Alaska - Le glacier littoral Malaspina et la chaîne transfrontalière des Monts St-Elias confrontés au changement climatique

Au sud de l’Alaska, la chaine des Monts Saint-Elias - qui culmine au Mt Logan (6.050 m) et qui est partagée par la frontière entre le Canada (Yukon) et les États-Unis (Alaska) - porte un des plus importants systèmes glaciaires du monde. De ses glaciers de calotte descendent vers le Golfe d’Alaska une succession de très grands glaciers, dont le glacier Malaspina. Ce système est aujourd’hui confronté aux effets du changement climatique qui se traduit par un recul des glaciers. Dans ces espaces aux très fortes contraintes naturelles, désertiques et sous-peuplés couverts par d’importants Parcs nationaux, les transferts financiers fédéraux, la pêche et le tourisme constituent des ressources économiques importantes.

 

Légende de l’image satellite

 

Cette image du glacier Malaspina, glacier de piémont qui se trouve en Alaska a été prise le 29 août2018 par un satellite Sentinel 2 A. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.

Accéder à l'image générale

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

 


Conséquences du changement climatique

 

 


Repères géographiques

 

 

 

La carte ci-contre présente la région du parc Wrangell-St Elias, le plus grand parc national des États-Unis.

Accéder au site officiel pour télécgarger ce document (libre et gratuit) sur www.alaska.org :  Carte du Wrangell St Ellias National Park

 

 

 

 

Présentation de l’image globale

Une puissante chaine glaciaire littorale confrontés au réchauffement climatique

Une chaîne de hautes montagnes littorales englacées

Comme le montre l’image, tout la partie nord est constituée d’une vaste étendue de hautes montagnes couvertes de glaces, les Icefield Ranges. Celles-ci appartiennent au vaste massif du Mont St-Elias qui - avec les Wrangel Mountains au nord-ouest (hors image) et les Chugach Mountains à l’ouest (hors image) - forment une très puissante chaine de très hautes montagnes littorales qui borde tout le sud de l’Alaska.

Les altitudes sont ici particulièrement élevées, avec en particulier plus de 25 très hauts sommets. Le Mont St-Elias à 5.489 m. est ainsi le second sommet des États-Unis ; le Mont Augusta culmine à 4.289 m, le Mont Cook à 4.194 m, le Mont Vancouver à 4.812 m, le Mont Hubbard à 4.577 m ou le Mont Seattle à 3.150 m. Le tout est cependant largement dominé au nord du Seward Glacier par le massif du Mount Logan (5.959 m., hors image), point culminant du Canada.

A l’échelle sous-continentale, le rivage septentrional du golfe d’Alaska accueille une des plus grandes concentrations de glaciers de la planète ; on estime à 90.000 km2 la surface couverte, soit 13 % des surfaces englacées montagnardes terrestres et plus de trente fois la surface des glaciers alpins.

Les Icefield Ranges et leur puissant système glaciaire

Plusieurs facteurs. En Alaska se trouvent en effet associés des systèmes de calottes liés à une localisation en hautes latitudes à des systèmes de glaciers montagnards liés à de hautes altitudes. Entre le Mont St-Elias et le Mont Augusta, au sud, et le Mont Logan, au nord, se déploie un vaste système de glaciers de calotte dont le Seward Glacier, qui alimente le glacier Malaspina au centre, le Hubbard Glacier à l’est et les Yahtse et Guyot Glaciers à l’ouest. Au total, les systèmes glaciaires couvrent à l’échelle régionale environ 11.800 km2 et plus de 50 glaciers ont une longueur de plus de 8 km.

L’image fait bien apparaitre le système de formation et d’évolution des glaciers. Ces accumulations exceptionnelles de glace s’expliquent par plusieurs facteurs : importantes précipitations neigeuses, froid lié à la conjonction des effets de la latitude et de l’altitude... L’« état de santé» d’un glacier dépend en effet :
-    des températures moyennes annuelles liées à la latitude et à l’altitude) ;
-    du bilan énergétique : rayonnement solaire /albedo, orientation des pentes, qualité de la couverture nuageuse (cf. filtre permanent ou saisonnier) ;
-    de la structure des précipitations : nature, volume, répartition saisonnière.

Bilan annuel. Ces facteurs aboutissent à un bilan annuel de masse ; entre précipitations neigeuses/accumulation d’un côté et fonte/ablation de l’autre, qui peut être positif ou négatif. Il faut faire attention au fait de bien emboiter les échelles spatiales d’analyse et de bien distinguer les bilans locaux et le bilan global du système glaciaire étudié. Car les glaciers sont in fine des systèmes dynamiques complexes dont l’étude demeure contrainte du fait de données limitées et fragmentaires.

Sur l’image, la chaine des Monts St-Elias reçoit de fortes précipitations sous les effets conjugués des courants marins et des dépressions venant de l’océan. Le courant marin du Nord Pacifique d’orientation ouest/est se heurte dans le golfe d’Alaska à la barrière continentale et remonte vers le nord pour longer la côte selon une orientation alors devenue est/ouest, en dessinant donc une vaste boucle. En s’élevant en altitude, les masses d’air se refroidissent et se condensent pour livrer deux à quatre mètres de neige à partir de 3.000 m d’altitude.

Latitude/Altitude. Nous sommes ici déjà dans le Grand Nord à 60° de latitude nord. Les effets sur la durée journalière des jours et des nuits sont sensibles : au solstice d’hiver, la durée du jour est de seulement 6 heures ; au solstice d’été elle est par contre de presque 19 heures (18H43). Sous ces hautes latitudes, les températures moyennes peuvent sur ces hauteurs atteindre les – 45°C l’hiver et descendent rarement au-dessus de zéro l’hiver.

