Chine - Hainan : les bases navales de Yulin et Yalong, projection de puissance et conflits frontaliers en Mer de Chine méridionale

Au sud de l’immense Chine continentale, l’île d’Hainan – longtemps isolée et marginale – a connu à partir des années 1990 une véritable métamorphose. Le tourisme joue bien sur un rôle important (cf. station balnéaire de Sanya). Mais surtout, le sud de l’île abrite deux bases navales de 1ère importance : Yulin et Yalong, la seconde accueillant les sous-marins SNLE dotés de missiles nucléaires balistiques. Alors que la Mer de Chine méridionale – et plus globalement l’Asie de l’Est et du Sud-Est - est un des cadres maritimes privilégiés de la compétition géostratégique, géopolitique et géoéconomique entre la 1ère et la 2ème puissance mondiale, les Etats-Unis y ont aujourd’hui perdu le monopole de la puissance maritime qu’ils y détenaient depuis 1945. Ces bases rappellent que la maritimisation de la Chine induit pour Pékin le contrôle et la maîtrise, la possession et l’appropriation des mers bordières, débouchant ainsi sur de nombreux conflits frontaliers avec les autres Etats riverains dans les Paracels et les Spratleys. Ces bases rappellent aussi qu’il ne peut y avoir projection de puissance sur les mers et les océans sans les forces navales et sans les bases et points d’appui pour les accueillir que cela suppose.

 

Légende de l’image

 

Cette image du Sud de la Chine, montre la  ville de Sanya sur l’île de Hainan. Elle  a été prise par le satellite Sentinel 2A le 24 novembre 2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

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Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2019, tous droits réservés.

 


Repères géographiques

 

Image satelitte avec quelques repères géographiques.

 

 

Présentation de l’image globale

Hainan : une île en position géostratégique pour la projection
de la puissance chinoise dans les mers du sud

Hainan : une île tropicale à la pointe méridionale du pays

L’image couvre un espace littoral dominé au nord par des hauteurs moyennes, pour partie boisées, qui culminent à 1850 m. vers l’ouest (hors image). Au contact de la mer, ce littoral alterne grandes baies ourlées de longues plages de sable et caps rocheux, s’avançant plus ou moins dans la mer et parfois très découpés comme au centre de la vue. Il est très différent du littoral nord de l’île, beaucoup plus bas, moins accidenté et ourlé d’une large guirlande de coraux, ici beaucoup plus rares.

Nous sommes ici dans le sud d’Hainan, une île située à l’extrémité méridionale de l’immense Chine continentale, à plus de 2500 km de Pékin. Alors que le Tropique du Cancer passe exactement au nord de l’île - sur Haikou, sa capitale - nous sommes sur le 18°12 de latitude Nord et le 109°41 de longitude Est. Au nord, l’île est séparée de la province du Guangdong, et donc de la Chine continentale, par le détroit de Qiongzhou qui mesure 25 km de large. En fait, Hainan est la continuité en mer de la longue presqu’île de Leizhou dont elle est le continuum vers le sud. Sur celle-ci se trouve le grand port miliaire de Zhangjiang, où se trouve l’Etat-Major de la Flotte du Sud de la Marine chinoise. Ce n’est pas n’importe quel site : il correspond à l’ancien territoire à bail français de Kouang-Tchéou-Wan, arraché à la Chine de 1898 à 1943, pour sa valeur stratégique en Chine du Sud. Cette avancée en mer par rapport la masse continentale fait qu’en fait l’île d’Hainan n’est qu’à 230 km des côtes vietnamiennes et qu’elle ferme vers l’ouest le golfe du Tonkin.   

Couvrant 34 000 km², soit l’équivalent de l’île de Taiwan ou un peu plus que la Belgique en Europe, elle est peuplée de neufs millions d’habitants, soit des densités de 255 hab./km². Cette Chine insulaire et tropicale bénéficie en général d’un bon ensoleillement, de températures moyennes clémentes de 23°C à 25°C et de précipitations variant de 900 à 2.600 mm selon l’altitude et l’orientation des reliefs. Ces conditions générales y expliquent le développement récent d’un très large tourisme national bien présent sur l’image avec la grande ville balnéaire de Sanya (zoom 1).

