Haut lieu du tourisme asiatique et mondial, emblématique de la mondialisation et de ses dérives, Phuket est souvent réduite à des représentations associées à la tropicalité, au tourisme de masse ou au tourisme sexuel. Recevant plus 9 millions de touristes internationaux pour 42 millions de nuitées par an, l’île connaît une profonde recomposition : elle demeure une sexscape, une destination privilégiée du tourisme sexuel, mais l’arrivée de nouvelles clientèles - les chinois et les séniors occidentaux - renouvelle les spatialités du tourisme sur l’île. L’ancienne opposition plages touristiques sur le littoral occidental et ville thaïe dans la partie orientale est de plus en plus dépassée. Les dynamiques touristiques concernent la totalité de l’île, en voie de touristification, tout comme sa région, et la soumettent à de puissants enjeux environnementaux et sociaux. Phuket est une enclave qui progressivement devient « ville touristique ».
Légende de l’image satellite
Dans la mer d'Andaman, cette image de Phuket en Thaïlande a été prise 25 janvier 2020 par le satellite Sentinel 2A. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Phuket : un enclave touristique internationale en recomposition
Un modèle hérité : éden tropical et sexscape
Un éden tropical pour les clientèles occidentales
L’île de Phuket, aujourd’hui une presqu’île, se situe dans la mer d’Andaman sur le littoral occidental de la Thaïlande. A mi-chemin entre les frontières du Myanmar et de la Malaisie, ouvrant au nord-est sur la baie de Phang Nga, séparée du continent par le détroit de Pak Prah visible au nord de l’image satellite, la province de Phuket, qui coïncide avec l’île, est relativement périphérique pour le territoire thaïlandais, éloignée de la vallée centrale et du golfe de Thaïlande.
Elle est d’ailleurs, dans son peuplement, influencée par la Malaisie, comme en témoigne la présence d’une forte minorité musulmane. Phuket, connue des européens depuis le XVIIème siècle, est d’abord dévolue à l’extraction et au traitement de l’étain ainsi qu’à la culture de l’hévéa. Cette orientation explique la présence d’une communauté chinoise nombreuse, les baba, venue comme main d’œuvre au XIXème siècle. Les deux activités périclitent à partir des années 1960 au moment où se développe le tourisme.
La mise en tourisme s’appuie sur les multiples aménités du site. La proximité de l’équateur, le climat tropical de mousson, l’insularité, le patrimoine bouddhiste … participent à une ouverture rapide du territoire au tourisme. Le site relativement vaste - 563 km² - s’étire sur environ 50 kilomètres du nord au sud et sur 20 kilomètres d’est en ouest. Cette forme allongée, parfaitement visible sur l’image satellite, offre une double façade maritime inégalement exploitable.
En effet, le littoral occidental propose de nombreuses baies avec des plages de sable nettement visibles sur la photographie satellite. Une dizaine de plages ponctuent le littoral, dont cinq majeurs notamment Patong Beach, Bang Tao Beach ou Mai Khao Beach à l’extrême nord de l’île. La façade orientale est à l’inverse moins favorable puisque très boueuse. Seulement deux baies, Kung Bay au nord en face du détroit de Pak Prah et Chalong Bay au sud-est, offrent quelques potentialités pour le tourisme. L’image montre aussi que le peuplement, notamment Phuket Town, était majoritairement concentré dans la partie sud-est du territoire laissant les plages occidentales à l’origine peu exploitées tout comme le nord-est du territoire.
L’image satellite montre aussi l’ampleur du couvert forestier. Encore aujourd’hui, une grande partie de l’île conserve une végétation tropicale en partie protégée notamment au nord-ouest, au sud de l’aéroport, dans le Parc naturel national de Sirinat, ainsi qu’au centre de l’ile dans les espaces montagneux et entre les différentes plages de la côte occidentale. Climat, relief et végétation participent ainsi aux aménités du territoire. Le climat de mousson permet des températures jamais inférieures à 25°C et une double saisonnalité. Entre novembre et avril, durant la saison sèche, Phuket fait figure « d’éden tropical » d’autant plus attractif que c’est une destination de contre-saison pour une clientèle occidentale et d’abord européenne. L’écart de développement et de niveau de vie renforcent l’attractivité du territoire y compris face à Bangkok et Pattaya.
