Publié le 15 mai 2024
Qu’ils manipulent des formules mathématiques ou des logiciels, qu’ils travaillent sur la réglementation ou qu’ils développent des solutions techniques... Au CNES, nombreux sont celles et ceux qui œuvrent pour la sauvegarde et la protection des orbites terrestres. Nous avons suivi quelques-unes de ces sentinelles de l’espace pour décrypter leur quotidien.
Il est 6h30.
Morgane Jouisse arrive en trombe au Centre Spatial de Toulouse. Son portable d’astreinte a sonné il y a 20 minutes à peine. Morgane, 30 ans, est ingénieure Surveillance de l’espace au CNES. « Nous devons réagir 24h/24 aux alertes de collisions entre 2 objets en orbite terrestre. »
En 2013, le CNES a en effet créé CAESAR*, un service gratuit à disposition de tous les opérateurs de satellites. Il évalue les risques encourus par leurs satellites d’entrer en collision avec d’autres satellites ou débris.
Il est 10h.
L’alerte est passée et la collision évitée. Grâce à Morgane, mais aussi à toutes les personnes qui travaillent au quotidien au service de l’anticollision : des spécialistes en informatique, pour développer les logiciels de calcul de risques, des opérateurs pour utiliser les télescopes qui permettent de suivre les objets célestes, ou encore des ingénieurs chargés de leur bon fonctionnement… A l’image de Mégane Diet, ingénieure spécialisée en optique. Elle revient d’une mission de maintenance sur l’un des télescopes de l’observatoire de la Silla, au Chili. « Nous avons démonté, nettoyé et remonté la mécanique, les optiques, les miroirs du télescope… Nous avons également implémenté de nouveaux logiciels, pour améliorer ses performances. »
Ce télescope est l’un des 3 instruments du réseau TAROT** (l’un est sur l’île de la Réunion et l’autre dans les Alpes-Maritimes), utilisés par le CNES pour surveiller les objets qui gravitent au-dessus de nos têtes : satellites en activité ou hors-service, débris de satellites, de fusées… « Et nous construisons actuellement un 4e télescope en Nouvelle-Calédonie, s’enthousiasme la jeune femme. Il sera opérationnel cet été ! » Les télescopes de TAROT, ainsi que les nombreux radars répartis sur la planète, alimentent également le catalogue du CNES.
Aujourd’hui, le catalogue du CNES contient 12 000 objets de quelques centimètres et plus - un chiffre en constante augmentation, mais non exhaustif. Les données manquent encore, même sur les objets recensés, et créent des incertitudes.
Et c’est là qu’intervient Emmanuel Delande, lui aussi ingénieur en surveillance de l’espace. Sa spécialité ? Les mathématiques appliquées ! « Il existe des incertitudes quant à la position des objets dans l’espace, notamment les débris inactifs, incapables de nous donner leur position. Car tous sont en mouvement, continuellement. De plus, les mécaniques orbitales sont complexes. En orbite basse par exemple, il subsiste un peu d’atmosphère, ce qui crée des perturbations difficiles à modéliser. Toutes ces incertitudes doivent être prises en compte au maximum dans nos logiciels informatiques. Et c’est là ma mission : les estimer au mieux et les transcrire en formules mathématiques qui amélioreront nos logiciels. »
Services après-vente
Autre problématique : l’explosion du nombre de satellites opérationnels en orbite autour de la Terre. Il a été multiplié par 9 entre 2000 et 2023, passant d’environ 750 à plus de 7 000 aujourd’hui. Face à cette évolution, le CNES avait participé, dès 2008, à la mise en place de la Loi relative aux opérations spatiales (LOS), plaçant alors la France à l’avant-garde de la protection et de la préservation de l’espace.
« Cette loi vise à assurer la pérennité et la sécurité des opérations spatiales pour les satellites » explique Olfa El Jed, cheffe du service LOS et Sauvegarde, à la sous-direction Sécurité, sauvegarde et maitrise de l’espace (SME) au CNES. Comment est-ce possible, concrètement ?
