Irlande / Royaume-Uni : le Donegal, une marge nord-occidentale isolée par une frontière confrontée aux incertitudes du Brexit

Le Donegal est un vaste comté situé dans la marge nord-occidentale de l’île d’Irlande. Il est isolé du reste de la République d’Irlande auquel il appartient pourtant, par une très longue frontière avec l’Irlande du Nord, sauf au sud. Celle-ci était devenue quasi-invisible depuis les accords du Vendredi Saint de 1998, qui ont mis fin aux Troubles en Irlande du Nord. Comté rural et peu peuplé malgré d’indéniables atouts touristiques, le Donegal voit sa vitalité économique largement dépendre de ses échanges avec l’Irlande du Nord. La perspective du retour d’une frontière dure suite au Brexit s’est pour le moment éloignée avec le déplacement d’un sas frontière en mer d’Irlande. Toutefois, cette disposition n’est que transitoire et n’en interdit pas le retour. Ce qui serait un frein majeur au développement économique du comté et un obstacle de taille dans le quotidien de ses habitants. Une épée de Damoclès qui témoigne des enjeux géopolitiques et géoéconomiques posés par le Brexit dans les Iles britanniques et du statut des frontières entre Etats membres ou extérieurs.

 

Légende de l’image

 

Cette image du comté de Donegal, le comté irlandais le plus septentrional de l'île, a été prise le 20 avril 2020 par le satellite Sentinel 2B. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.

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Présentation de l’image globale

République d’Irlande / Irlande du Nord : une frontière douloureuse
puis apaisée aux risques de nouvelles incertitudes post-Brexit

Le Nord-Ouest de l’île d’Irlande : une marge atlantique, rurale et dépeuplée

Cette image satellite correspond à la pointe nord-ouest de l’île d’Irlande, où mers et terres sont profondément imbriquées dans ce Finistère insulaire occidental de l’Europe. On distingue clairement au nord de l’image une très vaste presqu’île de forme presque triangulaire : c’est la péninsule d’Inishowen. À l’ouest, elle est limitée par le Lough Swilly, qui est un vaste estuaire, très profond et de plus en plus étroit, au fond duquel se trouve la ville de Letterkenny. Le Lough Swilly s’étire sur une trentaine de kilomètres. À l’est, elle est limitée par une autre vaste baie – le Lough Foyle – de forme presque ovale qui rejoint la mer par un étroit goulet dominé au nord par l’avancée d’Inishowen Head. Tout au fond de cette vaste baie, sur un important estuaire, se trouve Londonderry, qui est traversée par la Foyle. Letterkenny et Londonderry sont toutes deux situées dans des abris naturels. Les deux villes sont ainsi protégées des vents et courants de l’océan atlantique. À l’ouest de Lough Swilly se trouve la péninsule de Fanad, séparée du reste du Donegal par le très étroit Drongawn Lough. Par contre toute la partie occidentale du Donegal est ourlée de côtes alternant falaises déchiquetées et petites baies sablonneuses directement frappées par les grandes dépressions atlantiques qui trouvent ici dans leur route vers l’est  leurs premiers obstacles.   

On voit immédiatement que le Nord-Ouest de l’île d’Irlande est avant tout un espace extrêmement rural, et potentiellement assez inhospitalier à certains endroits. L’image met clairement en évidence une sensible opposition Ouest/Est. A l’Ouest, les hautes terres – peu élevées toutefois – littorales ou intérieures sont couvertes de landes, apparaissent bien en brun sur l’image. L’Est, moins élevé et mieux abrité est plus accueillant comme en témoigne son organisation agricole avec son parcellaire bien identifiable. On remarque que toutes les surfaces agricoles utiles sont exploitées. Seules les landes rocailleuses des péninsules d’Inishowen et de Fanad et les reliefs montagneux de l’Ouest du Donegal ne sont pas cultivés. Partout ailleurs, y compris aux extrémités septentrionales des deux péninsules principales, on observe un système agraire composé d’une myriade d’espaces cultivés et consacrés à l’élevage, en particulier dans la vallée de la Foyle et de ses affluents.

