Le fleuve Maroni constitue le support de la dyade séparant la Guyane française et le Suriname. Comme le dit le géographe Michel Foucher, la frontière est une ligne de partage, une limite de l’espace sur lequel s’étend la souveraineté nationale d’un État, créant une séparation entre un dedans et un dehors, un « nous » et un « eux ». Une frontière permet donc l’affirmation d’identités nationales parfois concurrentes. Or le Maroni dessine une aire, un bassin de vie en commun plus qu’une ligne de séparation. Le fleuve relie plus qu’il ne sépare. Ainsi le Maroni constitue une « frontière invisible » car cette limite interétatique n’a pas de matérialité, pas de support concret dans le paysage : ni borne frontière, ni signalétique, ni barrière… Pourtant, à l’approche du fleuve, existent des effets-frontière, c’est-à-dire des traductions spatiales de la présence de la frontière : différents degrés de fermeture et d’ouverture, des discontinuités, des gradients, des contrastes économiques, culturels et sociaux entre territoires, mais aussi des trafics illicites qui profitent des zones grises que sont parfois les espaces transfrontaliers…
Légende de l’image satellite
Cette image a été prise par le satellite Sentinel 2A le 8 août 2017. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Repère géographique
Présentation de l'image globale
Le Maroni : une frontière « naturelle », une frontière « invisible »,
une marche, un confins et une enveloppe protectrice
1. Un territoire forestier très faiblement peuplé
Le Nord du plateau des Guyanes
L’image satellite offre à la vue les Terres basses du plateau des Guyanes, proches du littoral, forestières et plus ou moins inondées. D’une façon générale l’emprise humaine dans cet espace est faible : une ville, unique espace véritablement urbanisé de l’image, se détache : c’est Saint-Laurent-du-Maroni (voir Zoom 1). D’autres bourgs de dimension réduite apparaissent, surtout en Guyane française.
L’espace guyanais présenté par cette image recoupe le territoire de trois communes du nord-ouest du département : Saint-Laurent-du-Maroni, Mana et ses zones agricoles (voir Zoom 2), Awala-Yalimapo et ses fameuses plages. Ces trois communes rassemblent près de 57.000 habitants, soit 20 % de la population totale guyanaise, auxquels il faut ajouter les migrants, clandestins ou non, parfois installés de longue date. Les densités y sont comme partout en Guyane très faibles.
Une portion septentrionale de l’Amazonie
L’espace forestier domine largement l’image, proposant une gamme de verts avec des nuances dues au substrat et à l’hydrométrie. Les tons de vert très clair ou, au contraire, très foncé allant jusqu’au gris foncé correspondent à des marais à végétation herbacée et à des marécages boisés, que l’on voit au nord de la région, à proximité du littoral en particulier au Suriname. Des verts plus francs se situent soit sur le littoral, comme la mangrove vers l’embouchure de la Mana, soit dans l’intérieur du territoire où se déploie une forêt tropicale humide classique, très dense, très riche en biodiversité.
Des fleuves et leurs affluents serpentent dans cet espace forestier. Le Maroni au centre de l’image est de loin le cours d’eau le plus puissant. La Mana possède un cours original en partie parallèle à la ligne de côte. Les deux fleuves charrient des alluvions (boues, sables) très visibles, qui se déversent loin dans l’océan Atlantique. La zone alluvionnaire et sédimentaire littorale qui en résulte, fluctue au gré des dynamiques côtières de dépôts ou au contraire d’érosion, modifiant ainsi périodiquement le trait de côte. Les processus d’accumulation littorale sont particulièrement visible au Suriname.
Des fronts de défrichement
Les défrichements sont relativement rares dans cet espace mais bien visibles : la mine abandonnée de bauxite de Ricanau au Suriname laisse entrevoir les sols latéritiques rouge-orangé, qui, débarrassés de leur mince couche d’humus par le travail des hommes, n’autorisent pas la repousse de la végétation, laissant ainsi des cicatrices pérennes dans la forêt.
Les défrichements sont plus présents en Guyane : des installations humaines comprenant des carbets, terme désignant les habitations traditionnelles, abattis, terme désignant les zones de cultures de subsistance sur brûlis, et élevage de zébus, apparaissent le long des routes et singulièrement de la D9 qui relie Mana et Saint-Laurent-du-Maroni.
