Norvège - L’archipel des Lofoten : un site naturel arctique exceptionnel, au cœur du patrimoine norvégien

Archipel situé à l’ouest de la Norvège bien au nord du cercle polaire, les îles Lofoten constituent l’un des milieux et paysages les plus remarquables du pays. Malgré sa double marginalité, archipélagique et septentrionale, il reste un espace dynamique en bénéficiant en particulier d’un climat clément à ces hautes latitudes du fait des effets du Gulf Stream. Son économie repose sur trois piliers : d’importants transferts publics du centre méridional vers les périphéries, la pêche à la morue et le tourisme, en plein développement.

 

Au nord du cercle polaire, l'image des îles Lofoten a été prise le 28 juillet 2018 par le satellite Sentinel 2A. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m. 

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

 

Ci-contre, l'image satelitte issue de Sentinel-2A, contient quelques repères géographiques de l'archipel des Lofoten, entre la mer de Norvège et le Vestfjord.

 

 

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Présentation de l'image globale

Les Lofoten : un archipel norvégien situé bien au nord du cercle polaire

Sous les hautes latitudes froides, un archipel d’îles projetées dans la mer

Comme le montre l’image, nous sommes face à une longue écharpe de terre constituée d’iles successives de plus en plus étroites se projetant dans la mer. Elles sont élevées et encore couvertes de neige dans leurs sommets en cette fin mai. Les côtes sont très découpées par de larges vallées très encaissées (fjords, vallées glaciaires envahies par la mer) ; les lacs et zones marécageuses sont nombreux dans les parties basses, héritage d’un vieux modelé glaciaire.  

Nous sommes ici dans l’archipel norvégien des Lofoten, situé bien au nord du cercle polaire (68°10’ Nord) donc sous les hautes latitudes froides. Ce territoire connaît une double marginalité spatiale : comme archipel relativement étiré et donc isolé face au continent, comme haute terre septentrionale puisqu’Olso - la capitale, qui constitue le cœur démographique, économique et politique du pays - se trouve très au sud, à plus de 1 400 km. L’archipel appartient à la grande région norvégienne du Nordland, dont la capitale est Bodø, située plus au sud (hors image). Cette région de 36 074 km² ne compte que 243 000 habitants, soit seulement 7 hab./km².

Pour sa part, l’archipel des Lofoten se déploie au large de Bodø, entre la mer de Norvège et le Vestfjord (Fjord de l’Ouest). Couvrant 1 227 km², il se projette en pleine mer sur environ 250 km en direction du sud/sud-ouest, à partir de la côte. Du nord au sud, il est organisé par une succession d’îles emboitées, de tailles plus ou moins importantes.

En haut à droite de l’image, l’île d’Austavagøy s’étend ainsi sur 40 km/30 km, couvre 527 km² et est peuplée de 9 200 hab. (17,6 hab./ km²) alors qu’à l’inverse l’île de Gimsøya ne couvre que 46 km²  et s'étend sur 11km/5 km; elle n’est peuplée que de 181 habitants (4 hab./km²). Pour sa part, l’île de Vestvagøy couvre 411 km², s’étend sur 37 km/21 km et est peuplée de 10 500 habitants (26 hab./km²). S’étendant sur 20 km/8,5 km et culminant au Stjerntinden, l’île de Flakstadøya couvre 110 km2 et est peuplée de 1 200 habitants (10 hab/km²).  Enfin, l’île de Moskenes s’étend sur 40 km/10 km, couvre 186 km², culmine à 1 209 m. et est peuplée de 1 200 habitants (6,8 hab./km²).

Cet archipel forme au total un rempart entre la mer de Norvège et le Vestfjord, à quelques kilomètres du continent. Comme tout le long du littoral norvégien, il se caractérise par un paysage spectaculaire de montagnes tombant directement dans la mer. Les sommets, bien visibles sur l’image, pouvent atteindre plus de 1 100 m d’altitude : l’Higravstiden, situé sur l’île d’Austvågøya, culmine ainsi à 1 146 m. Cette « ligne de falaise » est bien décrite par Allan Poe : « À droite et à gauche, aussi loin que l’œil pouvait atteindre, s’allongeaient, comme les remparts du monde, les lignes d’une falaise horriblement noire et surplombante, dont le caractère sombre était puissamment renforcé par le ressac qui montait jusque sur sa crête blanche et lugubre, hurlant et mugissant éternellement. » (Edgar Allan Poe, Une descente dans le Maelstrom, 1841). Battue par le vent et la pluie, la formation rocheuse majoritairement précambrienne peut en effet paraître hostile. Plus on descend vers le sud, plus les reliefs sont accidentés et les bandes de terres habitables sont minces.