 

Une position stratégique sur la mer de Chine méridionale

Mais surtout, l’île d’Hainan est bordée au Sud-Ouest par la mer de Chine méridionale. Celle-ci est une des mers marginales - c’est-à-dire qui se trouve aux marges des masses continentales eurasiatiques et servant de tampon avec l’océan Pacifique - les plus vastes en couvrant 2,5 millions km2. Elle succède du nord vers le sud à la mer d’Okhotsk, à la mer du Japon/ mer de l’Est et à la mer de Chine orientale. Elle est bordée par huit autres Etats : le Viêt-Nam, la Malaisie, l’Indonésie, Singapour, les Philippines, Brunei et Taïwan. Dans cette Asie péninsulaire ou archipélagique, elle est relativement fermée mais accessibles par de grands détroits maritimes, au Nord (détroit de Taïwan, Détroit de Bashi) comme au Sud (Détroit de Malacca, Détroit de la Sonde).

De par sa position entre l’Asie du Sud-Est et l’Asie de l’Est, c’est une des mers traversées par les plus importantes routes maritimes au monde ; elle voit ainsi circuler un tiers du commerce mondial. Cet espace maritime exceptionnel est donc l’objet de fortes tensions et d’enjeux sécuritaires majeurs, aux échelles continentale et mondiale. C’est un des espaces maritimes où la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis est la plus frontale comme en témoignent de nombreux incidents entre les deux marines ou les « Opération pour la liberté de navigation » (« US Freedom of Navigation », ou FON) engagées en particulier par l’US Navy dans la zone.



 

 

Carte de localisation de l’ile d’Hainan et de ses deux bases navales dans le contexte frontalier conflictuel de la Mer de Chine méridionale.

Source : fond de carte tiré de CRS Report – R42784, sept. 2019, en accès direct, libre et gratuit

 

Hainan : une île-miroir reflétant la trajectoire de maritimisation de la Chine

L’essor relativement récent d’Hainan est inséparable de la maritimisation progressive de la Chine ces dernières décennies, dont elle est en quelque sorte le miroir et un des leviers essentiels : création de la 2ème flotte militaire mondiale derrière l’US. Navy, militarisation accélérée de l’espace maritime, contestation de la liberté des mers et extensions territoriales aboutissant à de violents conflits frontaliers.

Des années 1970 aux années 1990, la Chine s’ouvre, se modernise et entame sa littoralisation : ville côtières « ouvertes » de 1984, création de compagnies de transport maritime, relance des chantiers navals, création en 1982 de la CNOOC et premières explorations pétrolières dans le delta de la Rivière des Perles puis le golfe du Tonkin. En janvier 1974, Pékin s’empare des îles Paracels alors sous contrôle du Sud-Viêt-Nam et des affrontements se déroulent dans les Spratleys en 1988. La fin de cette période représente pour l’île un tournant majeur : l’île d’Hainan est en effet détachée de la province du Guangdong en 1988 pour être élevée au rang de province avec Haikou comme capitale régionale.

Si Hainan est dorénavant la plus petite des provinces chinoises par sa taille et sa population, son espace est complément dilaté puisque Pékin y rattache administrativement les petites îles - et leurs espaces maritimes - de la mer de Chine méridionale dont elle revendique la souveraineté. La territorialisation chinoise de ces îles disputées passe donc très symboliquement au plan géopolitique par leur provincialisation. Enfin, afin d’accélérer le décollage économique de l’île, celle-ci obtient toujours en 1988 le Statut de Zone Economique Spéciale (ZES) qui va favoriser tout particulièrement l’essor du tourisme.

La décennie 1990/2000 correspond à une période de consolidation des premiers acquis. Ainsi, la Loi sur les eaux territoriales de février 1992 réaffirme la souveraineté de la Chine sur les Spratleys au sud et les Senkaku au nord. Mais Pékin multiplie des accords de coopération internationaux (Forum économique du golfe du Tonkin créé en 2006…). Ainsi, malgré de nombreuses tensions en particulier pour les Paracels, le Viêt-Nam et la Chine signent le 25 décembre 2000 un accord de délimitation de leurs frontières maritimes dans le golfe du Tonkin qui baigne à l’ouest l’île d’Hainan.