C’est pourquoi nous sommes là dans les hauteurs face à une zone d’accumulation exceptionnelle où les abondantes précipitations neigeuses s’accumulent pour se transformer progressivement en glace. Comme l’eau, la glace étant un fluide, cependant très visqueux, elle tend à s’écouler des hautes terres (amont) vers la mer (aval) sous forme de glaciers. La vitesse de l’écoulement dépendant à la fois des apports en glace de la partie amont, de la pente et de la température, qui favorise plus ou moins sa viscosité.

L’image témoigne de l’importance des glaciers dans la morphologie de cette zone littorale. Dans la partie est et sud-est, on identifie ainsi facilement de grandes vallées, très larges et profondes encadrées par les reliefs : ce sont des fjords, c’est-à-dire d’anciennes vallées glaciaires creusées par l’érosion et envahies par la mer du fait du recul des glaciers et de l’élévation du niveau marin. On remarque en particulier l’importance du Russell Fjord, d’orientation nord/sud qui pénètre profondément à l’intérieur des terres, et du Nunatak Fjord, d’orientation ouest/est. Ils aboutissent à la baie du désenchantement puis à la vaste baie de Yakutat.

Trois strates altitudinales de milieux et de paysages : les dynamiques glaciaires

L’image est centrée sur le Malaspina et son système glaciaire. Elle permet de bien comprendre les dynamiques glaciaires en lien avec les différents milieux qui s’étagent en altitude ; ils présentent donc des paysages caractéristiques bien identifiables : hautes chaînes et plateaux intérieurs, chaîne littorale et rupture topographique, plaine littorale.  

Au nord comme nous l’avons vu dominent les Icefields Ranges. Ce sont des zones d’accumulation où la neige se transforme glace. Sur ces hautes terres le bilan annuel entre accumulation et ablation, ou fonte, est positif.

Au centre, de cette chaine de hautes terres, les glaciers s’écoulent en suivant les pentes vers les points les plus bas, ici au final la plaine littorale, car la glace se déplace sous l’influence à la fois de son propre poids et de la gravité. La zone d’écoulement est ici bien visible puisqu’elle couvre environ un tiers de l’image, elle est marquée par les flux d’importants glaciers.

Au sud enfin, dans la plaine littorale ou dans les grands fjords de l’est se trouve la zone de fonte et d’évaporation. C’est dans cet espace où localement le bilan entre accumulation et fonte est largement négatif que les glaciers reculent le plus.

Le tracé frontalier en très haute montagne alaskaienne

Sur l’image, ces points culminants et ces crêtes servent au tracé de la frontière entre les États-Unis au sud (Alaska) et le Canada au nord (Territoire du Yukon). Nous sommes ici devant une haute chaine transfrontalière. Ces hautes altitudes isolent la bande littorale de l’intérieur continental et expliquent pourquoi le seul grand axe de transport terrestre passe bien plus au nord (hors image) : c’est la fameuse Alaska Highway construite par les États-Unis pour des raisons géostratégiques durant la Seconde Guerre mondiale en 1942.   

La création d’une frontière. Coupant l’image en deux, la dyade frontalière entre les États-Unis et le Canada est l’une des plus longues du monde en s’étendant sur 8.891 km. A l’échelle de l’Amérique du Nord, l’établissement de cette frontière a été un important enjeu de conflits et de rivalité entre 1783 et 1846 ; essentiellement en Nouvelle Angleterre et sur les Grands Lacs d’un côté, sur l’Oregon et donc l’accès au Pacifique (Vancouver) de l’autre. C’est-à-dire dans les régions les plus riches et les plus peuplées.

Dans ces pays neufs de fronts pionniers dans lesquels les espaces sont peu ou mal connus et les limites parfois floues ou inexistantes, le Canada et les États-Unis créent en 1908 une « Commission de la frontière internationale », qui ne sera cependant installée de manière permanente par traité qu’en 1925. Son rôle est d’arpenter, de matérialiser concrètement (bornes, bande de déboisement…) et de cartographier la frontière au plus près du terrain. De même, deux agences sont responsables aujourd’hui de la bonne circulation entre les deux pays : la CBSA- Canada Border Services Agency et la CBP – U.S Customs and Borders Protection. Il y a donc sur cette longue dyade une véritable culture de coopération transfrontalière, comme l’illustre en mars/mai 2020 la fermeture conjointe partielle de la frontière afin de contrer la propagation de la pandémie de coronavirus.    

A elle seule la dyade frontalière entre les États fédérés de l’Alaska et du Yukon est de 2.475 km, soit 28 % du total continental. Cette région est encore aujourd’hui quasi-totalement déserte du fait des très fortes contraintes naturelles : le village de Yakutat, bien visible dans le coin sud-est, a 650 habitants, c’est le seul pôle habité de l’image. La principale difficulté résidait donc dans les faits que les grands traités internationaux - de 1825 entre les Empires russe et britannique, puis de 1867 entre Washington et Londres - restaient très vagues sur les délimitations exactes de la région, du fait d’une très large méconnaissance du terrain. C’est pourquoi un désaccord frontalier sur la définition des limites respectives des deux États dans la partie méridionale - entre Yakutat, Juneau et Ketchikan/Prince Rupert, là encore relativement la plus riche et la plus peuplée - ne fut résolu qu’en 1903.  

Tracer et marquer une frontière. En fait, le travail de délimitation de la frontière fut très difficile et représenta un énorme travail de terrain comme en témoigna en 1911 la grande difficulté à borner les points frontières dans la région du Mont Saint-Hélias. Comme on peut le constater, le tracé de la frontière est ici dans la chaîne couverte par l’image très rectiligne. Ceci est dû au fait que les arpenteurs ont utilisé quelques très hauts sommets comme points de repères dans ces espaces de hautes montagnes englacées.

