Vu de l’espace, le nord du massif du Jura se distingue nettement de par la discontinuité paysagère qu’il constitue. Cet ensemble montagnard transfrontalier forme une barrière naturelle. Mais si cet espace est contourné par les grands axes de circulations, il n’est pas pour autant enclavé, ou en marge. Les sociétés, de part et d’autre de la frontière franco-suisse qui coupe le massif, ont su, depuis bien longtemps, mettre en valeur les atouts de ce milieu particulier et transformer certaines contraintes en opportunités, afin de développer des systèmes productifs adaptés. La question est donc territoriale. Il s’agit de fabriquer un territoire montagnard compétitif, afin de survivre dans le contexte de la mondialisation, et, s’y intégrer. Mais la particularité du nord de l’arc jurassien est sa situation d’interface frontalière. La question de la territorialisation et celle de la frontière se croisent.
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Cette image l’arc jurassien a été prise 23 août 2016 par le satellite Sentinel 2A. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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L'arc jurassien : une moyenne montagne transfrontalière
Le nord de l’arc jurassien, un espace montagnard en marge ?
Le nord du massif du Jura, une barrière naturelle très relative
L’image satellite est centrée sur la partie nord du Jura, une moyenne montagne calcaire, un massif bien individualisé à forte personnalité dominé par de hauts plis réguliers. Il s’allonge du nord au sud en un arc montagneux, entre le massif des Alpes et celui de la Forêt-Noire, et constitue un faisceau de plis dirigés en arc de cercle du sud-ouest au nord-est. Il forme une barrière naturelle qui sépare de grands ensembles régionaux. Ce croissant de reliefs taillés dans des roches sédimentaires est partagé par la France, pour le versant occidental, et la Suisse, pour le versent oriental, qui en possède la portion la plus spectaculaire.
Cette montagne constitue un espace contraignant. Son climat, très humide, est de type continental, caractérisé par de fortes précipitations (1 000 mm/an à l’ouest, 2 000 mm/an à l’est) et des hivers très rudes (moyenne de janvier : de – 3°C autour de Morteau, mais pointes à – 30°C). L'altitude entraîne un étagement de la végétation. Sur la bordure et sur les premiers plateaux (jusqu'à 700 m), les feuillus, chênes et charmes en particulier, forment l'essentiel des boisements. Sur les seconds plateaux ou en montagne, ils cèdent la place aux hêtres et aux résineux : les pessières (forêts d'épicéas) et les joux (forêts de sapins) caractérisent les paysages des zones élevées. Ainsi, le Jura offre des sols médiocres, un relief compartimenté, un climat partout rude et humide, une forêt souvent très dense.
Au nord-est de l’image, la montagne laisse place à la plaine d’Alsace située dans le fossé rhénan qui sépare les Vosges, à l’ouest, et la Forêt Noire, à l’est. La limite entre la terminaison sud de la Forêt-Noire et les premiers chaînons jurassiens est marquée par un rétrécissement topographique traversé par le Rhin qui fait office de frontière naturelle. C’est à cet endroit précis, où le fleuve pénètre le fossé rhénan en décrivant une courbe harmonieuse, que se trouve Bâle, en position de « Gateway city » comme la qualifie le géographe H. Rougier.
En se dirigeant d’est en ouest sur la partie nord de l’image satellite, on distingue deux ensembles entre les Vosges et le Jura. Côté est, le Sundgau constitue un espace en forme de triangle, bien identifiable. On y repère les parcelles agricoles (petits carrés et rectangles jaunes) entrecoupées d’espaces boisés (auréoles vertes) et les villes et villages (en gris). Cet ensemble, délimité par le Jura au sud, est polarisé par trois agglomérations : Bâle au sud-est, Belfort-Montbéliard à l’ouest, et Mulhouse au nord-est. Celles-ci sont d’ailleurs bien visibles sur l’image et forment des tâches grisées plus ou moins tentaculaires. Si elle est composée majoritairement de plaines et de collines, sa partie sud forme ce que l’on appelle le Jura alsacien. Côté ouest, la trouée de Belfort est un passage d’une vingtaine de kilomètres de large situé au pied du ballon d’Alsace entre les massifs montagneux du Jura et des Vosges qui permet la jonction entre la Porte sud de l’Alsace et la Franche-Comté.
