les îles du Salut

 

Située à une petite vingtaine de kilomètres dans l’Océan Atlantique à l’est de Kourou, les îles du Salut sont constituées de 3 entités : l’Île Royale la plus grande, l’Île Saint-Joseph au sud et l’Île du Diable au nord dont le capitaine Dreyfus, à son corps défendant, a assuré une reconnaissance majeure. L’île comme prison, comme lieu de réclusion pour les bannis de la société, un des topiques les plus répandus sur les espaces insulaires… Ces contraintes liées à l’isolement sont toujours de mise dans l’exploitation des Îles du Salut. Dans un territoire de l’accès à l’infiniment grand spatial, de la réduction maximale de la distance-temps, comment mettre en relation et préserver un territoire de moins d’1km² à 20km de la côte ?

 

Légende

L'image présentée a été réalisée par un satellite Pléiades le 03 avril 2015. Il s'agit d’une image en couleur naturelle de résolution native 70cm et ré-échantillonnée à 50  cm.
Les principaux sites recensés sur les îles et présents dans le commentaire sont :
(a)     : cinétéléscope
(b)     : usine électrique
(c)     : osmoseur
(d)     : musée dans l’ancienne demeure du directeur
(e)     : maison du Capitaine Dreyfus (monument historique)
(f)      : ancien hôpital et ancienne chapelle classés à l’inventaire des monuments historiques

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Un site historique à vocation scientifique

Les Îles du Salut sont un archipel d’origine volcanique composé de 3 îles dont la superficie peine à dépasser les 1km². Si leur première mise en valeur fut l’œuvre de colons ainsi que celle d’esclaves venus d’Afrique, c’est en tant que bagne qu’elles acquirent leur renommée et qu’elles furent exploitées de manière globale. Sous le Second Empire, la Guyane confirma son statut de territoire de la relégation et du bannissement : les Îles du Salut, tout comme des zones de la forêt équatoriale sur le continent, prirent ainsi la réputation d’être le bagne  « le plus dur au monde ». Décidé avant-guerre, c’est en 1947 que les prisons guyanaises fermèrent définitivement leurs portes et tombèrent en décrépitude jusqu’à ce que l’aventure spatiale à Kourou ne vienne de nouveau braquer les projecteurs sur elles et en assurent un début de réhabilitation.

Les Îles du Salut sont la propriété du Centre National d’Etudes Spatiales depuis 1971. La proximité des îles du Salut avec le Centre Spatial Guyanais (CSG) en ont fait un lieu évident d’observation et d’analyse pour les lancements des engins spatiaux. En effet, avec des conditions optimales, ce poste permet d’étudier le vol de la fusée depuis son envol du pas de tir jusqu’à sa disparition de la vue. Un ancien cinéthéodolite, transformé en cinétélescope en 1995 (puce a sur l’image), témoigne de cette position privilégiée. Seule restriction, mais de taille, les Îles du Salut sont situées sous la trajectoire d’un lancement vers l’est et doivent donc être évacuées chaque fois qu’un lanceur va mettre en orbite un satellite dans le plan de l’équateur. Seuls les lancements vers le nord permettent d’utiliser ces installations. Un projet d’automatisation du cinétéléescope, avec une gestion à distance, est à l’étude pour utiliser ce site sans risquer de vies humaines en cas d’accident. Ces aménagements devraient correspondre avec les débuts du lanceur Ariane6 prévus pour 2020

Répondre à la demande touristique : un défi d’aménagement et d’exploitation

Le CNES est la seule agence spatiale mondiale à être propriétaire de terrains classés à l’inventaire national des monuments historiques. La présence des bagnes, le retentissement voire le symbole de l’Affaire Dreyfus, donne à cet ensemble insulaire une dimension patrimoniale de premier ordre. En 2017, ce territoire avec la venue de 50 000 visiteurs est le premier centre touristique de Guyane. Si cette manne est un atout pour l’espace guyanais, la gestion de cette activité est complexe. Outre le besoin évident de protéger un territoire fragile, les conditions d’exploitation du site sont difficiles : l’approvisionnement en eau et en électricité ne peut pas se faire depuis le continent, la gestion des déchets est problématique et demande toute une logistique pour leur évacuation. Enfin, l’accès même aux îles est rendu difficile.

