Occupant un site littoral exceptionnel à l’embouchure de la Canche dans le Pas-de-Calais, la station du Touquet est fondée par M. de Villemessant en 1878 sous le nom de Paris – Plage comme « l’Arcachon du Nord ». Emblématique de la première génération touristique, elle est née des pratiques touristiques de l’aristocratie et de la bourgeoisie, notamment britannique. Devenue ville, elle est sans cesse remodelée par les dynamiques du tourisme.
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Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 03/02/2012. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m
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Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Héritages et mutations d’une station touristique née au XIXème siècle.
La Côte d’Opale et son littoral sur la Manche
Comme le montre l’image, nous sommes ici sur un littoral orienté nord/sud coupé par l’estuaire d’un petit fleuve côtier, la Canche, d’orientation sud-est/nord-ouest. Le Touquet-Paris-Plage est situé dans la France du Nord, sur le littoral de la Manche à une soixantaine de kilomètres d’Abbeville et à une trentaine de Boulogne-sur-Mer au Nord. Depuis la baie de Somme au Sud, le littoral est formé d’une succession de baies où se jettent des fleuves côtiers et de plages basses soumises aux rythmes des marées. Depuis le Tréport au Sud jusqu’à Ambleteuse au Nord, ce littoral fait partie de la Côte d’Opale et du Parc naturel marin des estuaires picards et la mer d’Opale.
De nombreuses petites stations balnéaires plutôt populaires ponctuent ce rivage depuis Mers-les-Bains, Cayeux-sur-Mer, Berck jusqu’à Hardelot-Plage. Fréquentées essentiellement par la clientèle des Hauts-de-France, les stations répondent aux besoins récréatifs d’une région de forte densité marquée par une tradition ouvrière. Dans ce dispositif, Le Touquet-Paris-Plage fait exception de par son histoire et son statut de station huppée.
L’image satellitaire se compose de quatre ensembles bien différenciés. La Canche, son embouchure et sa baie coupent l’image au ord et séparent le Touquet-Paris-Plage de la ville d’Etaples. Ce fleuve côtier se jette dans un petit estuaire qui s’élargit vers l’ouest jusqu’à atteindre environ 1,5 kilomètres. Depuis Etaples, sur plus de 6 kilomètres, l’estuaire associe le lit mineur du fleuve (occupé en permanence par le cours d’eau) et le lit majeur (occupé en période de crue) visible sur l’image dans les mollières, des prés salés naturels. L’inondation lors de marées assure leur salinité.
Tout le nord de l’image depuis la station jusqu’à la voie ferrée et la route sur l’autre rive est protégé dans le cadre de la réserve naturelle de la baie de la Canche. Les digues, des deux côtés du fleuve, particulièrement le long de la piste de l’aéroport et de l’hippodrome, protègent la station et la ville d’Etaples.
Rôle du cordon dunaire, forêt de pin plantée en 1837
Le reste du territoire de la station du Touquet-Paris-Plage est divisé entre le littoral dunaire où se situe la première station héritière du XIXème siècle, un vaste domaine boisé en position d’abri et un espace agricole après les deux villages de Cucq et du Trépied qui achève l’image vers l’est. De l’autre côté de la Canche, la ville d’Etaples occupe tout le nord-est de l’image. Forte d’environ 11 000 habitants ; elle est ville « support » depuis l’origine pour le Touquet-Paris-Plage.
Le littoral se compose d’un cordon dunaire sur plus de 6 kilomètres relié à la Manche par de belles plages basses de sable soumises à de fortes marées. L’espace dunaire est t protégé dans le cadre du Parc naturel de la baie de la Canche au Nord, du Parc des Estuaires directement à proximité de la station et par le Conservatoire National du Littoral pour les dunes de Mayville entre l’extrémité sud de la station balnéaire et le sud de l’image juste avant Stella plage.
