Alaska - Anchorage : la métropole du Grand Nord entre mer et terre, à la croisée entre Amérique du Nord, Russie et Asie de l’Est

Avec 300 000 hab., Anchorage est une des villes les plus importantes du monde arctique en étant située à 61° de latitude Nord. Son dynamisme repose sur un double privilège : au fond d‘un puissant fjord situé au centre du littoral méridional de l’Alaska, elle est à l’interface entre l’immense et riche hinterland alaskaïen (pétrole du Grand Nord) et l’extérieur. Au plan géostratégique, elle est au cœur du système militaire étasunien dans le Grand Nord face à l’arctique et la Russie. Enfin, elle fut et demeure un relais majeur dans les liaisons entre l’Amérique du Nord et l’Asie de l’Est.

 

Légende de l’image satellite

Cette image d'Anchorage, la plus grande ville d'Alaska, a été prise le 28 août2018 par un satellite Sentinel 2 A. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.

Accéder à l'image générale

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

 

Présentation de l’image globale

 Anchorage : une situation exceptionnelle aux échelles régionale,
nationale, continentale et mondiale

Un cadre et une situation maritimes exceptionnels : le profond golfe de Cook Inlet sur le Golfe d’Alaska

Cette image présente en position centrale une vaste étendue d’eau : c’est la terminaison du Cook Inlet, ou Golfe de Cook. Venant du sud-ouest depuis le Golfe d’Alaska et l’Océan Pacifique, ce grand golfe marin s’enfonce profondément de 288 km à l’intérieur des terres. Son rôle est d’autant plus important qu’il est encadré par deux hautes chaînes de  montagnes tombant dans la mer, à l’ouest les Chigmit Mountains (Mount Redoubt, 3 100 m) et à l’est les hauteurs de la péninsule de Seward.

On peut facilement observer sur l’image, en particulier au sud, les surfaces de l’estran dégagées à marée basse. Du fait de sa forme étroite en entonnoir et de sa longueur, la vigueur du jeu des marées y est exceptionnelle : le marnage, qui mesure la différence de niveau entre marée haute et mare basse,  est de 10 m. au Runagain Arm, un phénomène que l’on retrouve par exemple aussi dans la baie de Fundy sur la Côte Est au Canada. Dans le Cook Inlet la marée montante provoque parfois un puissant mascaret et les courants marins sont forts. On doit aussi relever la puissance des processus sédimentaires et l’importance des vasières…  

Anchorage est donc une ville littorale, et comme on peut le constater à la lecture de l’image la photo est prise à marée basse. A l’échelle de l’Alaska, elle dispose d’un véritable privilège : alors que le littoral méridional de l’Etat fédéré est démesurément long en allant d’Unimak, dans la longue presqu’île des Aléoutiennes à l’ouest, au frontières du Canada  à l’est, elle se trouve géographiquement quasiment au milieu. Elle est en particulier en position beaucoup plus centrale et beaucoup moins excentrée que la capitale politique de l’Etat d’Alaska – la ville de Juneau – qui n’est accessible qu’en bateau ou en avion et est en position très marginale au sud-est de l’Etat.  

A l’échelle continentale et mondiale, elle dispose d’un autre privilège majeur, maritime celui-ci. Toute la façade maritime méridionale de l’Alaska est réchauffée par les eaux de la dérive nord-pacifique.

Un site à la convergence de deux grandes vallées drainant tout l’arrière-pays

Mais cette ville littorale ne se serait sans doute pas autant développée si son site ne lui assurait un second privilège : il se trouve à la convergence de deux grandes vallées drainant et organisant tout l’hinterland – ou arrière-pays – alaskaïen, un Etat fédéré qui, rappelons-le, couvre 1,7 million de km², soit trois fois la France à lui seul.

Au centre droit de l’image, lorsqu’on le remonte de l’aval vers l’amont, donc vers la source, le Cook Inlet aboutit à deux bras de mer, et - surtout – au bout de ceux-ci à deux grandes vallées. Au sud se trouve le Turnagain Arm, long de 65 km, qui apparaît pour partie comme un large fjord plus ou moins envasé. Cette vallée relie la région d’Anchorage à la ville portuaire de Seward, dans la péninsule méridionale du même nom.  