Une situation bioclimatique exceptionnelle : les effets du Gulf Stream

Si à la même latitude de nombreux littoraux sont pris par les glaces (Golfe de Botnie plus à l’est entre le Suède et la Finlande, Golfe du Saint-Laurent, nord du Canada et terre de Baffin, Mer d’Okhotsk en Asie…), les côtes norvégiennes disposent d’un atout bioclimatique exceptionnel : le Gulf Stream.

Car d’un point de vue climatique, la situation est comparativement favorable pour un espace arctique, puisque la mer n’est jamais ici prise par les glaces. Partant du golfe du Mexique et traversant tout l’Atlantique Nord, le courant marin du Gulf Stream remonte ici vers le nord et permet d’y maintenir des températures clémentes en hiver.

Si l’on compare par exemple avec l’Arctique canadien, où les températures moyennes en février sont de - 21°C pour la moyenne maximum et - 29°C pour la moyenne minimale, les températures à Svolvaer sont bien plus douces. Elles tournent plutôt entre + 2°C et - 2°C pour les moyennes maximales et minimales respectivement. A Svolvaer, la température annuelle moyenne est en effet de 7°C, et la moyenne de juillet, le mois le plus chaud, est de 15,4°C.

Par contre, ce climat atlantique couplé à une côte montagneuse se traduit par de très fortes précipitations, en particulier du mois d’octobre au mois de mars. Selon l’exposition, elles peuvent atteindre entre 722 mm (Svolvaer) et plus de 1,6 mètre/an sur certains hauts versants. Il pleut ou neige en moyenne 188 jours par an.  Enfin, les courants marins sont très favorables à la présence au large d’un très important potentiel halieutique. La pêche à la morue fait encore aujourd’hui la prospérité du pays et de la région.

 

Zooms d'étude

 



Un espace éclaté et cloisonné aux fortes contraintes

Un archipel à l’espace éclaté et cloisonné

Comme le montre l’image, les îles Lofoten sont par leur nature archipélagique et leur relief accidenté un espace à la fois éclaté et cloisonné. Cette structure constitue un défi de taille pour la vie sociale et économique et l’aménagement du territoire. Dans cet espace de contrainte, la densité de population demeure faible, avec environ en moyenne 19 hab./km² Face à l’importance des montagnes, les bandes de terres habitables sont très limitées. La vie urbaine se réfugie dans des petits bassins intérieurs ou des petites plaines littorales particulièrement exiguës.

Dans l’île d’Austvagoya à 20 km au sud-ouest de Svolvaer, le petit village d’Henningsvær (500 hab.) s’étend sur deux îlots qui se font face et sont reliés par un pont. L’aménagement d’infrastructures est un enjeu majeur dans la région et Henningsvær est notamment célèbre pour son terrain de football creusé directement dans la roche et que l’on peut apercevoir au sud de l’île intérieure. Ce sont toutefois bien sûr les ponts et tunnels qui constituent l’enjeu le plus important.

On peut distinguer au moins quatre autres ponts qui relient le village à l’île située au nord. Les grands ponts d’Henningsvær, longs respectivement de 194 m et de 257 m, sont construits seulement en 1983. Comme le montre l’image, ils sont présents sur tout le territoire de l’archipel ; leur existence est cruciale pour la mobilité des habitants et la circulation des marchandises.

Infrastructures terrestres et maritimes, connection et réseaux : un enjeu majeur d’aménagement

La question de la mobilité est un enjeu majeur et la construction de routes est relativement récente. C’est bien sûr la mer qui constituait, d’abord, le principal vecteur de mobilité. Grâce au Gulf Stream, la mer reste en effet libre de glace toute l’année et permet donc des déplacements en bateau, même en hiver. Les embarcations de pêcheurs permettaient donc de relier les différents villages qui ponctuent l’archipel. Mais la navigation de nuit était risquée car on ne trouvait que peu de phares au nord de Bodø… Or au nord du cercle polaire, la nuit polaire s’étire et dure plusieurs mois !

Il faut attendre 1893 pour qu’une liaison maritime côtière à l’année soit établie : l’« Hurtigruten », soit route rapide en norvégien. En 1898, la liaison devient hebdomadaire, elle relie Bergen au sud à Hammerfest dans le Grand Nord et dessert ainsi tout l’archipel. Aujourd’hui, les routes et tunnels permettent une circulation à l’année, et on compte trois petits aéroports qui opèrent des liaisons avec le continent. Le Hurtigruten s’est, lui, petit à petit transformé en un navire de croisières touristiques.