Puis, ils ont tiré les lignes droites reliant ceux-ci entre eux sans même forcément se préoccuper, à l’inverses d’autres hautes montagnes par exemple, du suivi des lignes de crêtes. Sur l’image, le Mont Cook est ainsi identifié officiellement dans le bordage frontalier comme le « Boundary Peak » 182, le Mont Augusta comme le Boundary Peak 183 etc… De l’est vers l’ouest, on trouve ainsi six grands sommets servant de repère : le Mont Seattle (3.150 m), le Mont Hubbard (4.577 m), le Mont Vancouver (4.812 m), le Mont Cook (4.194 m), le Mont Augusta (4.289 m), puis après un crochet vers le sud, le Mont Saint Elias – le point culminant à 5.489 m.

La mise en place de cette frontière et de ce tracé frontalier s’inscrit dans le vaste processus de découverte et d’appropriation qui se déploie entre 1850 et 1950. En effet, si les très hauts sommets sont repérés dès les expéditions de Vitus Béring en 1741 puis de La Pérouse en 1786, cette région demeure très largement inexplorée jusque dans les années 1860/1880.

La toponymie comme marqueur. Le mont Vancouver est ainsi dénommé en 1874 en l’honneur du navigateur britannique George Vancouver (1757-1798), par William Healey Dall qui dirige de 1865 à 1868 une série de grandes opérations d’exploration de la côte de l’Alaska. Les expéditions de 1886 et 1888 - la première étant même financée par le New York Times - pour explorer le Mont Saint-Elias sont des échecs. Il faut attendre 1890 pour qu’Israël Cook Russel, Président de la Société de Géologie, atteigne le plus haut col du versant nord qui porte son nom. Le Mont Hubbard est ainsi dénommé par un géologue de l’USGS – United States Geological Survey en 1890 du nom de Gardiner Greene Hubbard, le premier président de la National Geographic Society qui avait pour partie financer l’expédition. Le Mont Augusta est dénommé ainsi en 1894 par I.G. Russell, de l’USGS là encore, en l’honneur de sa femme.

La toponymie utilisée symbolise le processus d’appropriation opéré par les grandes institutions de la Côte-Est qui trouvent dans la région une espace majeur de découverte dans lequel se projeter.  A cet effet, l’US Board on Geographic Names (BGN), un service fédéral, est créé en 1890 pour unifier et officialiser les dénominations de lieux dans tous les États-Unis. Ce processus renvoie aussi aux rapports d’exclusion et de domination établis dans un rapport quasi-colonial avec les peuples autochtones, il est vrai très peu nombreux dans la région contrairement à la partie sud de l’Alaska. En langue tlingit, la langue amérindienne des Tlingits qui occupent tout le Sud-Est de l’Alaska, le Mont Saint-Elias est appelé Yaas’ei’aa Shaa, la « montagne au-delà de la baie de glace ».

Enfin, la région s’avère aussi un haut lieu de l’alpinisme nord-américain et international, mais de manière tardive du fait de l’éloignement, de l’absence de toute infrastructure support et de toute culture locale ou régionale, contrairement au Tibet et à l’Himalaya par exemple. Car comme le montre l’image, la région est pour l’essentiel vide. Les premières ascensions ont lieu pour le Mont Saint Elias, qui passe alors pour le plus haut sommet des États-Unis en 1897, le Mont Vancouver seulement en 1949, le Mont Augusta en 1952, le Mont Cook en 1953 et le Mont Seattle en 1966.

Patrimonialisation et importance des Parcs nationaux dans la gestion de l’espace : le Kluane National Park et le Wrangel St Elias National Park

Les trois quarts de la surface de l’image sont couverts par deux très importants parcs nationaux, à l’exception de l’angle sud-est. Au nord-est se trouve côté canadien sur le Territoire du Yukon le Kluane National Park. Créé en 1976, il s’étend sur 22.103 km2 et est couvert à 80 % de montagnes et de glaciers. Coté étatsunien se trouve le Parc national de Wrangell-Saint Elias, qui incorpore entre autres le glacier Malaspina. Créé en 1980 par l’Alaska National Interest Lands Conservation Act, il couvre 33.682 km2 et est donc le Parc national le plus étendu des États-Unis. Regroupant 9 des 16 premiers sommets des États-Unis, il comprend une centaine de glaciers. Les deux parcs, jointifs, sont classés au patrimoine mondial par l’Unesco en 1979.

Ce dispositif est complété à l’est sur le littoral alaskaien par le Tongass National Forest. Au total, on peut estimer que les 4/5e du territoire de l’image sont gérés par les acteurs publics, en particulier côté étasunien le National Park Service d’un côté, l’U.S Forest Service de l’autre.

Dans cet ancien Nouveau Monde que sont les États-Unis et le Canada, la création de ces deux parcs s’inscrit en effet dans un vaste processus de protection publique de certains grands espaces naturels sauvages (« wilderness ») qui s’est déployé de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. Ces parcs abritent une importante faune sauvage terrestre (ours noirs et bruns, élans, caribous, loups, mouflons…) et maritime (lions de mer, otaries, loutres, baleines…). Ce sont des lieux réputés pour la pratique de l’alpinisme et le tourisme y connaît un développement récent relativement important, bien qu’encore limité du fait de contraintes naturelles exceptionnelles, d’un système d’équipements limités et d’un éloignement certain qui renchérit fortement les coûts financiers.