Au nord surtout se trouve le Knik Arm, long de 25 km et au bout duquel se trouve la petite ville de Palmer. A partir de celle-ci, se présentent deux grands axes terrestres vers le Nord et le Grand Nord. Vers le nord-est, la grande Matanuska Valley s’oriente vers les villes de Glengallen et Tok pour se brancher sur le grand axe topographique et logistique qui organise la partie centre-orientale de la région entre Whitehorse (Canada) et Delta Junction, le bien nommée, puis Fairbanks.

Vers le nord-ouest se déploie la fameuse Broad Pass, qui se faufile entre le massif du Mt McKinley (6 194 m., point culminant des Etats-Unis) à l’ouest et le Mt Hayes (4 216 m.) à l’est.  La Broad Pass est un axe routier et ferroviaire reliant Anchorage à Fairbanks, la seconde ville de l’Alaska en position centrale. Et surtout, encore beaucoup plus au nord, le North Slope, : cette très large bande  littorale borde tout le littoral de la Mer de Beaufort, et donc l’Océan glacial arctique, et on y trouve en particulier les grands champs d’hydrocarbure de Prudhoe Bay.       

Un site maritime en position d’abri dans un cadre de hautes montagnes littorales

Au centre de l’image, sur une pointe précédée d’une petite île bien visible s’étend une petite plaine littorale sur le site d’embouchure de la Ship Creek situé à 31 m. d’altitude : c’est là que se déploie l’agglomération d’Anchorage.

Cette localisation en position d’abri explique qu’Anchorage bénéficie dans une région de hautes terres au climat subarctique d’influences maritimes modératrices. Les températures annuelles moyennes sont de 2,1°C (dec/janv./fev. : - 11°C à – 13°C) et les cumuls de précipitations atteignent les 400 mm. par an.  Pour autant, les violents coups de froids peuvent y être terribles (1999 : - 39°C de moyenne en février).  

Au total, son climat maritime d’abri vient compenser les effets de sa position aux hautes latitudes. Située à 61°13 de latitude nord, elle est en effet de loin la plus grande ville la plus au nord de tout le continent américain. A l’échelle mondiale, elle est un peu plus septentrionale que la métropole de Saint-Petersbourg (59°56N) en Russie, mais moins que Reykjavik (64°08) en Islande, là encore deux villes littorales.

Au nord de l’image se trouvent à l’est les Talkeetna Mountains et à l’ouest la Susitna River. Sa vaste vallée, avec la Yentna River, occupe tout le quart nord-ouest de l’image. Longue de 500 km, son débit est particulièrement puissant (15em rang des Etats-Unis). Elle est largement alimentée par le glacier Sutsina qui appartient à la chaîne côtière de l’Alaska Range dominée dans la région par le fameux Mont Denali aussi dénommé Mt MacKinley (6 109 m), le point culminant des Etats-Unis.  

Au centre de l’image, la ville d’Anchorage s’appuie sur les premiers chaînons des Chugach Mountains, une vaste chaine de montagnes littorales largement couvertes d’une calotte fournissant un important appareil glaciaire, intérieur ou littoral. Cette présence explique la relative proximité de la ville et de ses habitants avec la grande faune sauvage (ours bruns, grizzlis, orignaux/élans, loups, renards…) que l’on peut parfois même apercevoir à proximité immédiate de la ville.  

Mais devant faire face à de fortes contraintes sismiques et volcaniques

Le reste de l’image est très largement occupé par des espaces montagnards très jeunes. Ce site présente de forts risques sismiques du fait de la jeunesse et de l’activité de ces puissantes chaines de montagnes liées à la tectonique des plaques particulièrement active sur tout le littoral ouest-américain (cf. « ceinture de feu » du Pacifique).  

Le 27 mars 1964, Anchorage fut ainsi ravagée par un tremblement de terre d’une magnitude exceptionnelle (9,2 sur l'échelle de Richter) provoquant 115 morts. Les règlements d’urbanisme y limitent depuis la hauteur des bâtiments à 21 étages, ce qui y explique un centre-ville au profil architectural relativement bas par rapport aux autres grandes villes nord-américaines. De même, l’agglomération est parfois couverte par un nuage et une pellicule de cendres du fait de la présence de volcans très actifs (cf. éruptions du Mount Spurr en aout 11992, du Mount Reboubt en avril 2009).