Le Donegal est une région à la fois peu peuplée, avec une population de seulement 159.200 habitants et une densité d’environ 33 habitants/ km², et très rurale avec seulement 28 % d’urbains. Les pôles de peuplement se situent essentiellement dans les parties septentrionale et orientale du comté, ainsi qu’autour de la baie de Donegal. Entre 2006 et 2016, la population augmente de 8 % du fait d’une certaine attractivité liée au retour à la campagne d’urbains attirés par la qualité de vie dans les campagnes irlandaises quand ils peuvent y trouver un emploi. 57 % de la population est active, 7% travaille dans le secteur agricole et 9 % travaille dans l’industrie. Les services emploient donc l’essentiel de la population active du comté.

La frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord : une nette césure confessionnelle et géopolitique

Bien que l’on ne puisse en distinguer immédiatement de signes apparents, cette partie de l’île est traversée et structurée par une longue frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Cette limite correspond en effet à une nette césure multidimensionnelle : étatique bien sur, monétaire aussi par exemple, mais surtout confessionnelle et géopolitique.
 
Comme le montre son tracé sur l’image, la frontière a bouleversé le réseau urbain et la hiérarchie urbaine régionale. La péninsule d’Inishowen se situe dans le Donegal en République d’Irlande alors que Londonderry et Strabane, la petite ville située en amont de la Foyle au sud de Londonderry, sont deux villes britanniques puisqu’elles se trouvent en Irlande du Nord, l’une des quatre nations constituant le Royaume-Uni. De même, Letterkenny est en République d’Irlande, alors qu’elle n’est pourtant distante de Londonderry que d’une trentaine de kilomètres. Si Londonderry est une ville de taille moyenne, avec 110 000 habitants, c’est de loin la plus grande ville de la région.Quant à Letterkenny et Strabane, ce sont des petites villes, avec respectivement 19 000 et 13 000 habitants, dans des agglomérations de 42 000 et 40 300 habitants..

Surimposée sur un milieu relativement uniforme, cette frontière entre Irlande du Nord et République d’Irlande est une création éminemment géopolitique, terme qui selon Yves Lacoste définit les rivalités de pouvoirs sur un territoire. Elle a en effet été créée par Londres grâce à un véritable exercice de gerrymandering – découpage à des fins politiques – basé sur la géographie confessionnelle de l’île.

Il s’agissait en effet de créer de toutes pièces un territoire – l’Irlande du Nord – où l’unionisme pouvait conserver le contrôle politique et économique grâce à la présence d’une population majoritairement protestante. Jusqu’à la partition de l’Irlande en 1921, le Donegal appartenait en effet à l’Ulster, l’une des quatre provinces historiques irlandaises - avec le Connacht, le Leinster et le Munster - et constituait l’un des 32 comtés de l’île. Lors de la partition, le comté du Donegal, largement catholique, a été rattaché à l’Irlande du Sud alors que les comtés voisins de Foyle et Londonderry à majorité protestante firent partie des six comtés d’Ulster qui ont formé l’Irlande du Nord.

Cette frontière est la conséquence directe de deux héritages historiques s’inscrivant dans des échelles temporelles bien différenciées. Prés de nous, la guerre d'indépendance irlandaise menée par les Républicains irlandais contre le gouvernement britannique. Plus lointains, les héritages du processus de « Plantation d’Ulster » – ou colonisation – décidé par le monarque anglais Jacques 1er, qui était également Jacques VI d’Écosse et en même temps roi d’Irlande – planifié trois siècles plus tôt, dès 1608, et effectivement mis en œuvre en 1610.

Une frontière née d’une longue guerre d’indépendance anticoloniale au XXeme siècle

Cette guerre éclate le 21 janvier 1919 lorsque des membres des Irish Volunteers tuent deux membres de la gendarmerie royale irlandaise dans une embuscade près de la ville de Tipperary. Le même jour, le premier Dáil – une assemblée de 27 députés du Sinn Féin, parti politique républicain, élus lors des élections de 1918 mais qui refusent de siéger à Westminster – publie une déclaration d'indépendance et proclame la République d’Irlande.

Il s’ensuit une guérilla des forces irlandaises républicaines contre l’armée britannique qui mène au Government of Ireland Act, adopté le 23 décembre 1920. Cette loi partage l'Irlande en deux territoires autonomes : l’Irlande du Sud et l’Irlande du Nord. L'Irlande du Sud est constituée de 26 des 32 comtés irlandais, à l'exception d'Antrim, Armagh, Down, Fermanagh, Londonderry et Tyrone, et des circonscriptions urbaines de Belfast et Londonderry qui composent alors l'Irlande du Nord. L'Irlande du Nord est donc arbitrairement inventée par Londres pour rassembler six des neuf comtés de la province traditionnelle d'Ulster – à l'exclusion de Donegal, Cavan et Monaghan – dans lesquels les unionistes, protestants et loyaux à la Couronne britannique sont assurés d’avoir une majorité sûre.

