Nichée dans une valleuse au creux des hautes falaises de craie de la Côte d’Albâtre, la station littorale d’Etretat est un des hauts lieux du tourisme littoral normand, national et européen. Mises en peinture et vantées par la littérature, ses fameuses pointes et portes témoignent des dynamiques littorales (érosion des côtes…). Soumise à de fortes contraintes topographiques et hydrologiques et entourée par le vaste plateau d’agriculture intensive du Pays de Caux, Etretat appartient à ce vaste balcon maritime largement valorisé par les grandes métropoles (Le Havre, Rouen, Paris) de l’hinterland.
Légende de l’image
Cette image d'Étretat, station balnéaire de renom située dans le département de la Seine-Maritime en Normandie, a été prise par un satellite Pléiades le 20/09/2015. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.
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Présentation de l'image globale
Etretat : un site remarquable niché au creux
des falaises de la Côte d’Albâtre
Erosion littorale, monuments naturels et emblèmes touristiques
L’image met particulièrement en évidence l’orientation du village d’Etretat selon un axe quasi linéaire orienté du nord-ouest au sud-est. Cette orientation correspond à une implantation à l’embouchure d’une vallée sèche, ou « valleuse », le Grand Val. Un couvert forestier résiduel très nettement visible marque les rebords du plateau qu’entaille la valleuse. Celle-ci débouche sur une anse que ferment deux formations géologiques remarquables, au sud-ouest la porte d’Aval et l’aiguille d’Etretat et au nord-est la porte d’Amont.
Ces formations sont le fruit du processus d’érosion différentielle qui affecte la côte d’Albâtre dans le secteur d’Etretat. La base des falaises est en effet composée de la craie du Tilleul (Turonien, Crétacé supérieur) plus résistante aux marées que les couches supérieures ne le sont au ruissellement des eaux superficielles et souterraines. Du sud-ouest au nord-est, la photographie illustre parfaitement les différentes formes de relief que prend la falaise occidentale suite à ce processus d’érosion selon les différents stades : simple pointe (pointe de la Courtine), simple pointe transformée en « porte simple » (Manneporte), pointe avec « porte élargie » (porte d’Aval) et « porte détruite » avec récif haut (aiguille d’Etretat).
Un site de valleuse soumis à de fortes contraintes topographiques et hydrologiques
La mer est, en premier lieu, le seul exutoire du réseau d’assainissement des eaux. La conjonction de vents violents de secteur nord-ouest, de forts coefficients de marée et de houle peut provoquer une inondation par refoulement dans un village dont l’altitude est parfois inférieure au niveau de la mer. C’est notamment le cas en 1990, date à laquelle la commune est reconnue en état de catastrophe naturelle. Par ailleurs, de fortes précipitations peuvent entraîner des coulées de boue le long des pentes de la valleuse, comme en août 1975.
Par ailleurs, la croissance du village est encadrée par ces mêmes pentes. L’étalement que connaît le village, principalement durant les années 1970-1990 - environ 25 % des logements sont construits avant 2015 - suit en effet l’axe qui traverse longitudinalement le Grand Val. Si le nouveau bâti revêt parfois la forme de quelques logements collectifs, les maisons individuelles caractéristiques de la périurbanisation constituent l’essentiel des nouvelles constructions. Les deux valleuses annexes, le Petit Val au nord-est et la Valaine au sud-ouest, sont affectées dans une bien moindre mesure par la croissance contemporaine du village d’Etretat.
L’image permet de distinguer nettement l’église du XIe siècle érigée, en hauteur, à l’entrée du Petit-Val. La localisation de ce lieu de culte, très en retrait de l’actuel trait de côte, s’explique par sa construction lors d’un optimum climatique (mi-XIe – début XIIe siècle). Le littoral est alors plus en retrait dans les terres. L’implantation du bâtiment ecclésial permet de souligner à la fois l’impact de l’évolution du niveau marin et du trait de côte d’un côté, les risques que fait peser, de l’autre, à plus ou moins moyen terme, le réchauffement climatique sur un village dont l’altitude est très faible.
Le Pays de Caux : un plateau consacré à la grande culture intensive
L’urbanisation n’atteint pas cependant le plateau crayeux du Pays de Caux caractérisé par un paysage d’openfield et la pratique d’une agriculture productiviste de grandes cultures. L’image met également nettement en évidence l’habitat agricole dispersé typique du Pays de Caux : les clos-masures, regroupements de bâtiments agricoles au sein d’une cour quadrangulaire ceinte par un talus planté d’arbres hauts afin de se mettre à l’abri du vent.