Le Malaspina : le plus grand glacier de piémont du monde

A l’ouest de l’image s’identifie un très vaste ensemble glaciaire à la forme circulaire caractéristique qui s’étale largement sur la plaine littorale : c’est le glacier Malaspina. A une autre échelle à une centaine de kilomètres plus à l’ouest se trouve un autre géant du même type : le Béring Glacier. On peut facilement relever sur l’image les grands marqueurs morphologiques de l’empreinte des glaciers que sont les pics et horns, les arêtes et falaises, les cirques glaciaires, les vallées suspendues, les grandes et larges vallées en auges creusées par les glaciers, les séracs et crevasses, les moraines latérales et frontales…  

La Malaspina débouche sur la plaine littorale par un étroit goulet de 4,5 km de large, avant de très largement s’étaler sous forme d’un immense lobe sur celle-ci. Long de 36 km et large de 32 km, il est considéré comme l’un des plus grands glaciers de piémont du monde en couvrant actuellement 3.800 km2. Au total en y ajoutant les glaciers Agassiz et Marvine à l'ouest et à l'est, et le lobe central de Seward, ce système régional couvre environ 5.000 km2, soit la taille d’un département français comme l’Ariège ou la Haute-Loire.

Du front du Malaspina s’écoulent d’importantes rivières d’origine glaciaire, dont on peut apercevoir le panache des matériaux légers transportés (sables, graviers…) s’épanouir dans la Baie d’Alaska pour les plus importantes. Cette zone littorale s’avère un écosystème particulièrement riche. Elle reçoit d’importantes précipitations, la température moyenne en janvier n’est pas trop froide (-2,2°C) alors que celle de juillet (12,2°C) est très favorable à la flore et à la faune.

Ces rivières sont d’importantes rivières à saumons, ceux-ci les utilisant chaque année pour venir s’y reproduire en masse. Les trois grandes variétés de saumons présentent chacune des pics de présence s’échelonnant entre la mi-juin et fin octobre. Ces marges littorales boisées sont donc le paradis de la grande faune sauvage, qui y trouve là un écosystème tout à fait favorable, en particulier des ours qui s’y vivent par centaines.

Le Malaspina : un laboratoire d’étude du changement climatique

Une connaissance récente et incomplète. Cette région de l’Alaska, relativement accessible du fait de sa position littorale, a fait l’objet à la fin du XIXe et au début du XXe siècles d’importantes campagnes de relevés et d’études. Son système glaciaire est donc assez bien connu, malgré des ruptures parfois importantes dans le suivi temporel des dynamiques régionales. En effet, même si la région du Malaspina est une des plus étudiées d’Alaska, il convient de souligner la difficulté sous ces latitudes et dans ces milieux extrêmes de disposer de séquences statistiques longues et cohérentes sur l’évolution du climat et des glaciers.

Ce n’est en effet qu’à partir des années 1960/1970 que l’US Geological Survey - USGS va commencer à mettre en place des programmes d’observation continue, et encore très ponctuels, avec par exemple l’étude de trois glaciers de taille moyenne. C’est ainsi que l’on va découvrir par exemple que le piémont du Malaspina se situe dans un large bassin descendant jusqu'à - 320 m sous le niveau actuel de la mer du fait en particulier des processus de surcreusement glaciaire. En fait, la connaissance des espaces englacés des hautes latitudes fait un bond qualitatif considérable seulement ces toutes dernières décennies grâce au développement des équipements aériens et, surtout, satellites.

Un recul sensible. Comme en témoigne l’image, le Malaspina est actuellement dans une phase sensible de transformation : écoulement, épaisseur, recul.... Selon les évaluations de la Nasa réalisées à l’aide d’images satellites, sa surface a reculé de 4.000 à 3.800 km2 en quinze ans (- 5 %), et selon des campagnes radar et aériennes, il aurait perdu 20 m d’épaisseur entre 1980 et 2000. Selon d’autres études, convergentes, le système glaciaire du Malaspina a perdu entre 1972 et 2002 un volume de 156 km3 de glace sur une superficie de 3.661 km2, soit 4,2 % en trente ans, 73 % de la superficie totale du système glaciaire étant affectée par un déficit. Globalement, les relevés quotidiens des deux stations de Cordova et Yakutat, cette dernière étant située au sud-est de l’image, du Service Météorologique National des États-Unis témoignent d’une sensible augmentation des précipitations pluviales et des températures depuis le tournant des années 1975.

Pour ce dossier, nous avons privilégié les comparaisons entre des images satellites Sentinelles de 2021 et la carte topographique de 1951, les prises de vues satellites n’existant pas à l’époque. Sur la carte topographique, le glacier au front bombé et convexe témoigne d’un glacier en « bonne santé » au bilan général positif ; sur l’image satellite au contraire, le glacier creux avec un front concave témoigne d’un glacier en « mauvaise santé », c’est-à-dire présentant un bilan général négatif ou déficitaire.  

Le paysage de l’image est donc le résultat de processus géologiques et bioclimatiques s’inscrivant dans des dynamiques millénaires. En particulier, les fluctuations de la glace et des glaciers y fonctionnent dans des échelles de temps différentes, plus ou moins sensibles à la perception humaine : décennales, millénaires de 10.000 ans à 100.000 ans, millionnaires avec 10 millions d’années ou plus...

Dans ce contexte, si l’on ne peut constater que le rapide et spectaculaire recul du Malaspina ces dernières décennies, on doit rappeler que celui-ci est la résultante d’un processus de longue durée, car les grands appareils glaciaires réagissent et n’interagissent avec leur environnement que très lentement du fait d’une forte inertie.  

Le Malaspina : un témoin du changement climatique

Plusieurs indicateurs témoignent cependant sans équivoque possible dans le paysage et dans la morphologie, en particulier pour le géographe, de ce processus de rétraction.

Ligne d’équilibre. Près du Mont Irvine, dominant la partie méridionale du Seward Glacier, la ligne de névé de fin d’été, qui est un des indicateurs de la ligne d’équilibre du glacier, remonte de 1.000 m. à 1.600. m. d’altitude entre les périodes 1948/1954 et 2004. Ce phénomène signifie que l’espace du Malaspina et de ses annexes compris dans cette bande altitudinale de 600 m. bascule dans un régime de fonte. Il convient de souligner au plan méthodologique que si en 1958 cette limite avait été identifiée par des climatologues devant se rendre sur place pour la prise de mesure, en 2004 ces données ont été fournies par le système satellite Terra MODIS de la NASA.  