Du côté suisse, à l’est de l’image, s’étend le Mitteland. Ce Moyen-Pays sépare le Jura des Alpes. Appelé « Le Plateau » par les Suisses-Romands, il s’agit en fait d’un corridor de plaines et de collines caractérisées par la présence de plusieurs lacs d’origine glaciaire : le Seeland, la région des Trois-Lacs, dont celui de Bienne, de Morat et de Neuchâtel.
Le nord du massif du Jura, un espace enclavé mais bien relié
Le nord du massif du Jura est entouré par des espaces fortement peuplés, polarisés par de grandes agglomérations urbaines, reliées entre elles par des axes qui le contournent, le mettant ainsi en périphérie, sans le marginaliser pour autant. La Porte sud de l’Alsace est polarisée par trois agglomérations. Mulhouse au nord, et Belfort-Montbéliard au sud-ouest structurent avec l’A36, connectée à l’A35, un axe autoroutier qui contourne le massif du Jura. L’agglomération trinationale de Bâle, en position de « gatewaycity », point de passage obligatoire pour se rendre d’un espace à l’autre, constitue la porte rhénane de la Suisse. C’est un carrefour multimodal, un nœud, mais dont les axes de transport, autoroutiers et ferroviaires, contournent le massif du Jura. La ligne à grande vitesse Paris-Bâle-Berne en est l’exemple le plus significatif. Il faut toutefois noter l’existence d’une ligne autoroutière, au nord du massif, la Transjurassienne, qui relie Delle, Porrentruy, Delémont, Moutier, Bienne, Berne.
Ceci étant, chaque versant de l’arc jurassien est bien connecté aux réseaux autoroutiers nationaux. Les points de passage frontaliers correspondent à des routes nationales, ou parfois départementales, qui restent toutefois insuffisamment dimensionnées par rapport au dense trafic transfrontalier. Les lignes TER connaissent une fréquentation inégale, saturées aux heures de pointes, sous-fréquentées le reste du temps. De plus, il n’existe presque aucune ligne publique transfrontalière, si ce n’est Pontarlier-Fleurier et Frasne-Valborde (hors du champ d’étude). Il faut cependant noter la présence de quelques lignes de bus privées, opérées par les entreprises horlogères suisses (CTJ).
La mise en valeur du milieu : un espace agricole dynamique
Au plan économique, l’agriculture garde un rôle important. Le Jura est en effet une montagne spécialisée dans un élevage bovin laitier omniprésent associé à une transformation largement orientée vers la production de fromages de terroir qui correspondent à des dynamiques qualitatives affirmées avec des filières qui font de plus en plus figures de modèles. Il faut tout d’abord noter la présence de plusieurs races laitières locales (montbéliarde, côté français, Simmental pie-rouge, côté suisse).
Le savoir-faire des fromagers, particulièrement élaboré, a donné naissance à plusieurs fromages de terroir, historiquement fabriqués dans des coopératives villageoises appelées fruitières, aujourd’hui labellisés AOP ou IGP (Comté, Mont d’Or, Bleu de Gex, Tomme du Jura, morbier). Côté suisse, on trouve l’Emmental et le Gruyère, et, dans les Franches-Montagnes, on fabrique par exemple le « Chaux-d’Abel », un fromage labellisé, parmi les plus réputés.
Les acteurs s’engagent dans des projets agricoles fondés sur l’expression du terroir et la mise en place d’un système productif basé la qualité attestée par des labels. Même si la logique des filières agro-industrielles prédomine, le système laitier fromager dans le Jura est fondé sur le Comté et s’appuie sur une interprofession puissante et soudée.
