Située dans les plaines du centre-nord du pays, Astana / Nur-Sultan est la nouvelle capitale du Kazakhstan depuis le 10 décembre 1997. Le déplacement du siège du pouvoir politique répond à plusieurs facteurs géographiques, politiques et géopolitiques (centralité et carrefour, espaces disponibles, réaffirmation de la souveraineté du Kazakhstan sur ses régions septentrionales…). En déplaçant le pouvoir, les autorités souhaitent plus largement contribuer au façonnement de la nation kazakhstanaise, la nouvelle capitale devant territorialiser le sentiment national et symboliser l’État indépendant. La nouvelle capitale incarne aussi un projet modernisateur, articulant références nationales – kazakhes –, ambitions étatiques – kazakhstanaises – et intégration internationale.
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Cette image de la capitale du Kazakhstan, Astana a été prise le 15 mai 2019 par le satellite Sentinel 2A.
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L'image ci-contre indique quelques repères géographiques de la région d'Astana
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Astana / Nur-Sultan, la nouvelle capitale du Kazakhstan
Une ville symbole
Astana / Nur-Sultan est la capitale du Kazakhstan depuis le 10 décembre 1997. Située dans les plaines du centre-nord du pays, elle est, comme le montre l’image, traversée par l’Esil (kaz.) (ou Ichim (rus.)). C’est un affluent de l’Irtych, qui se jette dans l’Océan glacial arctique, de sorte qu’elle est la seule capitale dans le monde appartenant au bassin-versant arctique.
Le déplacement du siège du pouvoir politique n’est pas un événement exceptionnel : plusieurs dizaines de pays d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique ont vu leur capitale déménager depuis le début de l’époque moderne. Mais le Kazakhstan est le seul pays post-soviétique et même post-socialiste à s’être engagé sur cette voie.
Plusieurs raisons ont incité les autorités kazakhstanaises à s’implanter à Akmola, renommée depuis Astana puis Nur-Sultan. D’une part, elles souhaitaient quitter Almaty à la situation excentrée au sein du territoire national et au site contraint sur les contreforts du Tian-Chan, d’autant que la ville était symboliquement associée au pouvoir soviétique. D’autre part, elles considéraient, au regard du travail d’expertise réalisé par l’administration, que ni le site ni la situation d’aucune ville ne se prêtait mieux que ceux d’Astana / Nur-Sultan à accueillir le siège du pouvoir politique aussi bien du point de vue géographique que géopolitique.
- La ville disposait d’espaces disponibles pour recevoir les institutions de l’Etat. Mais surtout, il était possible d’édifier la nouvelle ville de l’État sur la rive gauche de l’Ichim, au sud de l’agglomération, où plusieurs centaines d’hectares pouvaient être aménagés.
- La ville occupait une position centrale au sein du territoire kazakhstanais, confortée par une situation de carrefour ferroviaire et routier, qui devait, selon les promoteurs de la nouvelle capitale, faciliter les relations entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux.
- Le recentrement du pouvoir devait permettre de réaffirmer la souveraineté du Kazakhstan sur ses régions septentrionales où résidait une population majoritairement russophones.
- Conçu comme un outil de développement régional, le déménagement de la capitale devait répondre à la sévère crise subie par les régions centrales, septentrionales et orientales depuis l’effondrement du système soviétique.
En déplaçant le pouvoir, les autorités souhaitaient plus largement contribuer au façonnement de la nation kazakhstanaise, la nouvelle capitale devant territorialiser le sentiment national et symboliser l’État indépendant. De leur point de vue, Astana / Nur-Sultan devait également, à travers son urbanisme et son architecture, incarner un projet modernisateur, articulant références nationales – kazakhes –, ambitions étatiques – kazakhstanaises – et intégration internationale.
Enfin, le projet révélé par les autorités en 1994 était aussi celui d’un homme, Nursultan Nazarbaev, au pouvoir de 1989 à 2019, aujourd’hui célébré dans la rhétorique officielle pour son rôle de père-fondateur de la capitale mais également du Kazakhstan contemporain. Il est d’ailleurs très significatif que la première mesure prise par le nouveau président kazakhstanais Kasym-Jomart Tokaev ait été de renommer Astana en son honneur. Depuis le 23 mars 2019, la capitale porte officiellement le nom de « Nur-Sultan ».