La guerre d’indépendance se poursuit jusqu’à une trêve du 11 juillet 1921. Des négociations débouchent sur le traité anglo-irlandais, signé à Londres le 6 décembre 1921 et ratifié par le deuxième Dáil en janvier 1922. Le 6 décembre 1922, l’île entière d’Irlande devient un Dominion de l’Empire britannique, appelé l'État libre d’Irlande - Irish Free State – et partageant le même monarque avec le Royaume-Uni et les autres Dominions du Commonwealth britannique.

En vertu de la Constitution de l'État libre d'Irlande, le Parlement d'Irlande du Nord, ouvert par le roi George V le 22 juin 1921 à l'hôtel de ville de Belfast, a la possibilité de quitter l'État libre d’Irlande dans le mois qui suit sa création et de rejoindre le Royaume-Uni. Il ne faut que deux jours au Parlement d'Irlande du Nord pour prendre cette décision. Le 8 décembre 1922, l'Irlande du Nord se retire de l'État libre d’Irlande, dont le territoire devient celui de l’Irlande du Sud défini par le Government of Ireland Act de 1920. Pour autant, au sud, l’État libre d’Irlande reste sous domination britannique jusqu’en 1937, lorsque sa constitution est remplacée par la Constitution irlandaise déclarant l’Irlande État démocratique et indépendant. L'Irlande ne devient officiellement une république qu’en 1949.

De la fabrication d’une frontière dans les années 1920 au retour des vieux fantômes oubliés lors du Brexit en 2020

La frontière actuelle entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord remonte donc à la loi de 1920 sur le Gouvernement de l’Irlande. Elle fut d’abord une frontière provisoire. Son existence juridique comme frontière internationale intervint le 8 décembre 1922 lorsque le parlement d’Irlande du Nord décida d’exercer son droit de retrait de l’État libre d’Irlande. Dans ce contexte, la loi de 1920 prévoyait la création d'une commission chargée de déterminer la délimitation géographique précise de la frontière, au cas où l'Irlande du Nord choisirait de se retirer de l'État libre d’Irlande.

La commission – dont le travail fut très controversé et dont le rapport ne fut rendu public qu’en 1969 – fut installée en 1924. Elle se réunit en 1925 et confirma la frontière existante à la fin de l’année 1925. L'accord final entre les trois parties - l'État libre d'Irlande, l'Irlande du Nord et le Royaume-Uni - fut signé le 3 décembre 1925 puis ratifié par les parlements respectifs. La frontière est donc restée provisoire pendant cinq années, de la fin de l’année 1920 à la fin de l’année 1925. L'accord fut ensuite officiellement enregistré par la Société des Nations - SDN le 8 février 1926.

La commission a validé une frontière dont le tracé avait été anticipé dès 1914 par le gouvernement britannique. Trois propositions avaient alors été préparées par des hauts fonctionnaires irlandais. C’est celle de Sir James B. Dougherty qui fut finalement retenue. Pour des raisons de commodité de gestion administrative – il semblait en effet compliqué de s’affranchir des limites administratives existantes –, il proposa que la frontière suive les limites des comtés.

Il apparaît que la carte administrative préexistante, à partir de laquelle le tracé de la frontière a été validé, est fondée pour partie sur des limites naturelles, pour partie sur les marges des aires d’influence des bourgs et des villes comme Londonderry, Ballyshannon et Strabane. Ces limites ne sont toutefois pas toujours cohérentes avec les données naturelles – topographiques et hydrographiques – en scindant par exemple en deux une vallée ou en ne s’appuyant pas sur les obstacles naturels. Elles suivent parfois les limites naturelles que sont les cours d’eau ; puis s’en éloignent sans raison évidente apparente, si ce n’est peut-être les enjeux fonciers locaux et particuliers.

