Sur la côte sud-ouest du pays, la ville de Stavanger est associée dans l’imaginaire collectif norvégien au pétrole puisqu’on l’appelle d’ailleurs « Olje Byen », la « ville du pétrole ». En position relativement marginale jusque dans les années 1970, la ville et sa région urbaine se hissent aujourd’hui au 3ème rang des agglomérations norvégiennes. Elles ont en effet connu depuis une dynamique démographique, économique et urbaine exceptionnelle portée par le boom des hydrocarbures offshore, qui a fait de la petite Norvège un des États européens les plus riches. Aujourd’hui, la cité cherche à sortir du « tout-pétrole » en s’affirmant comme la « ville de l’énergie » afin de diversifier son économie et de tenir compte de nouvelles attentes sociétales et environnementales.
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Le 27 août 2019, le satellite Sentinel-2A a capturé le paysage côtier, accidenté de Stavanger, dans le sud-ouest de la Norvège, avec ses rochers et ses collines caractéristiques.
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Stavanger : la capitale du pétrole offshore norvégien
Une région littorale aux marges sud-ouest de la Norvège
Comme le montre l’image, nous sommes là dans une zone littorale du sud-ouest de la Norvège. Elle est dominée à l’est, à droite donc de l’image, par des hautes terres couvertes de neige à cette saison et culminant à 400 ou 500 m d’altitude. Ce sont là les hauts plateaux intérieurs du Rogaland – les fjells, nus et rocailleux, froids et déserts - qui isolent la région d’Oslo – la capitale – qui se trouve à 350 km au nord-est et de Kristiansand à 155 km plus à l’est. Stavanger est la capitale administrative du Rogaland (50 hab./km²), dont l’essentiel de la population – comme dans toute la Norvège - est très largement polarisée sur le littoral comme le montre clairement l’image.
Par contre, au nord et à l’ouest se déploie un ensemble maritime aux côtes très découpées avec de très nombreuses îles et presqu’îles basses et de grandes vallées anciennement glaciaires envahies par la mer, les fjords. Sur l’image s’identifie aussi un grand fjord qui traverse l’image du nord-ouest au sud-est : c’est le puissant Høgsfjorden. Il est long de 23 km, large de 1 500 m. et profond de 170 m. Mais comme le montre l’image complémentaire de la région, il se rattache lui même plus au nord au gigantesque Boknafjord, fjord long de 96 km (hors image), dont il n’est en définitive qu’une ramification méridionale. Enfin, il convient aussi de signaler le petit Gandafjorden, long de seulement 13 km, qui isole à l’est la péninsule de Stavanger et sert d’abri a de nombreux sites littoraux.
Cette multitude d’îles, de péninsules et de fjords dessine un vrai labyrinthe aux reliefs très découpés. Cette structure - le skärgard, la « cour des îlots rocheux » - explique à la fois l’importance et la richesse de la vie maritime et toutes les fortes contraintes de circulation et de rupture de charge qui lui sont liées. Au nord, Bergen - la capitale régionale – est à 170 km, mais difficilement accessible par voie terrestre. Les îles et fjords sont reliés par de nombreux ponts, tunnels ou bacs (cf. celui de Lauvvik au sud-est). Grâce à la manne pétrolière, la Norvège a cherché à faciliter sa continuité littorale en multipliant les ouvrages d’art au prix d’investissements financiers considérables. Ainsi, en 1992 sur la voie E 39 est ouvert le tunnel de Byfjord, qui plonge à – 223 m de profondeur sur 6 km pour relier au nord de l’image Randaberg aux îles de Rennesoy et Finnoy. Aujourd’hui, un grand projet de tunnel de 25 km est lancé vers le nord sous le Boknafjord entre Randaberg et Arsvagen.
Enfin, à l’ouest face à la Mer de Norvège se trouve la péninsule de Stavanger. De forme relativement massive et bien individualisée, elle est d’altitude modeste (0 à 50 m., point culminant à 140 m.), bordée à l’ouest par un littoral alternant falaises et plages selon la topographie et s’ouvrant au nord sur de nombreux lacs occupant les principales dépressions. La ville se caractérise par des températures annuelles moyennes de 8,3°C, avec des étés frais (15,5°C) et des hivers doux (3°C), mais avec des pointes records à – 19°C. Les précipitations sont assez abondantes avec 1 200 mm par an, soit l’équivalent de Brest, pour l’essentiel d’aout à décembre.
