Métropole néerlandaise peuplée d’environ 1,6 millions d’habitants dans son aire urbaine, Amsterdam est située dans la conurbation de la Randstad Holland. Elle s’affirme comme un haut lieu du tourisme métropolitain en Europe. En effet, avec environ 7 millions d’arrivées touristiques et 14 millions de nuitées par an, la charge touristique, supportée par le centre-ville, étudiée dans cette image, est considérable. Le tourisme participe ainsi à la recomposition de l’espace urbain, économique et social, notamment du centre, et explique, en partie, les premières manifestations d’hostilité des résidents à son encontre.
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Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 28 mars 2012. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.
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Amsterdam, le centre d’une métropole touristique saturée
1. Un site et un patrimoine exceptionnels largement valorisés
Un aménagement urbain et un patrimoine médiéval exceptionnels
Amsterdam est au Moyen-Age un village de pécheurs établi à la confluence de l’IJ, un bras de la mer intérieure du Zuiderzee bien visible au nord de l’image et suivant une direction ouest-est, et de la rivière Amstel, aujourd’hui canalisée et qui s’écoule du sud vers le nord. Bien qu’élevée au rang de ville en 1306, Amsterdam n’est encore alors qu’un gros bourg médiéval réduit à l’espace entre l’IJ et l’Amstel.
Après la naissance de la République des Provinces Unies en 1581, Amsterdam connait un rapide essor au XVIIème siècle en s’affirmant comme l’un des centres et l’entrepôt d’une des premières mondialisations. C’est une ville marchande et portuaire dominée par une bourgeoisie affairée. L’image en témoigne par l’ampleur des aménagements hydrauliques et urbains réalisés durant le Siècle d’Or. Ainsi, à l’ouest et au sud du périmètre urbain médiéval, entre le Singel, le 1er canal concentrique, et le Singelgracht, le dernier canal servant de nouvelles fortifications, bien visible aussi sur l’image par un profil moins rectiligne - le plus vaste projet urbain homogène du siècle en Europe est alors construit.
Il permet de drainer les marécages par un ensemble de canaux en arcs concentriques reliés à l’IJ et à l’Amstel. Les canaux permettent les communications ; les remblais les constructions. Chaque nouveau quartier, ainsi aménagé, reçoit un quai, une rue étroite et arborée et des maisons de « commerçants » associant habitations et entrepôts. Le dispositif est complété par des canaux secondaires.
L’ensemble, parfaitement homogène tant par le plan que par l’architecture, regroupe plus de 4 000 bâtiments aujourd’hui classés. Il est reconnu en 2000 par l’UNESCO comme patrimoine mondial de l’humanité. Classement et patrimoines expliquent en partie le succès touristique.
Patrimoine mondial et imaginaires de fonctions touristiques spécifiques
Celui-ci est aussi construit sur les imaginaires qu’offre la métropole hollandaise. Son développement, longtemps asymétrique, s’est orienté vers le sud en tournant le dos à l’IJ. En effet, comme le montre sur l’image le trajet des voies de chemins de fer et la gare centrale, les aménagements au XVIIIème et au XIXème siècle ont peu concerné les rives et surtout « l’autre rive », au nord.
La ville est née de sa fonction portuaire d’abord à l’est sur la rive sud où sont construits les premiers quais et entrepôts en lien avec le monde colonial néerlandais puis vers l’ouest après l’ouverture du canal vers la mer du Nord dans le quartier d’Hout Havens visible à l’extrémité nord-ouest de l’image. La rive nord n’est aménagée qu’au début du XIXème siècle. Aucun pont encore aujourd’hui ne relie les deux rivages. C’est une zone industrielle et portuaire où sont aménagés des quais, un chantier naval (NDSM) et des entrepôts. Au-delà sont planifiés dans les années 1920 des quartiers de petits immeubles de briques rouges comme Van Der Pekbuurt pour les classes sociales populaires. Ils sont visibles au nord de l’image et tranchent totalement avec les aménagements de la rive sud.
La fonction portuaire, sur les deux rives, a périclité depuis les années 1960 mais elle nourrit les imaginaires et les représentations d’Amsterdam. Considérée comme une ville cosmopolite - avec par exemple des communautés nombreuses venant des « mondes coloniaux » - Surinam, Antilles néerlandaises, Indonésie, la « Venise du Nord » est souvent associée à une image à la fois permissive et licencieuse.
