Située au fond de l’estuaire de la Weser, Brême - et son exclave de Bremerhaven, comme avant-port au contact direct avec la mer - constituent le plus petit Land d’Allemagne tout en étant le second pôle maritime du pays. Cette singularité politique aux origines anciennes a longtemps permis à la cité portuaire de se développer, à l’image de sa voisine et rivale Hambourg, en s’inscrivant dans les évolutions du commerce nord-européen puis mondial et dans les mutations du système productif allemand et communautaire (cf. grande usine d’Airbus...).
Légende de l’image
Cette image de la ville de Brême, au nord-ouest de l'Allemagne, a été prise par le satellite Sentinel-2A le 23 juin 2022.
Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m. Ci-contre, la même image satelitte présente des repères géographiques de la région.
Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2022, tous droits réservés.
Repères géographiques
Présentation de l’image globale
Brême : face à Hambourg, l’autre métropole maritime allemande
Une situation typique des grands ports de la façade atlantique
« Hambourg est la porte sur le monde, Brême en détient la clé » (Hamburg ist das Tor zur Welt, Bremen hat den Schlüssel). Le dicton brêmois, en référence aux armoiries des deux cités et un brin teinté d’ironie, résume à lui seul le rapport de concurrence mais aussi d’interdépendance entre la cité portuaire de Brême et sa voisine de Hambourg, distante de 110 Km au Nord-Est. Tout comme son éternelle rivale de l’estuaire de l’Elbe dont elle partage nombre de similitudes et une sorte de destin commun, la ville de Brême se situe en fond d’estuaire de la Weser, à environ 60 Km des côtes de la Mer du Nord.
Brême appartient à cette guirlande de grands ports de fonds d’estuaires, souvent doter aujourd’hui d’avants ports (cf. Bremerhaven, Le Havre...) - qui caractérise la façade atlantique de l’Europe de l’Ouest : au sud se trouvent Lisbonne sur le Tage, Bordeaux sur la Gironde, Nantes sur la Loire ; au nord - constituant la fameuse Northern Range - Le Havre/Rouen sur la Seine, Londres sur la Tamise, Anvers sur l’Escaut, Rotterdam sur le delta du Rhin, Brême donc sur la Weser et, enfin, Hambourg sur l’Elbe. Le bassin hydrographique de ces grands fleuves sert historiquement d’hinterland plus ou moins vaste à leur grand port d’estuaire. Celui de la Weser, longue de 452 km, couvre 48 800 km2 et draine toute l’Allemagne centrale jusqu’à Fulda ou Eisenach.
Le port de Brême, ou plutôt les ports de Brême, constituent un ensemble de huit ports dont cinq sont visibles sur cette image globale, les trois autres étant à Bremerhaven (Zoom 3). Ce chapelet portuaire le long de la Weser débutant au port fluvial de Weserhafen alliant le fleuve, son estuaire et sa ville fait donc de cet espace un ensemble typique des grands ports de la Northern Range et le second grand ensemble portuaire allemand après Hambourg (voir l’image complémentaire), mais loin derrière Rotterdam ou Anvers. Le site de la ville de Brême est classique : il se trouve à 89 km à l’intérieur des terres, là ou s’arrête l’influence du mascaret, c’est-à-dire l’effet de la marée, à un endroit de gué oû le fleuve et sa vallée sont facilement franchissables (iles et différents bras).
A l’échelle nationale, les autoroutes qui enserrent l’Est et le Sud de la ville relient Brême vers le Sud Est à Hanovre et positionnent la ville en situation de carrefour sur un axe reliant le cœur industriel de l’Allemagne à la Baltique, en passant par Hambourg. Cette position d’interface fait toujours des ports de Brême un nœud stratégique des échanges d’une puissance économique allemande fortement insérée dans la mondialisation et tirée par ses exportations, dont ses deux grands ports sont à la fois les vecteurs et le reflet.
Une cité-Etat indissociable de ses ports
Cette unité de la ville avec ses ports qui se lit sur l’image en terme morphologiques de part et d’autre des rives de la Weser est le fruit d’une longue histoire marquée d’un point de vue politique et administratif par une volonté d’affirmation de l’identité d’une cité portuaire au cœur d’un espace agricole composé de champs ouverts typiques de la plaine littorale allemande.
Brême, avec son exclave de Bremerhaven, est toujours aujourd’hui le plus petit Land d’Allemagne. Enclavé en Basse Saxe, il est aussi celui dans lequel la part des exportations dans le PIB d’un Land est le plus important. Ce statut de ville-Etat tire son origine dans le passé médiéval d’une ville libre d’Empire rattachée à la Hanse, bien qu’entretenant avec la Ligue hanséatique des relations parfois conflictuelles, voire même avec le Saint-Empire dont elle profite de la disparition en 1806 pour se proclamer « ville libre hanséatique ». L’éphémère préfecture des Départements des Bouches du Weser a retrouvé son statut sous la Confédération germanique et a cherché à le consolider en dépit de l’unification allemande, avant de voir son autonomie remise en cause progressivement et disparaitre sous le IIIème Reich.