Ainsi, l’électricité est fournie par des groupes électrogènes (b) : le coût de du Kw/h est 5 fois supérieurs à celui du continent. Un projet de développement d’hydroliennes a été abandonné en raison de courants trop peu exploitables pour cette technologie. L’accès à l’eau douce repose sur un osmoseur (c) qui fonctionne par dessalement de l’eau de mer mais l’eau n’a pas encore été déclarée potable. Pour l’évacuation des déchets, le CNES possède des conventions avec l’armée française afin de mettre à disposition une barge militaire appartenant au 3ème REI (Régiment Etranger d’Infanterie) à raison de 3 fois par semaine pour assurer le transport des matériaux les plus lourds et volumineux. En raison de besoins croissant, cette convention a été complétée par l’affrètement d’une barge privée propriété de l’armateur De Boer.

Une coopération nécessaire entre acteurs

Le cœur de métier du CNES n’étant pas le tourisme, le développement de cette activité demande une coopération entre différents acteurs afin de valoriser au mieux, dans le respect des territoires, l’environnement et l’histoire exceptionnelle de ces Îles du Salut. La ville de Cayenne par son office de tourisme est impliquée puisque les îles appartiennent, historiquement et paradoxalement aujourd’hui, à zone de compétence communale. Les autres collectivités territoriales (ville de Kourou, Région Guyane) contribuent également à la réflexion. L’Etat, en raison du caractère patrimonial de la zone, est représenté par diverses structures : le Conservatoire du Littoral, propriétaire de la Maison de l’ancien directeur transformée en musée (d) et la DAC (Direction aux Affaires Culturelles) qui a assuré 40% du financement des opérations d’aménagement (environ 300 000 euros/an). Enfin des associations participent également à la valorisation du patrimoine historique et naturel : le cluster maritime Guyane, l’association CHAM en charge de la réhabilitation du patrimoine bâti (mur, chemin de ronde…) et AGAMIS qui depuis 1999 assure l’animation touristique du site (gestion du musée par exemple).

Les perspectives de développement

L’accessibilité aux îles reste problématique. Pour le moment seule Royale dispose véritablement des infrastructures permettant un accueil de touristes. Les travaux sur Saint-Joseph pour l’aménagement d’un ponton de débarquement permanent sont pour le moment freinés par la difficulté de l’aménagement et l’Île du Diable demeure pour le moment inaccessible car les courants et la houle rendent l’accostage problématique. D’ailleurs, comme le montre l’image, l’espace devant la maison de Dreyfus (e) a été dégagé afin que les visiteurs puissent voir depuis Royale le lieu de détention du célèbre capitaine. Cette demeure constitue un des monuments historiques classée de l’île avec l’ancien hôpital et la chapelle (f) sur l’Île Royale : toute démarche de réhabilitation de ces monuments ou de leur environnement doit donc être validée par la DAC.

Seule l’île principale comporte un logement et un service de restauration pour les touristes : L’auberge des Îles du Salut (g) dont les travaux de rénovation ont permis de mettre à disposition 54 logements. Cette structure emploie une dizaine de salariés. Su l’île de Saint-Joseph, un chemin aménagé par passerelle doit voir le jour pour permettre aux visiteurs de parcourir les anciennes cellules.
Pour autant, la notoriété des îles prend de l’importance puisqu’en 2017, 16 paquebots sont passés par les îles du Diable (environ 15000 touristes), en particulier en provenance d’Amérique du Nord. Tous n’ont pas débarqué mais cette présence témoigne d’un potentiel touristique à proximité de la région Caraïbes (40% du tourisme de croisière dans le monde) que pour le moment les Îles du Salut sont incapables d’absorber. Certains voient dans cet intérêt vis-à-vis des Îles du Salut de touristes américains l’impact du film Papillon tourné en 1973 et réunissant Steve McQueen et Dustin Hoffman. Cette production s’appuie sur le livre largement romancé d’un ancien bagnard Henri Charrière qui passa une dizaine d’années dans les bagnes guyanais entre 1933 et 1945.

Contributeur

Vincent Doumerc, professeur agrégé de géographie