Des plages pour le tourisme, ponte des tortues et biotourisme
Sur le littoral, un cordon dunaire de sables blancs atteste de la présence de plages, comme la célèbre plage des Hattes à la pointe nord-est de l’embouchure du Maroni. Située dans la commune d’Awala-Yalimapo – 1.000 habitants, presque exclusivement d’origine amérindienne (Kalinas, Galibi), la plage est mondialement connue pour les tortues luth - des tortues géantes - qui viennent pondre en masse de Pâques à fin juillet et qui attirent scientifiques et touristes.
Le potentiel touristique du site a été développé par la mise en place de la réserve naturelle nationale de l'Amana, créée en 1998. Ce qui n’empêche malheureusement pas le braconnage des tortues.
2. L’ouest guyanais, région frontalière en difficulté
L’ouest guyanais s’articule autour du fleuve et de la frontière avec le Suriname
La région du Maroni est principalement peuplée d’Amérindiens Galibi et de Noirs Marrons ou Bushi-Nenge, descendants d’esclaves ayant fui les plantations de la Guyane hollandaise à partir du XVIIe siècle. Ainsi, pour les esclaves de la Guyane hollandaise, la futur Suriname, la rive droite du fleuve, celle qui est française, a constitué pendant longtemps un espace refuge où les autorités hollandaises ne pouvaient les poursuivre. Plusieurs groupes de Bushi-Nenge se sont installés à tour de rôle le long du fleuve et habitent sur les deux rives : Paramaka, Djuka, Aluku.
L’Ouest guyanais : l’explosion démographique, un territoire pauvre
Le taux actuel de croissance démographique se situe à un niveau très élevé - + 4,5% par an entre 2009 et 2014 - du fait d’une natalité très forte et de l’immigration en provenance du Suriname. L’immigration contribue à un tiers de la population. Ce rythme rapide de croissance pose des problèmes aux pouvoirs publics : il faut construire en permanence de nouvelles infrastructures de logement, de transport, d’éducation alors que les emplois restent largement insuffisants par rapport aux besoins.
D’après l’INSEE, 75 % des jeunes n’ont aucun diplôme. 54 % de la population est au chômage, si bien que le niveau de pauvreté est important : 80 % des foyers sont non imposables et vivent des aides sociales. Dans l’Ouest guyanais, le secteur public constitue le principal pourvoyeur d’emploi avec 70 % des postes de travail, contre 42 % dans le reste de la Guyane.
Pour pallier le manque de logement, l’habitat informel type bidonville se développe en périphérie de Saint-Laurent. Il accueille de nombreux migrants surinamais et concentre les difficultés sociales en matière de santé publique et de sécurité.
3. Le Maroni : la frontière introuvable ?
Une frontière fluviale paradoxalement pas si facile à tracer
A priori, il n’y a pas plus visible qu’un fleuve pour incarner une frontière. Le Maroni constitue une ligne, longue de 520 km, large de plus de 4 km à son embouchure bien visible ici sur cette image. A petite échelle, rien de plus facile que de faire correspondre la ligne de frontière à la ligne du fleuve. Mais, à grande échelle et sur le terrain, c’est plus compliqué car il faut situer précisément la ligne de frontière :
- Soit sur l’une ou l’autre des rives, ce qui privilégie un des deux États car il contrôle alors la circulation et les îles du fleuve lui appartiennent.
- Soit sur la ligne de talweg qui joint les points les plus bas du chenal, au fond du lit. En général à cause de la force de Coriolis, le talweg se situe vers la rive la plus érodée : dans l’hémisphère nord, c’est la rive droite c’est-à-dire pour le Maroni, la rive française. D’où un partage inégal du lit.
- Soit sur la ligne médiane des eaux, séparant le lit en deux parties égales. C’est ce principe qui a été retenu pour le tracé de la frontière. Mais la répartition des îles du fleuve reste problématique quand le chenal est anastamosé comme c’est le cas du Maroni : se pose alors la question de savoir à quel pays appartiennent les îles.
Une frontière, fruit d’une longue construction historique
La colonisation du plateau des Guyanes remonte au début du XVIIe siècle. Trois pays sont en compétition : l’Angleterre, les Provinces-Unies et la France. L’installation française est remise en cause à plusieurs reprises par des conquêtes des puissances rivales.