Le cas de Londonderry est à cet égard éclairant. Logiquement, la frontière commence par suivre le cours de la Foyle, mais s’en détourne pour contourner Londonderry, plutôt que de couper la ville en deux. Londonderry se trouve donc en Irlande du Nord. Mais il est intéressant de noter que les propositions initiales des trois hauts fonctionnaires irlandais n’incluaient pas Londonderry en Irlande du Nord, en raison d’une population majoritairement catholique. Comment expliquer un tel choix qui aura par la suite des implications dramatiques ? Londonderry est en fait un haut lieu emblématique des Plantations anglaises sur le front de colonisation intérieur occidental. Et tout autant le bastion d’une minorité protestante influente qui contrôlait les leviers politiques et économiques. Il n’était donc pas envisageable politiquement d’en faire la capitale régionale d’un comté catholique dans un état catholique.

La frontière ne respecte pas plus les données humaines, puisqu’elle coupe de très nombreuses routes, des exploitations agricoles et même des villages. Multipliant ainsi les situations absurdes, qui ont été mises en évidence lors des débats sur son éventuel retour durant la période de négociation du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Car dans la région, le Brexit a fait resurgir de vieux fantômes que l’on pensait disparus.

Le Brexit : de l’union à la désunion, un nouvel enjeu complexe

Cette frontière vivante est un enjeu politique, économique, social et géopolitique à l’échelle locale, régionale (Irlande/Irlande du Nord/Royaume-Uni) et internationale, pour l'Union européenne. Elle alterne phases d’apaisement, de vives tensions et de crises. Entre 1968 et 1998, lors des trente années de conflit nord-irlandais, les « Troubles » qui ont fait plus de 3.600 morts, cette frontière était presque complètement fermée et surveillée par les miradors de l’armée britannique. Puis l’accord du Vendredi Saint de 1998 qui mit un terme aux Troubles et l’appartenance conjointe de la République d’Irlande et du Royaume-Uni à l’Union européenne depuis 1973 apaisent les tensions et rendent la frontière presque complètement invisible (cf. libre circulation des hommes et des marchandises, intégration économique…).

Mais en cristallisant à nouveau la situation, le Brexit a réveillé les perspectives de conflits et les tensions, qui n’ont pas manqué de se transformer en crise(s) politique(s) majeure(s). Incontestablement, le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne assombrit l’avenir à nouveau. Au Royaume-Uni et dans les négociations avec l’Union européenne, la frontière irlandaise a constitué une telle pomme de discorde qu’elle a longtemps empêché le divorce entre les deux parties. Longue de 500 km avec plus de 200 points de passage soit en moyenne un tous les 2,5 km, cette frontière constitue la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Son autre particularité est qu’elle est devenue presque invisible et que l’Accord du Vendredi Saint interdit formellement le retour d’une frontière physique, avec postes de douanes et contrôles.

Les élections parlementaires britanniques du 12 décembre 2019 ont confortablement installé Boris Johnson comme Premier ministre du Royaume-Uni. Après les échecs répétés de Theresa May à faire accepter par le parlement britannique l’accord de sortie de l’Union européenne qu’elle avait négocié en novembre 2018, la victoire de Boris Johnson valait également approbation de l’accord de sortie qu’il avait réussi à renégocier en octobre 2019. L’élément majeur de la renégociation portait sur la frontière irlandaise, qui va devenir une frontière externe à l'Union européenne, tout en disposant malgré d'un statut et d'un fonctionnement très particuliers. Il n’est en effet plus question du filet de sécurité (« backstop ») négocié par Mme May, qui aurait empêché le retour de la frontière irlandaise en cas d’échec des négociations de libre-échange entre le Royaume-Uni et l‘Union européenne.

Le nouvel accord Union européenne – Royaume Uni : une construction acrobatique  

Véritable numéro d’équilibriste, l’accord négocié par Boris Johnson avec l’Union européenne cherche à résoudre une contradiction majeure : comment protéger le marché unique européen du Royaume-Uni sans pour autant rétablir la frontière entre les deux Irlandes ? Comment faire coexister l’impossibilité de réinstaurer une frontière avec la nécessité d’un contrôle du flux de marchandises et des personnes suite à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ? La résolution de cette contradiction passe par la négociation d’un statut douanier spécial pour l’Irlande du Nord.  

