Taredji : Waalo et Jeeri, diversité des pratiques agricoles en zone sahélienne au Sénégal

La ville de Taredji se situe au nord du Sénégal, à quelques 200 km de Saint-Louis à l’intérieur des terres, à proximité de la frontière mauritanienne. La rivière Doué, un défluent du fleuve Sénégal, coule à proximité. Territoire sahélien peuplé à près de 80% par des populations dont la principale ressource repose sur l’agriculture, la région de Taredji illustre bien des enjeux du développement agricole en zone sahélienne entre les territoires du Nord, de l’agriculture de décrue et irriguée du Waalo et ceux du Sud, de l’élevage extensif et des cultures sous pluie du Jeeri.

 

 

Légende de l'image

Cette image a été prise par le satellite Pléiades 1A le 24/04/2012. Il s’agit d’une image en couleur naturelle, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m. La date du 24 avril se situe en fin de saison sèche.

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Présentation générale de l'image

Au nord du Sénégal, en grande partie sur la rive gauche du fleuve du même nom, la région du Fuuta Tooro constitue un milieu caractéristique de la bande sahélienne en Afrique occidentale. A la frontière mauritanienne, cet espace est marqué par une aridité certaine (moins de 400mm/an), une saison des pluies bien définie (90% sont concentrées en août et septembre pour une moyenne de 30 jours de pluie/an) correspondant à la zone la plus septentrionale du phénomène de mousson guinéenne. Cette régularité saisonnière s’accompagne en revanche d’une forte variabilité du total des précipitations puisqu’ à Podor, la ville principale de cette région, il a atteint un maximum de 793mm en 1955 et un minimum de 65mm en 1984. L’insécurité face à l’approvisionnement en eau pour les populations locales constitue un des premiers enjeux de développement et d’aménagement pour les habitants. En effet, quelle que soit l’irrégularité des pluies en saison humide, la saison sèche le reste de manière constante en raison de la présence de l’alizé continental venant du Sahara, l’Harmattan.
La rive gauche du fleuve Sénégal est peuplée à plus de 80% par des agriculteurs et ce depuis des siècles puisque cette région a vu se succéder quelques-uns des plus brillants Empires africains (l’Empire du Ghana vers le VIIème siècle, l’Empire du Mali entre le XIème et le XIVème siècle, l’Empire Songhaï au XVIème siècle). Les individus ont donc toujours su s’adapter aux contraintes climatiques difficiles de ce territoire et mettre en place des aménagements agricoles permettant le développement de sociétés structurées.
En fondant leurs activités principales sur l’agro-pastoralisme, les déplacements saisonniers permettant de surmonter les périodes de sécheresse, cette région du nord du Sénégal traduit tout à fait une organisation du territoire dans un milieu pour le moins contraignant et difficile. Deux terroirs sont voisins et historiquement complémentaires : au nord de cette image, la Waalo (zone traditionnelle de cultures de décrue progressivement gagnée par les champs irrigués) et au sud de cette image, le Jeeri (zone d’élevage et de cultures sous pluie). Les Toucouleurs, un groupe d’origine peule métissée, sont dominants dans le Waalo et les pasteurs Peuls le sont dans le Jeeri : ces 2 groupes, dont les modes de pratiques de l’activité agricole diffèrent, sont historiquement liés puisque les deux sont des Haalpulaaren, littéralement « ceux qui parlent pulaar ».

Les zooms d'étude

 