Par l’accord anglo-américain de 1944, les Etats-Unis obtiennent la gestion du port de Brême pour se garantir un accès à la Mer du Nord, alors que la ville se trouve en zone d’occupation britannique. Ce territoire va devenir une enclave à part entière en 1947, réactivant ainsi cette tradition séculaire d’autonomie d’une ville fusionnelle avec ses ports. « D’abord le port, en suite la ville » (Zuerst der Hafen, dann die Stadt) : le mot d’ordre du premier maire de Brême de l’après-guerre priorisant les efforts de la reconstruction, Wilhelm Kaisen, ne fait en somme que s’inscrire dans la continuité de la mentalité des bourgeois marchands, débouchant sur le statut de Land en 1949 avec la création de la RFA.
L’évolution d’un grand port allemand
Cette continuité de l’identité politique et administrative s’est faite au prix d’adaptations incessantes aussi bien aux contraintes d’un site de fond d’estuaire, qu’aux évolutions du commerce mondial, de celles du contexte politique et à la concurrence des autres ports à l’échelle de la façade atlantique.
Au port médiéval et hanséatique tourné vers la mer du Nord et la Baltique ont succédé les extensions portuaires issues de la Weserkorrektion au XIX° siècle, portes d’entrée des produits industriels et tropicaux dont l’activité subsiste encore. La bascule de certaines activités portuaires vers Bremerhaven – son avant-port - depuis la Seconde Guerre mondiale suit une logique de spécialisation dans les activités liées à l’économie mondialisée tout en traduisant les forces structurelles de l’économie allemande, aujourd’hui remises en question. A côté des importantes activités portuaires, Brême et Bremerhaven dispose d’une puissante base industrielle diversifiée, comme en témoigne la présence d’une importante usine d’Airbus le long de l’aéroport.
Zooms d’étude
La ville de Brême : l’affirmation d’une identité portuaire, entre patrimonialisation et revitalisation des espaces
L’image du centre-ville permet de mesurer l’impact du développement des activités portuaires sur l’urbanisation. On y distingue nettement la vieille ville autour des anciennes murailles avec son cœur historique médiéval, le quartier du Schnoor, qui doit son nom aux activités artisanales liées au commerce maritime et développées autour de l’église Sankt-Johann. Ce centre historique est aujourd’hui la vitrine patrimoniale d’une cité mettant en avant son autonomie civique et sa souveraineté passée autour de lieux emblématiques tels que l’hôtel de ville et la statue de Roland, tous deux classés au patrimoine de l’Unesco. Ils constituent avec la Schlachte - les quais anciens devenus promenade – ou avec la statue des Musiciens de Brême, les leviers identitaires d’une symbolique brêmoise mise en avant pour l’image de la ville et le développement touristique.
On retrouve cette logique de patrimonialisation et de revitalisation dans la transformation d’anciens espaces portuaires en musées, tels que le musée d’art moderne sur le Weserburg depuis 1991, en lieu et place d’entrepôts en brique rouge. Situé en aval du centre historique dans la Überseestadt, cet ensemble portuaire édifié à partir de 1885 et du premier approfondissement de la Weser (aussi appelé Europahafen), le musée maritime Hafenmuseum Speicher XI retrace dans cette ancienne cotonnerie l’histoire de ce port devenu entre les deux guerres l’un des principaux mondiaux et la porte d’entrée et de transformation des produits tropicaux tels que le café, le tabac, le coton ou le cacao. On lit donc autour de ces projets emblématiques les pivots de la revitalisation et de la gentrification d’espaces portuaires témoins d’une phase de développement aujourd’hui révolue, un peu l’image du quartier Hafencity de Hambourg, mais dans une moindre ampleur.
Situé au nord du centre historique, le Bürgerpark, poumon vert de 200 hectares issu de donation foncières de particuliers à la ville de Brême pour préserver des espaces naturels dans le contexte d’extension urbaine de la fin du XIX° siècle que l’on distingue nettement sur l’image, se veut le gage d’une certaine qualité de vie dans une métropole de taille moyenne au passé industriel. Il témoigne aussi de cette capacité collective d’adaptation et d’initiative caractéristique des cités-Etats hanséates.
La ville de Brême vue par un satellite Pleaides le 29 juin 2018.
Contient des informations PLEIADES © CNES 2018, Distribution Airbus DS, tous droits réservés.
