Russie - Péninsule de Yamal : le dégel du pergélisol dû au réchauffement climatique et ses conséquences sur le climat

 

Légende de l’image

Étangs résultant de la fonte du pergélisol dans la péninsule de Yamal, au nord-ouest de la Sibérie, capturés par la mission Copernicus Sentinel-2B le 22 juillet 2018. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.  

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

 



L'image ci-contre a été réalisée le 12 juin2018 par le même satellite Sentinel-2B, soit un peu plus d'un mois avant celle ci-dessus. Les emprises de ces deux images de la péninsule de Yamal sont identiques.
 
Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.  
 

 

Le pergélisol - sol gelé en permanence - recouvre environ 25 % de la surface de l’hémisphère nord et il est présent principalement dans les régions arctiques. Dans certaines régions - en Alaska, Russie et Canada, comme ici la péninsule de Yamal - le pergélisol contient une grande quantité de carbone, deux fois plus que dans l’atmosphère, soit sous forme de gaz, soit sous forme de matières organiques gelées. Le pergélisol de ces régions, aussi grandes que la France, dégèle à cause du réchauffement climatique actuel, formant de nombreux lacs qui libèrent du CO2 et du CH4, qui sont des gaz à effet de serre.

 

 

Présentation de l’image globale

Le pergélisol en Arctique et dans la péninsule de Yamal

La péninsule de Yamal est située en Sibérie occidentale, au bord de l’océan arctique dans l’Arctique. Elle mesure globalement 120 000 km² et mesure 700 km du sud au nord. Cet immense territoire est bordé à l’ouest par le Mer de Kara et à l’est par le golf de l’Ob. Elle fait partie administrativement du district autonome de Iamalao-Nésétsie. Cette région est habitée par une des derniers peuples nomade éleveur de rennes, les Nénets, qui ont une culture préservant les traditions ancestrales nomades. Ce mode de vie nomade est contesté par les industries pétrolières et gazifières qui se développe rapidement à grande échelle depuis quelques années. La région comporte fes immenses réserves de gaz et de pétrole et sont largement exportées par plusieurs gazoducs, dont le fameux gazoduc Yamal-Europe de Gazprom vers l’Europe occidentale.  

Bien que d’échelle spatiale relativement réduite, cette image satellite de la péninsule de Yamal prise en mai 2019 permet d’étudier des processus morphologiques et climatiques qui affectent l’ensemble de l’espace arctique, et posent plus généralement des enjeux fondamentaux pour l’avenir du système planétaire, et des interactions entre milieux et sociétés humaines.  

A l’échelle planétaire, l’Arctique est en effet la grande région située aux hautes latitudes de l’hémisphère. La limite généralement admise est donnée par le cercle Arctique (latitude 66°33'N), où lors des solstices il fait jour ou nuit pendant vingt-quatre heures. L’Arctique est aussi défini par des données climatiques et environnementales, comme la courbe isotherme de 10 °C de température au mois de juillet, qui marque la limite au-delà de laquelle les arbres ne poussent plus. En effet, dans cette région, il n’y a plus de forêt boréale (Taïga), mais c’est le domaine des prairies d’herbacée et d’arbustes : la toundra.

En Arctique, mais aussi dans quelques régions plus au sud, se trouve un sol gelé en permanence : le pergélisol (en anglais “permafrost”). Il est défini thermiquement : c’est un sol - au sens large : un sol et/ou une roche - qui reste à ou en dessous de 0°C durant au moins deux années consécutives. Suivant le climat froid des périodes glaciaires anciennes - au Pléistocène entre 500.000 à 10.000 - durant lesquelles il s’est formé, l’épaisseur du pergélisol varie de quelques centimètres à quelques centaines de mètres.

Le pergélisol dans la péninsule de Yamal atteint 300 m. L’extension verticale du pergélisol est limitée en profondeur par le flux géothermique. Le pergélisol est observé dans deux zones géographiques qui peuvent se recouper : les hautes latitudes et les hautes altitudes. Le pergélisol est très présent dans l’hémisphère nord puisqu’il occupe approximativement 23 à 25 % de la surface des continents de l’hémisphère nord.

Le pergélisol riche en glace dans la péninsule de Yamal

Plus spécifiquement, dans la péninsule de Yamal, le pergélisol atteint un grand volume de glace dans les premières dizaines de mètres. Il contient en moyenne 70 % de glace et est dénommé pergélisol riche en glace. Avec cette image satellite à grande échelle, il est difficile de voir la glace en profondeur. Comme la péninsule du Yamal, certaines régions en Russie, Alaska et Canada comportent un pergélisol riche en glace. Ils se sont formés lors de la dernière glaciation du Pléistocène – de 80.000 à 10.000 - lorsque ces régions n’étaient pas recouvertes par la grande calotte de glace recouvrant une partie de la Sibérie.