Depuis les années 1970 et 1980, la ville connait un premier succès touristique (1,5 million de touristes en 1972) en s’appuyant sur des représentations spécifiques : le non-conformisme et la tolérance notamment vis-à-vis des « comportements sociaux marginaux » comme l’homosexualité et la prostitution, mais aussi la squattérisassion et la drogue. C’est une ville portuaire comme Hambourg qui donne l’image d’un « antimonde accessible ». Les coffee shop, le quartier rouge avec ses vitrines associées à la prostitution et la rue du cuir, le quartier gay se situent juste dans le prolongement de la gare centrale. Amsterdam a ainsi construit son succès touristique « sur l’exploitation marchande de l’héritage du Siècle d’Or » et sur les « rites d’initiation (drogue, sexe et alcool) » qui ont déjà conquis et transformé les quartiers de l’hypercentre historique. Ce modèle hérité est encore aujourd’hui au cœur de l’attraction touristique mais il connaît de nouvelles dynamiques.
Accessibilité, haut lieu des « city breaks » du tourisme de court séjour et aménagements
Le succès provient aussi de l’accessibilité de la métropole néerlandaise. En effet, les projets d’aménagement du front d’eau, ou « waterfront », dès les années 1990 s’articulent autour de la gare centrale parfaitement visible sur l’image sur les bords de l’IJ, là où le bras d’eau est le plus étroit. L’hypercentre est ainsi rendu très accessible notamment par l’arrivée des Thalys à partir de 1996 qui relient la ville aux grandes capitales du nord-ouest de l’Europe par la grande vitesse ferroviaire.
La gare est aussi directement reliée à l’aéroport de Schiphol, non visible sur l’image mais situé au sud-ouest à seulement une vingtaine de kilomètres du centre. C’est la troisième plate-forme aéroportuaire du continent avec un trafic de plus de 63 millions passagers en 2016. C’est aussi un hub pour Air-France KLM comme pour les compagnies low cost Easyjet et Vueling. Amsterdam, au cœur du foyer émetteur européen, dispose de tous les atouts pour s’affirmer comme un haut lieu des « city breaks », du tourisme de court séjour, du tourisme métropolitain dans le cadre du « tournant récréatif ».
Cette « hyperaccessibilité » se conjugue dans le centre avec une réduction des circulations automobiles. En effet, l’image montre que le plan d’urbanisme hérité a été conservé, par conséquent les axes routiers sont des plus réduits. Ainsi, les circulations routières sont enterrées sous la gare centrale ou rejetées au-delà du Singelgracht. Ailleurs, l’étroitesse des rues le long des canaux et l’absence de grands boulevards limitent forcément le trafic automobile.
Le centre historique est dédié aux mobilités douces. Trois lignes de métro aboutissent à la gare centrale en provenant du sud-est mais elles ne desservent que par trois arrêts la partie occidentale du « centrum ». Des tramways circulent dans la partie orientale. C’est le vélo qui se trouve au cœur des mobilités douces de la ville à tel point qu’il est un des imaginaires qui la caractérisent. Vélos, circulations douces, transport en commun et piétonnisation participent à l’image d’une ville très maquée par le souci de durabilité et par la qualité de vie.
2. Une ville-centre en recomposition au cœur des dynamiques touristiques
Gare, recomposition du front d’eau et « grand projet urbain intégré »
La construction, à la fin du XIXème siècle, de la gare centrale a rompu le lien fonctionnel entre la ville et son front d’eau : l’IJ. La mise en tourisme apparait alors, pour les acteurs publics et privés, comme une opportunité de requalifier l’ensemble de l’espace le long des deux berges de l’IJ.
Cette ancienne zone industrielle et portuaire, encore visible ponctuellement sur l’image, avec ses docks, ses entrepôts, ses lignes ferroviaires est, dès la fin des années 1980, requalifiée dans le cadre d’un « grand projet urbain intégré » de reconquête du front d’eau. Il doit participer au renouveau économique des rives de l’IJ et à l’attractivité générale de la métropole d’Amsterdam.
Entre 1992 et 2012, les rives connaissent une transformation systémique associant des fonctions résidentielles, des emplois et des équipements récréatifs et culturels. Le projet veut renouer le lien entre la ville et l’eau en créant des parcs, des espaces paysagers et des quais dédiés aux transports mais aussi à la plaisance. Le port de croisière de la ville est ainsi visible sur l’image directement à droite de la gare centrale.
