Au nord-ouest du Canada, Whitehorse est la capitale politique, économique et démographique du Territoire du Yukon. Son développement s’explique par sa situation stratégique sur deux grands axes nord/sud et ouest/est, qui en fait un nœud névralgique entre le Canada et l’Alaska. Elle symbolise par son dynamisme les modalités d’intégration des marges périphériques septentrionales au «Canada utile» méridional. Elle est à la tête d’un système ponctuel d’îlots spécialisés, souvent très éloignés les uns des autres, assurant l’extraction et la collecte des ressources minières. Elle est un nœud vital dans le système réticulaire et hiérarchisé de corridors logistiques assurant une pénétration sud/nord du Grand Nord dans un milieu aux fortes contraintes.
Légende de l’image satellite
Cette image de Whitehorse, une des plus grande ville située dans le Nord du Maroc, a été prise le 17 septembre 2018 par le satellite Sentinel 2B. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Présentation de l’image globale
Whitehorse : une « métropole » dynamique sous fortes
contraintes environnementales
Espace de moyennes montagnes, climat subarctique et réchauffement climatique
Comme le montre l’image, un vaste système de chaînes de moyennes montagnes se déploie largement. Même si les points culminants s’étagent entre 2000 et 2400 m d’altitude, nous sommes ici au 60°43’Nord, dans le Territoire du Yukon au nord-ouest du Canada. Dans ce climat subarctique aux longs hivers froids et aux étés courts et relativement chauds, les sommets demeurent enneigés à la mi-septembre et, comme l’indique l’étendue de la couleur marron, la végétation est rase (sorte de toundra d’altitude, ou alpine), le couvert forestier (forêt boréale, ou taïga) et les rares zones agricoles se réfugiant dans les vallées. La répartition de la végétation y traduit les gradients climatiques induits par la latitude, la continentalité et les reliefs.
La région appartient donc à ces hautes latitudes froides qui couvrent au total 55 % de l’espace continental nord-américain. En reprenant les classifications du géographe québécois Louis-Edmond Hamelin – fondateur en 1961 du Centre d’Etudes nordiques – qui a développé dans les années 1970 le concept de «nordicité», à partir de différents indicateurs physiques (latitude, température, type de glaces, précipitations, type de végétation…) et humains (accessibilité, démographie, degrés et nature de l’activité économique…), la région appartient au Moyen Nord.
En position d’abri, la ville de Whitehorse ne reçoit que 262 mm de précipitations par an, dont 54 % sous forme de neige. Les grandes dépressions océaniques sont en effet bloquées par une puissante chaine de montagnes littorales très arrosées. La ville compte en moyenne 80 jours de gel par an, limitant ainsi la croissance de la végétation. Selon les années, les derniers gels peuvent encore être présents début juin et les premières gelées peuvent intervenir dès le 25 aout. La température moyenne est de – 15 °C en janvier et de 12°C en aout, mais avec parfois des records de froid (-52 en janv. 1947). On assiste cependant ces dernières décennies à l’affirmation des effets du réchauffement climatique. Si la moyenne des températures d’été demeurent quasi-identiques, on relève de forte variations des températures hivernales : en janvier, la moyenne des années 1961/1990 est de - 18,7°C, contre - 15,2°C sur la période 1981/2010, soit une hausse des températures + 3,5 °C en moyenne mensuelle.
Chaine de montagnes, grandes vallées et axes stratégiques nord/sud et est/ouest
Les vallées jouent dans la région un rôle primordial dans l’organisation de l’espace et la ville de Whitehorse occupe un carrefour stratégique. Venant du sud et traversant l’image sud/nord, la vallée de la Yukon prend sa source en Colombie britannique pour filer vers le nord (lac Laberge sur l’image) puis vers l’ouest en traversant l’Alaska (Etats-Unis) pour se jeter dans la Mer de Bering après avoir parcouru 3 190 km et drainé un très vaste bassin hydrographique de 832 700 km2 (soit une fois et demi la France métropolitaine). Comme en témoigne l’image, le réseau hydrographique connaît des débits très irréguliers entre des périodes de hautes eaux estivale et des périodes d’étiage hivernal (régime nival du Yukon, lié à la fonte des neiges), alors que la faiblesse des pentes se traduit parfois par l’ennoiement de surfaces considérables (lit mineur, lit majeur) et que la charge fluviale est importante du fait de l’érosion.