L’intérieur, en position d’abri, est visible sur l’image au travers d’un dense couvert forestier en partant de la station balnéaire reconnaissable à sa morphologie urbaine en damier jusqu’à l’aéroport et le golf visible par les clairières que forment les parcours. C’est un héritage de la première utilisation de l’espace au début du XIXème siècle. En effet, en 1837, un notaire parisien achète les 1 800 hectares pour les planter comme dans les « landes de Gascogne ». Les pins, les peupliers et les aulnes résistent aux vents et fixent les dunes. Devenus aménités, les arbres sont entretenus et protégés comme une « marque paysagère » de la station.
Au-delà, deux villages le long de la D 940 séparent la station d’un espace agricole composé de champs ouverts emblématiques du nord de la France.
Une station créée au XIXème siècle pour « exploiter un littoral »,
Le littoral est reconnaissable sur l’image aux plages, aux dunes et à la station au plan encore orthogonal. La première station balnéaire, à partir des années 1880, s’est d’abord développée sur le littoral. Dunes et forêts sont dès l’origine deux atouts pour la mise en tourisme. La situation est aussi particulièrement favorable à la naissance d’une station ex-nihilo.
Proche du Royaume Uni, de Paris et de Lille, le Touquet-Paris-Plage est encore uniquement desservi par un omnibus le reliant à Etaples, remplacé en 1900 par un tramway. Fondée en 1878 par M. de Villemessant - propriétaire du Figaro et fondateur de Monte-Carlo - comme « l’Arcachon du Nord », la station doit faire face aux vents mais aussi à l’érosion provoquée par la Canche et la mer. L’endiguement est décidé en 1885.
L’image satellitaire montre encore les marques paysagères de la forêt ou des dunes mais aussi celle de la « première station ». Elle est organisée autour d’un plan en damier parallèle à la mer où sont lotis les premiers immeubles et villas dès 1882. Les grands hôtels s’implantent en situation littorale durant la même décennie ainsi que le premier casino.
Touquet Paris-Plage incarne le modèle de station touristique de première génération, ici nettement influencé par la présence britannique. En effet, la mer est « seconde ». Elle est « paysage » et seule la plage importe. Le bâti sur l’image est distant de la plage d’autant plus qu’il est séparé par deux boulevards et des parkings. La station est « un moment de lieu » dès la belle époque : elle associe une architecture et une organisation spatiale à des pratiques réservées à quelques clientèles privilégiées. La villa – cottage, le rideau d’arbres, la place du gazon et des jardins témoignent de l’influence britannique.
La construction rapide de plusieurs casinos, d’un golf, de tennis, d’un champ de course hippique …traduisent des pratiques de l’aristocratie et de la bourgeoisie française et britannique. Les acteurs sont privés et associés à différents maires entreprenants et entrepreneurs, ils bâtissent la station en moins de trente ans
La plage, entre les deux cordons dunaires, s’étend sur quasiment deux kilomètres. Pourtant, dès l’origine, le front de mer et le littoral ne sont pas prioritaires pour la station. La digue – promenade n’est inaugurée qu’en 1914. La plage ne reviendra au cœur des préoccupations des aménageurs que dans les années 1960.
Dans la volonté des pouvoirs publics locaux de renouveler l’image et la fréquentation de la station, des immeubles sont construits sur le littoral pour répondre à la massification du tourisme. L’image satellite montre cette inversion du rapport au littoral à partir des années 1960 : le boulevard de la plage, la multiplicité des parkings mais aussi la construction d’un parc aquatique, Aqualud en 1985 ou l’hôtel Novotel (Accor) à l’extrémité sud de la plage, complexe hôtelier orienté vers la thalassothérapie bâti en 1974. Aujourd’hui, l’image et l’architecture de ce littoral semblent datées, sa fréquentation s’amenuise. La station dès l’entre-deux guerres a déplacé sa centralité vers l’intérieur.
Les mutations successives de la station
Au-delà du plan en damier, une autre station semble occupée l’intérieur. Le plan orthogonal planifié laisse place brutalement à des villas parsemées au sein de la forêt. C’est une seconde étape de la station que l’image propose. En effet, les années folles renforcent l’orientation sportive, culturelle et bourgeoise de la station. L’image satellite témoigne aussi de la place des équipements sportifs et de jeux dans la commune.
