Au centre-sud du Kazakhstan, la « Petite Mer d’Aral » est un système résiduel de la Mer d’Aral. Cette ancienne mer endoréique d’Asie centrale est en effet passée de 66 460 km² en 1960, deux fois la Belgique, à 7300 km² aujourd’hui, soit une réduction de 90 % de sa surface en six décennies. Se déployant dans une vaste cuvette aride grâce aux apports des fleuves Syr Daria et Amou Daria alimentés par les hautes montagnes du système himalayen, la mer d’Aral s’est progressivement atrophiée et fragmentée du fait d’une alimentation en eau de plus en plus réduite. Expliquant l’essentiel de ce processus, le boom des ponctions anthropiques est lié à un modèle de croissance non durable gaspillant les ressources en eau, en particulier pour une agriculture intensive (cf. coton...). Si quelques investissements dans de nouvelles infrastructures locales cherchent à freiner le processus de désertification, aucune remise en cause structurelle ne semble aujourd’hui émerger malgré quelques projets médiatisés.
Légende de l'image
Cette image de la mer d'Aral, lac d'eau salée d'Asie centrale, a été prise par le satellite Sentinel-2B le 19 août 2021. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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La mer d'Aral vue par le satellite Sentinel-2 à deux périodes différentes :
Présentation de l'image globale
La Petite Mer d’Aral : croissance extensive, durabilité et catastrophe environnementale
La Petite Mer d’Aral : un système relique en zone désertique
Nous sommes au Kazakhstan en pleine Asie centrale dans la très vaste cuvette aralienne. Dans un espace assez plan s’étageant entre 40 et 200 m. d’altitude, on distingue bien la Petite Mer d’Aral, d’assez faible profondeur et comprenant trois annexes – dont Butakov et Shevchenko – en train de bien s’individualiser. Celle-ci est alimentée au sud-est par l’arrivée à l’amont des eaux du Syr Daria, l’antique Jaxarte, qui avec le légendaires Oxus (Amou-Daria) participaient des axes des grandes Routes de la Soie en Asie centrale connectant de grandes cités millénaires (Samarkand, Boukhara, Khiva...).
Aux limites du petit delta, un barrage retient ses eaux au détriment des écoulements vers l’aval. Au nord-est se trouve la petite ville d’Aralsk qui fut un grand port de pêche avant que la mer ne disparaisse progressivement, comme en témoignent les anciennes limites bien visibles au sud de la ville du fait des nettes différences de couleurs des sols. Nous sommes ici en effet en plein désert comme en témoignent l’absence de végétation, la nudité des surfaces et des sols et la très faible présence humaine.
Aralsk : le petit pôle urbain régional. Au nord-est de l’image, Aralsk est une petite ville de moins de 30 000 habitants. Si nous sommes là sur une des nombreuses pistes organisant les « Routes de la Soie », la ville nait en 1905 de la création de la ligne de chemin de fer Orenburg/Tashkent ; le désenclavement ouvre de nouveaux marchés en y dopant les activités de pêche dans la mer d’Aral. Cet ancien port se trouve aujourd’hui à plus de 22 km de la Petite Mer d’Aral et connait depuis les années 1960 un fort recul économique et démographique. Les photos des bateaux de pêche qui s’y trouvent sur le flanc à l’abandon en plein désert ont fait le tour du monde et sont devenues une image iconique des débats sur les grands enjeux environnementaux contemporains.
Un vaste système désertique. Cet espace se situe dans l’oblys de Kyzylorda qui couvre 226 000 km² mais dont la densité n’est que de 3 hab./km². Le climat continental désertique chaud s’y caractérise par de très faibles précipitations (139 mm./an), un fort ensoleillement (2946 heures/an) et des températures forts contrastées, très chaudes l’été (34°C en en juillet, pics à 45°C/55°C) mais froides l’hiver (- 11°C en janvier). Ces vastes étendues désertiques y expliquent l’installation du cosmodrome de Baïkonour, qui se trouve sur l’axe du Syr Daria à seulement 175 km à l’amont d’Aralsk. Il convient aussi de signaler à 150 km au sud-est l’île de la Renaissance (île de Vozrojdénia), aujourd’hui à cheval sur la frontière entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan et qui servit à partir de 1954 de point d’accueil de laboratoires ultrasecrets pour des programmes d’armes biologiques (maladie du charbon, peste bubonique...) durant la Guerre froide.