Cette seconde centralité doit aussi offrir de nombreux et nouveaux équipements récréatifs et culturels comme des musées (le Musée NEMO des sciences sur la rive sud ouvert en 2000, le nouveau musée EYE du cinéma sur la rive nord achevé en 2012), des salles de concerts et de spectacles, des bibliothèques construites sur les quais proches de la gare centrale.
Des emplois et des activités métropolitaines complètent le dispositif : les quais abritent des nombreux espaces de bureaux comme le siège de Booking à côté du port de croisière ou le centre technologique de la FTN Shell dans le prolongement du musée EYE sur la rive nord. Des logements, dans de vastes ensembles immobiliers, achèvent de densifier les quais.
Au total, si le tourisme n’est jamais revendiqué comme étant au cœur du projet, les opérations de rénovation / requalification nourrissent considérablement l’attractivité touristique de la ville.
Le quartier des musées : grands réaménagements des décennies 2000/2010 et « tournant récréatif »
A l’autre extrémité du cœur historique, un second quartier incarne les dynamiques touristiques de la métropole. La place des musées, aménagée à la fin du XIXème siècle, se situe à l’extrémité sud de l’image au-delà du dernier canal concentrique. Cet espace vert, unique à proximité du centre historique, ceinturé de musées a été totalement réaménagé en 1999 pour interdire les circulations automobiles.
Tous les grands équipements ont été agrandis comme le Musée Van Gogh en 1998 – 1999 ou réaménagés comme le Rijksmuseum, réouvert en 2013. Le musée d’art contemporain et de design Stedelijk, réouvert en 2012, complète l’offre muséale. La place reçoit un miroir d’eau qui peut devenir patinoire alors que l’espace vert est équipé pour accueillir des festivals et un public nombreux. A l’extrémité sud de la place, une autre salle de concert achève l’offre culturelle, l’ensemble étant relié à une ligne de tramway. C’est aussi sur cette place qu’a été placé le logo géant « I Amsterdam », promue par la métropole, pour répondre à la soif de selfies.
Ce second espace incarne les dynamiques touristiques de la métropole. Il s’adresse autant aux habitants de l’aire métropolitaine qu’aux touristes. Cette centralité muséale complète les multiples pratiques proposées par la métropole. En effet, le tourisme métropolitain et non plus uniquement urbain, doit être « global » en proposant sur une temporalité très réduite le plus grand nombre possible d’expériences récréo-ludiques. Le « tournant récréatif » reconfigure l’urbain en proposant toutes les pratiques : découvrir bien sur mais aussi se reposer, se divertir, faire du shopping et surtout être dans l’entre-soi.
La mutation des quartiers : le « quartier rouge » et le « quartier gay »
Les acteurs métropolitains cherchent à cultiver la multiplicité de l’offre en s’appuyant sur l’identité touristique héritée et les représentations qui en découlent. Ainsi, le quartier rouge, situé directement dans le prolongement de la gare centrale, entre les places du Dam à l’ouest et du nouveau marché à l’est, est emblématique de la drogue et de la prostitution. Les vitrines rouges et les coffee shop continuent à attirer un tourisme souvent jeune et peu argenté. Les autorités cherchent à lutter contre pour renouveler l’image de la ville mais elles conservent ses quartiers en les théâtralisant et les requalifiant. Les vitrines deviennent magasins de mode et/ou de créateurs, les coffee shop se transforment en salles de spectacle pour musique underground.
Cet entre-soi théâtralisé et revendiqué pour et par le tourisme se retrouve dans le quartier gay de la ville. Il se situe dans le prolongement du quartier rouge en direction de la place du nouveau marché. De multiples établissements LGBT, à la fois commerciaux et festifs, se situent tout au long de l’artère ce qui fait de la ville l’une des destinations majeures pour la communauté homosexuelle. D’autres quartiers, visibles sur l’image comme la place Rembrandt (sur les bords de l’Amstel à proximité de l’Opéra) sont des « enclaves » communautaires et touristiques.
Amsterdam maintient sa dimension « underground », celle des squats urbains, des antimondes tolérés, des communautés marginales, de la permissivité. C’est une image assez commune des villes d’Europe du Nord qu’Amsterdam cultive pour renforcer son offre et son attractivité touristique. Les dynamiques touristiques ont tendance à muséifier et à théâtraliser ses territoires hérités offrant une « altérité proche ».