Taredji et la coupure entre le Waalo et le Jeeri

L’image traduit la coupure en deux de ce territoire sahélien. On voit nettement que les ressources en eau se situent dans la partie Nord de l’image, la partie Sud présentant un aspect beaucoup plus sec. L’explication n’est pas liée aux régimes pluviométriques mais à la proximité du fleuve Sénégal dont le Doué est un défluent.
Le Waalo est une plaine alluviale dont les sols proviennent des dépôts sédimentaires du Sénégal ou du Doué. Cette zone est traditionnellement associée à la culture de décrue et son exploitation obéit donc au rythme des saisons (sèche et humide). Pour autant la différenciation est plus complexe pour les populations locales. D’origine peule mais métissée, les Toucouleurs sont le groupe dominant dans le Waalo. Ils distinguent 5 saisons qui traduisent bien comment l’occupation du Waalo est liée à la pratique agricole : de novembre à février, dabbundé est une saison sèche et froide pendant laquelle se récoltent les cultures de décrue. De mars à mai, ceedu constitue la saison sèche et chaude (l’image ci-contre date du 24 avril). De juin à mi-juillet, déminaré est la saison des premières pluies pendant laquelle les champs de culture de décrue sont préparés. De mi-juillet à septembre, nduungu est la période des pluies que les premiers colonisateurs appelaient « saison des moustiques » (Caillié, 1830). Enfin d’octobre à novembre, kawlé est la période pendant laquelle sont ensemencées les cultures de décrue qui seront récoltées sur la saison dabbundé suivante (TOURAND, 2000). En raison de cette activité agricole dominante, la zone du Waalo est occupée par des villages d’agriculteurs que les évolutions agricoles récentes avec le développement de l’irrigation vont venir renforcer. 
La partie Sud de l’image est composée du Jeeri. Elle est peuplée par des pasteurs semi-nomades Peuls dont l’activité principale réside dans l’élevage. Ces populations se déplacent en fonction des saisons. La saison humide permet d’accéder à des réserves sylvo-pastorales (non visibles sur cette image). La saison sèche occasionne plutôt des échanges avec la région Nord puisque les troupeaux sont amenés à proximité de la rivière pour s’abreuver. Il est à noter que ces populations du Jeeri possèdent pour une grande partie d’entre elles des terres cultivables dans le Waalo : pendant les périodes de cultures de décrue, les pratiques agricoles traditionnelles les amenaient donc à quitter leur village pour aller s’installer sur les bords du fleuve. L’introduction de l’irrigation est donc venue modifier une organisation du territoire traditionnelle dans laquelle espaces liés à l’élevage et à la culture végétale étaient parcourus par des peuples aux relations nombreuses et variées (culturelles et commerciales en particulier).

 

 

Taredji-Mbantou, une agriculture traditionnelle de décrue dans la Waalo

 

des cultures de décrue traditionnelle

Sur l’image, on remarque une succession d’enclos de taille assez réduite. La couleur brune du sol montre une présence supérieure en argile et/ou matière organique du sol. La deuxième image montre comment ces enclos sont situés dans une zone basse (en jaune) par rapport à des terrains voisins plus hauts (en marron). Cette zone protégée par des ligneux et/ou épineux, se situant en zone basse en relation directe avec la rivière et présentant les caractéristiques d’un sol manifestement plus riche que les terrains voisins témoignent de la mise en place d’une culture de décrue dans cette région du Sahel.
 Ces cuvettes de décrue, appelées localement  kolangal, présentent des sols argileux (hollalde) en raison de la décantation des eaux de décrue : ils peuvent atteindre entre 0.5m et 3m d’épaisseur (IRD Editions, 2008). 
La présence des enclos de protection s’expliquent par les risques occasionnés par les troupeaux au moment de la poussée des cultures végétales. Dans cette région du fleuve Sénégal, les cultures traditionnelles sont celles du sorgho de décrue (le samme). La pomme de terre douce, le niébé ou la courgette complètent la gamme des productions de décrue. Le fonctionnement des cultures de décrue n’est pas essentiellement dû aux précipitations locales : les inondations du fleuve Sénégal et de ses défluents dans cette région du Waalo s’expliquent plus par les fortes précipitations observées plus en amont, dans le Fouta Djalon guinéen que localement. La submersion doit être suffisamment importante (4 à 5 semaines) mais l’eau doit se retirer avant le retour des vents chauds afin de permettre la floraison du sorgho. Toutes ces contraintes expliquent l’irrégularité des surfaces cultivées et donc la fragilité potentielle des récoltes. Le développement des cultures irriguées peut donc constituer une solution alternative. Globalement, la période de crue s’étend sur Septembre et Octobre et celle de décrue sur Novembre et Décembre.

 

topographie des cultures de décrue

Cette image a été réalisée en superposant l’image satellitaire et un Modèle Numérique de Terrain (MNT). Il s’agit d’une représentation numérique des valeurs d’altitude du relief. Ainsi les couleurs déterminent les différences d’altitude sur ce territoire sahélien. Le positionnement des cultures de décrue dans les zones basses en relation avec la rivière montre bien l’existence d’un chenal privilégié de crue. Cette submersion permet le développement des cultures dans cette zone, de sorgho par exemple. Les dunes sableuses plus élevés qui la jouxtent n’offrent pas les mêmes possibilités.