Le recul du glacier est particulièrement visible sur le front du glacier dans la zone de contact avec la mer ou de chaque côté du Malaspina, à l’est comme à l’ouest. Dans ces zones, la dynamique du flux de glace n’est plus suffisante pour emporter l’immense masse de dépôts et de débris - ou moraines - arrachée par l’érosion. En phase dynamique, ces roches devraient être rejetées vers les côtés et être emportées vers la mer. L’affaissement sensible des flux de glace et la réduction de l’épaisseur des parties latérales transforment ces parties extérieures du Malaspina en ce que l’on peut appeler un glacier rocheux, c’est-à-dire un glacier peu actif et couvert de débris.

Surge glaciaire. La région est en particulier bien connue pour un phénomène naturel spectaculaire et anormal : le surge glaciaire. Ce terme d’origine anglaise désigne en glaciologie une avancée brutale, rapide - quelques dizaines ou centaines de mètres par jour - et brève - de quelques heures à quelques semaines - d’un glacier sur des distances significatives. Ce processus est lié à la fois à l’accumulation de glace et à l’accumulation significative d’eaux internes ou sous-glaciaires qui vont lubrifier le contact avec la roche et permettre ainsi l’accélération de l’avancée gravitaire de la glace. Ce phénomène spectaculaire se traduit par la création de nombreux lobes et circonvolutions dans la partie terminale du glacier.  

Comme l’illustre l’image, les glaciers affectés de surges glaciaires sont nombreux : Agassiz Glacier, Lower Seward et Marvine Glacier en 1987/1988, puis entre 1999 et 2002, Variegated Glacier, zoom 4). Ces surges de grande ampleur semblent liés à la forte hausse des précipitations littorales durant la période. Sur le Glacier Malaspina lui-même, les plis spectaculaires - bien visibles sur l’image - semblent par contre globalement associés au fluage normal de la glace qui présente ici une réelle plasticité.


Zoomes d'étude

 

Zoom 1. Les hautes chaines et plateaux alimentant les glaciers

Dans cet espace de hauts plateaux englacés apparaissent des crêtes dominées par des hauts sommets. Ces hauteurs glacées sont particulièrement inhospitalières, et donc désertiques. On peut identifier sur l’image le Mt Eaton (3.227 m), le Mont Augusta (4.289 m) ou le Mt St Elias (5.489 m) qui servent de repères pour tracer au cordeau comme « Boundary Peak » la frontière entre les deux États.  Au plan morphologique, une analyse de détail fait bien apparaitre les crevasses et les séracs, qui sont liés à une déformation cassante de la glace du fait de la pente, du passage d’un seuil ou d’un verrou topographique.

Cette zone d’accumulation glaciaire donne naissance au nord au Seward Glacier qui constitue en fait le principal bassin d’alimentation du Malaspina Glacier ; avec au total un même glacier changeant de nom lorsqu’il aborde la plaine littorale. L’image couvre le couloir étroit par lequel passe la glace pour rejoindre la plaine littorale. Tombant de 1.400 à moins de 700 m. d’altitude sur une courte distance, c’est dans cette vallée creusée entre les Samovar Hills et les Hitchcock Hills que la vitesse d’écoulement de la glace est la plus rapide. On constate à l’ouest sous les Samovar Hills l’importance des moraines qui témoignent des processus d’érosion à l’œuvre. A l’ouest, l’Agassiz Glacier, alimenté par le Newton Glacier du haut plateau, vient compléter le système du Malaspina. Mais d’une puissance beaucoup plus faible, il est rejeté par celui-ci vers l’ouest.


 


Les hautes chaines et plateaux

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 2. Le haut du glacier Malaspina, l’entrée et l’étalement dans la plaine littorale

Le Malaspina : un géant de piémont

En haut de l’image, dans l’étroit couloir entre les Samovar Hills les Hitchkok Hills, le flux de glace quitte le plateau glaciaire pour déboucher sur la plaine littorale : l’écoulement y est très rapide, en moyenne de 4 à 5 m. d’avancée par jour. Puis une fois arrivée dans la plaine littorale, la vitesse de la glace se réduit fortement et devient de plus en plus différenciée : elle n’est plus que de de 0,5 à 1 m dans l’axe central au centre de l’image, mais seulement de 0,5 m. à l’est au contact du Marvine Glacier.

Face à la résistance rencontrée, la glace du Malaspina se met à onduler comme en témoignent les stries bien identifiables à l’est. On y voit en effet se multiplier les ogives, un terme qui désigne en glaciologie les bandes grises en forme de paraboles générées par la dynamique d’écoulement aboutissant à une déformation progressive. En effet, si la partie centrale du glacier s’écoule plus vite, le glacier est confronté dans ses zones latérales au frottement des parois et à une certaine résistance qui freine et désorganise pour partie son écoulement.

L’image témoigne bien aussi des énormes masses de moraines arrachées aux montagnes qui participent du vaste processus d’érosion. Dans le cycle érosion/ transport/accumulation, nous sommes à la fois selon la zone soit dans le processus de transport, soit dans le processus de dépôt/ accumulation.  Les formes du Marvine Lobe à l’est et de l’Adassiz Glacier à l’ouest soulignent l’importance des surges dans l’organisation et la forme de certaines parties des glaciers, en particulier terminales.

Trois stades d’évolution des glaciers

Un des intérêts de cette image tient enfin dans la juxtaposition de trois situations glaciaires très différentes. Au centre, le Malaspina Glacier encore bien alimenté demeure dynamique. A l’ouest, l’Agassiz Glacier témoigne d’une situation intermédiaire : si le haut du glacier demeure actif, la partie terminale dans la plaine est dorénavant couverte par les moraines terminales et est en sensible voie de rétraction du fait d’un bilan devenu problématique. A l’est enfin, le Marvine Glacier n’est plus que l’ombre de lui-même, c’est dorénavant un glacier rocheux qui témoigne d’un fort recul dû à un bilan structurel fortement négatif.