La région du Maroni constitue alors une marche, au sens de zone frontalière militaire instable. En 1676, la colonie française se stabilise : sa frontière occidentale, avec la Guyane hollandaise donc, est établie sur le Maroni ; mais aucun traité n’est signé. En effet, le fleuve est perçu comme une frontière naturelle idéale :
• il s’écoule du sud vers le nord, partageant le plateau des Guyanes.
• il permet d’identifier la frontière sur le terrain et de la défendre facilement.
Mais en réalité, une frontière n’est jamais naturelle, elle est toujours une construction humaine. Ainsi, fixer une frontière sur un fleuve ne suffit pas à éviter les différends entre États voisins, notamment quand apparaissent de nouveaux enjeux régionaux, comme la découverte de l’or au XIXe siècle.
Le Maroni un espace refuge pour les esclaves en fuite
A partir du XVIIe siècle, plusieurs vagues d’esclaves en fuite, principalement en provenance de la Guyane hollandaise, se cachent dans l’espace frontalier peu occupé, peu surveillé du Maroni. Les Hollandais accordent la liberté aux premiers Noirs Marrons installés, à condition de livrer les nouveaux esclaves en fuite qui continuent d’affluer sur le fleuve. Les nouveaux groupes de Marrons sont donc contraints de s’installer plus haut sur le fleuve ou alors sur la rive française du Maroni.
Pour lutter contre le marronnage, une convention franco-hollandaise de 1836 autorise par une sorte de droit de poursuite les Français à traquer les Noirs Marrons, sur la rive droite du Maroni, et les Hollandais, sur la rive gauche : ce texte confirme ainsi que le fleuve fait frontière.
La Convention de 1915 : une délimitation historiquement récente
En 1915, un accord est enfin signé entre la Hollande et la France : c’est un pas supplémentaire vers la fixation officielle de la frontière sur une portion du fleuve allant de Saint-Laurent au village actuel de Grand Santi.
Le texte établit la frontière sur la ligne médiane des eaux du fleuve et accorde la totalité des îles à l’un ou l’autre des deux États : à l’ouest de la ligne médiane, les îles sont hollandaises ; à l’est, françaises.
4. Une frontière à la fois invisible et bien réelle
Le Maroni, une protection lors de la guerre civile
Lors de la guerre civile au Suriname dans les années 1980, des Bushi-Nenge et, surtout, des Amérindiens du Suriname se sont réfugiés du côté français pour échapper aux violences communautaires, avec l’accord tacite des autorités françaises.
Des militaires français ont été déployés afin de sécuriser la population de la rive droite, faisant de la frontière une enveloppe protectrice. Après la guerre civile, les familles séparées par la frontière ont repris leurs relations en se déplaçant d’une rive à l’autre.
Des modes d’habiter actuels en dehors de toute appartenance nationale
Aujourd’hui, pour les habitants de la région qui revendiquent la libre circulation de part et d’autre du fleuve, la frontière n’existe pas : elle est invisible. Le Maroni forme donc un espace de contacts, d’échanges, un trait d’union entre les deux rives et non pas une césure entre populations et territoires.
Entre Saint-Laurent-du-Maroni et Albina au Suriname, les échanges sont intenses : il ne faut qu’une dizaine de minutes pour traverser le fleuve, et près d’un millier de pirogues franchissent quotidiennement la frontière pour le transport de personnes, de carburant ou de marchandises.
Une discontinuité dans le bassin du Maroni
Entre les territoires surinamien et guyanais existent des contrastes socio-économiques puissants. En rive gauche, le Suriname est en effet un pays en développement avec un PIB /hab. de 5.400 € en 2018. En rive droite, on a un territoire ultramarin d’un pays développé avec un PIB/hab. de 16.000 €, soit un rapport de 1 à 3, et un important processus de transferts publics et de redistribution.
Ce gradient de niveau de développement engendre des flux à travers la frontière. Quand il faut se soigner : c’est la rive française qui est recherchée. Ainsi, pendant longtemps, des Surinamaises venaient accoucher, par sécurité, à l’hôpital de Saint-Laurent. Récemment, l’Agence française de développement a financé pour 15 millions d’euros, la construction d’un hôpital à Albina dans le cadre d’une coopération sanitaire entre les deux États. Il s’agit aussi de limiter ce franchissement clandestin de la frontière.