 

 

 

Taredji/Guédé-Village, un village touché par l’irrigation des cultures

Dès le XIXème siècle, la colonisation française a essayé de développer l’irrigation dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal (en particulier dans la région de Richard-Toll). Les résultats étant médiocres, cette technique agricole demeura limitée. C’est avec l’indépendance que cette agriculture connait un retour en grâce puisqu’en 1965, la toute jeune république sénégalaise confie à la SAED (Société Nationale d’Aménagement et d’Exploitation des Terres du Delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé) le soin d’aménager les terres agricoles au long du fleuve Sénégal. En développant principalement la riziculture irriguée, l’objectif initial de la SAED était double : assurer une moins grande dépendance du Sénégal vis-à-vis des importations de riz en approvisionnant les grands foyers de peuplement littoraux ainsi qu’assurer aux populations locales de la région du fleuve une autosuffisance alimentaire. Pour répondre au  premier objectif, la SAED a développé les « grands périmètres irrigués » alors que le second objectif s’est appuyé sur « les périmètres irrigués villageois ». La création du barrage de Manantali au Mali quelques 650 km en assure une gestion de l’eau permettant de limiter les risques dus à des précipitations irrégulières.
L’image ci-contre démontre comment à partir de la Rivière Doué, un canal d’irrigation permet l’approvisionnement en eau des terres cultivées dans la communauté de Guédé Village : ces investissements ont été lourds puisque dans la première phase des travaux d’irrigation menées par la SAED, le coût à l’hectare variant de 1 millions de francs CFA (périmètres villageois)  à 6 millions francs CFA (grands périmètres irrigués) (NB : les chiffres donnés sont ceux après la dévaluation du FCFA).  L’image ci-contre se situe dans le Grand Périmètre irrigué de Guédé-Village.
Pour autant, la crise alimentaire mondiale de 2008 a conduit le pays à rechercher une augmentation de sa production agricole, le président Macky Sall faisant de la hausse de la production un des axes majeurs de sa campagne électorale de 2012. Les chiffres de 2017 montrent une hausse de production de 20% pour les céréales (7% pour le riz). A ces fins, de nouveaux partenariats voient le jour : ainsi, dans la région de Taredji, la  KOICA (l’Agence Coréenne de Coopération Internationale) est venue financer et accompagner le développement de la riziculture pour un montant de 8.5 millions de dollars (programme de 3 ans, 2016-2019). 
La valorisation primaire en 2016 des productions rizicole et maraîchère au Sénégal, en termes de chiffres d’affaires, est estimée 137,7 millions d’euros dont 89,6 millions pour le riz et 48 millions pour les cultures maraîchères (tomates et oignons).

 

 

Taredji-Donaye, colonisation agricole et évolutions sociales

La structure villageoise présente sur cette image témoigne du développement de l’agriculture irriguée dans ces territoires de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. La géométrie de la structure villageoise, l’homogénéité des bâtiments d’habitation, l’utilisation de matériaux modernes pour leur construction témoignent d’un village récent, installé de manière planifié et sur une période assez courte : il s’agit donc d’une nouvelle implantation villageoise en relation avec le développement agricole, d’un territoire de colonisation agricole. D’ailleurs, l’environnement agricole et l’irrigation sont visibles sur cette image : les parcelles sont clairement définies et la couleur rouge témoigne d’une activité végétale active alors que l’image date du 24 avril 2012, soit une date antérieure à la saison des pluies : les apports en eau à l’origine de ces cultures ne peuvent donc provenir que de l’irrigation. 
Socialement, la prise d’importance de l’irrigation par rapport aux cultures de décrue a occasionné des bouleversements dans l’organisation sociale des territoires de Waalo : en effet, traditionnellement, l’accès aux meilleures terres, aux cuvettes de submersion aux sols riches, était réservé aux groupes sociaux supérieurs (les torodo), les classes inferieures devant se contenter de terres moins favorables. A partir des années 1970, les parcelles irriguées ont modifié cette organisation sociale puisque la terre a été distribuée de manière égalitaire, sans rapport avec les anciennes hiérarchies ou castes (IRD Editions, 2008). L’homogénéité du bâti sur cette image traduit bien cette modification dans la mesure où tous les exploitants agricoles, quel que soit leur statut social, ont obtenu un logement aux caractéristiques identiques.