Dans les années 1920, la station connaît une triple dynamique. En effet, l’étalement urbain se poursuit vers l’intérieur et Etaples ; la station compte plus de 1 800 villas pour une population permanente d’environ 3 200 habitants contre 30 000 durant la saison. La fonction touristique et surtout la villégiature dominent.
Dans le même temps, des acteurs privés poursuivent la construction des équipements sportifs et culturels : un second casino, le plus grand de France est ouvert en 1927, jusqu’à trente courts de tennis sont construits dans les années 1930, la construction d’un hippodrome long de 3 kilomètres ajoute une nouvelle offre élitiste… Enfin, le parc hôtelier se renforce notamment avec la construction de l’hôtel Wesminster en 1924 ou du Royal Picardy en 1929 (avec environ 500 chambres). La station s’affirme comme un modèle architectural et urbain en proposant un style anglo-normand : le style touquettoit de l’architecte Quételard.
Dès les années 1950, les acteurs politiques locaux renforcent cette orientation en s’appuyant sur la publicité de la « station des 4 saisons ». En s’appuyant sur le produit des jeux, les édiles locaux renouvellent le cadre devenu désuet de la station en s’appuyant sur l’urbanisme hérité. Les villas, basses et disséminées n’offrent pas de monumentalité. Il faut donc renforcer un axe, le long de la rue Saint Jean associant une double perspective : vers le rivage et vers la forêt.
Ainsi, une nouvelle centralité voit progressivement le jour à l’extrémité orientale de l’axe. L’hôtel Wesminster, le casino, la Palais des Congrès, la rue piétonne et commerçante forment un nouveau centre adapté aux ambitions de la station. Ainsi, les séminaires, les congrès, les compétitions sportives, la thalassothérapie doivent permettre de réduire la saisonnalité et de retrouver un « âge d’or ». La marque paysagère des tennis visible sur l’image témoigne de cette « nouvelle centralité ».
Dans les années 1920 « tout ce qui comptait en Angleterre et dans la grande industrie française se rencontrait au golf dans la journée et le soir au Casino » selon de John Whitley, industriel britannique à l’origine d’un projet de station de luxe en 1894 au Touquet-Paris-Plage. Le Prince de Galles, Pierre de Courbertin ou Susan Langlen arpentaient la station.
Ce « moment de lieu » est achevé aujourd’hui. La ville a perdu plus d’un millier d’habitants depuis la fin des années 1990, plus de 80 % des logements sont des résidences secondaires. La population retrouve son niveau de 1968 et 44 % est composée de personnes âgées. Dans le même temps, la fréquentation connaît des sommets en été avec plus de 700 000 touristes au mois de juillet et août. 44 % sont originaires de l’Union Européenne dont 33 % de britanniques.
Finalement, en un siècle, le Touquet Paris-Plage est demeurée une station balnéaire de villégiatures pour les bourgeoisies britannique et française. Elle est de plus en plus fréquentée les week-ends, durant les vacances de printemps et en été mais elle ne parvient pas à sortir de son unique orientation touristique.
Les nouvelles dynamiques du tourisme depuis les années 2000.
A partir du plan en damier d’origine, la station s’est d’abord étalée dans une nouvelle centralité autour des hôtels, des tennis et du casino. Progressivement, les villas, plus d’un millier aujourd’hui, ont recouvert l’ensemble du territoire communal jusqu’à atteindre les limites d’Etaples, Bellevue, Trepied et Cucq.
L’urbanisme, diffus, conserve la forêt aujourd’hui protégée ainsi que les formes d’hébergement élitiste. Le nombre de nouvelles constructions est très réduit ce qui renforce la pression foncière d’autant plus que les prix sont proches de ceux de la Riviera française. De nombreux projets immobiliers cherchent à s’approprier les 800 hectares de forêts à l’entrée de la station où se situent les plus anciennes villas.
