en sommeil, placés pour brouiller les pistes.
Un autre élément essentiel du scénario est le « fond du ciel » comptant quelques milliers d'objets. Ceux-ci sont des objets 100% réels, nationaux aussi bien qu'étrangers, à la mission « paisible » : ils servent à peupler le décor. Ces éléments du fond du ciel permettent notamment de tester les chaînes opérationnelles des moyens de mesure (radars, télescopes…) simulés dans le jeu. Florian s'occupe spécialement de cet ensemble d'objets qui tournent entre 3 et 7 km/s autour de la Terre : il en génère les orbites et simule le maintien à poste des satellites géostationnaires. Attendez, un rebondissement ! Dans le fond du ciel « se sont cachés » des objets actifs qui vont surprendre les joueurs.
« Après avoir créé le jeu d'orbites de référence, on passe à l'étape suivante : on transmet cet ensemble d'orbites à l'ONERA – l'un des partenaires du CDE intervenant dans cet exercice – qui nous fournit les mesures issues de divers capteurs (télescopes, radars, etc.) servant à générer les catalogues des systèmes de surveillance français (radars du CDE, réseaux de télescopes du CNES et d'ArianeGroup, système de localisation RF de Safran) ». Le service Surveillance de l'Espace intervient alors de nouveau pour construire le catalogue d'orbites CNES qui sera fourni aux joueurs, et que ceux-ci pourront améliorer durant l'exercice en demandant des mesures supplémentaires.
Scenario validé, orbites validées, catalogues de même… Nous avons toutes les entrées : l'exercice peut commencer ! L'équipe blanche, celle des animateurs, et l'équipe bleue, celle des joueurs, se mettent en place : les animateurs, dont Florian fait partie, sont présents pour assurer le bon déroulement de l'exercice, fournir des indications, répondre aux questions, canaliser le jeu, mais aussi injecter de nouveaux éléments… l'équipe AsterX aime bien les surprises !
Des scenarios orbitaux simulés mais réalistes !
Ingénieur en mécanique spatiale, Etienne Montagnon rejoint le service Manœuvres orbitales et Mécanique Spatiale Système du CNES en 2014, pour se charger du volet « analyse mission » des projets spatiaux. Son rôle est d'optimiser les trajectoires des satellites et de calculer les manœuvres à réaliser en opération. En tant qu'expert en manœuvres orbitales, Etienne a participé aux mises à poste des satellites Galileo et a travaillé sur les aspects d'analyse mission de la composante optique CSO. Aujourd'hui son activité se divise en deux parties : il coordonne la partie « dynamique du vol » de la future constellation KINEIS et intervient également dans les moments critiques de la vie des satellites comme dans leur « fin de vie ».
Cette année, Etienne participe pour la 2ème fois à l'exercice de défense spatiale AsterX.
Phase #1 : la « Prépa »
Dans le cadre de la préparation de l'exercice, Etienne participe aux 2 groupes de travail (GT) coordonnés par le CDE : le GT scénario et le GT technique. Le premier réunissant des membres du CDE et des experts du CNES, est en charge de l'écriture du script : il définit l'ensemble des évènements auxquels les joueurs vont devoir faire face pendant l'exercice. Le 2e groupe de travail, quant à lui, est responsable de la validation du scénario d'un point de vue technique. « AsterX se veut le plus réaliste possible, tant sur l'aspect scénaristique que technique. »
« Parmi toutes les menaces simulées - plus d'une vingtaine dans des domaines aussi variés que les approches en orbite, les brouillages, les attaques cyber, voire même des aléas environnementaux qui peuvent surgir à tout moment -, je me focalise sur celles qui vont mener à une réponse dynamique, c'est-à-dire des manœuvres évasives par exemple. » Dans le cadre des différentes simulations à concevoir, Etienne s'occupe notamment des trajectoires des satellites « d'intérêt », c'est-à-dire ceux ciblés par des menaces. « Le cas typique est représenté par un satellite ennemi se rapprochant de l'un des nôtres, et pour lequel il faut effectuer une manœuvre afin de "s'extraire de la menace" - en jargon technique ! - c'est à dire sans mettre notre satellite en péril. »
Phase #2 : Moteur, ça tourne !
Pendant 3 semaines, les équipes de joueurs et d'animateurs vont être en place pour simuler les évènements du scénario et tester les chaînes de décisions associées. Dans cette phase, Etienne porte la « double casquette » d'animateur et de joueur - non, ce n'est pas tricher ! Il nous explique : « J'assure au sein de la cellule d'animation la tenue de l'exercice, notamment en adaptant si nécessaire la réaction supposée des forces ennemies. De l'autre côté du décor, je participe en tant que joueur afin de proposer au CDE des analyses de situation et des solutions de manœuvres sur demande. Un rôle à légère tendance schizophrénique, précise-t-il en riant, mais qui permet de contrôler certaines réactions et limitations dues à la simulation ».
Action-réaction, comme Newton nous l'a appris… lorsque les joueurs décident de réagir à une menace, Etienne les accompagne dans l'analyse de la situation notamment sous 2 aspects : le délai à prendre en compte pour opérer sur un satellite et l'impact de l'intervention sur la mission principale de celui-ci. Cette dernière analyse est réalisée en binôme avec Grégory Beaumet, responsable des centres de contrôle. L'expertise du CNES repose en particulier sur cette capacité d'analyse des opérations satellite afin de réduire au minimum l'impact sur sa mission principale.