Brême
Repères géographiques
L’agglomération de Brême : la recherche d’un nouveau souffle métropolitain
A l’échelle de l’agglomération, l’emprise spatiale des espaces portuaires n’en est que plus frappante. En aval de la Überssestadt se dessine le début du port industriel (Industriehafen) destiné au transbordement de vrac solide : céréales, bois, mais aussi charbon pour l’aciérie ArcelorMittal. Le Neustädter Hafen, sur la rive gauche de la Weser, est quant à lui occupé par des marchandises diverses destinées à l’export, des éléments de pipeline aux machines-outils en passant par les pales des éoliennes marines. Le port d’Hemelingen (Weserhafen Hemelingen) a quant à lui été développé à la fin des années 1960 pour améliorer la connexion vers la navigation fluviale.
La métropole brêmoise, dont l’influence dépasse les limites du Land, connaît une croissance faible du nombre de ses habitants, après en avoir perdu au tournant des années 1990. Dépassant le demi-million d’habitants, Brême ne dispose pas de la taille critique nécessaire et des fonctions pour rivaliser avec ses grands voisins à l’échelle du Nord de l’Allemagne. L’importance de sa population jeune et cosmopolite, Brême étant le Land dans lequel la population issue d’un contexte migratoire est la plus élevée en proportion, en fait toutefois un atout.
La ville mise aussi sur le développement technologique et notamment sur l’Aviaspace au nord de la ville, cluster aéronautique et aérospatial juxtaposant l’université. Cette cité de l’espace dont Airbus est le moteur est la tête de pont d’un microcosme aéronautique et spatial émietté dans l’aire urbaine, et dont le second pôle est l’aéroport que l’on distingue au sud-ouest, particulièrement accessible depuis le centre.
Agglomération de Brême
Repères géographiques
L’avant-port de Bremerhaven : les fortes contraintes d’un estuaire
A l’embouchure de la Weser, deux ensembles portuaires se détachent. A l’Est, Bremerhaven, avant-port de Brême, seconde partie du Land de Brême et le plus petit des ports géants de la Northern Range. Les ports de Bremerhaven sont caractérisés par une spécialisation spatiale par activités. Le port de pêche au sud (Fischereihafen), protégé par un système d’écluses, est marqué par son complexe de transformation de produits de la mer et de surgélation dans lequel œuvrent des firmes comme Nordsee.
Il sert aussi de point de chargement des parties imposantes des éoliennes implantées dans les parcs éoliens offshore implantés en mer du Nord tel que le parc de Nordsee Ost. Le développement des EMR apparaît ainsi comme un nouveau facteur de développement permettant d’utiliser des espaces de transbordement disponibles, reliés à l’arrière-pays par le système routier et ferroviaire.
Un peu plus au nord se trouve le terminal de croisière (Kreuzfahrt-Terminal) dont l’origine date du XIX° siècle dans sa partie sud et la phase d’émigration vers les Etats-Unis avec des lignes transcontinentales de passagers, dont la maison allemande de l’émigration témoigne (Deutsches Auswandererhaus). Hambourg se situant en zone d’occupation britannique, le port est ensuite devenu après 1945 la porte d’entrée de plus de 3,5 millions de soldats américains en RFA et en Europe avec leurs équipements lourds. Symbole d’une industrie automobile allemande exportatrice et toujours au cœur de l’économie du pays, même si le virage vers la voiture électrique va nécessairement poser des questions d’adaptation longtemps repoussées, le port de Bremerhaven est aussi l’un des – si ce n’est le – plus grand parking d’Europe. En 2020, près d’1,7 millions de véhicules y ont été transbordés et exportés.
Bremerhaven doit surtout son développement contemporain au transbordement de conteneurs, dans une course aux investissements et à la concurrence particulièrement marquée. Le premier terminal date ainsi de 1968, peu de temps après l’arrivée du premier conteneur en Europe…dans le port de Brême ! Les prolongations successives et ouvertures de nouveaux terminaux permettent aujourd’hui à Bremerhaven de se rapprocher du gabarit d’un port en eaux-profondes, doté d’un quai de près de 5 kilomètres de long et assurant le transbordement de 4,61 millions d’EVP 2021 (6ème port européen de conteneurs), mais doté d’un tirant d’eau de 14 mètres seulement, contre les 16m nécessaires aux porte-conteneurs les plus grands en pleine charge. La fermeture d’une des lignes transcontinentales d’Hapag-Lloyd et son transfert vers Hambourg montre bien les limites de la stratégie d’adaptation des ports de Brême.