3. Saturations et conflits d’usage qui en découlent
Boom touristique, impact économique et phénomènes de saturation
Les statistiques touristiques traduisent à la fois le succès des politiques menées depuis les années 1990 et les dynamiques touristiques que traversent la métropole. En 2000, 4 millions de touristes ont fréquenté Amsterdam contre 5,3 millions en 2010 et plus de 7 millions en 2016, soit un quasi doublement en quinze ans. Le nombre de nuitées suit la même progression : 9,7 millions en 2010 et 14 millions en 2016 (18 millions mesurées à l’échelle de la métropole).
Les clientèles sont majoritairement de proximité : entre 50 % et 60 % viennent d’Europe, un cinquième des Pays-Bas alors que comme partout les touristes venant des pays émergents sont de plus en plus nombreux, notamment chinois et indiens. Le tourisme représente plus de 50 000 emplois dans la métropole. Amsterdam dispose d’environ 67 000 chambres d’hôtels, a reçu 700 000 passagers pour les croisières (dont 281 000 pour la haute-mer) et selon les statistiques officielles les hébergements Airbnb représentent 2,5 millions de nuitées.
Ce bilan et surtout cette croissance, très positive pour la fonction et l’attractivité métropolitaine d’Amsterdam, sont à comparer avec le nombre d’habitants de la commune. 813 000 habitants vivent dans les limites de la commune d’Amsterdam ; ils supportent donc une charge touristique quasiment équivalente à dix. Le tourisme sature en grande partie le centre-ville et particulièrement le centre historique.
Les grands enjeux : prix du foncier, gentrification, requalifications urbaines et effets Airbnb
Trois enjeux majeurs découlent de la saturation touristique et se concentrent particulièrement dans les limites de l’image. Les prix du foncier ont considérablement augmenté dans le centre en passant de moins de 5 200 euros le m² en 2016 à plus de 7 000 euros en 2019. Les prix demeurent très élevés dans les quartiers situés dans les limites du grand projet urbain du XVIIème siècle alors qu’ils sont bien plus réduits dans l’hypercentre historique particulièrement dans le quartier rouge et s’abaissent encore vers l’est et surtout vers la rive nord.
Dans le même temps, le nombre de locations pour des logements sociaux dans le centre est passé de 46 % à 39 % du parc alors que celui de propriétaires non-occupants a doublé de 14 % à 28 %. La ville, particulièrement le centre et le le front d’eau réaménagé, est attractive pour les classes moyennes supérieures, les « classes créatives », ce qui repousse dans les périphéries les classes moyennes inférieures et les sans-emplois. Dans le même temps, les propriétaires non-occupants ont permis la mise en location temporaire de plus de plus 20 000 logements dans le cadre de la plateforme Airbnb. La ville se gentrifie et se « touristifie ». Les nouveaux aménagements, censés favoriser la « mixité sociale », ont précipité l’embourgeoisement.
Oostelijk, visible en partie avec « l’île de Java et de Bornéo » à droite sur l’image au milieu de l’IJ, uniquement relié par un pont aux nouveaux docks à proximité du port de croisière, est emblématique de la mutation des quartiers péricentraux. La requalification est lancée dès les années 1980 pour transformer d’anciens docks industriels – le KNSM. A l’origine, le quartier, est occupé par des squatteurs, des artistes, de jeunes routards. Les logements construits dans les années 1990 sous forme d’ilots centrés sur un jardin sont de plus en plus attractifs. En effet, l’architecture et l’urbanisme remarquables, la proximité du centre, les mobilités douces rendent ce quartier très attractif pour les locaux mais aussi pour les touristes (dans le cadre des locations de courte durée). Les prix de l’immobilier augmentent rapidement et dépassent les 5 000 euros du m².
Durabilité, mobilités, nuisances, critiques et nouvelles régulations
La forte attractivité du centre et de l’hypercentre et les aménagements conduisent aussi aux limites de la durabilité. Le vélo est un des symboles de la ville mais il devient aussi l’une des marques de la saturation et de la péjoration. Les ponts et les quais sont encombrés de vélos mal garés et plus de dix mille sont abandonnés. C’est un souci pour l’esthétique de la métropole mais aussi pour les circulations. C’est le résultat tant de la demande des habitants que des touristes. Les canaux partout aussi connaissent la même saturation entre les péniches, dont une grande partie sont destinées à l’habitat (et aux locations pour les courts séjours) et les bateaux destinés aux touristes.