La rétraction de la mer d’Aral. Dans les années 1950, la mer d’Aral couvrait 67 500 km², ce qui la plaçait au 4ème rang mondial des grands systèmes lacustres continentaux, en stockant un volume de 1070 km³ d’eau, derrière la mer Caspienne voisine, les Grands Lacs nord-américains et le lac Tchad. Elle atteignait une profondeur maximale de 66 m., ce qui était assez faible et la rendait particulièrement fragile. Sa superficie recule à 44 790 km² en 1986, 28 756 km² en 1999 pour atteindre les 9452 km² en 2009.
Deux facteurs expliquent ce processus spectaculaire de rétraction spatiale : la raréfaction progressive des apports d’eaux fluviales et l’importance des prélèvements dus à l’évapotranspiration en zone aride évalués ici à 26 km³ d'eau par an. Entre 1960 et aujourd’hui, la mer d’Aral voit sa superficie et son volume d’eau réduits de 90 %. Ce retrait des eaux a formé un désert de près de 60 000 km², l’Aral Koum, dans lequel on assiste à la salinisation du sol et à la multiplication des tempêtes de poussière.
Un système de plus en plus fragmenté. Cette rétraction a abouti en 1987 à un fractionnement, du fait de la topographie, en deux grandes cuvettes lacustres principales. Premièrement, en Ouzbékistan la « mer d’Aral du Sud » située à 25 m. d’altitude et qui ne reçoit aujourd’hui presque plus d’eau de surface au point de se diviser elle-même entre un bassin occidental long et étroit, un bassin oriental peu profond et souvent à sec, et enfin le petit lac de Barsakelmes que l’on peut considérer comme des « mers mortes » sursalées (125 g/l.) Deuxièmement au Kazakhstan la « mer d’Aral du Nord » ou « Petite Mer d’Aral », présente donc sur l’image, qui reçoit encore des eaux résiduelles du Syr Daria et où la construction du barrage de Kokaral en 2005 maintient un niveau minimum. Posée à une altitude moyenne de 42 m., la Petite Mer d’Aral couvre entre 2 550 et 3 300 km² et contient un volume d‘eau de 15,6 à 17 km³.
Le Syr Daria : de l’Himalaya au désert, un fleuve épuisé
Arrivant par le sud-est, la vallée du Syr Daria est bien visible grace au ruban de végétation, en brun qui l’encadre et qui tranche sensiblement avec les espaces désertiques traversés. Du fait de l’importance des processus d’érosion sur des sols non protégés, sa charge alluviale est importante comme en témoigne la construction d’un delta à l’amont du barrage. On est pourtant frappé par la faiblesse d’un tel fleuve, qui semble épuisé. Pour en comprendre les dynamiques, il est indispensable – comme très souvent en géographie – de changer d’échelles spatiales (doc. 3) et de s’intéresser à l’ensemble de son bassin d’alimentation, donc à ce qui se passe à l’amont.
Le bassin de la mer d’Aral. En pleine Asie centrale, la vaste cuvette de la mer d’Aral est bien alimentée par les eaux fournies par un immense bassin endoréique de 1,737 millions km² (soit 3,2 fois la superficie de la France) abritant plus de 60 millions d’habitants. Transfrontalier, il est à cheval sur six États : Afghanistan, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan et Kazakhstan. Bénéficiant d’un privilège géographique assez rare à la surface du globe, la dépression aralienne est en effet bordée au Sud et à l’Est par un puissant cadre montagnard (Pamir, Tian-Shan...) culminant vers 7500 m., bien arrosé (plus de 2 m./an) et englacé. Mais les précipitations tombent ensuite à 250/300 mm/an dans la steppe de la faim au sud-ouest de Tashkent pour descendre enfin sous les 100 mm/an au sud-ouest de la mer d’Aral.
Au total, on estime que le bassin dispose d’un débit annuel moyen total de ses fleuves et rivières de 118,43 km³, ce qui est considérable, avec cependant de fortes inégalités interannuelles : il peut varier de 108 à 47 km³ pour l’Amou-Daria et de 54 à 21 km³ le fleuve Syr-Daria. Cette cuvette est drainée par deux grands fleuves majeurs connues dès la Haute Antiquité : l’Amou Darya (78 km³/an de débit annuel moyen) et le Syr Darya (37 km³/an). Dans le Bassin de la Mer d’Aral, les trois États montagnards de l’amont jouent donc un rôle essentiel dans l’approvisionnement en réalisant 85,4 % de l’écoulement total (Tadjikistan : 48,6 %, Kirghizistan : 24,4 %, Afghanistan : 12,4 %) ; contre seulement 2,1% au Kazakhstan.