Resort et sexscape au cœur d’une enclave tropicale
La mise en tourisme de Phuket débute à la fin des années 1960 et s’intensifie dans les années 1970. En effet, les mutations du transport aérien, l’action de l’État thaïlandais – dans le cadre de la création du TAT (Thaï Tourism Authority) – et l’intervention militaire américaine au Vietnam expliquent la rapidité et la brutalité de la mise en tourisme de la Thaïlande.
L’ancien Siam, allié des États-Unis durant la guerre froide, est à la fois une base logistique et une base de repos pour les forces armées américaines. Les R&R (Rest and Recreation) contribuent à construire des pratiques et des imaginaires du tourisme en Thaïlande notamment la prostitution, la balnéarité, l’exotisme, la permissivité … C’est d’abord Bangkok et Pattaya qui concentrent les arrivées et les fantasmes. Phuket devient la troisième polarité du tourisme dès la construction de l’aéroport en 1976. Un millier de chambres sont proposées aux touristes en 1977, plus de 6 500 en 1987 et 10 000 en 1990.
Cette mise en tourisme recompose rapidement l’organisation spatiale de Phuket. Les représentations construites et colportées par les soldats américains font de la Thaïlande et particulièrement de Phuket « une brèche de liberté, de permissivité, de déviances, de fantasmes » qui se confondent avec des pratiques balnéaires, hédonistes, érotiques et sexuelles construites sur de multiples inégalités et illégalismes. Les routards sont les premiers à fréquenter l’île perçue comme vierge et exotique alors que la partie sud-est du territoire est déjà largement peuplée. L’image satellite témoigne de l’opposition entre la façade occidentale où se situe les plages séparées par de pointes rocheuses et le littoral oriental déjà densément occupé, au moins au sud, par la ville. La mise en tourisme se concentre sur la partie occidentale, qui répond le mieux aux imaginaires des touristes occidentaux, et d’abord à Patong Beach, la plus proche de Phuket Town.
Patong Beach est emblématique de la mise en tourisme du territoire. C’est un modèle de sexscape caractérisée par une clientèle venant des pays développés – ici majoritairement d’Europe – porteuses d’une série de représentations racialisées et genrées sur une population pauvre et en développement, qui recherchent des consommations sexuelles tarifées favorisées par de fortes inégalités entre le client et le vendeur. Ce territoire touristique se construit le long de la plage, espace d’érotisme et de rencontres, et dans les rues qui la borde où se concentrent les bars, les clubs, les boutiques, les discothèques … Patong s’organise autour de cette nouvelle centralité notamment Bangla Road auquel s’ajoute progressivement un quartier gay avec les lady boy (Kathoey). Les hébergements sont construits dans le prolongement de la plage par de puissantes familles thaïs, souvent d’origine chinoise, et de plus en plus par des firmes transnationales occidentales et/ou thaïlandaises. Patong s’organise comme une « station enclave » séparée du reste de l’île, raccordée par une unique route à Phuket Town où vivent les employés du tourisme. C’est une enclave festive marquée par la permissivité très éloignée des pratiques culturelles plutôt conservatrices des thaïs.
A côté de la centralité permissive et festive de Patong, les firmes transnationales développent le modèle du « village club » – sur le modèle du Club Méditerranée. C’est un resort fermé, souvent en all-inclusive, qui est construit le plus proche possible de la mer et de la plage tout en offrant un accès à une station - ville touristique. C’est une autre spatialité touristique plus familiale qui propose des pratiques balnéaires mais aussi sportives comme la plongée notamment dans la baie de Chalong pour les massifs coralliens. L’offre est aussi culturelle avec la visite des lieux de culte bouddhistes notamment le Big Bouddha, qui domine Karon et Kata Beach, mais aussi naturelle avec le parc de Khao Phra Thaéo, au nord-est de l’ile, ou les excursions dans les îles proches… Le modèle de la station de Patong se diffuse au sud à Karon Beach et Kata Beach et au nord à Kamala et Bang Thao Beach. L’image satellite montre que chaque plage et chaque baie est aménagée et exploitée. Le bâti se développe à l’intérieur tout en étant toujours séparé par la forêt et la montagne de Phuket town et uniquement relié par une route. C’est une série d’enclaves dans un monde pauvre et en développement.