Une analyse plus fine d’échelle locale témoigne en particulier de l’importance des « gouffres thermokarstiques », qui forment localement des creux de plusieurs dizaines de mètres de profondeur occupés par les eaux de fonte ; ils sont créés par la fonte locale de puissantes poches de glace. Un phénomène qui là encore sert de marqueur aux impacts du changement climatique.

 


Le haut du glacier Malaspina

 

 


Doc 4. Lieux repères : Zoom 2

 

 

 

Zoom 3. Le fort recul de la langue terminale au contact avec la mer  

Nous sommes ici dans la plaine littorale dans laquelle le Malaspina Glacier s’étale très largement et où le bilan est largement négatif du fait d’une fonte massive des glaces liée à l’élévation des températures depuis plusieurs décennies.

Front du glacier en recul et moraines frontales

Dans cette basse plaine d’épandage, les dépôts et morphologies fluvio-glaciaires sont bien visibles : vaste sandur, surcreusement des kettles, cordons morainiques trés puissants, esker…..

Le processus de recul est rendu particulièrement visible du fait d’une belle succession de vastes bourrelets de la grande moraine frontale qui s’accumulent du rivage vers l’intérieur du glacier. Selon les lieux, on peut en compter quatre ou cinq. Chacun d’eux scande une période de recul et puis de stagnation du front glaciaire. La comparaison entre l’image satellite Sentinelle et la carte topographique témoigne de sept décennies d’évolution : le recul est particulièrement marqué entre le Cap Stikagi, à l’ouest, et la Pointe Manby, à l’est.

En effet, lorsqu’un glacier avance, la glace balaie et emmène les matériaux détritiques arrachés aux reliefs, sur le fond avec les moraines de fond, sur les côtés avec les moraines latérale ou sur l’avant avec les moraines frontales. En phase de stagnation ou de recul, ce processus d’abrasion s’arrête au profit d’un processus d’accumulation sur place des débris transportés. Plus le glacier stagne au même endroit, plus sera important le cordon de roches ceinturant l’avant de la langue glaciaire. C’est en effet dans cette zone basse proche de l’océan, donc moins froide, que le processus de fonte du glacier est le plus rapide et le plus sensible.   

Recul glaciaire et naissance d’une plaine littorale

L’évolution de la morphologie de la plaine littorale est à cet égard intéressante. A l’ouest, vers le Cap Stikagi, les lacs de surcreusement et de barrages morainiques alimentés par les eaux de fonte sont encore nombreux car le recul est assez récent. A l’est au contraire, un vaste sandur - un terme d’origine islandaise qui définit une vaste plaine d’épandage d’alluvions fluvio-glaciaires dans les espaces périglaciaires - se déploie au nord de la Pointe Manby présente un stade de maturité beaucoup plus avancé.

Il est colonisé par une végétation arborée assez basse de type périglaciaire (toundra plus ou moins avancée...). Enfin, les eaux littorales sont colorées par le panache des matériaux fins (sables, graviers) apportés par les rivières issues du glacier.  

 


La langue terminale du glacier Malaspina

 

 


Repères géographiques

 

 


1951 / 2021

 

 

 

Zoom 4. Au Sud-Est, le lac de fonte et la disparition du glacier latéral

La création du Malaspina Lake

La région est du Malaspina Glacier permet d’étudier les transformations morphologiques et paysagères liées au recul glaciaire dans les hautes latitudes. A cet égard, la comparaison entre l’image satellite Sentinelle de 2021 et la carte topographique de 1951 est fort instructive.

Au bord de la mer, on assiste à une sensible régression du glacier dans la zone de fonte et d’évaporation située à l’avant du glacier comme en témoigne l’extension considérable du Malaspina Lake en quelques décennies. Le paysage régional a été totalement bouleversé par la création d’un lac d’environ 80 km2, de forme presque rectangulaire. Bloquées par un bourrelet de moraines déposées par le Malaspina, ses eaux s’évacuent à l’est vers la mer par un émissaire bien visible sur l’image.

Colonisation végétale et faunistique, développement de la grande chasse sportive

Si à l’échelle mondiale ou continentale la fonte des glaciers arctiques peut être analysée comme potentiellement très grave du fait de l’élévation du niveau général des mers du globe qu’elle va à terme induire, à l’échelle locale le processus de recul des glaces permet à l’heure actuelle dans les plaines d’épandage situées à l’avant du glacier à la végétation de reconquérir progressivement l’espace délaissé par le glacier.

Le processus de colonisation végétale, y compris forestier (cf. 17 % de conifères, 6 % de feuillus, 23 % de buissons et arbrisseaux), est particulièrement visible sur l’image à l’est au-dessus du Malaspina Lake et sur la bordure littorale qui borde la langue principale. Ce territoire est progressivement donc colonisé par la flore et la faune arctique ou péri-arctique ; c’est en particulier le paradis des ours qui y trouvent une abondante nourriture grâce aux rivières à saumons qui s’y développent.

C’est d’ailleurs pourquoi toute la zone comprise entre la Pointe Manby et la Baie du désenchantement et le littoral et la retombée directe du Glacier Malaspina (cf. Boundary Follows Edge of Glacier) a été ouverte comme « terrains de chasse sportive » dans le cadre du Parc National Wrangell St Elias.  Au Canada comme aux États-Unis, la chasse à la grande faune sauvage arctique, péri-arctique ou boréale, en particulier les ours, demeure recherchée et souvent fort lucrative. Elle peut aussi par les prélèvements effectués participer à la gestion des stocks.  