Par ailleurs, de nombreux enfants Surinamais fréquentent les écoles de la rive droite du Maroni, le service public français d’éducation fonctionnant relativement bien. Réciproquement les Guyanais font leurs achats du côté du Suriname, car les prix sont moins chers.
5. Le Maroni : lieu d’exercice de la souveraineté nationale
L’État français acteur principal de ce territoire
L’État cherche à faire respecter la souveraineté nationale dans cette région. Il s’agit d’appliquer les lois françaises sur la rive droite du Maroni, ainsi que sur les îles françaises.
Pour ce faire, il dispose de forces de l’ordre composées de gendarmes et de militaires des forces armées en Guyane (FAG), parmi lesquelles, un détachement du 9e Régiment d'Infanterie de Marine, stationné à Saint-Jean-du-Maroni, dont une des missions consiste à contrôler la frontière par des patrouilles en pirogue.
La lutte contre l’immigration clandestine internationale
Une grande part de l’immigration vers la Guyane passe par le Maroni. Pour les Surinamais et les Brésiliens, la Guyane, plus riche que leur propre pays, constitue un eldorado. Il y aurait aujourd’hui entre 30.000 et 70.000 personnes en situation illégale en Guyane, sur une population totale officielle évaluée à 300.000 habitants. En 2016, d’après l’INSEE, 56 % des enfants nés dans le département ont une mère étrangère.
Or la porosité et la longueur de la frontière rendent quasiment impossible une lutte efficace contre l’immigration clandestine. Les contrôles de la gendarmerie et de la Police aux frontières (PAF) sont rares et ne donnent lieu qu’à des vérification d’identité et quelques reconduites sur la rive Surinamienne ; reconduites surtout symboliques et menées pour rassurer des Guyanais inquiets de la poussée migratoire. Jusqu’en 2016, il s’agissait surtout de limiter l’immigration haïtienne. Mais le rétablissement, à la demande de la France, des visas entre le Suriname et Haïti a tari ce flux migratoire.
La lutte contre l’orpaillage clandestin par l’opération Harpie
L’exploitation illégale de l’or constitue une véritable plaie pour l’Ouest guyanais. Les Garimperos, des chercheurs d’or brésiliens ou surinamais, installent des sites illégaux d’orpaillage le long du fleuve. Ils utilisent du mercure ou du cyanure pour l’amalgame de l’or, ce qui contamine la faune, la flore et la chaîne alimentaire. Les Amérindiens et les Bushi-Nenge, qui consomment l’eau polluée du fleuve et mangent du poisson, en subissent les effets sur la santé : problèmes nerveux, mentaux rénaux…
Les orpailleurs jouent avec la frontière : ils profitent des ressources aurifères, côté français. Et quand ils sont inquiétés par les gendarmes, ils se mettent à l’abri, côté Suriname, où se situent leurs bases-arrières : ils y trouvent leur matériel, car la vente en est interdite du côté français, et leurs lieux de détente, avec en particulier une prostitution importante. Pour les orpailleurs, la frontière est donc très visible et réelle.
La lutte contre le trafic de drogue
Cette activité recherche par définition l’invisibilité et profite des zones grises que peuvent constituer les espaces transfrontaliers. En effet, les rives du Maroni sont devenues l’épicentre d’un intense trafic de cocaïne en provenance de Colombie, premier producteur mondial, et qui passe par la plaque tournante du Suriname.
Les trafiquants s’appuient sur la communauté Bushi-Nenge des deux rives pour faire transiter en pirogue la cocaïne vers la Guyane. Or les enquêteurs français ne peuvent pas poursuivre leurs investigations sur la rive gauche du Maroni à cause de la faiblesse de la coopération judiciaire entre les deux pays : la frontière crée, dans ce cas, une discontinuité forte. Ensuite, des « mules », des jeunes Bushi-Nenge guyanais, transportent la drogue vers l’hexagone via l’aéroport de Cayenne.
La lutte contre l’exploitation illégale de la ressource halieutique dans les eaux françaises
Elle concerne la Zone économique exclusive, ou ZEE, qui prolonge le territoire national dans l’espace maritime. Un accord récent datant de novembre 2017 a été signé entre la France et le Suriname.