Les effets et les impacts du tourisme sont de plus en plus critiqués par les habitants d’autant que le front touristique commence à se diffuser dans les quartiers à l’est de l’Amstel jusque là moins concernés. L’encombrement de la chaussée notamment par les vélos (quasiment 900 000 dans la ville), les détritus et la saleté, les nuisances sonores, la forte augmentation des prix du foncier et des loyers, la consommation de drogues et d’alcools dans la rue … sont dénoncés par la population.
Les autorités commencent à vouloir réguler le tourisme et les touristes au travers de toute une série d’interdictions et de règlements concernant les commerces, les locations saisonnières Airbnb, les péniches aménagées en hôtels … Les mobilités touristiques vont être encore plus contraintes : fermeture du port de croisière vers la gare centrale, interdiction de circulation des bus dans le centre-ville, limitation de la location de vélo ou des nouvelles formes de mobilité urbaine (segway ou trottinettes électriques) … Le but est aussi de favoriser le retour de commerces plus « authentiques » en limitant l’ouverture de boutiques des chaines mondialisées.
Les autorités craignent la poursuite rapide de la croissance touristique. Les statistiques annoncent 25 millions de nuitées en 2025. Les manifestations d’hostilité commencent à naître dans la ville comme dans d’autres métropoles touristiques européennes.
Zooms d’étude
Les quartiers de la gare centrale ; le Quartier Rouge et la Rue du Cuir
La gare centrale : la porte de la métropole
Le bâtiment est construit à la fin du XIXème sur les bords de l’IJ par le comblement de trois îlots. L’objectif des aménageurs est de préserver le centre-ville historique ce qui les contraint à occuper les rives de l’IJ et à concentrer les voies de chemin de fer, visibles sur l’image, sur d’anciens quais. Le chemin de fer coupe en partie la ville des berges et de son passé maritime.
La gare, en raison de sa situation, est au cœur des projets d’aménagements du « waterfront » depuis les années 1990. De nombreux projets, souvent inaboutis, par exemple la construction d’un mall sur la gare, cherchent à amplifier sa centralité pour les circulations et les mobilités. Depuis les années 1990, la gare centrale, qui reçoit plus de 250 000 passagers quotidiens, renforce l’accessibilité de la ville à plusieurs échelles :
- à l’échelle européenne et mondiale, elle est directement reliée par une navette ferroviaire à l’aéroport international de Schiphol. Le trajet se fait en moins de vingt minutes.
- à l’échelle européenne et régionale, elle est desservie par les réseaux Thalys et Eurostar – donc en lien rapide avec Paris, Londres, Anvers et Bruxelles. La LGV HSL – Zuid relie d’ailleurs Amsterdam à Anvers.
- à l’échelle locale, elle concentre trois lignes de métros, douze lignes de tramways et le port des ferrys pour rejoindre la rive nord.
Les projets actuels concernent la construction d’une gare routière pour les bus low cost et d’une nouvelle ligne de métro, la 52 qui part du nouveau centre d’affaires de Zuidas pour s’achever sur la rive nord. C’est la première liaison nord – sud qui efface l’IJ. La gare centrale est un nœud intermodal, un centre commercial, un complexe hôtelier, une porte et un hub pour le centre-ville et la métropole. C’est une des conditions du succès et de la saturation touristique.
Le quartier rouge et la rue du cuir : la centralité permissive et tolérante
Les représentations touristiques d’Amsterdam se nourrissent prioritairement du quartier rouge. De Wallen, quartier de 6 500 m², est connu mondialement pour ses vitrines qui mettent en scène des prostituées de toutes les nationalités aux touristes qui l’arpentent. C’est une des attractions majeures de la métropole néerlandaise. Les coffee shop, permettant la consommation légale de drogues douces, les bars de la communauté LGBT se sont agglomérés aux activités de la prostitution pour former un quartier présenté à la fois sous l’angle de la tolérance mais aussi de la permissivité. C’est une large part du centre-ville historique dédié aux touristes. En effet, tout l’espace compris entre la gare centrale et les deux places majeures – le Dam et le nouveau marché – est ainsi touristifié.