Le Grand Stavanger : la 3em agglomération du pays en position d’abri
Face aux vents et aux puissantes et régulières tempêtes venant de l’ouest et frappant directement le littoral, Stavanger se déploie à l’intérieur des terres en position d’abri le long du Gandafiorden, fjord qui longe la péninsule à l’est. Si le vieux noyau historique se trouve au nord de la péninsule face à l’île d’Hundvag, l’agglomération s’est très largement étendue vers le sud sur plusieurs dizaines de kilomètres au fur et à mesure de sa croissance contemporaine.
Progressivement, l’essor de l’urbanisation porté par les fonctions résidentielles (habitat collectif bas ou maisons individuelles) ou productives (zones d’activité, zones commerciales…) a dessiné un long ruban urbain de plus de 20 km de long, formant une vaste conurbation à l’échelle de la Norvège. Celle-ci se développe en effet comme le montre très bien l’image de Randaberg, au nord, à Sandnes, au sud, pour se continuer aujourd’hui sur Ganddal, le long en particulier de la voie rapide E 39 qui lui sert de colonne vertébrale.
Stavanger : une ville et une économie régionale portées par le boom des hydrocarbures de la Mer du Nord
A la fin des années 1960, la découverte des gisements de pétrole de la mer du Nord marque un changement de paradigme pour la ville, la région et la Norvège. Ce pays aux ressources limitées avait jusque là connu une histoire marquée par la pauvreté et l’émigration. Dans un article d’une géographie universelle datant de 1923, M. Quillet condamne la Norvège à une pauvreté « décente, toute voisine de la misère », mais perpétuelle. Au cours de la transition démographique européenne du XIXème siècle, si l’Irlande fournit le plus grand contingent de migrants en direction des États-Unis en nombre absolu, c’est bien la Norvège qui est devant en terme de proportion : environ 50 % de la population norvégienne émigre en effet entre 1800 et 1900, soit 800 000 habitants.
La découverte du pétrole va totalement bouleverser l’économie et la société norvégiennes et propulser ce pays et cette région littorale, jusqu’ici marginale, dans une ère de prospérité sans précédent (cf. 1er rang mondial de l’IDH). Si les choix politiques et sociétaux du pays se sont avérés payants sur le long terme, c’est bien le pétrole qui a permis ce développement spectaculaire : les revenus du pétrole représentent toujours 21 % du PIB et des revenus de l’État ainsi que 43 % des exportations norvégiennes.
Pour Stavanger, le bouleversement est complet. L’économie locale décolle au début du XIXème siècle grâce à la pêche aux harengs : la ville passe ainsi de 2 400 habitants en 1800 à 14 000 habitants en 1860. Vers 1850, la pêche est relayée par le commerce maritime et les années 1880 sont marquées par le boom des usines de conserves : on dénombre soixante-dix usines situées dans le quartier de Vågen, à l’ouest de l’actuel musée du pétrole. En 1920, Stavanger compte ainsi 44 000 habitants. Mais en 1960, le revenu moyen de Stavanger est de 20 % inférieur à la moyenne nationale.
A partir des années 1970, si le paradigme de base demeure centré sur la valorisation des richesses maritimes et littorales, on assiste à un basculement complet des bases économiques. En 1965, la délimitation des frontières maritimes du plateau continental entre la Norvège, le Danemark et le Royaume-Unis permet d’accorder les premières licences de prospection et de forage (Esso, Shell, Phillips…) en mer du Nord.
Le 23 décembre 1969, la découverte de l’immense gisement Ekofisk, à 320 kilomètres au sud-ouest de Stavanger, va enrichir la Norvège de façon phénoménale. En 1971, l’État édicte les « Dix commandements du pétrole », parmi lesquels l’obligation pour les compagnies étrangères de former et d’embaucher des Norvégiens. Durant cette période, trois villes sont en compétition afin d’accueillir l’industrie pétrolière : Trondheim et Bergen, sensiblement plus au nord, et Stavanger. Au mois de juin 1972, le Parlement pote en faveur de Stavanger. Cette décision a un impact immense sur la ville : elle accueille plus de 1.000 nouveaux habitants par an, plus de 1.000 puits de pétrole sont forés. On assiste au développement de nouvelles zones industrielles, de logements, de bases d’hélicoptères, d’hôtels, de bar, de lieux de conférences…
Très rapidement, Arne Rettedal, le maire de Stavanger (1965-1967 puis 1972-1981, Parti conservateur) veut faire de sa ville le lieu d’implantation de l’industrie pétrolière. La ville va se charger de fournir les infrastructures nécessaires : en cinq mois, la commune fait ainsi construire quinze maisons pour les employés américains chargés de l’exploration, dans le quartier de Slåtthaug, plus connu ensuite sous le surnom de Oil Hill. Au total, le pétrole façonne alors l’identité de la ville et de ses habitants. Travailler « dans le pétrole » ou y être lié devient une source d’honneur, d’argent et de réussite sociale. Le néologisme «Oljå », forgé à cette époque, désigne toute personne ayant un lien avec l’industrie pétrolière. Celle-ci domine le système productif et son paysage urbain avec l’essor des espaces industriels dédiés à la construction de plateforme pétrolière et de machines nécessaires à l’extraction du pétrole offshore (zones de Forus et de Jåttåvågen). Au plan symbolique, le musée du pétrole est ouvert en 1999 et le monument Alexander Kielland rend hommage aux 123 salariés morts en 1980 dans l’accident de la plate-forme pétrolière du même nom.