Un espace productif spécifique : horlogerie, énergie et tourisme
Ensuite, le Jura est un territoire singulier car il a su développer avec l’horlogerie, notamment dans la partie nord, un savoir-faire industriel, dans un environnement à dominance rurale. Le dynamisme de cette industrie se trouve du côté suisse. Impulsé depuis Bienne (canton de Berne) et Zurich (hors image), l’horlogerie a été sauvée dans les années 1990 par un double positionnement : celui de l’article de mode à petit prix (Swatch) et celui de la haute horlogerie. Cette industrie horlogère a quasiment disparu du côté français alors que la Franche-Comté en était un bastion dans les années 1970. Les entreprises françaises sont devenues des sous-traitants de l’industrie spécialisée suisse. Du coup, la frange du Jura frontalier envoie ses travailleurs en Suisse comme l’a étudié le géographe R. Woessner. La Chaux-de-Fonds, côté suisse, au nord-ouest du lac de Neuchâtel, sur l’image est une ville qui regroupe 40 000 habitants. Elle est située à 1 000 m d’altitude et s’étire dans un val très représentatif du relief jurassien. Inscrite au patrimoine de l’UNESCO, elle a fondé sa réputation sur cette industrie horlogère, issue d’une tradition artisanale remontant au XVIIème siècle. Ce centre horloger est un bel exemple de développement économique en milieu rural.
Les énergies renouvelables se développent également. Sur le Mont-Crosin, par exemple, dans les Franches-Montagnes, région très ventée, mais aussi très ensoleillées, les prés-bois ne servent plus seulement à la pâture des bovins, mais se couvrent de panneaux photovoltaïques près desquelles de gigantesques éoliennes sont implantées. Le site se prête bien à la valorisation des énergies éolienne et solaire.
Enfin, le milieu se prête aussi parfaitement au tourisme d’hiver et de plein air. Dans les Franches-Montagnes suisses, sur le Mont-Crosin, un funiculaire long de 742 m depuis 1903 permet les départs de randonnées pédestres ou les parcours hivernaux à raquettes. Par ailleurs, l’horlogerie, activité traditionnelle de cette partie du Jura, constitue aussi une ressource pour un tourisme « industriel » qui bénéficie déjà du musée international de l’horlogerie de la Chaux-de-Fonds (Suisse) et du musée du temps de Besançon. Plusieurs spécialités gastronomiques comme le comté, la saucisse de Morteau ou l’absinthe sont également évoquées comme supports de promotion touristique.
Ainsi, les jurassiens ont su développer, au cours du temps, des systèmes productifs originaux. Leur capacité à les adapter aux attentes des consommateurs, en créant une offre variée et originale – un made in Jura – basée à la fois sur une qualité et une authenticité, tout en restant compétitif, permet au nord de l’arc jurassien de s’intégrer à la mondialisation.
Le nord de l’arc jurassien, interface frontalière dynamique
La frontière comme coupure ?
Contrairement à la frontière franco-allemande qui a été mouvante, car âprement disputée, la frontière franco-suisse, très ancienne, est restée stable, même si quelques modifications, qui résultent d’accords bilatéraux, sont à signaler. Cette frontière, pacifiée, repose sur une longue tradition d’échanges, de coopérations et d’ententes entre la France et la Suisse.
Elle n’en demeure pas moins une coupure entre des aires-systèmes propres à chaque pays et parfois difficiles à connecter. Matérialisée par des postes de douanes, elle constitue, en effet, une discontinuité politique, institutionnelle, juridique, socio-économique et culturelle entre les deux Etats. D’ailleurs, du temps de la Réforme, cette frontière séparait le Jura catholique de la Suisse protestante. De plus, la frontière peut être un frein dans les contacts et les échanges entre acteurs. Dans le cadre de la gestion de l’espace transfrontalier, les acteurs doivent parvenir à dépasser la coupure existante entre deux systèmes de gouvernance qui se font face : un Etat jacobin, côté français, et un Etat fédéral très décentralisé, côté suisse.
Toutefois, la frontière-barrière est devenue une ligne poreuse car elle se laisse traverser par de nombreux flux. De part et d’autre de la ligne, la frontière génère un espace interface où l’on retrouve chez soi des éléments appartenant au pays voisin.