Dans les années 1990, Phuket est une enclave touristique emblématique des 3 S (Sea, Sand and Sun) construite pour et par une clientèle occidentale, ouverte sur le monde mais fermée ou séparée de la ville de Phuket Town et de la population thaïe. Elle n’est pas qu’une sexscape mais le net déséquilibre homme – femme dans les clientèles témoignent de sa relative spécialisation. Ce modèle depuis les années 2000 connaît une rapide recomposition dans le cadre de la mondialisation et de l’émergence de l’Asie et du bassin du sud-est asiatique.
Nouvelles clientèles, pratiques et spatialités du tourisme
L’insertion dans le bassin touristique asiatique et chinois
L’accélération du processus de mondialisation depuis les années 1990 recompose les spatialités touristiques à Phuket. L’île, comme la Thaïlande en général, connaît une très forte croissance des arrivées touristiques : 1 million en 1973, 12 millions en 2005 et 38 millions en 2018, dont 9 millions à Phuket, 3ème destination en Thaïlande et 6ème pour l’Asie du Sud-Est. Le nombre de chambres passe de 10 000 en 1990 à 40 000 en 2010 et 84 000 en 2015.
Ce succès s’accompagne, en Thaïlande comme à Phuket, d’une profonde mutation de l’origine des clientèles. Les occidentaux sont toujours présents, notamment les européens du nord (Scandinaves, Allemands et Britanniques) mais ils sont de plus en plus minoritaires. Phuket reçoit désormais un tourisme de proximité et s’insère ainsi dans son bassin touristique. Les Malais, les Coréens du Sud et les Japonais sont encore présents tout comme les Australiens (3ème clientèle). Deux autres clientèles se détachent nettement : les Russes et surtout les Chinois, qui représentent en 2018 plus d’un tiers de la fréquentation touristique.
Cette nouvelle clientèle récente - la fréquentation est multipliée par dix en dix ans - participe à la recomposition touristique de l’île. Contrairement aux européens, elle vient pour de courts séjours par des vols low cost en profitant de l’aéroport international de Phuket. Visible au nord de la photographie satellite directement dans le prolongement de la plage de Mai Khao, l’aéroport a connu une croissance exceptionnelle : 6 millions de passagers en 2008, 16 millions en 2017 dont 10 millions de passagers sur des vols low cost avec les compagnies Lion Air, Air Asia … Les lignes aériennes relient naturellement Bangkok, le hub national, mais aussi Singapour, Hong Kong et Dubaï alors que de plus en plus de vols directs sont ouverts depuis les métropoles chinoises – Shanghai, Guangzhou, Chengdu … L’aéroport étant aujourd’hui totalement saturé, les autorités ont décidé d’en construire un second, d’une capacité de 10 millions de passagers à Phang Nga, sur le continent au nord-est de l’image satellite. Phuket s’inscrit ainsi dans l’émergence d’une région touristique autour de la baie de Phang Nga (îles touristiques de Phi Phi, de Ko Lanta, station de Krabi).
L’aéroport est proche de l’axe majeur de circulation qui traverse l’île du nord au sud. En effet, l’autoroute 402 relie le continent par le pont Sarasin et parcourt l’île jusqu’à Phuket Town et la pointe sud. Éloigné des plages sur le littoral occidental, cet axe concentre les nouvelles spatialités touristiques notamment pour les clientèles chinoises. Les pratiques de cette nouvelle clientèle diffèrent : les séjours sont moins longs, le shopping est une activité centrale tout comme la visite des hauts lieux culturels notamment bouddhiste et naturels (concentrés dans la baie de Phang Nha à l’est sur l’image satellite).
De nouveaux territoires naissent pour répondre aux pratiques des chinois. Dans la périphérie occidentale de Phuket Town, le long de l’autoroute 4024, s’étalent plusieurs malls, comme le Central Phuket, dont certains spécialisés dans la vente de pierres précieuses, des condominiums pour la location d’appartements et de nombreux hôtels. Ainsi un véritable corridor commercial et touristique se développe à l’intérieur de l’île. Ce modèle se diffuse jusqu’à Chalong.
De nouvelles pratiques occidentales / mondialisées
La recomposition touche aussi les quartiers touristiques hérités : Patong Beach voit naitre aussi des malls comme celui de Jungceylon shopping center et les clientèles chinoises fréquentent aussi le quartier festif et permissif. Phuket est emblématique de l’hybridation des pratiques dans un territoire à l’origine balnéaire. Les nouvelles clientèles renforcent la massification du tourisme et font s’atténuer la dichotomie littoral occidental touristique et ville thaïlandaise au sud-est. Les nouvelles spatialités touristiques se diffusent à l’ensemble de l’île et renforcent son statut urbain.