Stavanger : la capitale du pétrole offshore norvégien
Dans ce contexte, l’industrie pétrolière participe directement au remodelage des structures urbaines et productives de l’agglomération, et plus généralement de toute la péninsule de Stavanger. On voit se multiplier les grands pôles industriels, techniques et technologiques largement structurés par les établissements de tous les géants mondiaux, que ce soient les grandes firmes productrices (Shell, CoconoPhillips, Total…) ou les sociétés de services (Halliburton…). S’y ajoutent de nombreux fournisseurs spécialisés et sous-traitants.
De Randaberg au centre-ville, tout le littoral est occupé par des activités maritimes alors que les chantiers navals GMC jouent un rôle majeur à Buoy, au sud d’Hundvag dans la partie nord de l’agglomération. A l’ouest, la baie de Tanager et Snode constitue un autre pôle de premier plan, tout comme les pôles de Jåttåvagen ou Forus le long du Gandajiorden.
Entre Jåttåvagen et Forus se trouve en particulier le siège social et les principales activités de la grande société nationale Equinor/Statoil. Celui-ci est bien visible à l’est de l’axe de la E39. Stavanger occupe donc un rôle décisionnel important dans l’industrie pétrolière européenne et mondiale. Créée en 1971 pour exploiter le pétrole et le gaz offshore, Equinor/Statoil emploie aujourd’hui 20 300 salariés opérant dans 37 pays, dont 18 000 en Norvège. Elle cherche à se diversifier dans l’éolien marin et terrestre et les énergies renouvelables. Au fur et à mesure de l’épuisement des vieux gisements initiaux du sud de la Mer du Nord (Flyndre et Ekofisk), Statoil est progressivement remonté vers le nord. La firme exploite actuellement 12 gisements face à Stavanger et 19 gisements face à Bergen. Plus au nord, sous le cercle arctique, elle met en valeur 13 gisements en Mer de Norvège. Enfin, tout au nord du pays, elle exploite déjà trois gisements en Mer de Barentz.
Stavanger : un boom démographique et urbain considérable
Comme le montre l’image, la péninsule de Stavanger connaît un boom immobilier et urbain considérable avec la multiplication des immeubles et lotissements, les grands
La vaste conurbation de Stavanger-Sandnes polarise 333 000 habitants sur 2 500 km2 avec des densités de 126 hab/km2, elle se hisse donc au troisième rang en Norvège derrière Olso et Bergen. Cette structure est composée en particulier des communes de Randaberg (10 600 hab.), Stavanger (132 000 hab.), Sandnes (74 400 hab.), Sola (26 000 hab.), Klepp (19 000 hab.), Ha (16 8600 hab.), Time (18 500 hab.), Strand (12 500 hab.) et Gjesdal (12 000 hab.). Elle a connu en quelques décennie une croissance phénoménale de fait de son dynamisme et de son attractivité : Stavanger passe de 53 000 habitants en 1960 à 82 000 en 1970 et 132 000 aujourd’hui (+ 79 000, X 2,5 en 60 ans) et Sandnes de 4 200 à 75 000 habitants entre 1950 et aujourd’hui.
Changement climatique et changement d’image
Dans l’imaginaire collectif international, la Norvège est un pays de fjords et de grands espaces. Les Norvégiens, eux, sont perçus comme un peuple écologiquement responsable et ce malgré le fait que la richesse de leur pays provienne de la valorisation d’une ressource non-renouvelable carbonée contribuant massivement aux rejets de CO2. Pour autant, la Norvège fait actuellement des choix politiques forts et se veut un des acteurs modèles de la transition écologique. L’État souhaite ainsi interdire la commercialisation de voitures équipées de moteurs à combustion dès 2025 et le pays possède le premier parc de voitures électriques au monde (39 %) grâce à une large politique de subventions. Enfin, un débat important traverse le pays concernant la possibilité d’explorer des ressources en hydrocarbures au large des magnifiques îles Lofoten, au nord du cercle polaire. En avril 2019, le Parlement a décidé de ne pas l’autoriser et de stopper toute exploration dans cette zone.