La frontière traversée : points de passage et flux transfrontaliers
L’interface frontalière est matérialisée par des points de passage frontaliers alimentés par des migrations locales de forte intensité reflétant le dynamisme des synergies économiques. Ces flux sont de natures très différentes et découlent de la présence d’une véritable communauté de destin qui se traduit par l’existence de bassins de vie transfrontaliers comme l’a étudié le géographe A. Moine.
Sept passages frontaliers principaux sont visibles du nord-est au sud-ouest : Delle-Boncourt, Abbévilliers-Fahy, Villard lès Blamont-Damvant, Brémoncourt-La Motte, Goumois-Saignelégier, Biaufond-La Chaux-de Fonds, Villiers le Lac – Le Locle. Ainsi, 6 000 véhicules par jour franchissent le col des Roches entre Morteau et Le Locle.
Ainsi, au quotidien, la frontière, devenue poreuse, n’oppose plus simplement deux « aires-systèmes » sur un espace d’interface, mais génère une nouvelle région transfrontalière soumise à une intense territorialisation, au centre d’un nouveau système.
La frontière couture : travail frontalier et structuration du territoire
La région de l’arc jurassien transfrontalier est marquée par l’importance du travail frontalier, pierre angulaire du développement territorial. En jouant sur le différentiel généré par la frontière (emplois, fonctions, salaires, euro/franc suisse…), un espace transfrontalier dissymétrique, mais très complémentaire se structure et contribue ainsi à la fabrique du territoire.
Côté français, cet espace est caractérisé par une polarisation de la population autour des points de franchissement frontaliers. Les frontaliers français jouent sur le différentiel de rémunération, de charges patronales, monétaire, de durée du travail, de prix du foncier et de coût de la consommation, créé par la frontière. Le salaire horaire brut moyen du travailleur frontalier est supérieur d’environ 70 % à celui du salarié franc-comtois travaillant en France. Près de la moitié des actifs qui résident à Morteau ou Villers-le-Lac travaillent ainsi en Suisse (10 770 sur 22 840).
Côté suisse, on observe une polarisation des entreprises à proximité des points de franchissement frontaliers, afin de bénéficier de la main d’œuvre française dans le cadre d’une division régionale du travail. La frontière en tant que couture est donc l’élément structurant d’un territoire caractérisé par un système productif local.
Le nord de l’arc jurassien, centre d’un processus multiscalaire de territorialisation transfrontalière
Gérer un territoire transfrontalier : une instance de coordination de la coopération transfrontalière.
En 2002, la Communauté de Travail du Jura de 1985 a laissé la place à la Conférence TransJurassienne (CTJ), organisme de coopération transfrontalière qui agit à l’échelle de l’arc jurassien franco-suisse. Il s’agit d’une instance d’échange et de dialogue politique qui réunit, du côté français, la Région et la Préfecture de Bourgogne-Franche-Comté, les Départements, Agglomérations et Pays frontaliers et, du côté suisse, les cantons de Berne, Vaud, Neuchâtel, Jura et le Réseau des Villes de l’Arc jurassien. La CTJ joue donc principalement un rôle de coordination entre les différents territoires de coopération. Sa gouvernance intègre des acteurs émanant aussi bien des différentes collectivités que de la société civile.
La CJT entend agir sur le développement économique (industrie, transfert de technologies, tourisme, recherche et formation), sur les mobilités (interconnexion, intermodalité, et mobilités alternatives), sur la gestion de l’espace transfrontalier, de ses ressources et de son patrimoine naturels (biodiversité, dynamiques agricoles et sylvicoles, transition énergétique) et sur le développement d’un vivre-ensemble (offre culturelle comme vecteur d’identité partagée).
Coopérer à différentes échelles : une mise en synergie des acteurs et des territoires.
La CTJ a adopté une stratégie d’action territoriale à différentes échelles, qui doivent s’articuler entre elles.
