Publié le 15 septembre 2023

Sonder les humeurs d’Hélios avec Solar Orbiter

Des jets éruptifs enregistrés par Solar Orbiter à la surface du Soleil ont été caractérisés et permettent de mieux appréhender le vent solaire avec lequel ils ont en commun leur source : les trous coronaux.

Se basant sur des images transmises en 2022 du télescope EUI (Extreme Ultraviolet Imager) de la sonde Solar Orbiter (2020-2025), une équipe internationale menée par Lakshmi Pradeep Chitta, chercheur à l’Institut Max Planck de recherche sur le système solaire (Allemagne), vient de dresser le portrait d’un phénomène jusqu’à présent méconnu. Les auteurs de l’article, publié dans Science le 24/08/2023, décrivent des mini-éruptions de plasma à la surface du Soleil visibles dans les ultraviolets extrêmes sous la forme de flashs de courte durée (20 à 100 secondes) et de faible vitesse (100km/s).

 

 

Le spectromètre de Solar-C permettra d’observer simultanément des phénomènes à 10 000 kelvin (dans la chromosphère), à un million de kelvin (dans la couronne) et jusqu’à 10 millions de kelvin (dans la zone de l’atmosphère où apparaissent les plus fortes éruptions) - Crédits : NRL/LMSAL/JAXA/NAOJ.

   

Baptisés « picoflares », ces jets ont été repérés dans la partie de l’atmosphère solaire appelée couronne, plus précisément au-dessus de zones sombres, plus ténues et froides que le reste, connues pour être des « trous » d’où s’échappe le vent solaire. L’élément déclencheur du vent solaire est une question qui taraude les astrophysiciens de longue date. Sachant qu’il émerge du même trou que les picoflares, se pose alors la question de leur parenté.

 

La sonde Solar Orbiter a été lancée dans le cadre du programme spatial Cosmic Vision, porté par l’ESA et avec la contribution de la NASA pour 2015-2025. 
La Charge Utile de Solar Orbiter comprend une combinaison puissante de 10 instruments, à la fois in-situ et de télédétection, conçus pour répondre à plusieurs questions exceptionnelles et fondamentales en héliophysique actuelle.
Le CNES a participé à la réalisation des segments sols ainsi que 6 instruments sur les 10 : RPW, SPICE, SWA, EUI, SO/PHI, STIX.
Pour la phase d'exploitation de la mission, le CNES continue à soutenir la contribution des laboratoires français. 

 

   

Nouvel éclairage sur la météo solaire

Jaillissant des trous coronaux, le vent solaire transporte des particules, essentiellement des ions et des électrons, qu’il distribue en continu dans l’ensemble du Système solaire. Au contact de la magnétosphère terrestre, ce vent provoque des aurores boréales. Il atteint la Terre à environ 400km/s mais, lors des éruptions solaires géantes, cette vitesse peut doubler au point de perturber les satellites. Avec la multiplication d’objets en orbite, il semble essentiel de mieux appréhender ces orages solaires, or, cela passe par une meilleure caractérisation du vent solaire. 

 

 

Les trous de la couronne sont comme des taches sombres dans les ultraviolets extrêmes. Les petits flashs visibles à leur surface sont les picoflares découverts par Chitta et al. (2023). En bas à droite, le cercle indique la taille de la Terre - Crédits : ESA.

  

On connait son trajet puisqu’il suit comme sur des rails les lignes du champ magnétique solaire issu des trous coronaux. On ignore en revanche quelle étincelle provoque la mise en mouvement de ce vent. La thèse de L.P Chitta et ses collègues est que ces petits jets de plasma, les picoflares, participent de façon non négligeable à l’énergie de déplacement, en y contribuant pour au moins 20%. « Nous avons besoin d’observer plus longtemps et mieux ces phénomènes afin d’obtenir des résultats robustes mais déjà nous avons conforté les aspects scientifiques, estime Desi Raulin, Cheffe de projet  Exploitation Mission de Solar Orbiter au CNES. Les picoflares sont peut-être le maillon qu’il nous manquait pour faire le lien entre le vent solaire et les reconnexions magnétiques. Cette découverte pourrait être une source d’informations importante pour les scientifiques dans le domaine du vent solaire ».

 

 

Les trainées sombres de quelques centaines de kilomètres sont des picoflares détectés par Chitta et al. (2023) à la surface du soleil. Elles seraient une source essentielle d’énergie et de matière pour le vent solaire - Crédits : ESA.

   

Phénomène majeur de la physique solaire, les reconnexions magnétiques sont des interactions de lignes de champs magnétiques – elles peuvent se briser et se recombiner – où l’énergie magnétique est convertie en énergie thermique et cinétique. L’hypothèse généralement admise est que ces reconnexions génèrent le vent solaire mais pour en savoir davantage, il faudrait observer ce qui se trame dans les différentes couches de l’atmosphère solaire.

C’est précisément ce que permettra le spectrographe EUVST de la future mission japonaise SOLAR-C dont le lancement est prévu en 2028. À son bord, un seul instrument permettant de multiplier par 10 la résolution spectrale, temporelle et spatiale par rapport aux meilleurs instruments actuels.

 

 

Différents prototype du futur mécanisme de l'EGA (EUVST Grating Assembly) fourni par le consortium français à la mission japonaise SOLAR-C - Crédits : IAS.

     

Percer les couches de l’atmosphère solaire avec SOLAR-C

Outre des images des couches profondes de l’atmosphère solaire, SOLAR-C pourra délivrer les spectres lumineux émis simultanément par l’ensemble de ces couches atmosphériques. Cette capacité repose sur EGA (EUVST Grating Assembly), un sous-système du télescope fourni par 2 laboratoires français soutenus par le CNES et déjà fortement impliqués dans Solar Orbiter : l'Institut d'Astrophysique Spatiale (IAS) et l’Institut d’Optique (IO). « Ces laboratoires ont une expertise mondialement reconnue dans la production d'optiques multicouches pour la physique solaire et la gamme des EUV analysée par le télescope de SOLAR-C », témoigne Eric Lorfèvre, chef de projet SOLAR-C au CNES.

La fonction d’EGA est de focaliser et de disperser les extrêmes UV vers différents détecteurs en fonction de leur énergie. Encore au stade de développement, ce système optique complexe se compose d’un double réseau de diffraction, soit 2 substrats optiques assemblés sur lesquels sont gravés des petits peignes à raison de 1700 et 4200 traits par millimètre. Tout l’enjeu consiste à déposer précautionneusement un revêtement réfléchissant sur ces gravures en respectant leurs reliefs et la forme globale de l'optique.

Pour les équipes françaises, le challenge se joue sur le dépôt du revêtement du réseau le plus délicat (dont est en charge l'IO). Celui-ci est dédié aux longueurs d’ondes les plus courtes (entre 17 et 21,5 nm). In fine, le regard perçant de SOLAR-C offrira des données tout à fait inédites, dans la continuité de ce que dévoile aujourd’hui Solar Orbiter.