Les dunes subissent aussi la pression foncière. Ainsi, de nouvelles résidences comme le quartier « West green » à proximité des dunes cherchent à proposer de multiples aménités (nature préservée, accès à la plage, lac artificiel …) pour des classes moyennes supérieures françaises ou britanniques. La station demeure très attractive pour cette « nouvelle génération touristique ». Les « nouveaux quartiers » sont visibles sur l’image directement au sud de complexe de thalassothérapie dans l’espace dunaire très proche de la plage.
Les enjeux de l’accessibilité
En effet, le Touquet s’inscrit dans les nouvelles spatialités du tourisme. Les aménités, la proximité et l’accessibilité sont les conditions de la fréquentation. L’accessibilité de la station est liée à son orientation haut-de-gamme et à sa fréquentation. D’abord ferroviaire à partir de la gare d’Etaples sur la ligne Abbeville – Boulogne-sur-Mer, l’accessibilité est aussi aérienne avec l’ouverture de l’aéroport international du Touquet en 1936. Celui-ci longe la baie de la Canche et explique la construction d’une digue de 3 kilomètres. C’est un succès dès l’origine, les pistes sont régulièrement allongées.
La station est, depuis 1997, accessible depuis la nouvelle autoroute A 16 grâce à la sortie 16, le Touquet. L’offre ferroviaire s’est aussi considérablement densifiée depuis Paris et Lille en associant des TER, des intercités ainsi que des TGV. La station est à deux heures de Paris et de Lille. Les infrastructures de transport accompagnent la mutation de la station : l’aéroport est aujourd’hui « endormi », l’autoroute et les voies d’accès entre Etaples et le Touquet saturées.
Nouvelles pratiques touristiques et protection patrimoniale
L’un des enjeux de la station aujourd’hui est de pouvoir conserver sa richesse patrimoniale et naturelle face à la mutation des pratiques touristiques qui la conduisent à devenir un lieu de « récréation » durant les week-ends et les vacances pour des clientèles de proximité. Différentes lectures socio-spatiales s’opposent au Touquet. D’une part, pour les classes supérieures propriétaires des villas, l’environnement, son maintien et son entretien surtout de la forêt sont l’une des motivations de la fréquentation. La forêt limite les jardins des villas tout en définissant le naturel face à l’urbain. D’autre part, pour les promoteurs, les classes moyennes supérieures et les familles plus modestes qui fréquentent la plage, l’environnement est une des motivations mais pas sa protection.
Le développement résidentiel et l’économie présentielle reposent sur la consommation des espaces naturels préservés tout en revendiquant l’enclavement comme à West green. Pour les anciens résidents des villas, le littoral s’apparente au « tourisme » vécu comme une contrainte ; pour les nouveaux résidents le prix doit permettre la fermeture et l’accès restreint aux aménités alors qu’à l’inverse, pour les classes populaires qui fréquentent la plage et les activités balnéaires, le littoral et l’espace naturel est pensé comme gratuit et vécu comme décor. Différentes manières d’habiter et de pratiquer l’espace s’opposent. Ils sont le résultat des différents « moments de lieux ».
L’enduro du Touquet fondé par Thierry Sabine en 1975 est emblématique des tensions qui animent une station séculaire : il est source d’emplois et d’attractivité pour les classes populaires alors qu’il est considéré comme une nuisance et une péjoration de l’environnement pour les classes supérieures.
Zooms d’étude
L’aménagement d’origine aujourd’hui convoité et protégé
Le nord-ouest du littoral, à partir de la pointe du Touquet, entre l’embouchure de la Canche et les « bancs du pilori », bancs de sable visibles lors des marées, semble être un espace encore naturel. En effet, il tranche nettement avec le plan « en damier » de la première station touristique. Il s’oppose aussi aux mollières qu’une digue sépare des premières habitations. C’est une pointe « préservée » face à la baie et l’embouchure.