Le manque de capacité d’expansion de Bremerhaven et la profondeur à l’embouchure de la Jade ont justifié la construction du nouveau terminal de Wilhemshaven en Basse-Saxe (JadeWeserPort Wilhelmshaven), ville jusque-là tournée vers sa baie et spécialisée dans la fonction militaire. Imaginé comme un port en eaux-profondes capable de rivaliser avec les géants de la façade atlantique en compensant les faiblesses de Bremerhaven, et en partie financé par le Land de Brême, le port peine à se développer avec un transbordement d’à peine plus de 700.000 conteneurs en 2022. La course au gigantisme des infrastructures se heurte aux évolutions d’un commerce mondial en mutation et aux stratégies des acteurs qui le nourrissent.
Bremerhaven
Repères géographiques
Image complémentaire
Vue régionale
Repères géographiques
Mer des Wadden
Brême, Bremerhaven et Hambourg en Allemagne du Nord
Se détachent sur cette vue à plus petite echelle au milieu de l’étendue de la grande plaine d’Europe du Nord les deux axes fluviaux de la Weser et de l’Elbe, avec leurs cités portuaires concurrentes mais au destin voisin, ainsi que le nouveau port en eaux-profondes de Bremerhaven. On remarque donc bien que l’ensemble est en situation de complémentarité par les activités et spécialisations recherchées, mais souffre aussi d’une concurrence ancienne et toujours vive.
Cette concurrence dont profite encore Hambourg, toujours 3ème port européen pour le traffic de conteneurs et ce malgré les problèmes d’envasement et de retrait important par rapport à la côte, nourrit aujourd’hui des rapports d’experts quant aux possibilités de mettre davantage en complémentarité ces ports, à défaut d’une véritable stratégie à l’échelle nationale, car nous sommes dans un État fédéral dans lequel chaque État fédéré tient à ses prérogatives et défend avec vigueur ses intérêts. Il faut à un navire 78 minutes pour effectuer le trajet Mer (station de pilotage Elbe 1)/ Hambourg, contre respectivement 32 minutes pour atteindre Bremerhaven et 24 minutes pour atteindre Wilhelmhaven à partir de la mer (station de pilotage Weser/Jade). On doit aussi relever au nord le tracé bien visible du canal dit de Kiel qui relie Kiel et la mer Baltique à Brunsbüttel et la mer du Nord. Long de 93 km et profond de 13 m. et inauguré en 1895 par Guillaume II, il traverse toute la péninsule du Jutland et permet ainsi à la marine allemande de basculer d’une façade maritime à l’autre sans passer par les détroits du Sund contrôlés par la Suède et le Danemark.
Pour autant, comme le montrent bien l’image satellite et la carte régionale de la Mer des Wadden, le contact maritime des ports de Hambourg et de Brême est très contraint. Au-delà d’estuaires relativement longs et étroits, la côte est constituée par un large et vaste estran dans lequel les chenaux de navigations sont fortement contraints (jeux des marées, courants, nombreuses îles et bancs de sable, dynamique de sédimentation, faiblesse des profondeurs...). Bremerhaven est ainsi à 50 km de la haute mer et le port d’Hambourg à environ 120 km.
D’autres ressources
Sur le site Géoimage, les grands ports européens de la Northern Range
Charlotte Soria : Allemagne - Hambourg, « Porte maritime allemande sur le monde » et pôle aéronautique face à des défis multiformes
/allemagne-hambourg-porte-maritime-allemande-sur-le-monde-et-pole-aeronautique-face-des-defis
Laurent Carroué : Pays-Bas - Rotterdam : le 1er port d’Europe sur le delta du Rhin, entre flux mondiaux, grands aménagements et changement climatique
/geoimage/pays-bas-rotterdam-le-1er-port-deurope-sur-le-delta-du-rhin-entre-flux-mondiaux-grands
Charlotte Meny-Boze : Belgique - Anvers : le 2e port de la Northern Range européenne
/geoimage/belgique-anvers-le-2e-port-de-la-northern-range-europeenne
Jean-François Joly : Le Havre : le port du Grand Paris, un port de la Northern Range européenne
/geoimage/le-havre-le-port-du-grand-paris-un-port-de-la-nothern-range-europeenne
Ouvrages et sites
Prof. Dr. Frank Ordemann, Deutsche Häfen verpassen Wettbewerbschancen - Studie zu den verpassten Chancen der deutschen Containerseehäfen ihre Wett¬bewerbsfähigkeit in der Hamburg-Antwerpen-Range zu behaupten, Januar 2020.
https://www.cerl.fr/classement-des-ports-mondiaux-les-leaders-du-trafic…
Lande de Basse Saxe : cartes en ligne
https://www.geolife.de/index.php
Contributeur
Loïc Fournier, IA-IPR, Inspecteur pédagogique régional, Académie de Strasbourg