"Incendies zombies" en Arctique : un phénomène surmédiatisé qui alerte sur le réchauffement climatique

Les incendies sont de plus en plus fréquents dans les forêts boréales et apparaissent immédiatement après la fonte des neiges, une mauvaise nouvelle pour le climat. Ces incendies pourraient être la réactivation de feux de forêt ayant brulé sous terre tout l’hiver

 

Pour les scientifiques du service de surveillance de l'atmosphère Copernicus (CAMS), il y a de grandes chances que les nombreux feux observés en Arctique au printemps et début de l'été 2020 soient des feux déjà observés à l'été 2019. La spéculation a entraîné un emballement médiatique, les journaux usant de titres accrocheurs pour mettre en lumière un phénomène ancien, rare mais bien connu sous le nom de feux d'hivernage, ou feu dormant. Cette surmédiatisation abusive des incendies zombies attire toutefois l'attention sur la recrudescence des feux en Arctique et ses conséquences.

L'image satellite a été prise le 20 juin 2020 par un satellite Sentinel-2 au Nord de la République de Sakha près du cercle polaire arctique. Elle couvre une distance de près de 200 km d'ouest en est dans les plaines de Lakoutie parcourues plus à l'ouest par le cours inférieur du fleuve. Cette image dite en fausse couleur, utilise des bandes spectrales (des parties du spectre lumineux) dans l’infrarouge et le rouge. Ainsi la végétation apparait dans des tons de vert, l’eau la neige et la glace en noir. Ces bandes spectrales sont utilisées ici pour mettre en évidence les incendies : des flammes dans les tons orange et des fumées dans les tons bleus apparaissent. Ainsi on note la multiplication des incendies (près d'une dizaine de foyers) à la faveur du dégel. Leur nombre : leur intensité, leur surface (cf échelle) et leur localisation dans un espace de très faible densité (densité moyenne de la République de Sakha : 0,31 habitants au km²) interrogent sur leur origine. 

L'hypothèse des incendies zombies

 

Thomas Smith (professeur adjoint de géographie environnementale à la London school of economics)  a comparé les départs de feux observés dès le mois de mai 2020, aux cicatrices des incendies de 2019. Il conclut sur une correspondance en certains lieux, notamment dans les zones de tourbières et fait donc l'hypothèse d'incendies zombies, c'est à dire d'incendies qui auraient couvépendant de longs mois d'hivers et se seraient rallumés à la surface lorsque les conditions sont devenues favorables.

Cette hypothèse est construite autour de plusieurs observations. Tout d'abord, les territoires de l'Arctique ont connu six mois de températures records : la saison des feux a été très active à l'été 2019 (plus de 100 feux entre juin et juillet). L'hiver a été également exceptionnellement chaud et la vague de chaleur de ce début d'été 2020 est sans précédent. La station météo de Verkhoyansk (connue pour être l'un des lieux le plus froid de l'hémisphère nord)  a enregistré par exemple une température record de 38 degrés le 20 juin. Toutes les conditions climatiques sont donc réunies pour qu'en surface, les feux reprennent. 

D'autre part les incendies du printemps 2020 ont émergé très tôt dès la fonte des neiges et dans des espaces très isolés, écartant les deux principales causes d'un départ de feu :  les éclairs quand débute la saison des orages et l'origine humaine.

Illustration d'un incendie résiduel le long d'un réseau de canalisation déclenchant un nouveau feu de forêt deux mois plus tard ( REIN & BURN, 2013)
La difficile détection des incendies zombies par les satellites

La genèse et le développement d'un feu zombie permettent de comprendre les difficultés rencontrées par les scientifiques pour identifier ces départs de feux. 

L'incendie peut se déclencher dans une couche de tourbe souterraine ou dans une couche de surface recouverte par la neige. La combustion peut se faire sans flamme visible et selon la profondeur il peut y avoir peu de fumée. Le feu se propage profondément ou latéralement dans le sol en suivant les réseaux de canalisation à l'intérieur de la couche de tourbe. Compte tenu de l'approvisionnement en oxygène limité sous la terre ou sous la neige, le feu se propage à une vitesse relativement faible. En surface les différences de températures sont trop petites et localisées pour que les satellites les détectent.  Parfois le feu refait surface quelques jours ou quelques mois plus tard. Il peut couver tout l'hiver et réapparaître au printemps. 

La télédétection est presque impossible tant que l'incendie brûle sous terre ou sous la neige. Dans ces conditions les scientifiques restent très prudents dans l'identification des incendies zombies, et préconisent de valider leur hypothèse en allant sur le terrain.

 

Un phénomène local aux conséquences globales

Quoiqu'il en soit, sur la base du faisceau d'observations réalisées aux mois de mai et juin 2020, les spécialistes craignent  une amplification du phénomène des incendies zombies qui pourrait aggraver la saison des incendies dans l'Arctique.    

D'ores et déjà, l'agence russe Avialesookhrana responsable de la gestion aérienne des feux fait le constat de la précocité de la saison des feux en Sibérie arctique et d'une couverture des incendies de forêts plus élevée que la normale. Par ailleurs, le 1 er juillet, Annamaria Loungo ( experte en télédétection)  a montré l'incendie le plus au nord jamais détecté depuis que les satellites sont en service, non loin du 80ème parallèle sur les rives de la mer Laptev, bordant l'océan Arctique.