Les acteurs publics, depuis le début des années 2000, cherchent à limiter la fréquentation touristique et le développement des activités liées à la prostitution. Les vitrines n’en constituent qu’une faible part alors que le sexe marchandé s’est diffusé dans les multiples sex-shops, salons de massage, clubs … exploitant de plus en plus de jeunes immigrées d’Europe de l’Est ou d’Afrique. Avec le slogan « ici, on achète les jupes pas la femme », les élus commencent à ne plus renouveler les baux pour les vitrines de prostitués et cherchent à racheter les immeubles pour totalement les requalifier. Dans un premier temps, les vitrines sont louées gratuitement à de jeunes designers et stylistes qui doivent changer l’image du quartier.
Pourtant, l’existence du quartier rouge et du quartier gay n’est pas menacée. En effet, le tourisme participe à la fabrication et à la recomposition de l’urbain. Dans le cadre de « l’expérience touristique » qui associe pratiques, espace à la fois imaginé et vécu et processus d’identification, les territoires du permissif et de l’antimonde participent à la définition des normes socio-culturelles mais aussi de leur subversion.
Le quartier rouge et son pendant homosexuel est esthétisé, normalisé, patrimonialisé tant ils participent aux pratiques initiatiques et festives qu’offre la ville. Amsterdam, c’est la norme et le hors norme « normalisé », le désiré et l’indésirable dans un même espace. Le tourisme demande et fabrique cette centralité permissive.
Overhoeks : le tourisme au cœur de la rénovation urbaine
Directement dans le prolongement de la gare centrale, sur la rive nord, se trouve le quartier de Overhoeks. Amsterdam s’est développée quasiment uniquement en direction du sud en tournant le dos aux berges de l’IJ. Les dynamiques actuelles, en partie nées du tourisme et des loisirs, réintègrent les rives y compris celle du Nord dans le cadre d’un grand projet urbain de reconquête du front d’eau.
Le site, encore incomplètement requalifié comme en témoigne l’image, est bordé par l’IJ et un canal. C’est une ancienne zone industrielle appartenant à la société Shell (hydrocarbures) en lien avec les logements ouvriers qui se situent dans son prolongement. La Shell a restitué à la municipalité la moitié de l’espace et a transformé ses anciennes installations en un centre de recherche. D’autres bâtiments industriels sont encore visibles sur l’image.
La partie attribuée à la municipalité s’intègre dans un vaste projet qui s’étale sur l’ensemble des berges. Pour Overhoeks, il se compose de la tour Shell à la rencontre du canal et des berges les plus proches de la rive sud. La tour accueille désormais un café, un restaurant, des expositions et des bureaux réservés aux « activités créatives ». Le Musée EYE, musée et archives du cinéma, réalisé par l’architecte Delugan Meissi, situé sur les berges à coté de la tour Shell, est ouvert en 2012. L’aménagement des berges est complété par une promenade arborée allant du musée au centre de recherche Shell. Des logements sont construits entre les deux. Une friche à l’arrière attend le développement de ce nouveau quartier d’habitats.
La reconquête des fronts d’eau renouvelle l’attrait d’Overhoeks pour les nouveaux habitats à haut pouvoir d’achat souhaitant vivre proche du centre. La gentrification affecte les anciens quartiers ouvriers et participe à la requalification du site. Ainsi, à l’extrémité nord de l’image, au bout du canal se trouve le café de Ceuvel. C’est un espace, ancien chantier naval, un peu underground, constitué en association qui veut promouvoir : « l'innovation, l'expérimentation et la créativité où nous visons à rendre la durabilité tangible, accessible et amusante ». C’est un nouveau territoire emblématique des villes d’Europe du Nord, du renouveau urbain et des dynamiques touristiques.
Les places : musées, luxe et patrimonialisation
Aux limites du Singelgracht, du quartier historique, se situent trois quartiers emblématiques du tourisme et du renouveau urbain. Entre le Vondelpark, jardin public à l’anglaise (datant de 1865), la Leidseplein où se concentre de nombreux équipements culturels et le Museumplein, l’esplanade des musées, les autorités ont aménagé un ensemble d’activités et d’équipements qui tranchent avec le centre-ville historique marqué par l’illicite et la permissivité.