Le bassin du Syr Daria. Long de 3019 km, le Syr Daria – qui porte ce nom après la confluence entre la Naryn et la Kara Darya dans la partie orientale de la vallée du Fergana en Ouzbékistan - prend sa source dans les hautes montagnes du Tien Shan pour se perdre dans la mer d’Aral. Il draine un bassin de 531 650 km², dont l’assise spatiale se déploie au Kazakhstan (64,9 %), au Kirghizistan (20,8 %), en Ouzbékistan (11,4 %) et au Tadjikistan (2,9 %). L’écoulement annuel moyen du bassin est de 36,57 km³. Son régime et ses débits ont été profondément bouleversés et régulés par de puissants aménagements hydrauliques (cf. grands réservoirs de réservoir de Kajrakkum et Chardarin au Kazakhstan d’un potentiel de stockage de 5,2 millions m³).
L’alimentation de son bassin-versant est géographiquement inégale et fait apparaitre une forte différence entre l’amont – hautes montagnes et l’aval – cuvette désertique. Avec environ 27,42 km³, le Kirghizistan vient largement en tête du fait de sa fonction de « château d’eau » en fournissant 75 % du total des eaux du bassin, contre seulement 3 % au Tadjikistan, 13 % à l'Ouzbékistan et 9 % Kazakhstan. Ceci explique la signature d’une série d’accords interétatiques afin de gérer une ressource hydrique, abondante mais soumise à des pressions de plus en plus fortes. Le Kirghizistan s’engage à garantir 22,33 km³/an minimum de flux de transit vers l'Ouzbékistan, qui garantit lui-même 11,8 km³/an au Tadjikistan qui garantit enfin 10 km³ au Kazakhstan.
Mais du fait de la mobilisation à l’amont du bassin de la presque totalité des écoulements du Syr et de l’Amou Daria, on estime que la Mer d’Aral ne bénéficie plus que de seulement 10 % de l’écoulement naturel de son bassin. Les volumes d’eau reçus tombent de 55 millions m³ en 1960 à moins de 7 millions aujourd’hui.
Les dérives et impasses environnementales d’un modèle de croissance extensif
A l’échelle géologique, la mer d’Aral a déjà connu des variations majeures de son niveau en lien avec des changements naturels (tectoniques, hydrologiques et climatiques), comme en témoignent au Quaternaire des successions de phases transgressives et régressives. Mais la phase de régression intervenue depuis 1960 est directement liée à des facteurs anthropiques dont la mise en œuvre d’un modèle de croissance extensif fondé sur le boom de l’agriculture irriguée à grande échelle.
Comme le souligne le géographe Alain Cariou, grand spécialiste de la région (cf. Cahiers d’Asie centrale, n°25/2015), l’URSS se lance dans une grande poussée pionnière agricole visant à transformer l’Asie centrale en « midi de l’Union soviétique », une périphérie destinée à fournir le pays en produits subtropicaux (riz, tabac, fruits, surtout coton). Dans les années 1980, l’Asie centrale soviétique fournissait à l’URSS, 47 % de son riz, 35 % de ses fruits et légumes et 91 % de son coton. La vision prométhéenne de ressources inépuisables a conduit à la surexploitation des écoulements par la construction de grands barrages et la bonification de millions d’hectares de terres désertiques par l’irrigation.
Entre 1970 et 1989, les surfaces irriguées augmentent en effet de + 150 % dans le bassin de l’Amou Darya pour atteindre les 4,118 millions d’hectares en 2002 et + 130 % dans le bassin du Syr Daria pour y atteindre les 4,649 millions d’hectares. En 2000, on estimait la longueur totale des réseaux d'irrigation principaux à 47 750 km et celle des réseaux secondaires jusqu’aux parcelles à 268 5000 km.
