A l’extrême nord-ouest de la Russie, au-delà du cercle polaire, au fond d’un profond fjord, Mourmansk est une ville militaire, industrielle et logistique de plus de 300 000 habitants. Ce port situé dans la presqu’île de Kola a été créé en 1915 pour permettre un débouché russe sur la mer de Barents et l’océan Arctique. Dans les années 1980, Mourmansk devient la base militaire la plus importante de la Flotte du Nord et accueille la moitié des sous-marins russes. Aujourd’hui encore, c’est un port majeur et une base stratégique pour Moscou. Il sert en effet de tête de réseau à Route maritime du Nord qui organise la valorisation de tout l’immense littoral arctique et abrite à ce titre les brise-glaces à propulsion nucléaires de l'Arctique russe. C’est aussi une importante base industrielle qui connait de graves problèmes de pollution.
Légende de l’image satellite
L'image de l'Oblast de Mourmansk, située en Russie, a été prise par le satellite Sentinel 2A le 17 août 2018. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Ci-contre, la même image satelitte prise par Sentinel-2A, présente quelques repères géographiques de la région de Mourmansk , sur la rive orientale de la baie de Kola, dans la mer de Barents.
Mourmansk
Présentation de l’image globale
Mourmansk : la plus grande ville arctique au monde et
un port militaire stratégique
Une situation et une fonction stratégiques : la fenêtre océanique arctique russe
À plus de 1 300 km au nord de Saint-Pétersbourg sur le 68°58 degrés de latitude Nord, Mourmansk est la plus grande ville au monde située au nord du cercle polaire Arctique. Comme le montre l’image, nous sommes ici aux limites entre la taïga (forêt boréale) au sud, dont il ne reste que des lambeaux, et la toundra au nord.
La ville se trouve en effet à l'extrême nord-ouest de la Russie d'Europe. Elle occupe une position névralgique puisqu’elle est dans le seul grand fjord d’abri du littoral septentrional de l’immense péninsule de Kola qui donne sur le Mer de Barents, un compartiment maritime de l’Océan glacial Arctique. Sa position sur le Fjord permet à Mourmansk de faire partie des très rares ports en eaux profondes de l’Arctique. Pour trouver une autre grande ville portuaire de ce type, Arkhangelsk, il faut descendre bien plus vers le sud-est en Mer blanche. Enfin, c’est aussi un puissant verrou frontalier puisqu’elle se trouve à un peu plus d’une centaine de kilomètres des frontières de la Norvège, pays appartenant à l’OTAN, et de la Finlande.
A l’extrémité septentrionale de la péninsule scandinave dont elle occupe la partie nord-orientale, elle bénéficie - tout comme la Norvège - de la remontée du Gulf Stream, un puissant courant marin chaud venu du golfe du Mexique, qui baigne cette portion de littoral. Cette exception maritime assure une température relativement douce toute l’année (pas moins de -15°C au plus fort de l’hiver).
Les conséquences en sont fondamentales en terme maritime : le port de Mourmansk est libre de glace en hiver et la navigation rendue possible toute l’année, contrairement aux territoires des mêmes latitudes dans l’Arctique américain ou russe. Mourmansk est donc la seule grande fenêtre maritime arctique de la Russie ouverte toute l’année.
Au fond de son fjord, sa situation exceptionnelle et son site sont propices à ses fonctions stratégiques. Le port de Mourmansk est créé sous l’Empire tsariste en 1915 en pleine première Guerre mondiale afin d’assurer l’approvisionnement en armements par les Alliés. Puis entre mars 1918 et février 1920, la ville est aux mains des armées blanches et des forces occidentales qui cherchent à écraser les bolcheviks. La fondation de la ville répond donc à une volonté politique étatique, mais également à des logiques économiques liées à l’importance de la Route maritime du Nord.
On retrouve ces fonctions géostratégiques durant la Seconde Guerre mondiale, Mourmansk devenant le principal point d’arrivé des approvisionnements (armes, carburants) fournis à l’URSS par les États-Unis malgré des pertes massives dans les convois alliés sous pression de la Kriegsmarine. En 1941/ 1942, les troupes nazies tentent de s’emparer de la ville et face à la résistance terrestre soviétique multiplient les bombardements aériens qui détruisent celle-ci aux trois-quarts. Il faudra attendre octobre 1944 pour que l’armée russe élimine définitivement les forces allemandes dans l’Arctique.