 

 



Un espace convoité : gestion durable de la pêche et nouveaux enjeux énergétiques

La gestion durable de la manne halieutique : enjeux économiques et géopolitiques

Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve une morue sur le billet de 200 couronnes norvégiennes. Bien avant le pétrole, la prospérité du pays s’est construite autour de la pêche qui représente encore aujourd’hui des revenus impressionnants. Les exportations de poisson ont représenté jusqu’à près de 80 % du total des exportations du pays avant la découverte des hydrocarbures offshore. Encore aujourd’hui, la Norvège est au second rang mondial pour la valeur de ses exportations de poissons et produits de la mer.

Face à cette manne, la Norvège garde jalousement le contrôle sur les eaux poissonneuses de la région grâce à une importante ZEE (mer territoriale et Zone Economique Exclusive). La ZEE directe de la Norvège couvre en effet 1,2 millions de km², soit beaucoup plus que sa surface terrestre (323 800 km²). La volonté de garder le contrôle de sa souveraineté sur ses eaux explique pour partie le refus des Norvégiens d’adhérer à la C.E.E puis à l’Union européenne.

En Janvier, les bancs de morues descendent vers les eaux plus chaudes des Lofoten – grâce au Gulf Stream – et leur pêche a permis le développement de petits villages de pêcheurs comme ici à Svolvær. Une fois pêché, le poisson est vidé puis mis à sécher à l’air libre jusqu’à la fin de l’hiver. Une fois sec, il peut être exporté ou conservé jusqu’à l’hiver suivant.

La Norvège a très vite compris l’intérêt de protéger cette ressource halieutique grâce à une gestion durable de la ressource particulièrement stricte et bénéficiant d’un suivi scientifique de qualité. En particulier, des quotas ont été mis en place permettant un maintien du stock de morues annuel, alors qu’il avait presque disparu dans l’Atlantique canadien par exemple.

L’aquaculture constitue aussi une activité économique importante mais on parle cette fois plutôt de saumons. Des fermes d’aquaculture s’égrènent dans les grands fjords tout le long de la côte norvégienne pour une production très largement destinée à un marché d’exportation.

La petite ville de Svolvær dopée par un tourisme haut de gamme

Svolvær est la plus grande ville des Lofoten, et avec son aéroport, elle constitue aussi une étape touristique de premier choix. Située au milieu de l’archipel, elle est une porte d’entrée intéressante pour qui veut explorer les paysages époustouflants de la région. Le tourisme constitue en effet, et de plus en plus, une ressource économique considérable avec plus de 200 000 arrivées par an.

Les hôtels et centres d’activités se développent rapidement, proposant de nombreuses attractions. Le coût de la vie en Norvège implique plutôt un tourisme haut de gamme et la très haute qualité des infrastructures touristiques (hôtels, bateaux d’excursion, terrains de golf…) s’adresse à un public aisé, notamment en hiver où les conditions climatiques rendent le camping sauvage beaucoup plus difficile. On trouve aussi à Svolvær l’un des six ports d’étape de l’Hurtigruten dans les Lofoten, qui traverse l’archipel en mettant en avant ses principales attractions, des vestiges vikings à l’observation des aurores boréales.

Les nouveaux enjeux des hydrocarbures offshores

Si l’économie de la pêche est la source d’importants revenus pour la Norvège, l’exploitation pétrolière constitue, bien sûr, une source de revenus de première importance pour le pays. Or, dans la région des îles Lofoten, on estime le potentiel à 1,3 milliard de barils de pétrole. Mais la question de l’exploitation suscite des tensions, en raison du caractère exceptionnel du paysage de la région, mais aussi de la coexistence de cette industrie très polluante avec celle de la pêche.

La réalisation d’une analyse d’impact environnemental constitue un préalable nécessaire à l’exploration puis à l’exploitation pétrolière. La délivrance du permis pour réaliser cette analyse est au cœur d’un fort conflit d’intérêt à toutes les échelles dans le pays. Le parlement du comté de Nordland (le comté des Lofoten) a voté en faveur de cette analyse d’impact alors que toutes les municipalités des Lofoten y étaient opposées. En avril 2019, le parti majoritaire dans ce parlement a finalement retiré son appui au projet, marquant un tournant significatif dans la protection du patrimoine naturel exceptionnel de la région.


 

D'autres ressources

Sur la question pétrolière : Kristoffersen, B. and B. Dale (2014), ‘Post-Petroleum Security in Lofoten: Why identity matters’, Arctic review on law and politics, Vol 5, No 2, 201-226.

Sur la question de la pêche : Hønneland, G. (2017). International Politics in the Arctic: Contested Borders, Natural Resources and Russian Foreign Policy. London: I.B.Tauris.

Contributeurs

Pauline Pic, agrégée de géographie, doctorante à l’Université Laval (Québec, Canada)