Couvrant environ 3 000 km2, le Pays de Caux correspond à un haut plateau calcaire de 100 à 180 m d’altitude composé de très importantes assises de craie à silex du secondaire (crétacé). Ce silex fournit d’ailleurs les fameux « rognons » que l’on retrouve sur une partie des plages de la Côte d’Albâtre et dans de nombreux bâtiments de la région comme matériaux de construction. Une large partie de la SAU (surface agricole utile) est comme le montre l’image consacrée aux labours. Ces sols crayeux, bien amendés, sont consacrés à une polyculture intensive (colza, luzerne, lin, pomme de terre, betteraves à sucre…) mise en œuvre sur de grandes parcelles par une agriculture très mécanisée.
Du village de pêcheurs à la station balnéaire : de profondes mutations
Au début du XIXe siècle, Etretat est un village d’environ 150 habitants dont environ 80 % de la population vit de la pêche. Le noyau villageois est alors essentiellement composé de petites maisons de briques et de silex organisées autour d’un espace ouvert : les cours. Certaines d’entre elles conservent la trace de la pêche hauturière pratiquée par une partie du village (c. noms : cour d’Islande, cour Reykjavik).
Dès les années 1820/1830, des aquarellistes anglais comme Bonington mais aussi des peintres, par exemple Isabey, se rendent à Etretat. Cependant, le village ne profite guère de cette fréquentation. Etretat doit en effet de sortir de sa confidentialité à Alphonse Karr, un écrivain et journaliste français. Dans son roman Le chemin le plus court (1836), il exalte les mœurs et le travail des pêcheurs d’Etretat. Cette œuvre, réimprimée à seize reprises, contribue à faire connaître le village de la côte d’Albâtre, notamment au sein des milieux cultivés de la capitale. La souscription que lance Karr en 1840 à l’occasion d’une tempête dévastatrice achève d’établir un lien étroit entre Paris et le village normand.
Cet engouement s’inscrit dans un contexte particulièrement favorable, la mode pour les « bains de mer » plébiscités pour leurs vertus curatives puis hédonistes ainsi que le raccourcissement du temps de trajet consécutif au développement du transport ferroviaire dans le cadre de la « révolution des transports ».
Le village connaît une rapide mutation dans la seconde moitié du XIXe siècle. Dès les années 1850, les quatre hôtels que compte Etretat affichent complet durant la belle saison et la population double avec les afflux d’estivants. Outre les infrastructures de transport, le village s’équipe afin de répondre aux besoins de cette clientèle fortunée. Dès 1852, le premier casino est bâti. Il occupe peu ou prou le même emplacement que l’établissement contemporain visible sur l’image au milieu du front de mer. Des hôtels, notamment l’hôtel des Roches Blanches bâti sur le modèle du palace de Trouville, complètent l’aménagement du front de mer.
La fin du XIXe voit le village se doter de nombreux équipements sportifs (courts de tennis, golf, ...) mais aussi des infrastructures propres à assurer le confort le plus moderne (usine d’assainissement des eaux, usine à gaz, égouts). Surtout, autour du village des pêcheurs, notamment sur les pentes du Grand Val et dans le Petit Val, sont érigées des villas qui accueillent les estivants les plus fortunés comme Offenbach (villa Orphée) ou les reines d’Espagne Marie-Christine de Bourbon-Sicile et Isabelle II (Château des Aygues classé au titre des Monuments historiques en 1997 et étape de la route historique de l’Ivoire et des Epices). Cette mutation affecte durablement le bâti d’Etretat. En 2015, environ 45 % des résidences sont antérieures à 1919.
Un Haut Lieu de renommée internationale : peintres et romanciers, des acteurs de la géographie touristique
L’indéniable renommée internationale dont jouit le village d’Etretat est liée pour partie aux séjours qu’y font certains peintres comme Courbet ou Monet dans la seconde moitié du XIXe siècle. Courbet y trouve en effet l’inspiration pour sa célèbre série des Vagues (1869-1870). Mer, falaises et lumières sont également les sujets d’une série de tableaux que peint Monet durant les années 1880. Dans une moindre mesure, Etretat inspire des paysages ruraux (Monet, La Pie, 1868). Ces artistes contribuent à ériger les paysages d’Etretat en idéal-type du paysage normand. La conservation de ces œuvres dans de grands musées, notamment en Amérique du Nord, en Europe mais aussi au Japon ou encore en Australie, explique la promotion mondiale d’Etretat comme haut lieu.
Les falaises, plus précisément l’aiguille, participent également de la construction de cette renommée. Paru en 1909, le romain policier de Maurice Leblanc, L’aiguille creuse, la met en scène comme l’abri historique du trésor des rois de France, conférant ainsi à la station balnéaire une dimension historique. Plus modestement, les constructions de l’architecte Mauge (actuel Hôtel de la Salamandre en 1913, Marché couvert en 1928) dotent le village d’un vernis médiéval.