On distingue d’abord des coopérations à l’échelle locale, sur les territoires de proximité, avec des aires de contiguïté urbaine (cf. croquis). Dans la partie sud-est de l’image satellite, l’agglomération urbaine du Doubs constitue une coopération active, mais qu’il faut encore renforcer. Les thématiques de coopération restent strictement locales et spécifiques à ce type d’espace et d’échelle : services de proximité, questions relatives à l’urbanisme et à la planification spatiale, constitution d’un réseau de transports intermodal transfrontalier, actions autour de la citoyenneté transfrontalière (échanges culturels, loisirs, notamment). Au centre de l’image, l’Ajoie et la communauté de communes Sud Territoire autour de Delle-Boncourt forment une coopération, qu’il faut encore développer, basée sur la proximité urbaine. Des réflexions sont menées sur l’intermodalité (différents projets de transports en commun sont en cours) et sur les mutations en cours de l’économie transfrontalière locale.
A un niveau régional, l’espace du projet de parc transfrontalier du Doubs autour du PNR du Doubs, côté suisse, et de la candidature de parc portée par le Pays horloger, côté français, constitue un espace de coopération, au centre de l’image satellite (voir croquis). Il s’agit de mettre en œuvre des projets concrets dans trois domaines : la mise en valeur touristique (patrimoine horloger, sites UNESCO, tourisme vert), la gestion des ressources naturelles et paysagères (préservation de l’environnement et biodiversité), le soutien à l’économie rurale (adaptation des activités agricoles et sylvicoles) et la bonne articulation de cet espace rural avec les pôles urbains périphériques).
Enfin, des coopérations à l’échelle départementale, côté français, et cantonale, côté suisse permettent une réflexion plus spécifique, au-delà des enjeux locaux, avec une dimension non seulement territoriale mais thématique plus étendue (santé, mobilité globale, formation, tourisme, développement économique, culture, sécurité…). Cette échelle permet de mettre en synergie de nombreux acteurs, qui s’impliquent en fonction de leur(s) compétence(s), de part et d’autre de la frontière : l’Etat, les collectivités, les intercommunalités, les pays et les acteurs socio-économiques côté français, et, les cantons, les agglomérations, les communes, les districts et les acteurs socio-économiques, côté suisse.
En changeant d’échelle, l’arc jurassien doit aussi renforcer sa coopération avec les structures de coopération transfrontalière voisines, comme l’Eurodistrict Trinational de Bâle ou la région métropolitaine trinationale du Rhin Supérieur. Il s’agit d’articuler les stratégies d’ensemble afin de travailler sur de grandes thématiques : infrastructures de transport, équipements de haut niveau et fonctions métropolitaines en général, développement économique, gestion des ressources naturelles et des déchets, gestion et planification spatiale (desserrement urbain sur les portions rurales qui jouxtent à l’extrémité de l’arc jurassien).
Ces structures de gouvernance révèlent aussi la capacité des acteurs de différents pays à entrer en synergie par une culture partagée de la coopération, ce qui suppose un « apprentissage de la frontière ».
Créer un territoire transfrontalier : la frontière comme suture
Un processus de fabrique d’un territoire transfrontalier s’opère grâce à ces instances de coopération, qui mettent en réseaux et en synergie les acteurs. Bâtir un territoire sur la frontière entraîne une nouvelle fonctionnalité de celle-ci, qui devient une suture grâce à des aménagements transfrontaliers. Dans le cas de la fabrique du territoire métropolitain transfrontalier bâlois, au nord-est de l’image satellite, les aménagements réalisés sur la frontière, comme le tram3 ou le futur quartier transnational du 3Land, constituent de véritables points de tissage territoriaux. Cette fabrique du territoire est matérialisée par des aménagements qui se construisent par et sur la frontière. Dans le cas du Jura, cette suture est moins évidente.