Si les systèmes et techniques d’irrigation fondent depuis l’Antiquité les guirlandes d’oasis qui valorisent les piémonts montagnards et certaines plaines alluviales d’Asie centrale, les prélèvements en eaux deviennent tels qu’ils bouleversent les équilibres hydrologiques de l’Amou-Daria et du Syr-Daria. Entre 1960 et 2006, on estime que les prélèvements totaux d'eau dans le bassin de la mer d'Aral passent de 64,7 km³ à 107 km³, dont 90 % pour l’agriculture. Du fait de systèmes techniques archaïques, les prélèvements d'eau par hectare irrigué dans le bassin de la mer d'Aral sont de l'ordre de 11 000 à 14 000 m³/ha, un chiffre très élevé à l’échelle mondiale et qui pourrait être largement réduit.
Comme le montre bien l’image, la disparition de la Mer d’Aral aboutit à une catastrophe environnementale, sociale et économique. L’écosystème est totalement bouleversé : aridification de la région, effondrement de la biodiversité, dégradation ou disparition des zones humides, salinisation croissante des eaux et des sols, explosion des pollutions agricoles, industrielles et urbaines (sels, nitrates, phosphates, pesticides, métaux lourds, manganèse, sulfates, fer, cuivre...). D'environnementale, la crise devient également sanitaire (pathologies lourdes : cancers, tuberculose, maladies rénales) et humanitaire (crise démographique, pertes d’emplois, migrations et exodes...) dans un espace de plus en plus répulsif.
Débuté en 2003 et achevé en 2005, l’actuel Barrage de Kokaral, comme le montre bien l’image, est composé d’une longue digue en béton de 14 km faisant 10 m de haut à l’est de l’île de Kok-Aral. Son objectif est de maintenir un niveau d’eau minimal dans la Petite Mer d’Aral. Son financement de 85,8 millions de dollars est largement assuré par la Banque mondiale. Il succède à un premier barrage construit en 1995/1996 mais si fragile qu’il fut détruit en avril 1999 par de fortes tempêtes.
Entre 2005 et 2009, ce nouveau barrage a permis la remontée du niveau de la mer, le volume d’eau stocké passant de 15 à 27 milliards m³. On assiste aussi à une légère reprise de la pêche. C’est dans ce contexte que le gouvernement du Kazakhstan lance un grand programme « PPCCAM-2 », d’un coût de 120 millions de dollars censé être financé par les revenus pétroliers. Ce projet gigantesque est fondé sur le détournement du lit du Syr Daria, la construction d’un pont, le développement de l’hydroélectricité, l’irrigation de 63 000 ha... Il a été depuis largement abandonné. Et comme en témoigne cette image prise au début du printemps en avril, la situation hydrologique du réservoir est bien précaire.
Images prises par un satellite Pléiades le 4 avril 2013 :
Image prise par un satellite Pléiades le 11 mai 2013 :
Images complémentaires
La mer d'Aral a perdu une grande partie de sa superficie au fil des décennies en raison de la surexploitation des rivières qui la nourrissent pour l'irrigation agricole. Cette réduction de la superficie transforme un bassin lacustre en plusieurs lacs plus petits et en étendues de terre asséchée, comme le montre les images ci-dessous.
Ci-dessous une vue régionale prise par un satellite Sentinel-3. Ces satellites fournissent des mesures d'une grande diversité sur les océans et continents.
La mer d'Aral est située à l'ouest du Kazakhstan et au sud de l'Ouzbékistan. Elle est entourée par des pays d'Asie centrale, notamment le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan et le Kirghizistan.
D'autres ressources
Bibliographie Sitologie
- Alain Cariou : « L’eau et l’aménagement du territoire en Asie centrale », in Cahiers d’Asie centrale, n°25/2015.
- Alain Cariou : « Il était une fois la mer d’Aral », HAL Open Edition, juin 2021.
- Nasa : les évolutions de la superficie de la mer d’Aral, de 2000 à 2018
- UNEP United Nations Environment Programme : The future of the Aral Sea lies in transboundary co–operation, Janvier 2014.
- UNEP United Nations Environment Programme : The changing Aral Sea, oct. 2017.
https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/22314/Foresight_%20Brief_%20003_2017.pdf - FAO. AQUASTAT : FAO's Global Information System on Water and Agriculture : Aral sea Bassin https://fao.org/aquastat/en/countries-and-basins/transboundary-river-basins/aral-sea/index.html
Contributeur
Proposition : Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)