L’accumulation de sédiments d’origine éolienne - par le vent - et fluviatiles - par les fleuves - dans un bassin sous des conditions froides a conduit à leur gel et à la formation du pergélisol. Lors de la dernière période glaciaire, le niveau de l’océan était plusieurs centaines de mètres plus bas qu’actuellement.

Aujourd’hui, le réchauffement climatique impacte énormément ces régions arctiques. Il est estimé que l’Arctique a subi un réchauffement de l’ordre de +3° à +4°C selon les régions, soit trois à quatre fois plus qu’à l’échelle planétaire ou en France.

A cause de ce réchauffement, le pergélisol dégèle, la glace fond, il y a subsidence du sol et formation de lacs comme on peut le voir très clairement sur l’image satellite. La plupart des petits lacs – bien visibles sur l’image - se sont formés récemment. Ce pergélisol riche en glace est très sensible aux variations climatiques. Il a notamment dégelé intensément dans le passé au début de l’Holocène (10.000 à 8.000) formant les trois grands lacs présents sur l’image. Le grand, le plus à l’est, a une forme très irrégulière qui reflète la coalescence de plusieurs petits lacs formant un seul et même grand lac avec la progression du dégel.

Le carbone du pergélisol et ses conséquences sur le climat

Le pergélisol contient beaucoup de carbone et certaines régions en Arctique contiennent de très grandes quantités de carbone, elles sont alors appelées des tourbières gelées.

Dans ces régions comme dans la péninsule de Yamal, le carbone est principalement d’origine organique. Il est présent sous forme de débris organiques (anciens sols, végétaux morts enfouis), de poches de gaz ou d’hydrates de méthane. Les hydrates de méthane - ou clathrates – ne sont présents qu’en profondeur ou au fond de l’océan arctique, à cause de la forte pression nécessaire pour les former.

Au total, il est estimé que le pergélisol contient deux fois plus de carbone que dans l’atmosphère actuellement, soit 1500 Gt de carbone. Ce grand volume est équivalent au volume de carbone contenu dans tous les biomes sur Terre (savane, forêt tropicale) hors Arctique.

Lorsque le pergélisol dégèle et que les lacs se forment, les débris organiques précédemment gelés, sont exposés à l’atmosphère et sont dégradés par des bactéries méthanogènes libérant du C02 ou du CH4, qui sont des gaz à effet de serre. Les poches de gaz piégées précédemment sont donc libérées.  La proportion de ces deux gaz à effet de serre dépend de différents facteurs comme la température, l’hydrologie et les processus de décomposition de la matière organique.  La différence n’est pas anecdotique puisque le méthane est un gaz à effet de serre 33 fois plus efficace que le CO2.

Le carbone relargué dans l’atmosphère n’est pas visible sur l’image satellite, mais on peut voir dans les lacs des panaches bruns au milieu de l’eau bleu clair. Ce sont des sédiments transportés par les rivières qui débouchent dans les lacs. Ces rivières charrient aussi du carbone, sous forme de particules, de même que des sédiments dus au dégel du pergélisol. Ce carbone particulaire est entrainé par les rivières qui se jettent dans l’océan arctique, amenant du carbone.

Avec l’intensification de l’augmentation des températures, le pergélisol dégèle encore plus profondément, libérant de plus en plus de carbone. Il est déjà observé dans plusieurs études scientifique une augmentation du dégazage de carbone avec l’augmentation du réchauffement climatique.

Le devenir de ce carbone est actuellement un important sujet de recherche. Sera-t-il directement libéré dans l’atmosphère, et surtout en quelle proportion ? Ou restera-il en partie piégé dans les lacs ?

Le dégel du pergélisol est aussi un risque aussi pour toutes les infrastructures humaines (bâtiments, routes, industries) construites dans l’Arctique, dans la mesure où sa disparition fragilise durablement le socle sur lesquelles celles-ci sont construites. Le coût en est estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars.

 

D’autres ressources

Article sur le pergélisol de l’Association International du Pergélisol (IPA)

Article sur les Nénets du National Geographic

Sur le site de l’ESA : dégel du pergélisol, glaces et glissements de terrains

Contributeur

Antoine Séjourné, Maitre de Conférences, Laboratoire GEOPS, Université Orsay Paris Sud.