Il fixe l’azimut de la limite entre les ZEE de Guyane et du Suriname à l’embouchure du Maroni. Il règle les questions de souveraineté en mer pour les interventions de la Marine nationale contre les bateaux surinamiens qui pêchent illégalement dans les eaux françaises.
6. Le Maroni un espace transfrontalier original
Cet espace de Maroni est donc un espace transfrontalier original. Il est à la fois :
- Une frontière ouverte et fermée où les habitants réclament la liberté de circulation mais demandent aussi à être protégés derrière la frontière, contre l’orpaillage illégal par exemple.
- Une frontière visible par les contrastes des territoires et à la fois invisible car son tracé à grande échelle n’est pas encore totalement reconnu par les Surinamais. Pour éviter que cette région ne se transforme en un anti-monde, où la loi ne s’applique pas et où les trafics prospèrent, la France souhaite exercer sa souveraineté en faisant reconnaitre par le Suriname la ligne médiane des eaux comme frontière.
- Un centre peuplé avec des activités dynamiques par rapport au vide forestier qui l’entoure et une marge d’un département lui-même marginal par rapport au territoire national : un territoire hypermarginal, en sorte, qui en fait une «Frontier» au sens de front pionnier : un espace de conquête, un territoire à investir, où il reste beaucoup à accomplir.
Au total, on peut dire que la vraie frontière se situe entre cette région du Maroni et le reste de la Guyane. En effet, une frontière culturelle, véritable fossé dû à l’isolement de la région et à des singularités locales - par exemple, la pratique du français y est minoritaire au profit des langues aluku pratiquées sur le fleuve - fait de la région du Maroni un confins guyanais : un bout du monde très isolé, presque menaçant et qui suscite la peur ; alors que les violences et la délinquance y sont très présentes. Albina se trouve dans une situation analogue : au centre d’un territoire périphérique et marginal à l’échelle du Suriname.
Zooms d’étude
Saint-Laurent-du-Maroni : ville frontalière
Image avec repères géographiques
Une forte croissance démographique et urbaine
L’image montre les installations humaines visibles à une trentaine de kilomètres au sud de l’embouchure du Maroni. Il s’agit ici de la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, en rive droite, et de sa petite « ville-jumelle » d’Albina, de 6 000 habitants, qui lui fait face en rive gauche au Suriname.
Avec près de 45 000 habitants, auxquels il faut ajouter les migrants clandestins évalués à 10 000 personnes, Saint Laurent-du-Maroni constitue la deuxième commune la plus peuplée de Guyane derrière Cayenne (65 000 hab.). Elle est le chef-lieu du deuxième arrondissement du département de Guyane et la sous-préfecture.
Sa explosion démographique spectaculaire - la commune ne comptait que 20 000 habitants en 2001 - s’explique par un taux de natalité important, la jeunesse de sa population dont 60 % à moins de 25 ans et une forte immigration favorisée par la position frontalière avec le Suriname. L’extension urbaine vers le sud et l’ouest apparaît sur l’image sous forme de lotissements nouveaux - immeubles collectifs, zones artisanales et commerciales - qui contribuent à agrandir la ville de façon tentaculaire le long des voies de circulation.
Sa situation de ville frontalière lui permet d’entretenir des liens intenses avec le Suriname voisin, en passant par Albina. En l’absence de pont, un ballet continu de pirogues franchit le fleuve dans les deux sens, transportant navetteurs, voyageurs, marchandises, carburant. Un bac international assure aussi des rotations journalières pour le transport de véhicules ou de marchandises volumineuses.
Une ville née du bagne (1852/1946)
La ville est née de l’installation d’un bagne en 1852, sur une boucle du Maroni où un appontement a été installé pour le débarquement des bagnards. A proximité immédiate, le Camp de la transportation accueille alors les prisonniers. Une ville coloniale au parcellaire régulier encore visible dans la trame des rues se développe alors que la ville est surnommée le « petit-Paris » de la Guyane.