En effet, l’esplanade des musées reçoit trois musées majeurs dont le Rijksmuseum (réouvert en 2013) et le musée van Gogh ainsi qu’un théâtre. La place de Leidse héberge une grande concentration de théâtres, de boites de nuit, de restaurants. Le Casino d’Amsterdam ainsi que le théâtre international s’y trouvent. Entre les deux places et le parc, se trouvent plusieurs artères marchandes piétonnes où se côtoient toutes les grandes enseignes du luxe internationales notamment Louis Vuitton, Chanel, Dior et Gucci. C’est le quartier le plus cher de la métropole notamment le long du parc.
C’est une transformation favorisée en partie par le tourisme. Les centralités culturelles sont renforcées par le renouvellement et la concentration des équipements. Des populations aisées s’installent pour en profiter et participent à la naissance d’une vie nocturne qui en retour attire les grandes marques internationales. Le tourisme produit ici une autre « enclave » à la fois opposée et complémentaire à celle du quartier rouge.
La transformation des docks de l’Est ou Oosterdocks
Dans le prolongement de la gare centrale se trouve le quartier des docks de l’Est, visible sur l’image par un plan d’eau où se jette la rivière Amstel. Ce quartier est né en 1832 lors de la construction de digues pour protéger la ville de l’IJ. C’est une friche industrielle dans les années 1970 que les autorités veulent reconquérir et reconvertir.
Plan d’eau et canaux sont conservés pour mettre en valeur divers aménagements afin de rendre ce quartier attractif pour les locaux et les touristes. Plusieurs musées sont construits par de grands architectes internationaux comme le musée NEMO, musée des sciences en forme de bateau imaginé par Renzo Piano en 2000. Il est visible sur l’image à l’entrée du premier tunnel qui permet de rejoindre la rive nord de l’IJ. D’autres équipements culturels sont bâtis ou refondés : le conservatoire, la bibliothèque, le musée maritime. Les quais sont destinés à recevoir des péniches réservées à l’habitat. A terme, cette partie des docks est prévu pour accueillir 16 000 habitants, 250 péniches et 5 000 emplois.
Le projet se poursuit au-delà des voies de chemin de fer sur la digue les protégeant et sur les deux îles de Java et de de Bornéo, anciens entrepôts portuaires et industriels à l’abandon. Là encore, la requalification s’inscrit dans le cadre du projet de « ville compacte » et de la durabilité. Les nouveaux quartiers doivent accueillir des emplois (16 000), des habitants (52 000) et des équipements. L’objectif est de proposer des logements remarquables et insolites mélangeant les logements sociaux et les résidences de standing. 8 000 logements sont construits entre 1985 et 2005 par des architectes de renoms.
Au total, entre 1985 et 2025, les rives de l’IJ doivent accueillir environ 100 000 habitants, 45 000 logements (donc un millier de péniches), 50 000 emplois et 2 millions de m² de commerces et d’équipements collectifs. C’est un vaste projet de reconquête du front d’eau qui se poursuit aujourd’hui vers IJ-burg à l’est sur l’IJ. Le tourisme s’y inscrit et participe à en transformer la nature : la gentrification, l’attraction des classes créatives, le dynamisme culturel renforce la saturation et la « consommation » de cette nouvelle utopie urbaine par d’autres passages et fréquentations.
D’autres ressources
Le quartier des canaux centraux à Amsterdam,
Statistiques touristiques de la métropole d’Amsterdam, factsheet, 2010 à 2018
Myriam Jansen-Verbeke, E. Van De Wiel, H. Taylor, Jean-Michel Dewailly : « Tourisme et loisirs, instruments de revitalisation urbaine : le projet « Rives » de l'IJ à Amsterdam », Hommes et Terres du Nord, 1993
A Masboungi, A Petitjean : Le Génie d’Amsterdam, Parenthèses, 2016.
« Tourisme et diversification économique dans les sites du patrimoine mondial », Actes du 5ème colloque de la chaire UNESCO, Culture, tourisme et développement, 2014, pp. 37-48
A. Chapuis : « Performances touristiques et production des identités spatiales individuelles à Amsterdam », Carnet de Géographes, 2013
L’évolution des prix à Amsterdam,
Site Géoimage : La Randstad Holland, un territoire littoral, agricole et urbain très aménagé
Contributeur
Jean-François ARNAL, agrégé d’Histoire-Géographie, Lycée International de Ferney-Voltaire, Université Lyon II.