L’Irlande du Nord garde en effet un pied dans l’Union européenne : bien qu’elle sorte de l’union douanière européenne comme le reste du Royaume-Uni, elle reste soumise aux règles du marché unique pour la circulation des marchandises, y compris la TVA. L’Irlande du Nord est considérée comme un point d’entrée dans l’union douanière européenne. La grande trouvaille réside dans le régime spécial établi selon la destination finale des produits. S’ils proviennent du Royaume-Uni et restent en Irlande du Nord, ils ne seront pas taxés puisque l’Irlande du Nord appartient à la même union douanière que le Royaume-Uni. En revanche, s’ils ne font que transiter par l’Irlande du Nord pour rejoindre la République d’Irlande ou un autre pays de l’Union européenne, les autorités britanniques devront appliquer les droits européens. La TVA restera la même sur toute l’île, pour éviter de possibles trafics de marchandises. Ce sont les autorités douanières britanniques qui seront responsables de la collecte aux frontières, sous l’égide d’un comité conjoint entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

L’Irlande du Nord reste donc alignée sur les règlements de l’Union européenne, et le restera au moins quatre ans de plus à partir de la fin de la période de transition débutant le 31 décembre 2020. Il ne peut y avoir de contrôles de marchandises aux points de passages de cette frontière devenue invisible, et qui va donc le rester. Les contrôles auront lieu aux points d’entrée en Irlande du Nord, c’est-à-dire les ports et les aéroports – notamment ceux de Belfast et Londonderry. Le sas frontalier se trouve ainsi déplacé en mer d’Irlande.

Mais la question de la validation et de la pérennité d’un tel aménagement se pose. Tous les quatre ans, l’assemblée d’Irlande du Nord devra voter pour continuer, ou non, avec ce système. Ce qui va occasionner, on s’en doute, des frictions politiques, et peut-être sociales, importantes. Il y a fort à parier qu’il y ait sur ce sujet des divergences majeures en Irlande du Nord même entre Républicains – favorables à la réunification de l’île – et unionistes – toujours très attachés à la couronne britannique. Le retour des violences intercommunautaires, miroir de l’instabilité politique, est en effet une possibilité qu’il ne faut jamais complètement écarter dans la société post-conflit qu’est l’Irlande du Nord.


 

Zooms d’étude

 



La Péninsule d’Inishowen


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Malin Head, la pointe septentrionale de l’ile  


L’extrémité septentrionale de l’île d’Irlande se trouve dans la péninsule d’Inishowen, qui appartient au Donegal. Située entre Ineuran Bay et Esky Bay, elle revêt un intérêt géologique et morphologique particulier. On y trouve la plus ancienne et la mieux préservée des côtes d’origine glaciaires d'Irlande ainsi que les plus hautes dunes de sable d’Europe. En raison de ses falaises escarpées et de ses nombreuses criques, qui en font un espace protégé et peu accessible, Malin Head, la pointe septentrionale de la péninsule d’Inishowen, est également un lieu de nidification de nombreuses espèces d’oiseaux.

Malin Head abrite aussi l’une des plus importantes stations météorologiques d’Irlande, établie en 1870. On y construisit en 1905 une tour de transmission/ poste de signalisation, la Tour Banba  - Banba Tower, du nom de la déesse mythologique celtique Banba, patronne de l’Irlande - pour établir des communications entre l’Europe et l’Amérique. La tour est également un élément essentiel pour la navigation maritime qui est particulièrement difficile et dangereuse au nord de l’Irlande. Sa situation géographique a revêtu une dimension stratégique essentielle, en particulier pendant la Seconde guerre mondiale.

Un système agricole et rural spécifique

L’image montre la nette opposition entre les hautes terres froides et humides couvertes de landes, bien identifiable à la cloueur marron, de la zone centrale et les campagnes périphériques dominées par les prairies naturelles et les herbages. Le kaléidoscope agricole que l’on peut observer reflète la petite ou très petite taille des exploitations agricoles lié au morcèlement de la propriété foncière. Cette agriculture marginale et peu intensive est consacrée à l’élevage. Elle se caractérise par un habitat rural très dispersé, relié par un réseau d’étroites routes secondaires. À l’évidence, cette marge nord-occidentale de l’île d’Irlande souffre d’un isolement et d’un enclavement importants, malgré la relative proximité de Londonderry. La population d’Inishowen s’éleve à 40.500 personnes et Buncrana, la ville la plus peuplée de la péninsule, ne compte que 3.400 habitants.

L’agriculture, la pêche et l’aquaculture d’un côté, l’industrie agro-alimentaire de l’autre constituent le secteur économique dominant dans le Donegal. D’une taille moyenne de 27 ha.,  les 9.200 exploitations agricoles – contre 29.000 en 1915 – sont largement orientées vers les cultures rustiques (pomme de terre, céréales dont orge) et l’élevage bovin et surtout ovin (20 % cheptel irlandais). L’industrie agro-alimentaire et ses services associés (fournisseurs, transport, ventes aux enchères, comptabilité, conseil juridique, etc.) représente 1.500 emplois dans l’industrie agro-alimentaire dans le comté, 8.200 dans les comtés limitrophes. Le tourisme est l’autre secteur important dans le Donegal et permet une certaine diversification économique.