La disparition Lucia Glacier, le sensible recul du Marvine Glacier

Enfin à l’est, l’image couvre la région du Marvine Glacier et du Lucia Glacier. Nous sommes là face à deux stades différents de disparition d’un glacier arctique. Comme en témoigne la comparaison entre l’image Sentinelle et la carte topographique, le Lucia Glacier qui couvrait en 1951 une surface considérable s’est largement rétracté vers le nord pour laisser la place à un vaste piémont d’épandage en voie de colonisation végétale. D’une taille autrement plus importante, le Marvine Glacier est confronté à un processus semblable. Les morphologies assez chaotiques des langues glaciaires témoignent de l’impact des surges glaciaires, dont les pulsations sont associées aux effets, comme nous l’avons vu, du changement climatique. Couvert de dépôts morainiques, le glacier est devenu un glacier rocheux alors que les lacs de thermokarsts sont nombreux.

 


Le lac de fonte

 

 


Repères géographiques

 

 


L’apparition puis le développement du Malaspina Lake (11 km/7 km) à la place du glacier

 

 


La disparition du
Lucia Glacier et le recul latéral du Glacier Malaspina

 

 


En bordure du Malaspina Glacier, la définition d’un zone ouverte à la chasse sportive

 

 

 

Zoom 5. Le Glacier Hubbard dans la Disenchantment Bay

Cette image couvre toute la partie est du système du Malaspina Glacier. La côte à fjords, terme qui désigne une ancienne vallée glaciaire envahie par la mer, est bien marquée avec la présence de la magnifique Baie du Désenchantement et le puissant Russell Fjord.   

La Disenchantment Bay est la traduction directe de « Puerto del Desengano » donné en 1792 par Alessandro Malaspina - un explorateur italien au service de l’Espagne - à ce prolongement vers le nord-est de la Yakutat Bay lors de son expédition circumterrestre de 1789/1794. Pour sa part, le Russel Fjord porte le nom d’Israel C. Russell (1852/1906), un géologue et géographe de l’USGS étasunienne qui étudia et explora la région à la fin du XIXe.

Les Icefield Ranges, dominées par les Monts Seattle (3.150 m.) et Foresta (3.353 m), sont bien visibles, tout comme les puissants glaciers (Turner, Valerie) qui est descendent. A l’ouest, le « petit » Variegated Glacier, de 20 km de long, est sans doute l’un des glaciers les plus étudiés au monde. C’est en effet par excellence le modèle du surge-glacier, certains surges s’y traduisant par des avancées de plus de 6 km comme en témoigne la structure bouleversée de sa langue terminale.

Mais l’attention est surtout attirée par le magnifique Hubbard Glacier qui, partant d’un plateau situé à 900/1.000 m., s’étale majestueusement dans la Disenchantment Bay ou ses glaces se mélangent aux eaux de l’océan Pacifique. Le glacier Hubbard occupe encore en effet une partie du fjord et il voit régulièrement se détacher de son front des petits icebergs, on appelle ce processus le vêlage. Il est alimenté en rive droite par le glacier Valérie qui descend du Mont Cook. Le processus d’érosion glaciaire est ici bien visible : à la rencontre des deux glaciers s’identifie une longue marque noire qui correspond aux deux moraines latérales qui se fondent ensuite en une seule dans la partie centrale.

 


Le Glacier Hubbard

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 6. Le village petit village de Yakutat : un isolat humain dans un désert subarctique

Un isolat littoral en position d’abri dans un milieu subactique

Enfin, dans l’angle sud-est de l’image au sud de la zone des fjords, se déploie une étroite plaine littorale. Face au Malaspina et sur la rive est de la baie de Yakutat se trouve le petit village de Yakutat situé à 21 m d’hauteur. Il n’est pas directement sur le bord de mer, mais en position d’abri derrière un cap et un rideau d’iles qui le protège du grand large.

Ce bout du monde est relié au reste de l’Alaska par une route très rectiligne et par un petit aérodrome, bien visibles sur l’image. Il est desservi par des vols journaliers vers Anchorage, la principale agglomération de l’Alaska, et Juneau, la capitale littorale de l’État Fédéré d’Alaska située 341 km au sud-ouest. Ces deux infrastructures ont été réalisées par l’armée des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale pour des raisons stratégiques. Rappelons en particulier que dans ces terres marginales et pionnières, l’Alaska ne fut élevé au rang d’État fédéré des États-Unis qu’en janvier 1959.

Sa position littorale lui permet d’échapper aux froids extrêmes des hautes terres. Bien que situé en climat subarctique, le village bénéficie en effet de l’influence littorale : absence de pergélisol, végétation et forêt…. Les précipitations y sont très abondantes avec 3,94 mètres durant une moyenne de 240 jours par an. La neige - 381 cm par an - est présente 64 jours par an, de novembre à avril. La moyenne de janvier est de seulement – 2,2°C, celle de juillet de + 12,4°C. Pour autant, certains épisodes peuvent s’avérer glacés (- 31°C en décembre 1964, - 18°C en aout 2004). Sur cette image prise début septembre, la neige couvre encore les hauteurs environnantes.   

Un territoire autochtone tourné vers la pêche et le tourisme

Le nom du lieu d’origine tlingit renvoie au rôle important des Peuples Premiers dans la région (Athabaskan, Eyak, Tlingit, Native American : 40 % pop. locale), même si les premières implantations russes date de 1796 et si le navigateur français La Pérouse visita la baie en 1786. En 1805, un petit fort construit par la Russian American Compagny - qui rappelle que l’Alaska fut sous contrôle russe jusqu’à sa vente par Moscou aux États-Unis en 1867 – est détruit par les Tlingits à la suite de conflits sur l’accès aux zones de pêche traditionnelles dans ces eaux très riches et poissonneuses. Aujourd’hui encore, les permis de pêche accordés dans ces eaux constituent une manne financière importante. Au plan maritime, Yakutat est en effet une des 14 régions des Commercial Salmon Management Areas définies par le Department of Fish and Game de l’État fédéré d’Alaska.  