Image en vraies couleurs prise par un satellite Sentinel-2 du 21 juin 2020, à l'extrême nord de la République russe de Sakha , sur la mer de Laptev.
Localement, les conséquences environnementales et sanitaires sont irréversibles.

Les incendies menacent la biodiversité, détruisant les habitats d'espèces animales et végétales.
Les cicatrices des incendies modifiant la végétation, cela entraîne une dégradation du pergelisol, son dégel et un affaissement des sols menaçant les infrastructures humaines. C'est un défi majeur pour les sociétés, d'autant plus dans cette région de l'Arctique où les installations minières gazières et pétrolières sont nombreuses. Le 29 mai, près de la ville de Norilsk les piliers soutenant un réservoir de stockage de pétrole de la centrale thermique du géant minier Norislk Nickel se sont affaissés entraînant une fuite du carburant et le déversement de plus de 21 000 tonnes d'hydrocarbures dans le fleuve Ambarnaïa provoquant une marée noire visible depuis l'espace.  

Enfin, les  incendies en Arctique ont des conséquences à l'échelle régionale et mondiale. Ils affectent  la qualité de l'air : des nuages de fumées, constitués de nombreux polluants  dont  des particules fines et de monoxyde de carbone de l'oxyde d'azote, dérivent avec la circulation atmosphérique.  Cela a été le cas à l'été 2019: les panaches de fumées ont dérivé jusqu'à l'ouest des Etats-unis et ont  affecté la qualité de l'air de millions de personnes. 

En juin 2019, les incendies de l'Arctique ont relâché dans l'atmosphère près de 59 mégatonnes de CO2 soit l'équivalent des émissions annuelles des gaz à effet de serre de la Suède. Enfin, la particularité des incendies de pergélisol est qu'ils libèrent aussi de grandes quantités de méthane, un gaz à effet de serre qui peut être 25 fois plus puissant que le CO2. Ces gaz participent à leur tour au réchauffement climatique de la planète, dans un cercle vicieux.

Image Sentinel-2 du 9 juillet 2020 prise en Russie à la frontière de la république de Sakha et de  Krasnoiarsk.  Cette image comme la première est en fausse couleur. Les nuages qui se forment au-dessus des sources de chaleur apparaissent en bleu. Ces pyrocumulonimbus bien visibles sur l'image se forment lors des incendies de grande ampleur. Ils sont caractérisés par une température élevée et une surabondance de particules fines.  Les pyrocumulonimbus génèrent peu de précipitations mais peuvent provoquer des orages secs susceptibles de déclencher d'autres incendies. 

Ressource complémentaire

Emergency Response Coordination Centre (ERCC) – DG ECHO Daily Map | 17/07/2020 Arctic Region | Overview Wildfires January to July 2020- URL: https://erccportal.jrc.ec.europa.eu/getdailymap/docId/3401

 

Ressources de Géoimage sur l'Arctique russe : un front pionnier confronté aux enjeux du changement climatique 

Aude Monnet : Russie - Norilsk : la ville du nickel, un pilier arctique et sibérien de la puissance russe
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/russie-norilsk-la-ville-du-nickel-un-pilier-arctique-et-siberien-de-la-puissance-russe

Antoine Séjourné : Russie - Péninsule de Yamal : le dégel du pergélisol dû au rechauffement climatique et ses conséquences sur le climat 
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/russie-peninsule-de-yamal-le-degel-du-pergelisol-du-au-rechauffement-climatique-et-ses

Clara Loïzzo : Russie - Yamal : le front pionnier énergétique russe dans un espace extrême de l’Arctique sibérien
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/russie-yamal-le-front-pionnier-energetique-russe-dans-un-espace-extreme-de-larctique

Stéphane Dubois : Russie - Sibérie. Le delta de la Léna : un laboratoire des changements multiformes du Grand Nord Arctique
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/russie-siberie-le-delta-de-la-lena-un-laboratoire-des-changements-multiformes-du-grand-nord

Bibliographie indicative

 « Another active year for Arctic wildfires » - URL: https://atmosphere.copernicus.eu/another-active-year-arctic-wildfires. Publié le  8 juillet 2020 
Korosec Marko, «  Artic on fire: Siberian wildfires expand dramatically, sending a smoke cloud towards Canada and United States »- URL: https://www.severe-weather.eu/global-weather/siberia-wildfires-dramatic-increase-mk/. Publié le 1 juillet 2010
Pierre Markuse, «Zombie” Fires in the Arctic— Clickbait or real? » -  URL:  https://medium.com/sentinel-hub/zombie-fires-in-the-arctic-clickbait-or-real-a3eec97a70be
Wheeling, K. (2020), The rise of zombie fires, Eos, 101, https://doi.org/10.1029/2020EO146119. Published on 30 June 2020. Publié le 2 juin 2020  

Autrice

Virginie Estève, cité scolaire La Serre de Sarsan - Lourdes