Phuket est peuplée d’un peu plus de 500 000 habitants, soit environ 1000 habitants au km², sans compter les populations non enregistrées souvent illégales venant du nord de la Thaïlande ou du Myanmar. L’île conserve toute son attractivité pour les migrants aussi bien les populations pauvres - dont une partie renforce les contingents de la prostitution - que pour de nouveaux migrants occidentaux. 120 000 résidents étrangers sont enregistrés à Phuket. Il s’agit, pour la plupart, d’occidentaux, habitants permanents ou temporaires, qui s’installent pour la retraite ou pour travailler à Phuket. Ils font aussi naître de nouvelles spatialités.
A l’intérieur de l’île, proche des autoroutes et dans le prolongement des plages surtout au sud en direction de Karon Beach, de Kata Beach, de Patong Beach, naissent de multiples condominiums et gated communities souvent associés à des golfs. L’image montre partout cet alignement de villas identiques dans des quartiers au plan géométrique qui se développent sur tout le territoire sous le nom de « village ». L’extrême sud, Chalong, connaît aussi un rapide développement de cette forme d’hébergements mais moins hauts de gamme.
Cette montée en gamme se retrouve aussi sur le littoral occidental et dans une moindre mesure au sud de Phuket Town. De grands groupes hôteliers internationaux ou thaïlandais vendent des logements à des particuliers, souvent occidentaux, dans des résidences hôtelières. Ils garantissent ainsi locations et sécurité lorsque les touristes/ résidents temporaires n’utilisent pas leur propriété. Ce nouvel « habiter », entre tourisme et migration, se développe sur le littoral occidental encore peu occupé au nord de l’ile, depuis Maï Khao Beach proche du détroit jusqu’à Bang Thao Beach. Là aussi, des résidences hôtelières, des resorts, des villas de luxe naissent dans le prolongement du parc naturel de Siranat. De nouvelles enclaves sur les plus petites plages ou à flanc de montagnes ponctuent le littoral nord. Ils s’adressent à une clientèle à très fort pouvoir d’achat, autant européennes qu’asiatiques.
Un dernier processus touristique commence à émerger à Phuket Town. Des acteurs locaux, souvent issus de la diaspora chinoise, valorisent le patrimoine architectural de la ville historique par la promotion du style sino-portugais, en réalité proche du style colonial anglais. Cette patrimonialisation de l’ancien centre historique, dévolu au commerce mais de plus en plus délaissé, montre que les acteurs locaux cherchent à mettre en tourisme la quasi-totalité du territoire.
Depuis les années 1990, Phuket n’est plus uniquement une enclave touristique occidentale orientée vers le balnéaire et la permissivité. En 30 ans, la mondialisation et l’insertion dans le bassin du sud-est asiatique ont profondément renouvelé la mise en tourisme de l’ile et de sa région. En effet, l’arrivée massive de clientèles chinoises, la forte croissance de la fréquentation, l’hybridation des pratiques ou le balnéaire est associé au culturel, au shopping, à la villégiature, la montée en gamme pour une partie des Resorts, l’arrivée de résidents étrangers notamment européens … participent à la naissance d’une ville voire d’une région touristique.
La rapidité des transformations qui se poursuivent a été réalisée sans plan directeur, sans régulation. Phuket doit aujourd’hui faire face à de très nombreux impacts environnementaux et sociaux. Les autorités commencent à vouloir réguler le tourisme notamment sur l’île de Phi Phi. L’île touristique est aujourd’hui totalement saturée. Entièrement touristifiée, elle est une enclave de la mondialisation dans la mer d’Andaman qui commence à faire naître une région touristique marquée par de puissantes inégalités sociospatiales.
Zones d'études
Zone 1. L’aéroport, porte de l’ile et dernier « front du tourisme »
Le zoom est centré sur l’aéroport international de Phuket, ouvert en 1976, au nord de l’ile à 32 kilomètres de Phuket Town. Directement construit dans le prolongement de la plage de Mai Khao, il occupe les deux tiers de la largeur ouest – est du nord de l’île. Disposant d’une piste unique, l’aérogare se trouve proche de la mer. Il est desservi par une quatre voies - la 4031 – que rejoint l’axe majeur, l’autoroute 402.