 

 



La plaine de la Foyle : un espace-frontière entre Irlande et Irlande du Nord

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Une cuvée agricole bien mise en valeur


Cette image montre la plaine de la Foyle. Comme sur la péninsule d’Inishowen, on observe un système agraire très morcelé, qui reflète le même éparpillement de la propriété foncière des deux côtés de la frontière. On remarque également très bien qu’il y a très peu de forêts. Pratiquement toutes les surfaces utiles sont cultivées. Ce maillage agricole se traduit par un éparpillement très important des habitations, qui sont reliées par un réseau de routes secondaires étroites.

Le tracé de la frontière irlandaise démarre à la sortie de l’estuaire de la Foyle, 4 km au nord de Londonderry, contourne la ville par l’ouest puis rejoint la Foyle environ 5 km au sud de la ville. Il suit ensuite le cours de la Foyle jusqu’à Strabane. Sur ce segment, le fleuve constitue une vraie césure puisqu’il n’y a aucun pont sur la Foyle entre Craigavon Bridge à Londonderry et Lifford Bridge qui relie Strabane à Lifford, en République d’Irlande.

Le doublet urbain transfrontalier Strabane/ Lifford : les lourds héritages socio-économiques des conflits

Au centre de la cuvette, la région est organisée par un doublet urbain transfrontalier qui symbolise les inégalités régionales et les effets –frontières. La ville de Strabane se trouve à la confluence entre les rivières Finn et Mourne, affluents de la Foyle. Le tracé frontalier quitte alors le cours de la Foyle pour celui de la rivière Finn, vers le sud-ouest. En face de Strabane, qui est donc en Irlande du Nord, de l’autre côté du cours d’eau, se trouve Lifford, qui malgré sa petite taille (1600 hab.) est la capitale administrative du Donegal. Strabane se trouve à 500 mètres de la frontière avec l’Irlande. C’est un bourg qui fut fondé par des colons écossais – protestants – au début du XVIIème siècle, quelques années avant le début officiel du processus de Plantation en Ulster.

Sa position de ville frontière en faisait une cible idéale pour les incursions de groupes paramilitaires de l’armée républicaine irlandaise – IRA, Irish Republican Army – en Irlande du Nord. En conséquence, Strabane a énormément souffert, humainement et économiquement, pendant les Troubles. Pendant cette période, elle fut le théâtre de très nombreux meurtres et attentats et affichait un taux de chômage très élevé, parmi les plus élevés d’Irlande du Nord. Strabane faisait alors partie des villes les plus défavorisées du Royaume-Uni. Les conséquences à long terme des Troubles s’y font toujours sentir : Strabane, avec Londonderry, a le plus faible taux d’activité (6 2%), le plus bas taux d’emploi (54 %) et la plus grande proportion d’actifs sans qualification (23 %) d’Irlande du Nord.

 

 



Ballyshannon, cordon ombilical à la limite entre comtés irlandais et à la frontière entre Irlande et Irlande du Nord


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La question de la frontière est cruciale pour le Donegal, qui est historiquement limitrophe des comtés nord-irlandais de Derry, Tyrone et Fermanagh. Depuis la réforme du gouvernement local mise en œuvre le 1er avril 2015, l’Irlande du Nord est divisée en onze collectivités locales. Le Donegal est limitrophe de Fermanagh and Omagh District Council et Derry City and Strabane District Council.

Comme le montre l’image, le Donegal n’est rattaché au reste de l’Irlande que par un petit corridor de 9 km de large à la limite avec le comté de Leitrim, 4 km au sud de la petite ville de Ballyshannon (2.300 hab.). Pour être encore plus précis, à l’endroit le plus étroit, un kilomètre plus au nord, la distance entre la côte et la frontière avec l’Irlande du Nord n’est que de 7 km. Mais c’est le goulet d’étranglement de Ballyshannon qui symbolise parfaitement l’isolement du Donegal du reste de la République d’Irlande. Ballyshannon se situe dans la vallée de l’Erne, qui coupe la ville en deux. La ville s’est développée dans un étroit passage de moins de deux kilomètres entre l’estuaire sablonneux et de la rivière Erne et Assaroe Lake, qui constituent une réelle frontière naturelle.