Recentrage de l’activité touristique
Cependant, l’actuelle fréquentation touristique de la station n’est pas à la hauteur de cette renommée. Etretat n’est pas l’une des destinations privilégiées des croisiéristes qui débarquent au Havre : ils préfèrent Paris, Honfleur ou encore les sites du Débarquement lors de leurs excursions. La station ne fait pas partie des dix premiers sites gratuits des touristes de la Région Normandie en 2015. A la même date, le produit brut des jeux du casino n’atteint qu’1,5 % du total régional. La clientèle y est avant tout locale. L’offre hôtelière en 2018 est limitée à onze hôtels pour un total de 227 chambres … un nombre inférieur à la capacité d’accueil de la station à la veille de la Première Guerre mondiale ! Pour autant, un peu plus de 40 % des logements du village sont des résidences secondaires.
L’offre touristique d’Etretat tente de s’adapter tant à l’évolution de sa clientèle qu’au renouvellement que connaît le tourisme contemporain. Dans la partie occidentale de la plage, l’image laisse deviner la présence des embarcations de l’école de voile locale. Elle témoigne du maintien des loisirs nautiques, même si un port de plaisance fait défaut à la station.
Cependant, l’offre touristique évolue pour s’adapter à une clientèle de passage. Le patrimoine culturel est ainsi promu, par exemple à travers un rallye Arsène Lupin. La photographie permet également de distinguer les Jardins d’Etretat, ouverts en 2016. Ils réinterprètent de manière contemporaine les jardins de la villa Roxelane construite en 1905. Situés au sud de la chapelle Notre-Dame de la Garde et du mémorial dédié aux aviateurs Nungesser et Coli sur la falaise Amont, ils s’étendent sur une surface d’environ 1,5 hectare. Cependant, cette offre culturelle peine à rencontrer son public. Le Clos Lupin, la résidence de Maurice Lupin ouverte à la visite depuis 1999, n’accueille qu’environ 17 000 visiteurs par an.
L’offre touristique s’adapte également au désir d’activités de pleine nature. Le sentier littoral, très fréquenté et nettement visible sur l’image, appartient au chemin de Grande Randonnée 21. Il relie Le Havre à Veulettes-sur-Mer et permet de parcourir la Côte d’Albâtre. Etretat est cependant moins une étape sur ce chemin qu’un point de départ. Les visiteurs gravissent en effet avant tout les falaises Amont ou Aval afin de jouir des panoramas sur les indentations de la côte et ne s’éloignent guère du village. Enfin, la gare d’Etretat trouve une seconde vie comme terminus du vélo-rail, réhabilitation touristique de la ligne Les Ifs – Etretat. Le village d’Etretat apparaît donc aujourd’hui comme une station balnéaire dont la fréquentation, limitée, n’est à la hauteur ni de sa renommée internationale ni de son prestigieux passé.
Zooms d’étude
Ligne de chemin de fer et gare d’Etretat
Le village d’Etretat doit sa fortune pour partie à la « révolution des transports », notamment à sa liaison précoce avec la capitale. Dans un premier temps, la station dont la renommée est alors naissante est reliée à Paris par la ligne Paris-Rouen (1843) puis son prolongement jusqu’au Havre (1847). Etretat est alors à une heure de diligence du Havre. L’ouverture en 1856 de la ligne Bréauté - Fécamp rapproche encore la station balnéaire. Les voyageurs descendent alors à la station des Ifs puis parviennent en diligence à Etretat. En 1879, le Plan Freycinet programme l’aménagement de la voie Les Ifs – Etretat.
Sa construction rencontre des obstacles. La photographie aérienne témoigne nettement de l’éloignement de la gare-terminus du centre du village. La contestation d’un notable dont la propriété menace d’être traversée de part en part par la voie ferrée explique que la gare soit construite en retrait des premières habitations du Petit-Val.
L’inauguration de la ligne en 1895 fait d’Etretat le « Deauville du Pays de Caux ». La ligne Les Ifs – Etretat assure huit navettes quotidiennes. La station n’est alors plus qu’à quatre heures de Paris. A la gare, parviennent les « trains du plaisir » de la Belle Epoque. Le succès de la ligne est tel que les projets de nouvelles lignes se succèdent. En 1912, le projet d’une ligne côtière entre Le Havre et Etretat est adopté. La Première Guerre mondiale y met définitivement un terme.
Après la Première Guerre mondiale, la ligne ne renoue pas avec la fréquentation d’avant-guerre. Le progrès des transports contribue à réorienter les flux touristiques vers d’autres destinations, notamment la Côte d’Azur. Les touristes britanniques et anglais délaissent notamment la station de la Côte d’Albâtre. La ligne Les Ifs – Etretat ne connaît ainsi plus que cinq navettes quotidiennes durant la saison estivale durant l’entre-deux-guerres. Les destructions de la Seconde Guerre mondiale puis la promotion de l’automobile sont fatales au transport de voyageurs dès 1951.