C’est aussi la période du début du grand boom touristique (cf. zoom 1. Sanya) et de l’arrivée de nouvelles fonctions stratégiques : située au Nord-Est de l’île, la base spatiale de lancement de Wenchang est inaugurée en 2014 et entre en fonction en 2016. Beaucoup plus proche de l’équateur, elle est appelée à occuper une place majeure dans les futurs programmes spatiaux nationaux.

Enfin, les décennies 2000/2020 sont celles de la réaffirmation de la puissance géostratégique et maritime chinoise en mer de Chine méridionale avec le déploiement d’une présence et d’un activisme renouvelés. Celle-ci est redéfinie en 2009 comme une « zone d’intérêt vitale » et devient un des espaces maritimes dans lequel le concept de « défense active des mers proches » prend tout son sens. Deux phénomènes majeurs sont à retenir.

En juillet 2012, la province de Hainan voit son rôle géopolitique en mer de Chine méridionale renforcé par la création de la ville-préfecture de Sansha. Sansha a la particularité d’être installée sur Yongxing – Woody Land, la plus grande île des Paracels. Peuplée de 1400 habitants, elle est équipée d’un aéroport et des services de base (hôpital, banque, école, poste, commerces). Dépendant directement du gouvernement provincial d’Hainan, cette minuscule ville-préfecture insulaire se voit attribuer la responsabilité administrative de tous les territoires de la mer de Chine méridionale, dont une vingtaine d’îles des Paracels et des Spratleys. Après la « provincialisation » de 1988 intervient donc en quelque sorte la « municipalisation » de 2012 pour ces espaces maritimes. Avec pour objectif une territorialisation de plus en plus symbolique et affirmée de la présence de la Chine populaire dans cet espace maritime disputé.

On voit se multiplier les opérations d’exploration bénéficiant de la protection de la marine et de l’armée de l’air, l’accélération de la construction d’îles artificielles, parfois commencée dès 1995 (Mischeef Ref…)… La Chine accélère en effet sa recherche scientifique dans une mer encore peu ou mal connue et cartographiée, en surface ou sous la mer (topographie, géologie marine, sédimentologie, courants marins…). Les campagnes de cartographie marines bathymétriques visent à faciliter la mobilité et les opérations de surveillance des sous-marins, la pose de câbles de transport de données en haut débit ou l’exploitation des ressources (tectonique, géologie, stratigraphie…).
Les universités, instituts et centres de recherche de Guangzhou/ Canton, de Xiamen dans le Fujian, d’Hangzhou dans le Zhejiang ou d’Yantai et de Qingdao dans le Shandong sont mobilisés alors qu’est créé en 1996 à Haikou, la capitale d’Hainan, un Institut national de recherche sur la mer de Chine méridionale.  

Un avant-poste maritime : projection de puissance, appropriations et conflits frontaliers

En quelques décennies, on a assisté en mer de Chine méridionale à une véritable course entre Etats riverains au contrôle des nombreuses îles qui composent les grands archipels qui s’y trouvent. Ce processus a débouché sur de fortes tensions et de nombreux conflits frontaliers.

Dans cet espace, la Chine est un acteur majeur de trois grands conflits maritimes frontaliers. Au sud-ouest, dans l’atoll de Scarborough dont la Chine s’empare en 2012, mais qui es aussi revendiqué par les Philippines et Taïwan. Au sud-est, dans les îles Paracels qui se trouvent à 230 km au sud-ouest d’Hainan : elles sont contrôlées comme on l’a vu depuis 1974 par la Chine (Woody Island, piste d’aviation à Yongxing, station d’écoute sur l’île Rocky…), mais toujours revendiquées par le Viêt-Nam et Taiwan. Et enfin, au large sud-est, dans le vaste archipel des Spratleys, qui se trouve à 500 ou 600 km d’Hainan et qui est occupé et disputé entre le Chine, le Viêt-Nam, les Philippines, la Malaisie et Taïwan.