Anchorage, une interface géoéconomique et géostratégique entre Etats-Unis, Russie et Asie de l’Est

Sur l’image, la ville d’Anchorage est dotée de deux importants aéroports dont la présence s’explique par son rôle d’interface géoéconomique et géostratégique entre les Etats-Unis, la Russie et l’Asie de l’Est. De par sa position géographique, l’Alaska est un bastion avancé du Mainland étatsunien vers le Nord et le Nord-Est.

Au nord de l’agglomération se trouve la très importante base militaire d’Elmendorf-Richardson. Elle réunit depuis 2010 dans un même ensemble de gestion deux entités bien différentes mais complémentaires : la base aérienne d’Elmendorf de l’US Air Force et la base de Fort Richardson de l’armée de terre, ou US Army. On y trouve le commandement des forces militaires en Alaska – l’Alaska Command – qui compte au total 20 000 hommes. On y trouve aussi le commandement de l’Alaska NORAD Region, une des trois régions du système NORAD. Ce système NORAD joue un rôle majeur puisqu’il couvre avec ses stations radars, ses bases et ses postes avancés dans le Grand Nord tout l’espace arctique, en coordination étroite avec le Canada. Ce système de contrôle et d’alerte joue depuis la Guerre froide un rôle déterminant dans la défense du territoire des Etats-Unis, en particulier dans le cas de possible attaque nucléaire de la part de la Russie, mais peut être aussi dans le contrôle des opérations de la Chine et de la Corée du Nord.    

Au sud-ouest de l’agglomération sur la pointe avancée se trouve l’aéroport international civil Ted Stevens localisé à 8 km du centre-ville. Doté de trois pistes, il accueille 5 millions de passagers par an. Il est ouvert en décembre 1951 lors du développement des grands vols aériens transpacifiques entre les Etats-Unis et l’Asie, car il sert alors de site d’escale du fait de l’autonomie limitée en carburant des aéronefs de l’époque. Si cette fonction à aujourd’hui disparue du fait de la capacité des avions d’aujourd’hui à réaliser des vols directs à très longue distance, cette fonction d’interface n’a pas pour autant disparue. Il sert de hub continental de redistribution entre l’Asie et les Amériques à deux grandes compagnies étatsuniennes de fret aérien : FedEx et UPS Airlines. FedEx y dispose ainsi, par exemple, d’un centre de tri employant quelques 1 200 salariés.



 

Zoom d'étude

 

La ville d’Anchorage : la plus grande ville de l’Arctique étasunien

Au centre, sur une pointe précédée d’une petite île bien visible s’étend une petite plaine littorale sur le site d’embouchure de la Ship Creek situé à 31 m. d’altitude : c’est là que se déploie l’agglomération d’Anchorage. La métropole écrase toute la hiérarchie urbaine de l’Etat d’Alaska, tant au niveau démographique qu’économique, en laissant loin derrière Juneau et Fairbanks, les deux autres villes importantes. On peut parler à l’échelle de l’Alaska d’une structure urbaine macrocéphale : la ville de Fairbanks compte 33 000 habitants, 97 000 avec son agglomération, et Juneau 32 000 habitants, 100 000 avec son agglomération.  

Fondée seulement en 1914, elle est au départ un simple mouillage portuaire afin de soutenir la construction du chemin de fer de l’Alaska Railroad. Elle devient ensuite une halte sur la voie ferrée reliant le port de Seward, au sud-est, aux mines de charbon qui se trouvent dans le nord de la Chaîne d’Alaska. Avec 4 420 km², le territoire de la commune couvre une large partie de l’image, d’autant qu’Anchorage est une des surfaces communales les plus étendues des Etats-Unis.  