Cet espace est emblématique de l’histoire du Touquet-Paris-Plage. Les dunes et le couvert forestier illustrent la première fonction du lieu : des plantations servant à stabiliser l’espace dunaire et à fournir du bois notamment des pins maritimes comme dans les Landes.
La « pointe » est encore aujourd’hui conservée parce qu’elle témoigne aussi de l’histoire de la station. Différents blockhaus datant de la 2nde guerre mondiale occupent l’entrée de la l’embouchure de la Canche. D’autres existent à l’autre extrémité de la plage au sud pour interdire un débarquement. Elle est aussi aménagée ultérieurement avec au contact des mollières une base nautique et sa « capitainerie » à l’entrée de l’embouchure du fleuve.
Elle est conservée aussi parce qu’elle est classée. Le parc des Estuaires couvre 45 hectares de dunes, de plages et de pinèdes et offre une vue remarquable depuis la pointe du Touquet. Différents sentiers dont le GR 120 permettent de le parcourir gratuitement. Le classement et la gratuité du site répondent aussi à une demande de la population du Touquet. En effet, sans accès direct à la mer, cette partie nord de la station, depuis les années 1960, est dévolue à des logements sociaux où vivent des classes plus populaires souvent employés municipaux.
Le rapport aux aménités et à l’espace est ici très différent : il repose sur la convivialité, la gratuité, les pratiques familiales ou entre voisins, les pique-niques … C’est une sociabilité « ouvrière » qui s’oppose aux volontés de fermeture et de privatisation des autres résidents de la station.
Une station balnéaire, héritage aujourd’hui renouvelé
A partir du parc des Estuaires, la plage s’étale sur 2 kilomètres sur plus de 200 mètres de largeur. La station est construite ex-nihilo sur le littoral pour cette plage. Limité au Nord par la baie et l’embouchure de la Canche, par les mollières, la première trame urbaine épouse le front de mer.
Les fondateurs ont légué un plan orthogonal d’où émerge quelques grands bâtiments comme le marché couvert, l’hôtel de ville, l’Eglise Sainte-Jeanne d’Arc, lointain héritage du projet Mayville de l’industriel britannique John Whitley qui proposait de créer une « ville de luxe » en 1894. Le reste est constitué d’hôtels, d’immeubles, de villas ne dépassant pas quatre étages. Les ruptures du plan en damier sur l’image mettent en exergue les « bâtiments » les plus remarquables comme le marché couvert (forme en arc sur une place bien reconnaissable).
La mer est pourtant peu exploitée dans la station d’origine. Le boulevard de la plage, entre la plage et le bâti, est construit tardivement, trente ans après le début de la station. L’eau ici est paysage, décor et vue. Elle ne devient « thérapeutique » que dans les années 1970. La municipalité décide, en effet, toujours dans l’objectif de sortir de la saisonnalité, de développer un centre de thalassothérapie sur le modèle de Quiberon. Confié à l’architecte Quételard, ce nouveau complexe étend la station vers le sud. Il est visible sur l’image au sud de la plage et son architecture tranche avec le reste de la station d’autant plus qu’il est seule bâti sur le sable.
Le même architecte construit sur le front de mer des immeubles pour renouveler l’image du Touquet-Paris-Plage. Comme les autres stations du nord de la Manche et de la Mer du Nord (notamment en Belgique et aux Pays Bas), le front de mer se couvre d’immeubles à la place des villas pour accroitre la fréquentation et s’adapter à la « modernité ». Ils marquent une rupture avec le reste de la station, plutôt basse et uniforme.
L’immense plage, bordée par les dunes au nord et au sud, est dévolue en partie à l’automobile pour répondre aux besoins des clientèles régionales qui viennent pour la dimension balnéaire de la station contrairement aux résidents. Le parc aqualud, visible au nord de la plage, entouré de parkings, est ouvert en 1985. Ce parc d’attraction aquatique, la piscine d’eau de mer, la base nautique … répondent aux consommations touristiques des clientèles régionales plus familiales et populaires. Le littoral ne correspond pas au reste de la station.