Tout n'est pas scripté à l'avance. C'est notamment le cas des réactions des joueurs. En fait, Etienne apprend en direct les actions des joueurs et doit, par extension, imaginer celles des ennemis. « L'objectif ici est bien de laisser les décisions entre les mains des joueurs autant que possible, quitte à modifier en temps réel le scenario : un vrai challenge en soi ! ». De plus, les réactions observées lors des exercices précédents viennent alimenter les scénarios d'année en année.
Phase #3 : le retour d’expérience
C'est le moment de dresser le bilan de cette édition d'AsterX. L'ensemble des acteurs impliqués réalise chacun son RETEX (Retour d'expérience), qui sera ensuite présenté et discuté avec les autres. Etienne travaille avec ses collègues sur le bilan côté CNES, qui prendra en compte les 3 volets de l'exercice : la surveillance et maîtrise de l'espace, la dynamique du vol et les opérations. Il atteint ainsi un double objectif : il permet, d'une part, d'améliorer nos moyens et nos méthodes en termes de défense spatiale et, d'autre part, d'enrichir l'édition suivante de l'exercice. Attention, spoiler : « on a une légère tendance à complexifier l'exercice d'année en année ».
Bon courage aux joueurs alors !
Opérer les satellites : un cœur d’expertise CNES
En tant qu'expert en opérations satellite, notamment de défense, Grégory Beaumet participe à l'exercice AsterX 2023. Depuis près de 10 ans, il s'occupe de projets spatiaux de défense au sein du service Missions d'observation, de sécurité et défense du CNES. Il a été chef de mission Hélios 2, le premier programme spatial militaire français d'observation de la Terre. Aujourd'hui, il est chef de mission YODA (pour des Yeux en Orbite pour un Démonstrateur Agile – et non, ce n'est pas le fameux personnage vert de Star Wars qui partira dans l'espace mais deux nanosats).
Une participation à 360°
« Coach », animateur et joueur : Grégory prend part à toutes les phases d'AsterX et joue tous les rôles. Cet exercice de défense spatiale lui est familier : il y a participé en tant que joueur lors de la 1ère édition en 2021 et revient pour cette édition 2023 avec la double casquette d'animateur et de joueur. Impliqué dès le début du projet, il participe au groupe de travail scénario : c'est là où sont définis, en concertation avec le Commandement de l’Espace, les évènements qui seront simulés pendant l'exercice. Dans ce cadre, il représente les différents centres de contrôle des satellites de défense en orbite basse opérés au CNES : il s'assure que les évènements spatiaux proposés dans le scénario soient réalistes, du point de vue des opérations satellite, et cohérents avec l'ensemble des évènements interarmées.
Les satellites militaires français font partie de l'ordre de bataille bleu, l'ensemble des moyens à disposition des joueurs leur permettant de faire face aux forces ennemies rouges simulées, et sont en appui des opérations militaires menées dans le cadre de l'exercice. A ce titre ils devront être protégés par les joueurs des différentes menaces qui seront simulées à leur encontre.
Les centres de contrôle jouent un rôle fondamental dans cette simulation comme dans la réalité : ils permettent d'assurer le calcul et le téléchargement à bord des satellites de leur programmation mission, de modifier leur orbite ainsi que de surveiller leur état de santé. « En cas de panne ou d'indisponibilité complète ou partielle d'un de ces satellites ou de leur segment sol de contrôle, c'est le centre de contrôle qui en fait le constat en premier, et je suis chargé d'en évaluer l'impact sur la mission et d'en informer les joueurs pour qu'ils puissent en tenir compte dans leurs prises de décisions ». La mise en œuvre elle-même d'opérations spatiales est contrainte par un certain nombre d'éléments qui ne sont pas toujours simples à appréhender pour qui n'est pas familier du domaine.
Cette compétence technique et expertise opérationnelle relève actuellement des équipes du CNES qui opèrent quotidiennement les satellites militaires, duaux et civils dont elles ont la responsabilité.
Nouveautés de l'année : place à la surprise, en temps réel !
« Cette année, nous laisserons une grande flexibilité aux joueurs pour décider des réactions qu'ils souhaitent mettre en œuvre face aux menaces simulées ». Lors des précédentes éditions, le scénario était « ficelé », c'est-à-dire que « face à une menace, les joueurs étaient orientés vers la réponse à apporter pour ne pas trop s'éloigner du scénario scripté. Cette année, les joueurs auront plus de liberté tant dans l'amplitude de leurs réactions que dans la chronologie de mise en œuvre des opérations que les militaires décideront ». Pour Grégory, cela se traduit par une réévaluation « en direct » des contraintes et des conséquences de ces propositions d'actions. Pour mener à bien cette activité, il s'appuie sur les procédures bien rodées et parfois même directement sur certains acteurs opérationnels des centres de contrôle du CNES. C'est notamment dans ce cadre que Grégory porte la casquette de joueur.
Autre élément nouveau cette année : l'exercice se déroule en temps réel. « Au cours de l'exercice, on pourra prendre le temps de tenir de véritables points de coordination opérationnelle permettant au CDE de décider des meilleures stratégies à appliquer en fonction des besoins des Forces et des menaces. »