Les ergoliers sont soigneusement inspectés à la lumière bleue pour n’embarquer aucune poussière dans la salle blanche où se situe le télescope James Webb avant son lancement. Crédits : CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/P Piron, 2021.
Panoplie de manomètres et tuyaux
Une soirée déguisée dans un club branché ? Un nouveau concept d’escape game ? Ne vous fiez pas aux apparences, les femmes et les hommes qui se cachent sous ces scaphandres ont un rôle fondamental : remplir les satellites en ergols (leur carburant). Leur profession ? Ergoliers.
Au Centre spatial guyanais (CSG), les satellites leurs sont confiés après avoir été soigneusement contrôlés et testés. « Les ergoliers réalisent l’ultime test du satellite : ils vérifient la bonne étanchéité de son réservoir en le mettant sous pression, explique Warren Bouchehida, responsable moyens charges utiles. Le satellite est alors transféré en zone de remplissage par un couloir propre. » En parallèle, les ergoliers récupèrent le fût d’ergols et le transfèrent dans la salle de remplissage, une salle blanche de 300 à 400 m2 au sein de l’Ensemble de préparation des charges utiles (EPCU). C’est à ce moment que se déroule la phase la plus critique : le remplissage des réservoirs du satellite.
Les ergoliers utilisent un kart, un système embarquant un réseau fluide avec une panoplie de manomètres – appareils de mesure de la pression – et des tuyaux de connexion.
Warren Bouchehida, responsable moyens charges utiles.
3 ensembles sont connectés au kart : les fûts d’ergols, le réservoir du satellite et le réseau fluide du bâtiment. Ce dernier permet d’alimenter le kart en gaz ultra-propre (N2 et He) et de collecter les fluides pollués pour assurer un remplissage en toute sécurité. Durant tout le processus de remplissage – qui dure de 2 à 4 jours, les ergoliers gardent un œil attentif aux manomètres pour éviter tout risque d’explosion !
La manipulation des ergols est réalisée par ces spécialistes en raison de la dangerosité des opérations. Pour assurer leur propulsion, les satellites et autres véhicules spatiaux embarquent en effet un carburant (généralement de l’hydrazine) et un comburant (généralement du mélange d’oxydes d’azote). « La manipulation des ergols présente un risque d’explosion mais aussi d’inhalation, car ces produits sont hautement toxiques », informe Warren Bouchehida. Alors tout est prévu pour ne prendre aucun risque. Les salles de remplissage répondent à la réglementation ATEX (Atmosphères Explosives) : l’ensemble des équipements sont conçus pour éviter les étincelles. Ces salles sont équipées d'un système détectant la moindre fuite d’ergols, qui activerait alors des alarmes et l’évacuation de la zone à risque par la Sauvegarde Sol.
Autre équipement de protection fondamental des ergoliers : leur tenue. Si elle ressemble à s’y méprendre à celle d’un astronaute, les ergoliers gardent bien les pieds sur terre. Leur scaphandre les protège d’éventuelles fuites liquides et gazeuses d’ergols. « La tenue est pressurisée, complète Warren Bouchehida. Dans la salle de remplissage, ils sont en permanence connectés à un réseau d’air respirable. » Ces lourdes tenues, d’un poids moyen de 20 kg, exigent une bonne forme physique pour être portées jusqu’à 4 heures d’affilé !
Transféré en EPCU, le satellite MTG-I1 subit une batterie de tests en conditions contrôlées - dont la pressurisation des réservoirs par les ergoliers - avant son intégration sur Ariane 5. Crédits : CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/P Piron, 2022.
Les ergoliers sont connectés à un réseau d’air respirable, assurant l’alimentation en air au sein de leur scaphandre et les protégeant d’éventuelles fuites d’ergols toxiques. Crédits : CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/JM Guillon, 2021.
Le satellite MTG-I1 est rempli avant son lancement : on observe les 2 fûts d’ergols (en jaune), le kart utilisé pour réaliser l’opération de remplissage (au premier plan) et l’ergolier reliant le satellite et le kart à l’aide d’un tuyau flexible (en arrière-plan). Crédits : CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/P Piron, 2022.
Quelques équipes à travers le monde
En pratique, la journée de travail d’un ergolier commence par la phase d’habillage au vestiaire. 30 mn sont nécessaires pour enfiler la tenue ! Puis les ergoliers – qui travaillent toujours en binôme – sont transférés vers la salle de remplissage dans un camion dédié. Avant d’y accéder, ils s’arrêtent dans un sas d’entrée ergolier. Sur la photo mystère, l’ergolier s’apprête à pénétrer dans la salle blanche où se trouve le télescope spatial James Webb. Sa tenue est scrupuleusement inspectée à la lumière bleue à la recherche de la moindre trace de poussière. Aucune particule ne doit être déposée sur le satellite pour assurer un fonctionnement optimal. Une fois dans la salle de remplissage, le travail peut enfin commencer …
Les ergoliers assurant les pressurisations et les remplissages des satellites proviennent des équipes propulsions des constructeurs de satellites.
Très peu d’équipes propulsion existent dans le monde
renseigne Warren Bouchehida. La seule équipe française est chez Thales France, les autres que nous recevons régulièrement sont chez Airbus UK, Airbus Lampoldshausen (Allemagne), Maxar Technologies (USA), Lockheed Martin (USA) et l’ISRO (Inde). » Le CNES-CSG possède aussi ses propres ergoliers, au nombre de 5. Leur rôle ? Prélever des échantillons d’ergols pour vérifier la qualité des fûts envoyés par le constructeur avant l’arrivée du satellite au CSG.
La profession d’ergolier est exigeante. « Elle nécessite d’avoir des réflexes très spécifiques au risque d’explosion et d’inhalation », appuie Warren Bouchehida. Par exemple, une fois le remplissage terminé, les ergoliers clients se chargent de décontaminer les équipements de leurs karts (vannes, tuyauteries) pour les renvoyer chez eux. Ce travail s’effectue sous un carbet au CSG, sans scaphandre mais muni d’une tenue de protection plus fluide et légère. Il est fondamental de prêter attention à la direction du vent pour éviter toute inhalation de gaz toxique !
Le saviez-vous ?
Le parcours d'ergolier – sous forme de compagnonnage – commence en général par une formation de technicien fluide avant de passer les qualifications nécessaires aux opérations sous scaphandre.
C’est l’un des métiers les plus important pour le lancement d’un satellite en orbite : si le système de propulsion échoue, c’est toute la mission qui échoue.
conclut Warren Bouchehida.
Warren Bouchehida, responsable moyens charges utiles au CNES. Crédits : CNES/GRIMAULT Emmanuel, 2019.
Le kart est un chariot mobile qui assure la liaison entre le satellite, les fûts d’ergols et le réseau fluide du bâtiment. Une panoplie de manomètres permet de contrôler en permanence la pression. Crédits : CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/G Barbaste, 2015.
Si le métier est majoritairement masculin, quelques femmes sont comptées parmi les équipes d’ergoliers. Crédits : CNES/ESA/Arianespace/Optique Vidéo CSG/G Barbaste, 2011.