Les bagnards doivent contribuer à la mise en valeur de cette partie de la colonie : construction de la route Saint-Laurent-Cayenne, cultures de bananes et de canne à sucre, exploitation forestière. Mais une très forte mortalité sévit parmi les bagnards. En 1924, le journaliste Albert Londres dénonce les conditions effroyables faites aux forçats. Un décret-loi met fin au bagne en 1938, puis le bagne ferme définitivement en 1946. Longtemps resté une friche pénitentiaire, le camp de la Transportation est réhabilité à partir des années 1990 et classé monument historique. Ainsi est-il devenu un haut lieu du tourisme, un site culturel offrant salles de spectacle, résidence d’artistes, médiathèque...
Vers le sud, le long de la route D 11 qui va à Saint-Jean-du-Maroni, le deuxième grand bourg de la commune de Saint-Laurent, les habitations s’étalent dans un linéaire de déforestation. Une piste dessert le village amérindien Kalina de Terre rouge, sur la rive d’un bras du Maroni.
L’espace agricole de Mana
Image avec repères géographiques
Croissance démographique et front pionnier agricole
La commune de Mana, avec près de 11.000 habitants, s’étend sur 6.600 km2 . Soit une densité de 1,7 hab./km2, contre 120 en moyenne dans l’Hexagone. On peut voir sur ce zoom que la population de la commune se répartit dans plusieurs pôles distincts dont les deux principaux sont le bourg central et le village de Javouhey.
Le long de la D9 et de la D10 qui relient les deux bourgs, on constate la progression du défrichement à partir de la route. De part et d’autre de celle-ci, des familles ont installé un habitat sous forme de carbets : des bâtisses de bois sans mur, typiques de l’architecture amérindienne et Bushi-Nenge. Le confort moderne pousse à fermer la structure de murs et de cloisons de bois ou de briques. A l’arrière des carbets, les habitants brûlent la forêt puis cultivent, grâce aux qualités fertilisantes des cendres, des plantes diverses (maïs, manioc, citronniers, ananas, bananiers,…) faisant ainsi progresser le front pionnier vers l’intérieur forestier.
L’occupation de cette région résulte de plusieurs phases de peuplement remontant à la recherche de l’or et à la volonté de mise en valeur du territoire au XIXe siècle. En 1828, une congrégation religieuse envoie dans la région, la mère supérieure Javouhey accompagnée de paysans et d’ouvriers. Renforcés par la main d’œuvre Bushi-Nenge, ils bâtissent le village de Javouey, développent des cultures et l’élevage bovin.
Plus tard, dans les années 1980, une communauté de réfugiés Hmong en provenance du Laos s’installe à proximité à Javouhey et développe une agriculture maraichère et de fruits locaux à fort rendement (agrumes, ananas, corossol, papaye, chadek, ramboutan, maracoudja…). Cette production alimente tous les marchés de Guyane. C’est cette activité agricole sur des parcelles bien dessinées qu’on observe sur l’image au sud-ouest du bourg.
L’échec du Plan Vert et du projet rizicole
En 1976, le « Plan Vert » de mise en valeur de la Guyane choisit Mana pour développer la riziculture : 500 tonnes de riz paddy produites en 1980, 30 000 t. en 1996 sur 7000 hectares. Des sociétés agricoles privées fortement subventionnées par l’État établissent leur exploitation sur des polders dans les marais de Mana, après drainage par des canaux encore visibles sur l’image.
Il a fallu lutter contre les entrées d’eau de mer qui dégradent les parcelles côté Est de Mana, avec des canaux de drainage et des digues de protection. Ces travaux ont été abandonnés au bout d’un certain temps à cause d’intrusions marines ayant détruit les ouvrages de protection déjà réalisés. Le recul du trait de côte fait alors disparaitre des parcelles entières.
Ces difficultés techniques et le coût de main d’œuvre locale ont rendu la production beaucoup plus chère qu’au Suriname voisin. En conséquence de quoi la production s’est totalement effondrée, la riziculture est aujourd’hui abandonnée et les parcelles visibles actuellement à l’ouest du bourg de Mana ne sont plus que des friches vaguement utilisées pour l’élevage bovin.
En ce qui concerne les anciens polders rizicoles de l’est de Mana, le Conservatoire du Littoral procède depuis quelques années à leur rachat avec comme projet d’en convertir une partie en zone naturelle protégée et une autre partie en terres agricoles pour le maraichage.