C’est la porte d’entrée touristique du territoire. Connaissant une fréquentation en forte croissance, quasiment 17 millions de passagers aujourd’hui, l’aéroport reçoit des lignes régulières relativement rares en dehors du lien avec Suvarnabhumi, le hub de Bangkok. A l’inverse, durant la saison touristique, de novembre à avril, les vols réguliers relient les principaux hubs régionaux comme Dubaï ou Singapour et les grandes capitales européennes. La croissance du trafic provient surtout des vols low cost – 48 % du trafic en 2018 – venant principalement de Chine avec des vols directs venant de Beijing, Shanghai, mais aussi de Chengdu et de Lanzhou. La liaison avec Ho Chi Minh Ville est la dernière liaison ouverte.
Le développement de l’aéroport s’explique par son rôle pour Phuket mais aussi pour la baie de Phang Nga. Sa fonction de transit, pour toutes les stations touristiques de la Mer d’Andaman, explique la multiplication des hôtels bon marché directement à proximité de l’aérogare où logent une partie des touristes avant l’embarquement vers les îles de la baie. La densité d’hébergements est très élevée parce que le Parc national de la Sirinat et le golf du Blue Canyon Country club bloquent l’étalement des hôtels.
Cet espace au sud de l’aéroport est emblématique du développement anarchique de l’ile. Sur un espace très réduit cohabite un Parc naturel national, des resorts littoraux, des terrains agricoles, une gated community en construction et toute une série d’activités de service. A l’inverse, au nord de l’aéroport, la plage est ponctuée de resorts, appartenant à des grandes entreprises dont Marriott ou Steiner Leisure, deux firmes transnationales nord-américaines. Le prix des chambres augmente en fonction de l’éloignement de la nuisance aéroportuaire. De nombreuses infrastructures touristiques sont en construction entre l’aéroport et le détroit. Cette partie de l’ile devient un nouveau « front touristique ».
Zone 2- Patton Beach, sexscape, station festive et permissive
La station balnéaire de Patong est la plus anciennement développée sur l’île. D’une part, elle offre une longue plage de sable d’environ 4 kilomètres particulièrement visible sur l’image satellite et d’autre part, protégée par une baie, elle est moins soumise aux vagues que ses voisines Karon et Kata Beach. La station est construite sur une étroite plaine littorale enserrée de montagnes, surtout celle qui la sépare de Phuket Town.
La station s’est construite depuis la plage en direction de l’intérieur. L’ensemble de l’espace disponible, aujourd’hui occupé, saturé, est organisé par deux boulevards, voies de circulation majeures connectés à la route qui permet de rejoindre Phuket Town. A l’arrière de la plage et du boulevard de front de mer, se déploient de multiples hôtels tous « Resorts and Spa » appartenant à des firmes transnationales occidentales, chinoises ou thaïlandaises, mais aussi à des locaux y compris dans le cadre du développement des Airbnb, Patong concentrant la quasi-totalité des hébergements proposés par la plateforme américaine. Les prix sont plus élevés vers la plage et descendent nettement à l’approche de la montagne.
La station est double. En journée, elle offre toute la palette du tourisme balnéaire, y compris dans le récent développement de centres commerciaux gigantesques. Le Jungceylon Shopping Center, dans Bangla Road, héberge un hôtel de 400 chambres, plusieurs centaines de boutique orientées vers les produits de luxe, six salles de cinéma, un supermarché, un bowling, une rivière artificielle … C’est un mall destiné à une clientèle essentiellement asiatique qui occupe une large assise foncière.
Ce mall se trouve proche du centre de « l’autre Patong ». La nuit, autour de Bangla Road, la prostitution est en effet partout. Les rues concentrent des salons de massage, les gogo bars, la prostitution de rues, les discothèques ainsi que les hôtels qui permettent les « consommations tarifiées ».
Prostitutions féminine et masculine sont largement représentées et visibles dans l’espace public. Elles incarnent et animent la ville festive et permissive tout en étant au cœur des attractions. C’est l’origine de la station, et c’est encore le cœur des représentations et des imaginaires véhiculées par Phuket. C’est une « sexscape » nourrie des imaginaires ou l’intime est marchandisé dans le cadre de la mondialisation et la mise en scène ainsi que la théâtralisation de la permissivité qui renforce le succès du lieu touristique.