De nombreuses initiatives transfrontalières, financées par l’Union européenne ont permis d’améliorer les relations entre les comtés frontaliers depuis 1998. L’éventuel retour d’une frontière est donc à l’évidence une perspective redoutée et un enjeu majeur pour le comté, aussi bien pour la libre circulation de ses habitants au quotidien que pour sa vitalité économique. Le retour d’une frontière renforcerait nécessairement le sentiment d’isolement et d’éloignement des habitants du Donegal et aurait très vraisemblablement un impact négatif sur l’activité économique du comté. Les Troubles en Irlande du Nord, pendant lesquels la frontière était effectivement fermée, ont en effet largement contribué à rendre le Donegal peu attractif pour le développement économique, ce qui a entretenu un chômage élevé.

 

 



Le nord-ouest du Donegal, une marge très isolée


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Cette image montre les reliefs de la partie nord-ouest du Donegal qui appartient à la couronne de montagnes côtières occidentale qui entoure la plaine centrale irlandaise. Cette partie du Donegal est donc en grande partie composée de montagnes basses - le point culminant est le Mont Errigal, à une altitude de 725m - et de landes vallonnées et rocailleuses, orientées sud-ouest/ nord-est et parsemées d’une multitude de lacs de tailles très variables. L’image laisse entrevoir une alternance de landes en pente douce et de vallons plus profonds, dessinés par les glaciers qui recouvraient autrefois le Donegal.

Le Donegal est l’un des plus grands comtés d’Irlande. Il possède la plus longue côte d’Irlande (1134 km). Sur cette côte extrêmement découpée, on distingue de longues plages de sable blanc, des dunes ainsi que des falaises, en particulier le long des péninsules d’Inishowen et Fanad. Les ombres portées donnent à voir de hautes falaises. Les plus hautes falaises océaniques d’Irlande se trouvent dans le Donegal à Slieve League, dans le sud-ouest du comté.

Là encore, l’émiettement des parcelles agricole montre que la totalité des surfaces agricoles utiles est exploitée. Le relief rend impossible l’existence d’exploitations agricoles de grande taille. Le chapelet d’habitations situées le long de la côte, entre la baie de Donegal et la péninsule de Fanad apparait être très isolé du reste du pays et des centres de commandement, y compris régionaux. Il n’y a aucun axe de communication majeur. Pour la majeure partie des habitants du Donegal, sauf ceux qui habitent autour de la baie de Donegal, il n’y a pas d’autre solution que traverser l’Irlande du Nord pour se rendre rapidement à Dublin. Et ce sont bien Londonderry et Belfast, deux villes nord-irlandaises, qui sont les deux points d’attraction les plus faciles d’accès dans le domaine des liaisons internationales. Cela reste encore le cas aujourd’hui, depuis que la frontière est devenue invisible avec les accords du Vendredi Saint de 1998. Pour les habitants du Donegal, l’enjeu de taille est de savoir comment de temps cette situation va durer.

 

Documents complémentaires

 

 

 

L'image Sentienl-2 ci-contre présente la partie septentrionale de l’ile d’Irlande, avec Belfast à l’est

 

Documents complémentaires


  [Accéder à la traduction de ce dossier en anglais]


Sur le site Géoimage du CNES


Fabien Jeannier : Irlande/Irlande du Nord : Londonderry et sa région, une frontière en mutations et en débat

Autres sources

Fabien Jeannier, « Le Brexit et la frontière irlandaise », Géoconfluence, 2019, 

Thibaut Harrois, « Brexit : l’enjeu nord-irlandais »,  2019.

Ophélie Siméon, « Le Brexit et les deux Irlandes », 2019.

La création de la frontière :

Brigitte Dumortier, « Partition et frontière : le cas irlandais », Hommes et Terres du Nord, n°2-3, 1994, p. 103-111,

Conor Mulvagh, « How was the Irish border drawn in the first place? », The Irish Times, 11 février 2019,

The Irish Times, « Brexit Borderlands »

James Wilson, « Why is the Irish border where it is? Northern Ireland wasn’t always destined to be a six-county state », Irish Central, 26 septembre 2019,

Donegal, County profile, The Western Development Commission


Contributeur

Fabien Jeannier, professeur d’anglais, chercheur associé au laboratoire Identité culturelle, textes et théâtralité, Avignon Université