Depuis 2000, la ligne est pour partie réhabilitée. Elle est exploitée par l'association Train touristique Étretat-Pays de Caux qui propose entre la gare des Loges et celle d’Etretat un trajet en vélo-rail. Elle contribue ainsi à renouveler l’offre touristique de la station balnéaire.
Le front de mer
Orienté du sud-ouest au nord-est, le front de mer témoigne d’une organisation et de pratiques spatiales héritées de l’âge d’or de la station balnéaire.
Troisième bâtiment depuis l’extrémité nord-est du front de mer, le casino en constitue le pivot. Localisé depuis le milieu du XIXe siècle peu ou prou au même emplacement, il contribue à l’organiser. L’appartenance à la société des bains de mer que gèrent alors les propriétaires du casino conditionne en effet l’accès à la moitié nord-orientale de l’estran. Encore aujourd’hui, elle est avant tout fréquentée par les propriétaires des villas dont l’association des Vieux Galets structure la sociabilité depuis 1924. C’est également dans cette partie du front de mer que sont reconstruits les principaux hôtels de la Belle Epoque, notamment l’immeuble des Roches Blanches, quasiment adossé à la falaise d’Amont.
A l’inverse, l’autre partie de l’estran est considérée comme le « perrey des manants ». C’est l’espace réservé jusque dans les années 1960 aux chantiers navals et aux caloges, les navires des pêcheurs remontés au plus haut de l’estran. Visible sur la photographie aérienne, une caloge renversée abrite désormais une association qui contribue à conserver la mémoire de la pêche depuis la fermeture du dernier chantier naval en 1968. Cependant, si la voile-loisir remplace désormais pour partie cette activité dans cette partie de l’estran, elle reste avant tout fréquentée par les habitants à l’année d’Etretat. Seuls les touristes de passage à Etretat contribuent à brouiller cette division de l’estran héritée de la seconde moitié du XIXe siècle...
Le golf et l’influence britannique
Localisé dans la valleuse de Jambourg, en surplomb du Grand Val, le golf d’Etretat s’intercale entre les pelouses aérohalines des falaises d’Amont et les premières grandes cultures du pays de Caux. Il couvre aujourd’hui une cinquantaine d’hectares.
Inauguré en 1908, ce golf de 18 trous a alors une surface limitée à dix-huit hectares. C’est alors le premier golf marin de France. Il se caractérise par l’accueil de pratiquants aussi bien que de pratiquantes. Les premières présidences d’honneur sont décernées à des Lords anglais. Le golf d’Etretat témoigne en effet de l’importance de la fréquentation touristique britannique lors de la Belle Epoque.
La station balnéaire connaît par ailleurs l’aménagement d’autres infrastructures qui témoignent de l’influence des nouvelles pratiques sportives issues du Royaume-Uni. Dès 1895, la société du casino fonde le Lawn-Tennis Club d’Etretat et construit cinq cours. Le développement du golf et du tennis comme la pratique de l’escrime et du tir témoigne aussi de la sociologie des estivants, principalement issus de l’aristocratie ou de la haute-bourgeoisie.
Si le golf d’Etretat est aujourd’hui l’un des cinquante premiers golfs de l’Hexagone, son rayonnement est essentiellement régional. En atteste l’organisation du Grand Prix de la Côte d’Albâtre dans le cadre d’une mise en réseau avec les golfs de Rouen, Dieppe et Le Havre.
Antifer le port pétrolier
Comme le montre l’image plus générale de la région, au sud d’Etretat apparaît le terminal pétrolier d’Antifer. Il se caractérise par une longue digue de 3,5 km tournée vers le nord qui accueille un appontement auquel est accosté un pétrolier, bien visible sur l’image car de couleur orange, en train de décharger sa cargaison. Sur le littoral, la falaise a été abaissée pour permettre l’installation de quatre grandes cuves stockant les hydrocarbures livrés.
Le terminal pétrolier d’Antifer appartient au Port du Havre qui se trouve une vingtaine de km plus au sud. Ce port artificiel a été construit en 1967 afin d’accueillir les supertankers qui alimentaient la France et l’Europe en hydrocarbures dans les années 1970. L’évolution de la taille des navires et la modernisation des infrastructures du port du Havre expliquent le recul progressif du trafic sur Antifer ces dernières années et sa relative sous-utilisation.
D’autres ressources
Fiche supplémentaire du site Géoimage : Le Havre, le port du Grand Paris
Contributeur
Cyrille Chopin, Professeur, Lycée Guillaume le Conquérant (Lillebonne).