Dans sa logique de projection de puissance, la Chine populaire cherche systématiquement à s’approprier les îlots, rochers ou récifs. Elle les renforce, les poldérise et les artificialise afin de pouvoir requalifier juridiquement ces pointements en îles et donc y associer une ZEE de 200 milles nautiques, soit environ 370 km. C’est le cas dans les Spratleys, par exemple, pour Fiery Cross (piste d’aviation), Gaven, Cuarteron, Subi, Hughes, Johnson ou Mischief Reefs.

Pour accompagner et appuyer cette stratégie, les défis logistiques et militaires sont considérables puisqu’il faut être capable de projeter ses moyens – y compris tout simplement du ciment, des tiges de fer, des blocs de béton ou du gravier - et ses forces parfois à 600 ou 800 km en mer. Pour ce faire, la Chine a absolument besoin d’une très solide base arrière : c’est l’île d’Hainan.

Celle-ci est donc fortement militarisée. On y trouve des unités de missiles, une brigade combinée et une brigade de défense des frontières pour l’armée de terre et trois bases aériennes de la marine, dont celle de Lingshui sur la côte orientale au nord-est de Sanya (hors image). On y trouve d’importantes unités spéciales prêtes à intervenir très vite en cas de crise (brigades d’infanterie de marine, forces d’assaut amphibies…). Mais les deux joyaux du système sont les deux bases navales de Yulin et de Yalong (zoom 2).    

 

Zooms d’étude

 

Sanya : l’essor spectaculaire d’une importante station touristique au coeur d’une vaste conurbation littorale


Sur ce littoral, les collines plus ou moins déboisées viennent parfois jusqu’à la mer, mais permettent le déploiement d’une petite plaine littorale deltaïque. Les courants ont régularisé la côte en formant une très large et longue plage de sable et repoussé en conséquence le petit estuaire fluvial vers l’est. Dans cette plaine côtière, le vieux substrat des rizières inondées est encore parfois bien visible, en particulier à l’est de l’aéroport.

Mais le phénomène le plus frappant est l’explosion démographique et urbaine que connaît la région littorale, en lien très étroit avec le développement d’une très vaste station touristique, Sanya. Le phénomène est historiquement récent, car l’île fut longtemps une périphérie délaissée, pauvre et marginale. Il témoigne donc des profonds bouleversements socio-économiques et territoriaux que connaît le pays en quelques décennies.

Ce n’est en effet qu’au milieu des années 1980 que Pékin décide de faire de l’île d’Hainan un haut lieu touristique, facilité par le statut de ZES - Zone Economique Spéciale accordé en avril 1988. Du fait de sa magnifique plage, Sanya est un des sites les plus développés. En 1999, les premiers grands hôtels chinois et internationaux sont ouverts sur la plage de la Baie de Yalong couverte par l’image. Ce boom touristique serait impossible sans l’essor du transport aérien. L’aéroport de Sanya Phénix, bien visible sur l’image, voit passer chaque année des dizaines de millions de touristes, pour l’essentiel chinoise et hongkongais. Ils viennent à Sanya passer des vacances et découvrir les charmes des loisirs balnéaires.  

Cette ville de 300 000 habitants au cœur d’une agglomération de 680 000 habitants a vu se multiplier comme le montre bien l’image les grandes opérations immobilières. L’essor d’un tourisme à la fois de masse et de luxe aboutit à des inégalités spatiales assez nettes, comme l’illustre la pointe sud-est avec son golf, sa marina ou l’importance des bateaux sur l’eau. Face à la relative saturation des sites, on voit émerger sur le modèle du Golfe persique des iles artificielles dont une est en construction dans l’angle nord-ouest de l’image. Mais on en trouve de nombreuses dans l’ouest de l’île déjà toutes équipées. La station de Sanya est reliée à Haikou, au nord, par deux lignes LGV périphériques, Ouest et Est alors que le nouvel aéroport international de Sanya Hongangwan est en construction. Ce dynamisme aboutit en quelques décennies à la création d’une vaste conurbation touristique et balnéaire multipolaire s’étendant sur des dizaines de km et dont Sanya demeure l’épicentre.