Il s’agit d’une image en composition colorée « fausse couleur » de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m. Cette image permet de mettre en évidence l’information enregistrée par le satellite dans le Proche infra-rouge. Elle donne une information supplémentaire à celle de l’œil humain. La couleur rouge correspond à des espaces végétaux ayant une activité chlorophyllienne, les espaces sombres correspondent à des espaces en eau ou humides. On note donc sur cette image la présence de cultures en pleine pousse (couleur rouge) alors que la saison sèche n’est pas encore terminée : ces cultures sont donc irriguées. Pour en savoir plus sur les compositions  colorées « fausse couleurs», rendez-vous sur le site Enseignants et Médiateurs du CNES, à la rubrique Terr’Image.

 

 

Taredji, le village de Nenet, un village du Jeeri

Comme celui de Nenet présenté sur cette image, les villages du Jeeri sont peuplés par des pasteurs appartenant dans cette région aux populations Peuls. Selon la Banque Mondiale, le Sahel accueille 16 millions des 50 millions de pasteurs du continent africain.
De multiples preuves sur l’image démontrent l’existence d’une activité d’élevage majeure On note la présence de nombreuses pistes tracées par les troupeaux (a), la présence répétée d’enclos de protection pour les cultures proches des habitations (b) et l’existence même de troupeaux que la résolution de l’image semble permettre de mettre en avant (c). Cette activité pastorale semble se concentrer à la date de la prise de vue dans le village de Nenet : en effet, le 24 avril, la saison des pluies n’a pas commencé et les bêtes sont abreuvées à proximité du puits/forage (d) qui permet le remplissage d’un système d’abreuvoir (e). Une image de la saison des pluies montreraient d’ailleurs un village dans lequel les troupeaux auraient disparu et que les pasteurs auraient amené paître dans des réserves sylvo-pastorales à proximité des villages. Si le processus de sédentarisation de ces populations est à l’œuvre (présence d’un puits, volonté du gouvernement sénégalais de contrôler les déplacements de population à proximité de la frontière avec la Mauritanie), le semi-nomadisme afin de mener les troupeaux vers des pâturages plus éloignés des villages fait toujours partie de la vie des populations Peuls.
On note également sur cette image la présence à proximité des maisons de tâches de couleur noire (f) : il semble donc qu’à l’abri de barrières, des sols plus riches et/ou humides, soient présents dans les enclos familiaux. On peut y voir le développement possible dans ces villages de pasteurs de cultures vivrières basées sur le maraichage et rendues possibles par la présence d’un point d’eau. 
Outre les échanges avec les cultivateurs des terres du Waalo, beaucoup de pasteurs semi-nomades possèdent également des parcelles sur les en bordure du fleuve Sénégal ou de la rivière Doué. Ainsi, en période de crue, ces populations se déplacent vers le nord, abandonnant pour un temps l’activité pastorale et se consacrant à la culture végétale. Le développement de l’irrigation a tendance à freiner cette pratique puisqu’à l’inverse des cultures de décrue, son développement implique une présence et un entretien à l’année des cultivateurs.

Il s’agit d’une image en composition colorée « fausse couleur » de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m. Cette image permet de mettre en évidence l’information enregistrée par le satellite dans le Proche infra-rouge. Elle donne une information supplémentaire à celle de l’œil humain. Les espaces sombres correspondent à des espaces en eau ou humides. On note donc sur cette image la présence de zones humides à proximité du puits (d). On note également une multitude de tâches d’humidité à l’intérieur des enclos propres à chaque habitation qui permettent de laisser supposer de petites cultures maraichères (f). En rouge, on relève la présence de structures végétales actives (acacias par exemple). 
Pour en savoir plus sur les compositions  colorées « fausse couleurs», rendez-vous sur le site Enseignants et Médiateurs du CNES, à la rubrique Terr’Image.

 

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Sénégal : Taredji : Waalo et Jeeri, deux territoires sahéliens aux activités complémentaires

Contributeur

Vincent DOUMERC, professeur agrégé de géographie, Lycées Saint-Sernin et Fermat (Toulouse)