Publié le 03 février 2022

Sur Pluton, la glace d’azote se comporte plus comme les océans terrestres que comme de la roche

Le 14 juillet 2015, après 10 ans de voyage au travers du Système solaire, la sonde New Horizon survolait le planétoïde Pluton, avant de renvoyer vers la Terre les toutes premières images à haute résolution de sa surface. L’une de ses caractéristiques les plus frappantes est une grande plaine de glace appelée Sputnik Planitia découpée, à sa surface, en cellules polygonales de plusieurs kilomètres de large. Quelle en est l’origine ? Rencontre avec Gaël Choblet et Stéphane Labrosse, tous deux co-auteurs de l’étude parue le 15 décembre 2021 dans la revue Nature.

Les dunes de Sputnik Planitia sur Pluton. Crédits : NASA/JHUAPL/SwRI

 

« Dire que les premières images de Pluton ont été une surprise est un euphémisme !, nous dit Stéphane Labrosse, géophysicien et professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Peu s’attendaient à découvrir, dans les confins glacés du Système solaire, un monde à la surface aussi contrastée et à la géologie aussi active ». Et en particulier ces structures polygonales de plusieurs kilomètres de large qui paraissaient recouvrir Sputnik Planitia, cette gigantesque plaine claire d’azote glacé d’un millier de kilomètres de large, facilement repérable depuis l’espace, qui semble être le résultat du remplissage d’un immense cratère d’impact par cette glace.

Stéphane Labrosse. Crédits : John Hernlund

 

Structures polygonales observées à la surface de Sputnik Planitia sur Pluton.
Crédits :  NASA / Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory / Southwest Research Institute

D’où viennent ces structures ?

 

Peu de temps après l’acquisition des données de la sonde New Horizons, l’hypothèse selon laquelle ces formes polygonales pourraient être causées par un phénomène de convection est très vite privilégiée. La convection est un phénomène qu’on voit apparaître à de multiples échelles (dans une casserole, dans l’atmosphère terrestre ou à l’intérieur de notre étoile le Soleil), lorsqu’un fluide est soumis à un gradient de température, élevée à sa base et plus froide en surface. Dans les bonnes conditions, des cellules de fluide chaud ascendant entouré de frontière de fluide plus froid, plus dense et descendant apparaissent.

Mais le modèle classique de convection par chauffage par le bas ne fonctionne pas pour expliquer les structures de Pluton. En effet, dans les conditions qui règnent sur ce planétoïde gelé, si l’épaisseur de glace de Sputnik Planitia était principalement chauffée par en-dessous, les formes observées par la sonde New Horizons auraient dû être inversées par rapport aux données reçues : au lieu d’être bombées et séparées par des fossés profonds (ci-dessous à gauche), elles auraient dû être creuses, et séparées par des crêtes surélevées (ci-dessous à droite).

Peinture dorée diluée dans de l'acétone : l'acétone s'évapore, entraîne la convection, et forme des cellules de Bénard
Crédits : WikiRigaou, Wikimedia Commons, Creative Commons 3.0

La solution, pour retrouver les formes convexes observées, consiste à considérer qu’au lieu d’un mécanisme de chauffage souterrain, nous avons affaire ici à un mécanisme de refroidissement de surface. Un mécanisme de refroidissement, paradoxalement, causé par les effets des rayons du soleil sur la surface de Pluton.
En effet, lorsque la glace d’azote est chauffée par les rayons du soleil, elle se sublime. Elle passe directement de l’état de solide à l’état de gaz, sans passer par l’état liquide.
De la même manière que l’évaporation des gouttes d’eau sur la peau va consommer de la chaleur (appelée chaleur latente d’évaporation) et être responsable de la sensation de fraîcheur ressentie l’été lorsqu’on s’humidifie, la sublimation de la glace est, elle aussi, endothermique, c’est-à-dire qu’elle consomme de la chaleur à l’environnement, et donc refroidit localement la surface de la glace.

 

Cette hypothèse de la sublimation de la glace sur Pluton est d’ailleurs étayée par l’observation des « sublimation pits », sorte de puits de plusieurs dizaines de mètres de profondeur, créés par la sublimation de la glace d’azote, selon un processus similaire à la formation, sur Terre, des « pénitents » de neige observés lorsque l’eau se sublime dans des milieux sec et froids comme le désert de l’Atacama.

Sur Pluton, la sublimation de la surface glacée provoque la formation de « puits » imagés par la sonde New Horizons à gauche. Un mécanisme similaire est responsable de la création des « pénitents », ici dans le désert de l’Atacama.
Crédit : NASA (gauche) & ESO (droite)

Ce même processus de sublimation qui, localement, va enlever de la matière à la couche de glace de surface de Pluton, sera donc responsable, à plus grande échelle, du refroidissement de cette même surface et du mécanisme de convection qui créera ces immenses polygones bombés de plusieurs kilomètres de large.

 

Outre la découverte du mécanisme unique qui dirige la convection de la glace sur Pluton, ce travail a permis d’estimer plusieurs paramètres importants comme la viscosité de la glace d’azote ou la durée minimale depuis laquelle ces processus de convection dus à la sublimation ont lieu (de l’ordre du million d’années).

Le modèle qui a abouti à ces résultats reste encore à affiner et valider par -les scientifiques de cette étude l’espèrent- les observations d’une hypothétique future sonde qui resterait cette fois-ci en orbite autour de Pluton. « Il reste toutefois fascinant, nous dit Gaël Choblet, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de Planétologie et Géosciences de l'Université de Nantes, que la glace d’un des corps les plus éloignés du Système solaire ait un comportement façonné par des contraintes climatiques, paradoxalement plus proche des océans terrestres que des lunes glacées de Jupiter ou de Saturne ».

Gaël Choblet. Crédits : Gaël Choblet

 

Pour aller plus loin

Contacts

Stéphane Labrosse, géophysicien et professeur
École Normale Supérieure de Lyon
tél : +33 4 72 72 85 15
courriel : stephane.labrosse at ens-lyon.fr

Gaël Choblet, directeur de recherche CNRS
Laboratoire de Planétologie et Géoscience de l'Université de Nantes
tél : +33 2 76 64 51 55
courriel : gael.choblet at univ-nantes.fr