Repères géographiques

 

 

 

 

Les deux bases navales de Yulin et de Yalong,
deux leviers essentiels
pour la projection maritime de la Chine


A l’est de la station touristique de Sanya, on change radicalement de monde. Nous ne sommes plus dans une vase baie ouverte, un système que l’on retrouve à nouveau par la suite aussi vers l’est. Nous sommes là dans un site de cap tombant dans la mer et déchiqueté par trois avancées encadrant deux baies naturellement abritées : à l’ouest la baie de Yulin, à l’est la baie de Yalong. C’est ce site assez exceptionnel qui va être utilisé par la Marine chinoise pour construire deux bases navales – l’une conventionnelle, l’autre sous-marine et nucléaire - au rôle géostratégique majeur. L’objectif à moyen terme - 2050 – est que le Chine dispose de la 1ère marine de guerre dans la région quantitativement et, de plus en plus, qualitativement.

A l’ouest, la baie et la base navale de Yulin sur un ria relativement étroit

Comme le montre l’image, la base navale de Yulin - qui est la plus proche de Sanya - est une base navale conventionnelle située dans un fond d’estuaire, un abri naturel renforcé par des digues. La baie de Yulin est en effet comprise entre deux caps bien découpés avec dans sa partie centrale un promontoire s’avançant dans la mer. Celui-ci protège une vallée fluviale, ou une ria, assez étroite et un peu encaissée s’enfonçant dans les terres. Elle est entourée de collines assez élevées donnant au sud-est des côtes à falaise. Le site est assez remarquable et facile à défendre. Deux jetées et une digue centrale en ferment la partie Est vers la mer en ne laissant que deux passages. Bien visibles, les installations militaires navales se déploient à l’ouest du grand cap et, surtout, à l’entrée ou dans la profondeur de la ria.    

Par sa structure, son organisation, les unités présentes et ses grandes capacités opérationnelles, la base de Yulin est à l’image du système chinois de projection : hybride et polyvalente. En mer de Chine méridionale, l’affirmation de cette présence associe navires de guerre, plateformes de forages, activités d’exploration scientifique, stations météorologiques, activités de pêche…

Cette polyvalence s’appuie aussi bien sur la marine militaire, l’APL, que sur les garde-côtes, les agences de police ou des douanes, les milices et les bateaux de pêches. Comme l’illustrent de nombreuses opérations hybrides menées ces dernières années dans les Senkaku au nord, ou les Paracels et les Spratley au sud.

A l’est, la baie et la base sous-marine de Yalong avec ses sous-marins stratégiques

Bien plus récente car achevée seulement en 2008, la base navale de Yalong est sensiblement différente. Elle est largement dominée par une haute colline boisée dans laquelle on distingue d’ailleurs clairement des traits blancs fins qui correspondent soit aux enceintes de protection des installations soit à des axes de circulation et de patrouille permettant de sécuriser le site. Contrairement à l’image générale du dossier, l’image zoom prise en novembre 2019 est plus claire et sans nuage, elle permet donc de bien distinguer deux grands quais.

Toute la partie orientale de la baie est fermée par cinq longues digues s’appuyant sur trois petites îles pour ne laisser que trois passages, verrouillant bien ainsi l’espace intérieur de la base. On distingue bien au nord deux très longues et larges jetées qui ont été construites pour accueillir le groupe aéronaval du porte-avion Liaoning. Il vient souvent en mer de Chine du Sud et fait régulièrement des escales dans la base, même si son principal port d’attache est dans le Guangdong.

Pour sa part, la base sous-marine et l’essentiel des installations sont très visibles dans l’isthme reliant la plage à l’est aux quatre quais à l’ouest. On identifie facilement les quatre grands quais auxquels peuvent accoster les sous-marins. Il convient cependant de remarquer que la base dispose aussi de très nombreuses installations sous-terraines, donc non visibles de l’espace. Elles servent à abriter sous-marins, équipements, armements.    