Une ville en forte croissance
Depuis qu’elle est devenue la capitale du Kazakhstan, Astana / Nur-Sultan enregistre une croissance forte : depuis 1997, la population de la ville a quadruplé, dépassant 1 million d’habitants. Cette dynamique démographique s’est traduite par une expansion régulière de l’espace urbanisé. L’image permet ainsi de constater l’ampleur des travaux en cours dans le sud-est de l’agglomération où la construction du réseau viaire précède l’édification de nouveaux bâtiments.
La ville s’étend désormais sur la rive gauche de l’Ichim, où n’existaient jusqu’en 2001 qu’un quartier de maisons individuelles destinées à l’élite soviétique, ainsi que des ensembles discontinus de datchas. Comme on le voit sur l’image, ces nouveaux quartiers, où résident aujourd’hui plus de 200 000 habitants, se déploient sur environ 10 km du nord au sud et 7 à 8 km d’est en ouest. Ils se développent selon un plan orthogonal associé à un zonage des fonctions et des activités. En leur cœur, se trouve la nouvelle ville du pouvoir (voir infra).
Astana / Nur-Sultan se développe également sur la rive droite de l’Ichim autour de l’ancienne ville tsariste et soviétique. La ville a en effet été fondée dans les années 1830, au moment de la colonisation des steppes par l’Empire russe. Avant de devenir un centre administratif régional pendant la période soviétique et de connaître un développement accéléré à l’occasion du lancement par Khrouchtchev de la campagne de mise en valeur des Terres vierges. C’est dans ce contexte, qu’elle avait été renommée, en 1962, Tselinograd, la « ville des Terres vierges ».
À l’est et à l’ouest de l’ancien noyau urbain sont construits des quartiers d’habitat collectif et individuel. Au nord de la coupure produite par la voie ferrée, sont étendus les espaces industriels et logistiques. Au total, plus de 750 000 habitants résident sur la rive droite de l’Ichim.
Le principal moteur de la croissance démographique d’Astana / Nur-Sultan a été un excédent migratoire, la nouvelle capitale attirant des habitants de l’ensemble des régions kazakhstanaises. Toutefois, son dynamisme est de plus en plus le fait d’un excédent naturel, lié à la composition par âge et à la composition ethnique de la population. Comme dans la plupart des nouvelles capitales, les jeunes adultes sont en effet surreprésentés dans la population d’Astana / Nur-Sultan. Par ailleurs, la ville a connu une kazakhisation de sa population plus affirmée qu’à l’échelle nationale : la part des Kazakhs s’élevait à moins de 20 % au recensement de 1989 et à près de 80 % en 2018, selon les données du comité des statistiques kazakhstanais.
Zooms d’étude
L'axe du pouvoir
Les autorités kazakhstanaises ont décidé de construire à Astana / Nur-Sultan une ville à l’urbanisme démonstratif tout en faisant appel à l’architecte japonais K. Kurokawa pour établir le Master Plan de leur nouvelle capitale. Il s’agit de mettre en scène l’histoire kazakhe, de célébrer la nation kazakhstanaise et de figurer la réussite de l’État indépendant, en combinant référence au passé et projection dans le futur.
Concrètement, les nouveaux quartiers s’organisent autour d’axes larges et rectilignes, possèdent des places immenses, abritent des bâtiments imposants et souvent spectaculaires, de sorte que la ville possède une allure monumentale qui tranche avec l’horizontalité de la steppe environnante.
Bien que certains cherchent à voir dans le plan de la ville des références à la rotondité de la yourte et du campement nomades ou à l’ordonnancement géométrique des jardins islamiques, il semble surtout qu’il s’inspire de la structure territoriale de nombreuses capitales (Washington, Canberra, etc.) : il a été remodelé autour d’une perspective centrale qui constitue un véritable « axe du pouvoir ». Centré sur le palais présidentiel, il abrite les principales institutions de l’État : le siège du Premier Ministre, le Parlement, la Maison des Ministères, qui est un vaste amphithéâtre édifié face à la Présidence de la République.
D’autres hauts lieux éminemment symboliques se trouvent sur cet axe : la tour emblème de la ville, qui accueille en son sein un des principaux dispositifs sacralisant la figure du premier président, Nursultan Nazarbaev ; la pyramide de la paix et de la concorde, où est organisé, à intervalle régulier, un congrès rassemblant des dirigeants des principales religions mondiales.