Là aussi, plusieurs lectures et pratiques de l’espace s’opposent : les dunes sont protégées notamment par le Conservatoire National du Littoral au Sud ; les classes moyennes supérieures veulent les privatiser alors que les classes populaires veulent s’y promener et y jouer.
La centralité de la station des « quatre saisons »
A proximité des tennis, directement après le damier d’origine, une autre « centralité » est visible sur l’image. Le projet de la « station des quatre saisons » est mené par les édiles municipaux dont Léonce Deprez à partir des années 1970. Le Touquet-Paris-Plage n’est plus celui des années folles et de l’entre-deux guerres. Pour limiter les contraintes de saisonnalité et de villégiature de la station touristique, le projet, en exploitant ou développant les infrastructures existantes, veut fonder une « ville touristique ». L’objectif est d’étaler l’activité sur l’ensemble de l’année et de développer l’économie présentielle en dehors de la simple saison estivale.
L’image permet de comprendre la nature du projet. A partir de la rue Saint-Jean, rue piétonne et commerçante rejoignant la mer, une nouvelle centralité est organisée au carrefour avec l’autre axe structurant, la rue de la paix ouvrant sur la monumentalité de la place Edouard VII, de l’hôtel de ville et du marché couvert.
L’hôtel Westminster, construit en 1924, dernier palace en activité, ouvre le nouveau centre qui s’organise autour de la place de l’Hermitage. Le Palais des Congrès et le casino du groupe Barrière datant de 1913, l’école hôtelière, construite sur les ruines du « plus fastueux hôtel du monde », le Royal Picardy, le complexe sportif et le centre tennistique Pierre de Coubertin ainsi que la résidence de tourisme l’Hermitage doivent répondre à toutes les pratiques de tourisme et de loisirs de clientèles aisées. Le projet renforce l’héritage de la mise en tourisme en le renouvelant et en le modernisant.
La pratique sportive, les évènements culturels, le « shopping » avec toutes les boutiques qui ponctuent la rue et l’avenue Saint-Jean et la place de l’Hermitage, le jeu et les spectacles doivent permettre une fréquentation régulière de la station. C’est aussi un moyen de limiter la saisonnalité des emplois. L’évolution démographique, le vieillissement des résidents et l’ampleur de la fréquentation estivale montrent les limites de cette politique. Le Touquet-Paris-Plage reste une station et une ville incomplète.
Golf et villas, l’héritage « british » et la villégiature
Le golf est visible au sud de l’image. Il est reconnaissable parce que ses parcours forment de longues trouées dans le couvert forestier. Le zoom sur l’entrée du golf, l’espace dunaire et la forêt parsemée de villas permet d’aborder à la fois la géohistoire de la station et les spatialités qui l’animent aujourd’hui.
Le golf est l’un des plus anciens de France et c’est encore aujourd’hui l’un des plus importants complexes du tourisme golfique en France. Il témoigne du rôle et de l’influence britannique dans le développement de la station. En effet, c’est Lord Balfour, premier ministre britannique, qui l’inaugure en 1904 au sud de la station au-delà des dunes. Les parcours utilisent le couvert forestier d’origine pour marquer la rupture avec les villas et les limites communales de Cucq. Le golf est à la fois un héritage et un marqueur de l’orientation touristique de la station encore dominée par les clientèles britanniques et un caractère élitiste.
Cet élitisme se retrouve dans les villas qui bordent le golf. Souvent de très grandes tailles, construites durant le XXème siècle, dans le style anglo-normand, les villas utilisent le couvert forestier comme paysage et comme « clôtures naturelles ». Le gazon témoigne aussi l’influence britannique ; il couvre les jardins les jouxtant. Elles sont, pour la plupart, des résidences secondaires appartenant à des parisiens, des lillois ou des britanniques. Emblématique d’une bourgeoisie assez âgée qui recherche la villégiature, le repos et des pratiques culturelles et sportives de « l’entre-soi », elles sont évaluées à plusieurs millions d’euros.