Un site de profond fjord largement valorisé
Comme l’illustre l’image, de part et d’autre du fjord de Kola, ancienne vallée glaciaire ennoyée, se développent de très vastes plateaux ondulés aux reliefs glaciaires bien identifiables (reliefs rabotés et striés par l’usure de la glace, nombreux lacs de surcreusement glaciaires, marais et tourbières…). On distingue particulièrement bien une végétation de toundra. Il s’agit d’une formation végétale typique des zones climatiques froides, principalement composée de graminées, mousses et d’arbrisseaux.
Dans ce vaste espace, l’axe du fjord constitue la colonne vertébrale de l’organisation régionale. Plus on s’éloigne de celui-ci vers l’ouest ou vers l’est, plus la mise en valeur est lâche, voir absente. Du nord au sud, cet axe, de plus en plus étroit vers le sud, polarise de l’amont vers l’aval, de la source vers la mer, une succession de pôles urbains, industriels ou militaires (Mourmachi, Kola, Mourmansk, Rosiakovo, Severomorsk, Poliarny). Au sud de l’image, en rive droite à 12 km de Mousmansk, se trouve ainsi la ville de Kola.
On y distingue en particulier très bien Mourmansk et son port et, plus en aval du fleuve Kola sur la vile droite, la ville de Severomorsk et son important aéroport militaire. Ce dernier est complété sur l’image par plusieurs autres aérodromes alors que l’aéroport civil qui dessert l’agglomération est tout au sud de l’image.
Un port en eaux profondes, le débouché russe sur l’Arctique
L'économie de Mourmansk repose principalement sur ses fonctions portuaires et maritimes. Comme le montre l’image où les quais à charbons sont bien visibles, le port de commerce a pris une importance récente en raison de la brusque augmentation de l'exportation de houille, produit pour lequel Mourmansk sert de centre de transbordement. L’Oblast (région administrative) de Mourmansk rassemble ainsi 40 % du transport maritime russe. Divers chantiers de construction navale (spécialement de brise-glaces) s’égrènent tout le long du fjord.
A l’échelle régionale et continentale, le port de Mourmansk joue donc un rôle géostratégique majeur puisqu’il est la tête de réseau de la Route maritime du Nord. Celle-ci constitue une voie navigable stratégique pour l’URSS puis la Russie depuis le début du XXème siècle. Sa première fonction est de permettre l’extraction et l’acheminement des ressources naturelles tirées de l’Arctique vers les centres de transformation, c’est ce qu’on nomme le trafic de destination.
Sa seconde fonction, tout aussi essentielle, est de permet l’approvisionnement des villes et des régions arctiques et de desservir les différents sites industriels où il n’existe pas d’itinéraire alternatif à la voie maritime du fait de l’immensité des espaces et des grandes difficultés à construire et maintenir un réseau terrestre permanent et viable. Les villes minières boréales reliées au littoral arctique par les grands fleuves sibériens (Ob, Ienisseï, Léna) ou les ports de l’Extrême-Orient restent donc dépendants de la route du Nord, maintenue ouverte toute l’année grâce aux brise-glaces nucléaires.
Une étape incontournable de la future Route maritime du Nord
Le trafic local est donc croissant dans l’Oblast de Mourmansk en raison de l’exploitation des ressources et de l’approvisionnement vers les ports arctiques ; néanmoins, c’est encore très loin d’être une route commerciale d’ampleur mondiale. Le passage du Nord russe constituerait en théorie une économie de distance d’entre 20 % et 40 % par rapports aux routes actuelles pour un trajet Europe-Asie. Ces raccourcis en termes de distance sont impressionnants, mais gain de distance ne signifie pas pour autant forcément gain de temps du fait des grandes difficultés de navigation. D’autant, que les obstacles techniques et financiers à un développement massif de la route pour un usage commercial sont encore très importants.