Dans ce contexte, ces prises de positions et la prise de conscience de la société civile du changement climatique font du surnom d’Olje Byen un handicap pour Stavanger, dans le cadre de la compétition internationale que se livrent les villes en termes d’image et d’attractivité. Ce qui faisait la fierté de la ville devient plutôt négatif. La ville de Stavanger tente donc actuellement de changer son image. La mondialisation a un effet important sur les espaces métropolitains et les espaces urbains dans un cadre de privatisation des espaces publics et de reconfiguration de ces espaces. Les villes se doivent d’avoir des symboles forts et positifs, avec développement du « branding » des espaces. Bon exemple de cette tendance, le développement du concept de Smart Cities, aux contours flous et qui a l’avantage de pouvoir y glisser de nombreuses choses. En 2018, Stavanger a ainsi hébergé la Nordic Edge Conference dont le but est de fournir « des solutions technologiques pour développer la ville et les individus afin d’être plus verte et intelligente », un mot d’ordre tout à fait dans l’air du temps.
Cette volonté de changement est également présente sur le site internet de la région, qui ne se revendique plus comme la « capitale du pétrole » mais comme la « capitale de l’énergie ». Sur le site de la mairie, l’énergie, le climat et l’environnement font partie des priorités. Stavanger cherche à transformer son image afin de gagner en positivité et en attractivité dans un contexte de mondialisation et de mise en compétition des territoires. Cependant, la ville demeure toujours étroitement dépendante de l’activité pétrolière
Zooms d'étude
Stavanger : retombées pétrolières et mutations de la ville-centre
L’industrie pétrolière a joué et joue toujours un rôle central dans l’organisation de l’espace, les dynamiques urbaines et dans l’identité que s’est forgée la ville.
C’est ainsi que le quartier de Storhaug, situé juste au sud du vieux centre historique de Stavanger, connaît des dernières années un processus de gentrification avec un retour au centre des nouvelles couches salariées aisées. Durant les années 1970 à 1980, ce quartier péricentral concentre une population immigrée et peu éduquée et connait une baisse de population du fait de sa faible attractivité alors les revenus y sont inférieurs à la moyenne nationale. Depuis la fin des années 2000, le quartier est devenu attractif grâce à la construction de nouveaux logements dans le cadre de vastes opérations de revalorisation : la population y augmente à nouveau, 37% des habitants y ont entre 25 et 39 ans et la proportion d’habitants disposant d’une formation universitaire passe de 14,5 à 19 % entre 2010 et 2019.
De même, le nouvel écoquartier d’Østre Hageby se veut la vitrine des mutations urbaines. Il concentre des maisons mitoyennes, des appartements, des espaces verts privatifs et collectifs. La circulation en voiture y est interdite, cet espace se veut peu gourmand en énergie et on mise sur la responsabilité des habitants. Un autre signe distinctif de cette gentrification est la transformation d’une ancienne brasserie en centre culturel dans lequel on peut se restaurer ou assister à des spectacles, car ce centre abrite des résidences d’artistes, des sociétés de productions et des ateliers.
De même enfin, comme le montre bien l’image, le vieux pôle industriel de Jåttåvagen, plus au sud, connaît d’importantes transformations. Depuis les années 1970, il était l’espace symbolique de l’industrie pétrolière : c’est ici que se construisaient les plate-formes pétrolières, dont la gigantesque Troll A (1991-1995), une structure de 300 mètres de haut qui reste l’un des plus grands objets jamais déplacés par l’homme. Depuis le début des années 2000, cet espace en front de mer connaît un réaménagement important (cf. Canary Warf à Londres ou nouvel opéra et quartier de Bjørvika à Oslo).
A Jåttåvagen, c’est un espace de 495 000 m2 qui est réaménagé en quartier d’affaires : des projets architecturaux originaux s’y multiplient, avec la volonté de créer des lieux de travail et de prestige et d’y associer des espaces de consommation. Une constante de ce type d’aménagement tient aussi du fait que ce sont des investisseurs privés auxquels la commune délègue la mission d’aménagement. Le prix au m2 de ces espaces est élevé, ce qui réduit la mixité sociale et crée un fort entre-soi.
Image complémentaire
La péninsule de Stavanger dans son cadre régional plus large
D’autres ressources
Sur le site Géoimage du CNES
Sur la Norvège et ses dynamiques :
Norvège. L’archipel des Lofoten : un site naturel arctique exceptionnel au cœur du patrimoine norvégien
Norvège : Tromsø, capitale de l’arctique
Norvège. Oslo : le projet de Fjord City, des mutations urbaines et architecturales emblématiques.
Contributeur
Johan Walger, Lycée Français d’Oslo