Zone 3- Mall, condominium et gated communities, la nouvelle Phuket.
Au nord-ouest de Phuket Town, au carrefour deux axes majeurs, la 4024 traversant toute l’île et la 4020 rejoignant Patong Beach, a ouvert un second gigantesque mall en 2018. C’est plutôt un ensemble de centres commerciaux construits autour du carrefour routier avec le Central Phuket, nouvellement ouvert, et le Central food hall – Central Floresta. 300 000 m², 700 magasins, un hôtel international (Novotel du groupe Accor), une salle de conférence, un aquarium, un jardin, un cinéma … sont quelques-unes des attractions proposées par cette immense complexe commercial et ludique qui ouvre y compris durant la saison des pluies. Ce qui n’était qu’une complémentarité devient l’objectif du voyage alors que les plages sont une activité parmi d’autres.
De nombreux hôtels naissent dans son prolongement le long des deux voies rapides, mais surtout des condominiums de luxe sont construits directement à côté du centre commercial et le long de la voie rapide 4020. L’image satellite montre aussi par des formes rectilignes, par des plages de couleurs identiques, les nombreuses gated communities qui occupent l’espace entre le complexe commercial et la station de Patong. Les quartiers fermés se repèrent par leur uniformité et par leur accessibilité, une seule route avec un check point fermé et gardé et aussi parce qu’ils tranchent nettement avec le bâti plus anarchique de la périphérie de Phuket Town.
C’est particulièrement visible sur la photographie satellite. Un golf, qui peut se confondre avec un espace naturel, est ceinturé de quartiers à l’urbanisme orthogonal et aux toits identiques et colorés. Les quartiers fermés, à la limite du tourisme, en partie réservés à une clientèle d’expatriés et/ou à la location touristique, se diffusent dans toute la partie centrale de l’île. Les offres sont ici bien moins onéreuses que sur le littoral et de nombreuses agences immobilières les proposent à la vente pour des européens et/ou des australiens, en garantissant un loyer et une revente après 20 ans. Ainsi, un studio proche du golf se négocie autour de 60 000 euros auprès d’un promoteur immobilier australien. L’acquéreur peut l’occuper 10 jours à la période de son choix.
Ce modèle se retrouve partout sur le littoral – avec des villas ou des appartements en condominiums – mais il se diffuse aujourd’hui vers l’intérieur en jouant sur de nouvelles aménités : les golfs, les malls, la proximité des plages et de Phuket Town.
Zone 4- Les nouvelles enclaves de luxe sur le littoral
La façade littorale occidentale sur les principales plages touristiques, y compris Patong Beach, se couvre des nouvelles formes d’hébergements touristiques aussi bien des villas, des résidences de tourisme ou des condominiums le plus souvent dans des résidences fermées. La privatisation de l’espace et le modèle de l’enclave sont des marqueurs des dynamiques touristiques contemporaines.
Ce modèle, commun sur Phuket, prend une autre forme parfaitement visible sur l’image satellite, dans les espaces montagneux situés entre les principales plages qui étaient demeurés « vierges » ou peu aménagés. C’est particulièrement le cas au nord-ouest de l’ile entre le Parc naturel de Sirinat et la plage de Bang Tao Beach. Les espaces facilement accessibles et donnant sur les plages sont déjà densément occupés. A l’inverse, les plages les plus petites et les côtes rocheuses commencent à être mises en tourisme, particulièrement entre Naithon et Layan Beach. En effet, des complexes de villas de grand luxe dans des résidences fermées sont proposées à la vente ou la location pour une clientèle occidentale. Ils appartiennent souvent à des firmes transnationales occidentales comme Pullman (groupe Accor), Mövenpick ou à des propriétaires privés.
Naturellement fermés et protégés par le relief, les complexes sont uniquement accessibles par une unique route et ils « privatisent » les étroites plages directement à proximité. Phuket retrouve une orientation haut de gamme, balnéaire, tout en permettant des investissements immobiliers ou l’installation de populations étrangères.