On observe d’abord une intense mise en réseau des acteurs transfrontaliers. D’une part, MinnovARC et InnovARC sont deux exemples de coopération réticulaire basés sur l’innovation et la connaissance. Le premier est mis en place pour stimuler l’innovation dans le secteur des micro-techniques via un think thank franco-suisse. Le second élargi le projet aux réseaux d’innovation de l’arc jurassien dans leur globalité. Il s’agit d’organiser des ateliers thématiques pour poser les bases de consortiums projets franco-suisses sur des marchés porteurs. D’autre part, la Communauté du savoir (CdS) est un réseau transfrontalier visant à renforcer, valoriser et stimuler les collaborations franco-suisses dans les domaines de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation.
Par ailleurs, des aménagements, dans un cadre touristique et/ou de loisirs, ont été réalisés sur la frontière, qui est devenue également un chemin de randonnée. Le promeneur, à pieds ou en ski, arpente les chemins montagneux du Jura, sans forcément savoir de quel côté de la frontière il se trouve, sauf s’il est habitant des lieux, ou touriste averti. Le Pays Horloger (France) et le Parc naturel régional du Doubs (Suisse) ont inauguré en 2015, avec les acteurs du tourisme, une alternative originale aux randonnées classiques avec « Les Chemins de la contrebande » proposent une immersion complète dans l'univers de la contrebande à travers une quête ludique qui utilise des nouvelles technologies. Les promeneurs sont invités à se glisser dans la peau d'un contrebandier (Orlogeur, Bricottier, Colporteur) ou d'un douanier, en choisissant un itinéraire sur lequel il est proposé de jouer « à saute-frontière en couple, en groupe ou en famille ! ». Dans le cadre de ce projet, les itinéraires ont été balisés et équipés de mobiliers ludiques et en France les anciennes cabanes de douaniers ont été restaurées. Il s’agit du premier projet issu de la collaboration entre la France et la Suisse, dans le cadre du projet de Parc naturel régional transfrontalier. L’objectif est de démontrer que la frontière n’est pas qu’un obstacle, une ligne séparant les peuples mais qu’elle revêt aussi un fort caractère symbolique autour duquel s’est bâti entre autres le mythe de la contrebande.
Ainsi, dans le cas du Jura transfrontalier, des réseaux d’innovation et de savoir se mettent en place. Les chemins de randonnées transfrontaliers, plus ou moins aménagés, font de la frontière un argument de vente, dans le cadre d’un marketing territorial pour les collectivités territoriales et les agences de tourisme.
D’autres ressources
Ouvrages, articles et sites institutionnels
- D. Ricard et R. Woessner, Les espaces ruraux en France, Atlande, 2018.
- H. Rougier, 60 lieux à découvrir en Suisse, édition slep.ch, 2015
- H. Rougier, La Suisse et ses paysages. Une mosaïque géographique, édition slep.ch, 2013
- F. Dieterich, « Bourgogne-Franche-Comté », in L. Carroué, La France des 13 régions, Armand Colin, 2017.
- A. Moine, « Systémogenèse d’un espace de production transfrontalier : le Jura horloger », mgm.fr, Mappemonde, 71, 2003.
- A. Moine, « Effets-frontière dans l’arc jurassien franco-suisse, et outils d’aménagements », forum-transfrontaliers.org, 2013
- Conférence TransJurassienne, « Pour une nouvelle dynamique de l’Arc jurassien. Stratégie de coopération transfrontalière. 2016-2020 », espaces-transfrontaliers.org, 2016.
- Syndicat mixte du pays horloger et Parc naturel régional du Doubs, les chemins de la contrebande.com, 2019.
- Le Pays Horloger, pays-horloger.fr, 2019
Notices connexes (Site Géoimage)
- J. Rudy, « Bâle : une exceptionnelle métropole transfrontalière trinationale, entre Suisse, France et Allemagne », geoimage.cnes.fr, 2019.
- F. Dieterich, « Le fossé rhénan, une région transfrontalière entre Vosges et Forêt Noire », geoimage.cnes.fr, 2019.
Contributeurs
Proposition : Jérémy Rudy, professeur d’histoire-géographie au lycée Jean Mermoz de Saint-Louis.
Croquis : Marc Egli, ancien élève du lycée Jean Mermoz de Saint-Louis, étudiant à l’EPFL, Lausanne.