Pour comprendre la fonction stratégique de la vallée du Yukon, il convient de changer d’échelle. En effet, dans tout l’ouest de la région (hors image) s’étend une très haute chaine de montagnes englacées (Monts Saint Elias, culminant au Mont Logan à 5 959 m.) qui tombe dans la mer. Non seulement elle isole les vastes chaines et plateaux intérieurs de la mer et du littoral, mais son découpage par de nombreux fjords au sud (Archipel Alexander) et la présence de puissants appareils glaciaires au nord (cf. Malaspina Glacier) ne permettent pas la présence d’un axe routier littoral. Dans ces conditions, la vallée du Yukon est à l’intérieur des terres le seul grand axe possible de passage.
Dans ce cadre continental, le site de Whitehorse est un grand carrefour est/ouest et nord/sud. Au sud de la ville, dans le coin sud-est de l’image, se trouvent deux axes. L’un vient du sud-est et dessert les immensités canadiennes (Fort Nelson, Prince Rupert…), l’autre vient du sud et dessert en territoire étatsunien Skagway et Port Chilkoot. C’est de là que part la Klondike Hight Way (KHW) pour traverser Whitehorse puis monter vers le nord jusqu’au delta du Mackenzie sur la Mer de Beaufort et Inuvik (Territoires du Nord-Ouest). Cette KHW est le seul axe terrestre, il sert de colonne vertébrale au Territoire du Yukon.
L’image est aussi traversée par une grande vallée ouest/est qui est occupée par l’Alaska Highway (AHW), bien visible, qui de Whitehorse se dirige au cœur de l’Alaska vers Fairbanks. La construction de l’Alaska Highway est décidée en 1942 durant la Seconde Guerre mondiale par les Etats-Unis pour des raisons géostratégiques : disposer d’un axe terrestre intérieur assurant la continuité territoriale entre l’Alaska du nord et du sud. Cette route de 2 500 km de long est réalisée par des milliers de soldats et d’employés en un temps record, entre mars et novembre 1942.
Whitehorse : un isolat dynamique dans une marge pionnière
Se déployant au centre-est de l’image, la ville de Whitehorse est en rive gauche de la Yukon River, équipée d’un barrage hydroélectrique en 1958, à 640 m d’altitude. Le centre-ville est bien repérable par son damier géométrique. Au sud-est de celui-ci se déploient les emprises d’un vaste aéroport qui souligne aujourd’hui l’importance du transport aérien dans le développement du Grand Nord (vols internationaux, nationaux et régionaux).
On repère bien aussi les nouveaux lotissements apparus aux marges au nord, à l’ouest ou au sud-est du centre-ville. A l’opposé, un tissu pavillonnaire se développe aussi au sud de la ville. Ces dernières décennies, l’agglomération de Whitehorse représente à elle seule 82 % du marché immobilier régional et connaît un boom des prix fonciers et immobiliers qui alarme la collectivité locale du fait des problèmes sociaux qu’il pose à une partie des habitants.
Globalement, le Territoire du Yukon est en effet une région démographiquement dynamique (+ 16 % en dix ans) et atteint aujourd’hui 38 600 habitants. Mais comme il s’étend sur 482 443 km2, sa densité est de seulement 0,08 hab./km2 ; ce qui en fait un désert humain occupé et valorisé de manières très ponctuelles du fait des fortes contraintes des milieux. Le territoire de l’image appartient à cette Amérique du Nord structurée par un véritable « effet désert », entendu ici comme un espace vide d’homme ou sous-peuplé. Le géographe canadien Paul Villeneuve parle à ce propos pour le Canada d’une «géographie inachevée». Du fait des immenses distances à parcourir et de son isolement, le coût de la vie à Whitehorse est considérable et se traduit par une explosion des prix. En général, les coûts des produits sont de + 25 % à + 30 % plus chers qu’à Vancouver, de + 79 % à Old Crow dans le Grand Nord du Territoire.
Peuplée de seulement 754 habitants en 1940, l’agglomération de Whitehorse a connu ces dernières décennies un véritable boom en passant de 25 300 à 29 600 habitants entre 2008 et 2017. Elle polarise donc à elle seule aujourd’hui 76,6 % de la population du Territoire. A l’échelle du Yukon, massivité, continentalité, dictature des distances et logiques méridiennes des contraintes bioclimatiques conjuguent leurs effets pour faire de Whitehorse, située très au sud du territoire du Yukon, la seule véritable métropole régionale. Elle écrase donc toute la hiérarchie urbaine régionale, la seconde petite ville de Dawson arrivant très loin derrière (1 500 hab.). Le phénomène spectaculaire et général au Canada de polarisation croissante des populations, emplois et activités sur des espaces très restreints méridionaux se vérifie ici de manière éclatante.