L’essor remarquable des forces sous-marines chinoises

Mais surtout, Yalong est la plus grande base de sous-marins de Chine et d’Asie. Elle peut accueillir une vingtaine unités. Son existence vient rappeler qu’aujourd’hui la Chine dispose en effet globalement d’un parc de 66 sous-marins. 55 sous-marins d’attaque à propulsion classique diesel-électrique de qualité bien inégale. Mais surtout onze sous-marins à propulsion nucléaire, qui assure une autonomie, une discrétion et des capacités de projection bien meilleures. La Chine compte ainsi sept SNA – sous-marins nucléaires d’attaque et – surtout – quatre SNLE, sous-marins nucléaire lanceurs d’engins selon la terminologie française. Selon les analystes étasuniens, la Chine populaire devrait passer de quatre à huit SNLE et de 7 à treize SNA entre 2020 et 2030.      

Les forces maritimes chinoises ont donc connu ces deux dernières décennies un véritable boom de leur flotte sous-marine. Un sous-marin, quelque soit sa propulsion, présente un atout-maître en remplissant trois grandes missions. Premièrement, la maîtrise des mers autour des attaque de convois, la défense des flottes de surface (cf. accompagnement du porte-avion) et la défense des approches maritimes. Deuxièmement, une mission de renseignement et d’action clandestine avec, par exemple, le transport et le dépôt de forces spéciales près des lignes ennemies avec un faible risque d’interception. Troisièmement enfin, une mission de dissuasion conventionnelle ou nucléaire par ses capacités de frappes à terre.

Yalong : au cœur de la force de dissuasion nucléaire chinoise

Dans ce contexte général, Yalong est en Chine la seconde base de la composante sous-marine de la force de dissuasion nucléaire, avec celle de Jianggezhuang située sur la mer Jaune, dans le Nord du pays. Construit dans les chantiers navals de Bohai dans le Liaoning, les SNLE type 094 sont long de 135 m, déplacent 11.000 tonnes, sont armés de 12 missiles balistiques équipés chacun de trois à quatre têtes nucléaires et d’une portée de 7 à 8.000 km. Pékin a annoncé cette année le lancement du développement de nouveaux missiles de 12 000 km de portée.

Par rapport à la base de Jianggezhuang, Yalong présence un net avantage géostratégique lié à la géographie physique : la plus faible étendue du plateau continental et la présence relativement proche de la fosse océanique de Macclesfield – Scarborough, profonde d’environ 4.000 mètres. Elle permet aux SNLE chinois de la base de Sanya d’avoir accès facilement aux eaux profondes du Pacifique et donc de pouvoir partir patrouiller rapidement sans être détectés. Cette fosse est d’ailleurs aussi largement utilisée par les SNLE étatsuniens pour venir patrouiller dans la région. C’est d’ailleurs pourquoi la Chine est en train de déployer un système de réseau d’écoute dans la région.

 


Repères géographiques

 

 

Image complémentaire

 

 

 



L’urbanisation balnéaire littorale dans le sud de l’île d’Hainan, dans la région de Sanya, à l’est des bases navales de la Marine chinoise. La création progressive en quelques décennies d’une vaste conurbation balnéaire et touristique littorale.

 

D’autres ressources


 
  [Accéder à la traduction de ce dossier en allemand]


Ressources

Sur le site Géoimage : enjeux maritimes frontaliers en Asie et affrontements de puissance

Laurent Carroué : Japon / Russie - Les îles Kouriles : un archipel frontalier très disputé du fait d’enjeux géopolitiques et géostratégiques majeurs

Laurent Carroué : Japon / Chine - Les îles Senkaku : souveraineté, frontières et rivalités de puissance en Mer de Chine orientale

Bibliographie

Nathalie Fau et Benoît de Tréglodé (ss direct.) : Mers d’Asie du Sud-Est (chap. 4), CNRS Editions, Paris, 2018.

Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat : Atlas géopolitique des espaces maritimes, Editions Technip, 2010.

Laurent Carroué : « Géopolitique des mers et des océans » (chap. 9), in Philippe Deboudt (direct) :  Géographie des mers et des océans, Armand Colin, Paris, 2014. 

Laurent Carroué : Atlas de la mondialisation. Une seule terre, des mondes, collection Atlas, Autrement, Paris, 2020. 

Laurent Carroué : Géographie de la mondialisation. Crises et basculements du monde, collection U., Armand Colin, Paris, 2019.

Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur générale de l’Education nationale