Le Maroni, frontière discutée
Image avec repères géographiques
Le bourg de Saint-Jean-du-Maroni : un point d’appui important
La commune de Saint-Laurent comprend aussi le bourg de Saint-Jean-du-Maroni situé en amont sur le fleuve – bien visible au nord-ouest de ce zoom - à 17 km au sud de Saint-Laurent. Saint-Jean a abrité, à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, un bagne sous la forme de camp de relégation pour multirécidivistes, termes désignant alors les personnes envoyées au bagne après avoir purgé une peine de prison en métropole.
Aujourd’hui le petit bourg est habité par des Bushi-Nenge et surtout par des militaires de l’armée de terre stationnés au camp Némo où un groupement du 9e Régiment d’Infanterie de Marine stationne. Les militaires y effectuent des missions de courte durée dans l’Ouest guyanais le long du Maroni pour surveiller la frontière. Ils patrouillent également en profondeur dans l'intérieur forestier du territoire dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage clandestin. Il y a également dans le camp Némo un Régiment du Service Militaire Adapté (RSMA) pour la formation de jeunes adultes décrocheurs.
Au sud de Saint-Jean, une route dessert le lieu-dit Lotissement de Saint-Jean, où l’on trouve des fermes. Le long de cette route, des installations humaines laissent entrevoir les impacts du défrichement destinés à l’agriculture, à l’élevage de zébus. L’emprise d’une carrière de granite laisse apparaître la roche sous-jacente très blanche.
Frontière fluviale, îles et tensions transfrontalières
L’image pose la question de la fixation précise de la frontière sur un fleuve qui comporte des îles. C’est justement à propos de l’appartenance des îles du Maroni que des incidents frontaliers entre la France et le Suriname ont éclaté au cours de l’année 2019. En effet, la coopération transfrontalière franco-surinamienne dans la lutte contre l’orpaillage a pris fin en mars 2019 à cause de la destruction contestée de sites par les Forces armées en Guyane sur trois îlots (situés plus au sud, en dehors de cette image) dont l’appartenance est contestée par le Suriname.
La frontière est tellement difficile à identifier sur le terrain que les militaires français auraient commis une erreur de localisation pour au moins un site, probablement en territoire surinamais. Et cela, malgré l’utilisation du GPS et des cartes IGN. Il faut dire que l’appartenance des îles n’y est pas toujours très claire car la toponymie y est trompeuse avec par exemple plusieurs îles portent le même nom.
Or pour les Surinamais habitant le fleuve, toutes les îles du Maroni appartiennent au Suriname. Ils s’appuient sur les seules cartes à leur disposition : celles de Google Earth et Google Map qui situent le frontière sur la rive droite du fleuve, côté français. Mais cette frontière y est tracée sans tenir compte d’aucune base juridique. Ainsi, sur Google Earth, la frontière visible est fausse.
Par ailleurs, au Suriname on critique la violence des interventions françaises car les sites illégaux sont dynamités et le matériel brûlé par les gendarmes français. “Le fleuve est à nous disent les Bushi-Nenge du Suriname. Quand les Français mettent le feu à nos barges, ils détruisent nos revenus et notre avenir ”. Le problème, c’est qu’ils exploitent l’or sur le territoire français où l’extraction est interdite ou réglementée. C’est pour régler définitivement le tracé de cette frontière qu’une commission du Ministère des Affaires étrangères travaille depuis 2019 à la rédaction d’un futur traité reconnu par les deux parties.
Image complémentaire
Le fleuve Maroni se jetant dans l’océan
Documents complémentaires
Sur la Guyane dans le site Géoimage
Manon Arnaud : Cayenne : les défis de l’aménagement d’une métropole régionale appartenant aux Nords avec des dynamiques du Sud
Frédéric Barbier : Le littoral de Guyane Française: forte dynamique côtière en Amazonie
Vincent Doumerc : Guyane. Kourou : le Centre spatial guyanais, le port spatial européen
Autres sites et documents
Patrick Blancodini, « La frontière Suriname – Guyane française : géopolitique d’un tracé qui reste à fixer », Géoconfluences, septembre 2019.
Granger Stéphane, « Le Suriname, un État atypique d’Amérique du Sud entre Amazonie, Caraïbes… et France », Diplomatie Magazine, 22 avril 2019.
Contributeur
Patrick Blancodini, professeur agrégé d’histoire et géographie en CPGE au lycée Ampère à Lyon.