Cette forte orientation arctique, qui n’a rien à voir par exemple avec les situations canadiennes ou alaskiennes, explique que Russie soit le pays qui dispose – et de loin – de la plus grande flotte de brise-glaces. Avec 55 brise-glaces opérationnels, elle possède la moitié de la flotte mondiale, cinq fois plus que le Canada, qui arrive au 2em rang mondial. C’est ainsi que les brise-glaces nucléaires de classe Arktika sont basés à Mourmansk. Le développement de la Route du Nord reste un objectif majeur de la Russie : Moscou a réaffirmé en avril 2019 son objectif d’atteindre 80 millions de tonnes de fret annuel par la Route maritime du Nord d’ici 2025, quatre fois plus qu’actuellement.
Une ville stratégique, base des sous-marins nucléaires arctiques
Point stratégique essentiel pour la Russie, la cité est presque entièrement détruite au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1980, Mourmansk est la base la plus importante de la Flotte du Nord où elle accueille la moitié des sous-marins russes et les deux-tiers de ses sous-marins nucléaires.
La fin de l’URSS a marqué temporairement l’érosion du caractère stratégique de l’Arctique pour Moscou. Les effectifs de la marine de guerre russe qui y sont stationnés sont divisés par deux entre 1988 et 1995. Sur la presqu’île de Kola, le complexe militaro-industriel s’effondre, les chantiers navals militaires périclitent et un nombre important de militaires quitte la région. La ville de Mourmansk, qui tirait en partie son développement du secteur militaire, tombe de 468 000 à 305 000 habitants entre 1989 et 2012 (- 35 %). Elle compte aujourd’hui environ 300 000 habitants.
Mais depuis les années 2000, la ville et la région connaissent un nouvel essor. La région de Mourmansk a en effet conservé les principales bases de la région arctique. Au nord-ouest de Mourmansk, à proximité de la frontière norvégienne, cinq fjords sont occupés par des bases navales, des chantiers de démantèlement de sous-marins et des sites de stockage de combustible nucléaire. On compte 13 sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire
Le quartier général de la Flotte du Nord se situe dans la ville Severomorsk, à 20 kilomètres au nord de Mourmansk. Au sud, à Safonovo se trouve un des plus importants chantiers navals militaires. On observe au sud la piste de l’aéroport militaire, bien visible sur l’image puisqu’elle mesure plus de 3 000 mètres de long sur 80 mètres de large.
Mais la principale base de la Flotte du Nord, Polyarny, se situe sur l’autre rive de la baie, à l’entrée du fjord. De même, Gadjievo - au nord-ouest de Polyarny – accueille une base navale, tout comme Snejnogorsk.
Une importante région minière et l’avenir des hydrocarbures off-shore
La région de Barents se différencie du reste de l’espace arctique par l’ancienneté de développement économique qui date d’un siècle. C’est particulièrement le cas dans la péninsule de Kola. L’Ooblast (région administrative) de Mourmansk est très riche en ressources naturelles et il existe de nombreux sites d’extractions. L’économie de la région est donc orientée vers l’exportation, surtout de nickel, de cuivre et de métaux ferreux. La région de Mourmansk produit 40 % du nickel russe, 15 % du cuivre et 40 % du cobalt.
De plus, de grandes ressources de pétrole et de gaz ont été découvertes au large de la mer de Barents à proximité de Mourmansk, dans le champ de Shtokman en particulier. Il s’agit d’une des plus importantes réserves de gaz naturel au monde, découverte en 1988 mais dont l’exploitation n’a pas encore commencé en raison des difficultés techniques.
De la ville industrielle au cimetière nucléaire : l’Oblast de Mourmansk, cimetière nucléaire de la Guerre Froide
Le développement industriel de la péninsule de Kola tout au long du XXème siècle s’est traduit des effets négatifs sur les territoires jouxtant les sites industriels de métallurgie et d’extraction minière. En effet, les industries minière et métallurgique de la péninsule de Kola représentent une grande source de pollution, tout comme les émissions de métaux lourds.