Des solutions techniques aux obligations réglementaires
Depuis sa création il y a plus de 12 ans, la sous-direction SME s’étoffe régulièrement de nouvelles activités, comme récemment avec celles liées à ce qu’on appelle les Services en Orbite (SeO).
« Cela correspond essentiellement aux activités menées sur des satellites en orbite pour prolonger leur durée de vie » explique Ludovic Rochas, tout nouveau chef de projet Service en Orbite, un service né début 2024. « Les réparer, les réapprovisionner en carburant, les inspecter… Cette économie circulaire est l’une des stratégies pour dépolluer l’espace, en misant sur le service après-vente. »
Les services en orbite recouvrent également les activités visant à rendre les satellites inoffensifs ou à nettoyer les orbites, c'est le cas par exemple de la désorbitation d'engins hors service.
« La SME regroupe aujourd’hui une trentaine de personnes au CNES, se félicite Patrice Benarroche, directeur adjoint de cette sous-direction. Nos activités se sont structurées au fil des ans de manière indépendante, il s’agit désormais de les fédérer. Et c’est là justement mon rôle : créer des passerelles entre ces activités. Par exemple entre les équipes LOS et SeO, afin que les contraintes réglementaires soient prises en compte dans les projets que l’on va mener. »
Des contraintes de plus en plus fortes. La Loi sur les Opérations Spatiales vient en effet d’être entièrement revue par le service d’Olfa, qui y travaille activement depuis 4 ans. Le contexte évolue, la loi doit s’adapter. La nouvelle réglementation prend désormais en compte les services en orbite ou les constellations et méga-constellations de satellites. « Quand on lance 500 satellites plutôt qu’un seul, l’opération doit être plus fiable ! » assume Olfa.
14h.
Une discussion anime les couloirs du CST. Il est question de la forme que doit prendre le bouclier en aluminium qui viendrait protéger les satellites en y piégeant les débris de quelques millimètres. Pierre Omaly, chef de projet de Tech For Space Care (T4SC), donne de la voix : « Je suis sûr qu’on peut arriver à le faire voler sur un satellite de démonstration dès 2026. C’est un gros challenge, mais on peut le faire ! »
Le but de T4SC est de préserver l’espace mais aussi la compétitivité des entreprises.
Et Ludovic Rochas de compléter : « L’expertise du CNES doit aussi servir à amener à maturation des technologies, même parfois venues de l’extérieur. Il nous faut soutenir les innovations qui permettront de dépolluer l’espace, comme celles liées aux services en orbite. Mais tout en assurant leur rentabilité économique. Par exemple, en proposant des services duals, utiles à la société et à l’armée. »
Ludovic, Pierre ou encore Patrice… pour ces responsables, le succès de leur mission dépendra de leur capacité à travailler en équipe, et à fédérer les compétences. Qu’ils s’agissent d’experts en rendez-vous spatiaux, en robotique, en thermique ou en transport spatial : « C’est comme cela que naissent les idées, confirme Pierre Omaly. Lors de réunions formelles, ou comme aujourd’hui, autour de la machine à café. La France doit montrer l’exemple, Nous avons des valeurs au CNES : ça vaut le coup de trouver le moyen de les imposer, non ? »
Et Ludovic Rochas de renchérir : « L’orbite terrestre est une ressource limitée que certains n’hésitent pourtant pas à s’accaparer. Il faut agir. Et le CNES a en effet un vrai rôle à jouer dans ce domaine. »
19h.
Mégane Diet boucle son dossier. Demain, elle s’envole pour la Nouvelle-Calédonie, pour suivre l’installation du futur télescope du réseau TAROT. Morgane elle aussi s’apprête à partir… Ah, non, le portable d’astreinte sonne de nouveau. « 2 fois dans la même journée, c’est exceptionnel ! ».
*CAESAR : Conjunction Analysis and Evaluation Service: Alert and Recommendations
**TAROT : Télescope à Action Rapide pour les Objets Transitoires
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