Ce petit village de 600 habitants se caractérise comme dans de nombreux espaces pionniers par une sensible déformation des équilibres entre hommes et femmes : pour 100 femmes de plus de 18 ans, on compte 162 hommes. C’est le seul pôle d’occupation humaine de l’image. Au total, nous sommes ici dans une zone désertique marginale et sous-peuplée du fait des très fortes contraintes des milieux : la densité moyenne sur l’ensemble de l’image doit être inférieure 0,02 habitants/km2.

D’une taille de 24.500 km2, ce comté – redécoupé et réorganisé en 1992 - est par sa taille l’un des plus grands des États-Unis. Si le village de Yakutat est largement tourné vers la haute mer, l’accès vers l’intérieur est beaucoup plus difficile. Le contact entre la Baie de Yakutat et les Fjords de Russell et Nunatak au centre-est est rendu souvent délicat du fait du vêlage des icebergs du glacier Hubbard qui peuvent créer des vagues dangereuses pour la navigation.    

Ces dernières décennies un effort particulier a été réalisé pour accompagner le développement touristique de la région : observation des macareux et des oiseaux marins, des phoques et des baleines par des petits bateaux de croisière, cayaking, pêche sportive, survol aérien des glaciers et du littoral, randonnée et alpinisme... Le développement de la recherche scientifique dans la région, en lien avec les études sur l’impact du changement climatique, assure aussi à cette communauté des retombées parfois non négligeables.   

 


Le village de Yakutat

 

 


Repères géographiques

 

 

Image complémentaire

 


 

Le Malaspina dans son cadre régional

 


Repères géographiques

 

 

Documents complémentaires

Documents complémentaires en lignes

Site Géoimage : études de territoires alaskaiens

États-Unis - Alaska - Le delta du Yukon et le Yukon Delta National Wildlife Refuge, la mise sous cloche de la wilderness
/geoimage/alaska-le-delta-du-yukon-et-le-yukon-delta-national-wildlife-refuge-la-mise-sous-cloche-de

États-Unis - Alaska - Le Mont Denali : glaciers, parc national, wilderness et changement climatique
/geoimage/alaska-le-mont-denali-glaciers-parc-national-wilderness-et-changement-climatique

Alaska. Petersburg : un littoral de montagnes, de fjords et de glaciers des hautes latitudes froides dopé par la grande pêche.
/geoimage/alaska-petersburg-un-littoral-de-montagnes-de-fjords-et-de-glaciers-des-hautes-latitudes

Yukon – Whitehorse : un nœud névralgique du Grand Nord canadien et alaskaïen.
/geoimage/yukon-whitehorse-un-noeud-nevralgique-du-grand-nord-canadien-et-alaskaien

États-Unis - Alaska : Prudhoe Bay, les hydrocarbures du Grand Nord entre épuisement, relance et développement durable
/etats-unis-alaska-prudhoe-bay-les-hydrocarbures-du-grand-nord-entre-epuisement-relance-et

Documents en lignes

Alaska. Carte du Wrangell St Ellias National Park
http://www.alaska.org/assets/content/maps/wrangell-st-elias-national-park-map.pdf

Carte de gestion du Malaspina
https://www.nps.gov/wrst/learn/management/upload/Malaspina-Forelands-Park-and-Preserve-Boundary.pdf

Site du Parc national de Wrangel St Elias
https://www.nps.gov/wrst/index.htm

Alaska. Départements des pêches (saumons…). Cartes et statistiques.
http://www.adfg.alaska.gov/index.cfm?adfg=fishingCommercialByFishery.statmaps

Site avec de belles cartes des reliefs
http://www.shadedrelief.com

Cartes géologiques

https://www.nps.gov/subjects/geology/geologic-resources-inventory-products.htm

Études et articles scientifiques

University of Alaska - Faibanks / Geophysical Institute
https://www.gi.alaska.edu

International Glaciology Society
https://www.igsoc.org

Cambridge Journal / Glaciologie
https://www.cambridge.org/core/journals/annals-of-glaciology

Site de la Nasa. Montage sur les mouvements du Malaspina (1986/2000)
https://earthobservatory.nasa.gov/images/145574/malaspina-on-the-move

Sixty Years in the Life of Denali's Muldrow Glacier (1952 to 2010)
https://www.nps.gov/articles/000/dena-muldrow-monitoring-to-2010.htm

Cotton M.M., Bruhn R.L. et alii, 2011, Remote sensing and modeling of sub-glacier geomorphology: The role geological structures play in controlling the geometry and dynamics of ice flow on the Malaspina Glacier, AK
Https://www.researchgate.net/publication/258460663_Remote_sensing_and_modeling_of_subglacier_geomorphology_The_role_geological_structures_play_in_controlling_the_geometry_and_dynamics_of_ice_flow_on_the_Malaspina_Glacier_AK

Muskett R.R., Lingle C.S et alii : Surging, accelerating surface lowering and volume reduction of the Malaspina Glacier system, Alaska, USA, and Yukon, Canada, from 1972 to 2006, Journal of Glaciology, Vol. 54, n°188/2008.

Francou Bernard et Vincent Christian : Les glaciers à l’épreuve du climat (voir chap. 6., p. 111-153), IRD Éditions, Paris.

Bibliographie de l’auteur

Laurent Carroué : Atlas de la mondialisation. Une seule terre, des mondes. Coll. Atlas, Autrement, Paris, 2020.   

Laurent Carroué : Géographie de la mondialisation. Crises et basculements du monde, coll. U, Armand Colin. 2019.


Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation, du Sport et de la Recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique de l’Université Paris VIII.