Il faut ajouter à ces sources de pollution le stockage de déchets radioactifs dans la région de Mourmansk. Depuis plusieurs décennies, des assemblages de combustible hautement radioactif ont été entreposés dans toute la région. Quant aux sous-marins soviétiques abandonnés dans la baie d’Andreïeva voisine située à l’ouest de Mourmansk, on les a longtemps désignés comme des « Tchernobyl flottants ».
Zoom d’étude
La conurbation de Mourmansk : une « ville nouvelle » centenaire aux fonctions toujours aussi stratégiques
Mourmansk n'était, à la fin du XIXème siècle, qu'un camp de pêcheurs russes, les Pomors. La colonisation russe a refoulé vers l’intérieur les premiers occupants du site, les Samis. Cette population autochtone qui vivait alors essentiellement de l’élevage de rennes existe encore dans l’Arctique européen et a été assimilée de force. Le caractère planifié de la ville se traduit dans son plan orthogonal, bien visible sur les images satellites.
Le port de Mourmansk est situé eau profonde, à 70 kilomètres de la mer et au fond du fjord de la Touloma. Cette dernière coule en direction de la mer de Barents et se jette dans la baie de Kola, qui constitue son estuaire. Ce port, qui n'est jamais pris par les glaces, était peu fréquenté par les navires de commerce en raison des difficultés de communication avec l'arrière-pays. La construction en 1916 d’une voie ferrée allant jusqu’à Saint-Pétersbourg a changé la donne et en fait la grande ville russe de l’Arctique.
Mourmansk eut, pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, une très grande importance stratégique. Le port devint, durant l'entre-deux-guerres, le point d'attache de la flotte de pêche soviétique en mer de Barents, ainsi que la tête de ligne occidentale de la navigation au long de la route maritime du Nord ; son trafic s'accrut du fait de l'essor de l'exploitation forestière et de l'extraction minière de l’arrière-pays.
C’est aujourd’hui le principal centre de conserverie de poisson du pays et ses installations dans ce domaine comptent parmi les plus importantes d’Europe. Malgré la présence d’industries du bois, les activités restent centrées sur la mer, comme en témoignent l'importance de l'Institut d'océanographie et de la pêche dans les mers polaires et l'École navale.
Mourmansk
Documents complémentaires
BAYOU Céline, LE BOURHIS Eric, « Norilsk et Mourmansk. Quel avenir pour deux villes du Grand Nord russe ? », Le Courrier des pays de l'Est, 2008/2 (n° 1066), p. 35-47.
CANOBBIO Eric, Atlas des pôles, Autrement, 2008
HOHMANN Sophie. « L’Arctique russe, reconquête d’un front pionnier ? », Hérodote, vol. 166-167, no. 3, 2017, pp. 261-276.
LASSERRE, Frédéric. « Géopolitiques arctiques : pétrole et routes maritimes au cœur des rivalités régionales ? », Critique internationale, vol. 49, no. 4, 2010, pp. 131-156.
MARCHAND Pascal, Atlas de la Russie, Autrement, 2015
MARCHAND Pascal, « La Russie et l'Arctique. Enjeux géostratégiques pour une grande puissance », Le Courrier des pays de l'Est, 2008/2 (n° 1066), p. 6-19.
Site Géoconfluences
Dossier : les mondes arctiques, espaces, milieux, sociétés : Les régions de l’Arctique entre États et sociétés
Site GeoImage :
Norvège - Stavanger. De la « ville du pétrole » à la « ville de l’énergie »
Norvège - Tromso, capitale de l'Artique
Canada. Iqaluit (ᐃᖃᓗᐃᑦ) : au cœur de l’Arctique canadien, entre enjeux géopolitiques et changements climatiques
Etats-Unis - Alaska - Anchorage : la métropole du Grand Nord entre mer et terre, à la croisée entre Amérique du Nord, Russie et Asie de l’Est
Le détroit de Béring : fenêtre, frontière et interface géostratégiques entre Océans glacial arctique et Océan pacifique, entre Russie et Etats-Unis
Royaume-Uni - Faslane : la base navale sous-marine écossaise au rôle géostratégique
Contributeur
Camille Escudé-Joffres, Agrégée de géographie, enseignante à Sciences Po