La ville compte aujourd’hui 294 356 habitants, et son une aire métropolitaine 401 499 habitants, en incorporant la vallée de la Matanuska Susitna. Cette toute petite péninsule triangulaire polarise donc 41 % - et sa région métropolitaine plus de la moitié (54 %) - de la population de l’Alaska, un Etat fédéré couvrant 1,7 million de km², mais seulement peuplé de 737 400 habitants et d’une densité moyenne très faible de 0,43 hab/km². Nous sommes vraiment là aux marges de l’immense désert glacé des hautes latitudes polaires, dont la mise en valeur repose sur des isolats spécialisés reliés en chapelets par des réseaux logistiques (routes, voies ferrées, oléoducs…) drainant les richesses vers la côte méridionale pour l’exportation (cf. port de Valdez pour les hydrocarbures plus à l’est).

Le centre-ville, ou downtown, accueille de nombreuses fonctions de commandement. Politique, puisque face à la marginalisation de la capitale officielle de l’Etat fédéré de l’Alaska qu’est Juneau (moins de 100 000 hab.), Anchorage compte plus d’emplois administratifs fédérés que celle-ci. Economique avec la présence des sièges régionaux de grands groupes bancaires et financiers d’un côté, des pétroliers de l’autre.

Comme en témoignent sur l’image les nombreuses zones commerciales et d’activité présentent dans la zone centrale de l’agglomération, on y trouve aussi toutes les services de la reproduction sociale (santé, université, commerce…) et les fonctions productives et périproductives nécessaires à la mise en valeur de l’Alaska (recherche, audit, conseil, juridique, fourniture d’équipements, de machines, maintenance et réparation…)

La ville d’Anchorage, son économie et son urbanisation reposent historiquement sur des économies de cycles qui expliquent ses phases successives de boom ou de déclin relatif. Alors que l’Alaska est rachetée par les Etats-Unis à la Russie en 1867, elle n’intègre les Etats-Unis comme « territoire » qu’en 1912, avant de rentrer dans l’Union comme Etat fédéré qu’en 1959. A l’image de ces mutations institutionnelles, Anchorage n’est en 1940 qu’une petite bourgade de 3 000 habitants. C’est le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et l’attaque japonaise de Pearl Harbor qui vont faire prendre conscience à Washington du rôle géostratégique de l’Alaska, un processus renforcé par la Guerre froide. Anchorage est dopée alors par les fonctions militaires et atteint 47 000 habitants en 1951 en pleine Guerre froide. A partir des années 1960, l’économie de la ville est ensuite dopée par les cycles des hydrocarbures avec la découverte du pétrole à Prudhoe Bay dans le Grand Nord en 1964.

Les espaces résidentiels sont largement structurés par un habitat de forme de lotissements pavillonnaire, aux formes bien identifiables et de maisons individuelles qui occupe l’ouest et l’est de l’agglomération.  Au sud-est se déploient de nouveaux quartiers résidentiels aux densités plus faibles alors qu’au nord-est la périurbanisation est guidée par le grand axe autoroutier.

Au nord-est de l’agglomération enfin, les deux bases militaires sont bien identifiables et constituent deux complexes urbains séparés. A l’ouest, en bordure de l’eau se déploie l’Elmendorf Air Force Base, ouverte en 1940. On reconnaît facilement les pistes, les bâtiments de commandement, de maintenance et de réparation, les dépôts de matériels et des services. A l’est, au nord de l’autoroute, se trouve la base de l’USA Army (toits orangés).  Au total, ces fonctions militaires représentent entre 8 000 et 10 000 emplois, et représentent 10 % de la population totale de la ville avec les familles.

 


Anchorage

 

Zoom de l'image générale, cette image prise par le satellite Sentinel-2, montre Anchorage à la fin de l'été.

Image sans légende

 

Documents complémentaires

Site Géoimage, études de territoires voisins :

Alaska. Les Monts Chugach et le glacier Columbia face au changement climatique

Alaska. Petersburg : un littoral de montagnes, de fjords et de glaciers des hautes latitudes froides dopé par la grande pêche.

Alaska. Le glacier littoral Malaspina et la chaine transfrontalière des Monts St-Elias confrontés au changement climatique.

Yukon. Whitehorse. Un nœud névralgique du Grand Nord canadien et alaskaïen

Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Education nationale