La plage de Bang Thao Beach, anciennement exploitée pour l’étain, est couverte de resorts de luxe. Chacun est construit autour de lacs artificiels faisant partis à l’origine d’un ensemble lagunaire ou de golfs, les deux étant parfaitement visibles sur l’image. Appartenant à de grands groupes internationaux, les complexes hôteliers littoraux, sont aujourd’hui complétés par des gated communities, ensemble de villas qui s’étendent vers l’intérieur. Construites autour de golfs ou de plans d’eau, elles rejoignent aujourd’hui les villages thaïs et finissent par se mélanger avec, les nouvelles formes urbaines repoussant les villages des locaux. L’image montre parfaitement la différence de formes et d’emprises spatiales entre les deux types d’habitat.
Zone 5- Phuket Town, ville thaïlandaise « en sursis »
L’image satellite montre une plus forte densité urbaine autour de Phuket Town. Construite sur la côte orientale boueuse, la ville héberge dans sa partie nord le port principal en eau profonde de Phuket – aujourd’hui largement sous dimensionné. La morphologie urbaine, visible sur l’image satellite, contraste fortement avec le reste de l’ile. En effet, autour de la vieille ville, majoritairement chinoise (baba) et commerçante, le tissu urbain se compose d’un bâti traditionnel souvent d’un ou deux étages d’où émergent quelques immeubles – hôtels des années 1970 – 1980. Cet ensemble urbain, d’environ 75 000 habitants, est encore la ville thaïe des employés du tourisme. L’autoroute 4024 marque le début des nouveaux territoires du tourisme, mall, condominums et quartiers fermés.
Là encore, la séparation héritée est de plus en plus floue. Phuket Town concentre de très nombreux projets touristiques. Au-delà de la vieille ville « baba » (chinoise) qui s’inscrit dans le patrimoine avec le style architectural sino-portugais, le développement des centres commerciaux et « malls » transforment la périphérie de la ville proche des grands axes de communication. Ainsi, les autorités cherchent à multiplier les offres de mobilités : une ligne de tramway sur 60 kilomètres entre le pont sur le détroit au nord, l’aéroport, Phuket Town et Chalong Bay. Le tracé de la ligne de tram intègre aussi le développement de deux marinas - et des résidences de tourisme associées - au nord du zoom n°5.
Cette partie du territoire, en face de Coconut Island, la plus grande île visible au nord de Phuket Town, encore peu orientée vers le tourisme, commence à recevoir des équipements et des aménagements qui n’existent d’ailleurs pas dans la partie occidentale. Le tracé de la ligne de tramway met aussi en avant la création d’un quartier des affaires, d’un mall et l’agrandissement des hôpitaux - clinques associés à des Resorts. Les acteurs cherchent à développer ici un des espaces majeurs du tourisme médical dans le bassin de l’Asie du sud-est.
Au sud, dans la baie de Chalong, en face de la grande île de Ko Lon, les autorités prévoient de renforcer la digue pour permettre le développement des Resorts et des résidences de tourisme dans la partie sud. Des équipements comme le musée du cinéma ou la marina doivent permettre d’encore renforcer la touristification de l’extrême sud, tout comme Kata et Karon sur le littoral occidental qui doivent recevoir un troisième mall gigantesque – le BluPearl Mall – de 240 000 m². L’ensemble de l’ile, y compris au sud-est, est aujourd’hui transformé par la mise en tourisme, y compris les espaces anciennement bâtis.
Les repères jaunes indiquent les cinq zones d'études de l'image satellite (Sentinel-2A)
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D’autres ressources
Sébastien Roux. “ On m’a expliqué que je suis ”gay” ” Tourisme, prostitution et circulation internationale des identités sexuelles. Autre Part - revue de sciences sociales au Sud, Presses de Sciences Po (PFNSP), 2009, La fabrique des identités sexuelles, pp.31-45.
Peyrou Bruno. Le tourisme en Thaïlande. Cahiers d'outre-mer. N° 177 - 45e année, Janvier-mars 1992. pp. 55 – 76.
Jean-François Staszak, l’imaginaire géographique du tourisme sexuel, Armand Colin, «L'Information géographique », 2012/2 Vol. 76, pages 16 à 39.
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Statistiques touristiques du gouvernement thaïlandais.
N. Wongtadam D. Krairit, Survival of a market leader in a regional integration of emerging economies : a case of the study of the tourism industry in Thailand, , National Institute of Development Administration, 2017.
Contributeur
Jean-François Arnal, agrégé d’Histoire-Géographie, Lycée International de Ferney-Voltaire, Lyon II