Témoins de la présence historique des Premières Nations, la ville compte aussi selon les catégories du recensement 16,5 % d’Aboriginals, 13,5 % de First Nations et 2,2 % de Métis. A la suite des Accords de 1992 avec le gouvernement fédéral, les 14 Premières Nations se voient reconnaître leurs revendications territoriales.
Dans ces marges pionnières, le dynamisme démographique est historiquement très variable du fait d’une économie de cycles qui alterne phases de surchauffe et de crise : ruée vers l’or du Klondike entre 1896 et 1898 (arrivée de 30 000 à 40 000 personnes), cycle du cuivre du début du XXem siècle, nouveaux cycle miniers des décennies 1960/1980, puis des années 2010 porté par l’essor de la demande chinoise en matières premières. De même, le transfert de la capitale régionale de Dawson, bien plus au nord, à Whitehorse en 1952 y dope les chantiers et commandes publiques.
Au total, la géographie régionale et locale des activités minières est historiquement étroitement dépendante de l’évolution du droit minier dans un cadre fédéral, de l’épuisement ou non des ressources et, surtout, de la fluctuation des cycles économiques et financiers qui en commande l’activité, débouchant sur ce que le chercheur canadien Harrold Innis appelle des «cyclonics landscapes». C’est cette histoire qui se lit aujourd’hui dans le paysage urbain de l’agglomération et ses limites administratives. Ainsi dans les années 1970, la commune élargit considérablement ses limites territoriales pour incorporer les mines de cuivre voisines à l’ouest et au sud (Imperial Mines’ Whitehorse Copper Mines et gisements de la Whitehorse Copper Belt qui s’étend sur 30 km de long et 4 km de large) afin d’augmenter ses rentrées fiscales.
La capitale politique et économique du Yukon : ville pionnière et cycles rentiers
L’image fait aussi apparaître l’importance des zones d’activités de commandement (82 % des sièges sociaux du Territoire), commerciales, industrielles et techniques au sud, près de l’aéroport et au nord de l’agglomération. Cette économie – que l’on peut sans doute qualifiée de métropolitaine à l’échelle du Yukon - est en effet fondée sur le rôle de base arrière que joue Whitehorse pour tout le Territoire (transports terrestres et aériens, négoce, commerce, hôtellerie, services aux entreprises et à la population…).
Alors que l’économie du Yukon est largement fondée sur la production d’or et cuivre, le dynamisme économique de Whitehorse repose sur trois grands piliers : les services aux activités minières, la fonction publique et le tourisme, en plein développement (cf. Trans Canada Trail, pêche, randonnée, Arctic Winter Games). Dans la fonction publique, une place particulière doit être faite aux forces armées canadiennes (forcés armées, Canadian Rangers, escadron de transport, base aérienne) qui veille à la sécurité et à la souveraineté du Canada dans ces marges septentrionales.
Cette fonction d’interface entre le monde extérieur et l’activité minière se retrouve dans l’importance des flux aériens. En effet, aujourd’hui, la moitié de la main d’ouvre minière dans le Territoire du Yukon est dite FIFO (Fly-in/Fly-out) car très mobile et à la recherche de bons, voire très bons, salaires. Comme sur les plateformes pétrolières off-shore, ces salariés travaillent deux ou trois semaines d’affiler dans leurs isolats miniers avant de rentrer dans leurs familles, en grande partie en Colombie britannique.
Documents complémentaires
Site Géoimage, études de territoires voisins :
Alaska. Les Monts Chugach et le glacier Columbia face au changement climatique
Alaska. Petersburg : un littoral de montagnes, de fjords et de glaciers des hautes latitudes froides dopé par la grande pêche.
Alaska. Le glacier littoral Malaspina et la chaine transfrontalière des Monts St-Elias confrontés au changement climatique.
Etats-Unis - Alaska - Anchorage : la métropole du Grand Nord entre mer et terre, à la croisée entre Amérique du Nord, Russie et Asie de l’Est
Autres ressources :
Laurent Carroué et Didier Collet : L’Amérique du Nord, Bréal, 2015.
Eric Canobbio : Atlas des Pôles, Autrement, 2007.
Site Géoimage : Alaska. Petersburg : un littoral de montagnes, de fjords et de glaciers des hautes latitudes froides dopé par la grande pêche.
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Education nationale