Cette pratique touristique datant de la première mise en tourisme attire des classes moyennes supérieures qui cherchent par mimétisme à se rapprocher de « l’entre-soi » de la bourgeoisie. Les promoteurs, exploitant l’histoire de la station, ont proposé des projets immobiliers dans l’espace dunaire proches de quartiers fermés à l’américaine. De l’autre côté du Golf, trois projets immobiliers montrent des morphologies très différentes : ouvert par un seul accès routier, les bâtiments sont construits autour d’un plan d’eau ou d’un « golf », toutes les maisons semblent identiques et le bâti est dense et concentré. Mayvillage, West Green et Whitley reprennent des noms des fondateurs ou de projets de l’origine de la station et proposent, à une clientèle de classe moyenne supérieure régionale et surtout britannique, une vue sur mer, un accès aux dunes et un « entre-soi ».
Les propriétaires des villas, réunis dans l’Association de sauvegarde des forêts et des dunes, militent contre d’autres projets des promoteurs. Plusieurs lectures du territoire se rencontrent et entrent en conflits autour de l’environnement.
L’accessibilité, l’encombrement et l’entrée de ville.
Au nord de l’image, la baie de la Canche isole le Touquet de la ville d’Etaples tout en étant une aménité paysagère. Dès l’origine, l’accessibilité de la station est conditionnée par les transports qui la relient à Etaples. En effet, la gare mais aussi la sortie d’autoroute de l’A 16 se situent sur l’autre rive. La voie de chemin de fer et la départementale venant de l’autoroute sont visibles sur l’image. Elles convergent vers un unique pont, proche du port d’Etaples, reliant les deux infrastructures de transport au Touquet Paris-Plage.
Sur l’autre rive, l’aéroport international du Touquet-Côte d’Opale occupe une large emprise foncière comprise entre la baie, les Mollières (pré salé naturel situé au bord de mer) et le reste de la station. Ouvert en 1936, la piste actuelle date de 1966 et s’étend sur deux kilomètres. « L’heure de gloire » de l’après-guerre est aujourd’hui révolue, l’aéroport reçoit environ 50 000 passagers par an dont la moitié de britanniques utilisant des petits avions privés ou des avions taxis. L’ancienne piste, perpendiculaire à la baie, est fermée en 2004. Elle est encore visible sur l’image en raison de l’absence de végétation. Une partie seulement a été détruite.
A la place, un parc d’activités, pépinière d’entreprises, un établissement scolaire et de nombreux équipements nécessaires à la station se sont construits dans une « entrée de ville » très banale. C’est une zone d’activités commerciale où s’égrène des supermarchés, des concessionnaires automobiles, de la restauration rapide … Elle ne correspond en rien au standing revendiqué de la station.
Une route, la départementale 939, relie Etaples par l’unique pont sur la Canche, à la zone commerciale pour rejoindre dans un large mouvement tournant le centre-ville constitué du palais des congrès, du casino, des tennis … Les week-ends et durant la saison estivale, cet unique axe supporte toutes les circulations qui proviennent de la gare, de l’autoroute et de l’aéroport.
L’encombrement et les circulations depuis Etaples jusqu’au centre du Touquet-Paris-Plage doivent être maximum particulièrement les samedis. C’est un marqueur de la « touristicité » du lieu. Divers projets opposent les différents acteurs pour renforcer l’accessibilité : les touristes quasi résidents, les écologistes, les édiles municipaux …
Références ou compléments
- B. Béthouart, Histoire de Montreuil-sur-Mer, Etaples, le Touquet-Paris-Plage, Editions Privat, 2006.
- V. Deldrève, « Préservation de l’environnement littoral et inégalités écologiques, l’exemple du Touquet-Paris-Plage », Espaces et Sociétés, 2011/1.
- Le Touquet-Paris-Plage, musée virtuel
Contributeur
Jean-François ARNAL, agrégé d’Histoire-Géographie, Lycée International de Ferney-Voltaire, Lyon II