La perspective centrale héberge également le siège de quelques grandes entreprises, comme celui de la compagnie nationale de pétrole et de gaz, ou celui des chemins de fer kazakhstanais. Plusieurs mall, qui marquent l’entrée de la société kazakhstanaise dans la modernité globalisée, se situent aussi sur le « boulevard » qui s’achève, à l’est, par la nouvelle gare ferroviaire.
L'ancien centre-ville
L’ancien centre-ville d’Astana / Nur-Sultan est situé sur la rive droite de l’Ichim, au nord de l’agglomération. Il a perdu de son importance à mesure que se développaient les nouveaux quartiers. Pourtant, c’est là que s’étaient implantées les principales institutions de l’État après le transfert de la capitale, autour de l’ancienne place Lénine. Des administrations publiques, des centres commerciaux conservent une présence dans cette partie de la ville, mais le centre de la capitale, politique comme économique, est désormais situé sur la rive gauche
Dans l’ancien centre-ville, seulement quelques édifices d’époque tsariste subsistent aujourd’hui, tandis que la ville soviétique, qui comprend des quartiers et des immeubles de différentes générations, occupe un vaste périmètre actuellement remodelé et densifié.
Au centre de l’agglomération, le cours de l’Ichim a été rectifié, de même que sur l’ensemble de son parcours urbain : un plan d’eau bordé par un parc et une promenade, où a été implantée une statue de Kenesary Khan, qui s’était élevé contre la colonisation des steppes par l’Empire russe, a été aménagé ; il constitue le cœur d’un espace récréatif qui comprend même une plage. Les rives de l’Ichim ont aussi vu se construire des ensembles résidentiels de standing : plusieurs résidences fermées y ont été édifiées au cours de la période ayant suivi le déménagement du pouvoir.
L’Exposition universelle et les quartiers du sud de l’agglomération
À l’extrémité méridionale de l’agglomération, plusieurs quartiers récemment gagnés sur les steppes et les marais, coexistent. Au cœur de cet ensemble, se trouve le complexe qui a accueilli l’exposition universelle de 2017, dont le thème a été les énergies du futur. La sphère centrale, qui abritait le pavillon du Kazakhstan, est devenue un musée, mais les autres bâtiments ont été reconvertis en centre d’affaires. L’organisation de cette exposition internationale a permis au Kazakhstan de promouvoir sa capitale et de valoriser son image sur la scène internationale ; elle a également été un vecteur de communication interne, légitimant la voie de développement suivie par le pays depuis son indépendance, sous la houlette de Nursultan Nazarbaev.
À l’ouest de ce quartier, se trouve, outre un immense mall, le campus de l’Université N. Nazarbaev, université destinée à former les nouvelles élites de la nation où l’enseignement est assuré en anglais par des enseignants essentiellement recrutés à l’étranger. Au sud, sont implantées plusieurs institutions de santé. Aussi l’organisation de ces nouveaux espaces urbains témoigne-t-elle de la persistance à Astana / Nur-sultan d’une conception de la ville fondée sur une spécialisation fonctionnelle des différents quartiers.
On observe par ailleurs sur l’image plusieurs quartiers d’habitat collectif, où résident essentiellement des représentants de la nouvelle classe moyenne. À l’image des nouveaux quartiers édifiés dans la périphérie des villes russes, leur agencement s’inspire de l’urbanisme des grands quartiers soviétiques, des mikrorayony. De son côté, le quartier de maisons individuelles situé à l’est rompt plus franchement avec les pratiques urbanistiques héritées de l’URSS, car il s’agit d’une enclave résidentielle fermée, destinée exclusivement à des populations aisée et édifiée sur le modèle des gated communities.
Références ou compléments
- A. Fauve et C. Gintrac, 2009, « Production de l’espace urbain et mise en scène du pouvoir dans deux capitales « présidentielles » d’Asie centrale », L’Espace politique,
- A. Fauve, 2015, « Astana, l’Eurasienne », La vie des idées,
- J. Thorez, 2019, « Le développement de la nouvelle capitale du Kazakhstan, Astana / Nur-Sultan (1998 – 2018) : croissance, capitalisation et normalisation », Cybergeo,
Contributeur
Julien Thorez, chargé de recherche au CNRS, Mondes iranien et indien (CNRS, Inalco, Paris 3, EPHE)