Dans l’archipel guadeloupéen, la Grande-Terre forme la partie Est et calcaire des deux îles principales. Sa partie Sud-Ouest, visible sur l’image, se compose d’un littoral attractif qui relie les communes de Pointe-à-Pitre, Gosier et Sainte-Anne mais aussi des Grands Fonds, un massif karstique atypique et spécifique à la Guadeloupe. Appartenant à la « Riviera du Levant », Gosier et Sainte-Anne constituent le principal pôle touristique de l’archipel guadeloupéen. Mais ces territoires font face de nombreux enjeux d’aménagement et de gestion. Alors que la survalorisation touristique atteint ses limites et que se multiplient tensions et conflits d’appropriation ou d’usage, la question d’un développement plus durable se pose avec acuité face en particulier au changement climatique, aux effets de l’érosion et aux reculs des plages.
Légende de l’image satellite
Cette image a été réalisée par le satellite SPOT 6 le 5 mars 2018. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 5 m.
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Présentation de l’image globale centrale
Le Sud-Ouest Grande Terre : un territoire touristique confronté à ses propres limites, entre disparités spatiales et conflits d’usage
La Riviera du Levant et les Grands Fonds
L’image satellite présente une grande partie du littoral du Sud de la Grande-Terre. On y distingue d’ouest en est trois grands ensembles topographiques, naturels et humains. A l’ouest, l’agglomération de Pointe-à-Pitre avec l’aéroport et Les Abymes. A l’est, le village de French et un espace plan massivement occupé par les cultures dont la canne à sucre qui annonce déjà le Nord-Est de la Grande-Terre.
Au centre, occupant la plus grande partie de l’image se trouve la région des Grands Fonds qui se caractérise par un amoncellement de collines et de reliefs très découpés, des interfluves boisés et une densité d’urbanisation bien différente entre l’ouest qui se situe dans la zone d’influence de Pointe-à-Pitre et l’est plus lointain. Enfin, surtout, un très net gradient d’occupation de l’espace apparaît entre l’intérieur de l’île et un étroit liseré littoral quasi-totalement urbanisé compris entre les communes du Gosier à l’ouest et de Saint-Anne à l’est.
Tout comme Marie-Galante et Petite Terre, la Grande Terre se compose en effet d’une plateforme récifale fossile héritée de l’époque pléistocène et érodée en son centre pour former les Grands-Fonds. Sa superficie est de 588 km2 et elle est peuplée de 190.400 habitants. Entre 2012 et 2017, Gosier voit sa population stagner autour de 26.700 habitants alors que celle de Ste-Anne recule de 24.700 à 23 675 habitants 2017.
Toutefois, ces deux communes connaissent un fort dynamisme touristique qu’elles partagent avec Saint –François (hors image, vers l’est) au sein de la « Riviera du Levant », un terme qui définit le lisré littoral s’étendant de Pointe-à-Pitre à St-François. Celle-ci polarise ainsi 36 % des emplois dans l’hôtellerie-restauration guadeloupéenne et 47 % du nombre de touristes séjournant en Guadeloupe.
Si l’archipel connaît un nouvel élan touristique avec une progression d’un tiers du nombre de touristes de séjour entre 2014 et 2017, il faut nuancer son impact économique puisque 36 % des nuitées s’effectuent en « hébergement non-marchand affinitaire », c’est-à-dire en famille, contre 25 % dans des hôtels et clubs de vacances et 29 % en meublés de tourisme. De plus, des disparités existent entre ces territoires et leurs populations : elles sont d’ordre socio-économique mais concernent aussi l’habiter et la mise en valeur des espaces.
Un environnement propice au tourisme
Ce littoral, comme le souligne la plupart des guides touristiques, est représentatif d’une identité balnéaire. Cette région concentre les principaux atouts d’un tourisme de bord de mer : plages de carte postale, sable blanc, cocotiers et palmiers.
Cette région présente en effet, comme on peut le voir sur l’image, l’un des seuls lagons de Guadeloupe avec des plages abritées par un récif de corail. Les plages de sable corallien ont souvent des eaux peu profondes et translucides. L’absence de courant donnant au baigneur l’occasion d’observer des poissons, même sans masque. C’est le cas des plages de la commune de Saint-Anne à l’extrême Est de l’image satellite : la Caravelle, Bois Jolan, la plage du bourg. Les plages y sont constituées de sables blancs qui proviennent de la dégradation des calcaires d'origine corallienne mais aussi de coquilles d'animaux, voire de restes d'algues calcifiées. Aussi, ce littoral présente de nombreuses zones de mouillage, notamment au Gosier, baptisé « côte d'Argent ». Cette vocation touristique de la commune du Gosier a entrainé, directement ou indirectement, une certaine sophistication des paysages urbains, que ce soit à travers la typologie et la qualité du bâti, mais aussi parce que la végétation ornementale y est importante : bougainvilliers, palmiers, etc. En outre, le littoral du Sud Grande Terre bénéficie d’une ouverture sur un panorama attractif. Du littoral Sud Grande Terre on peut apercevoir Marie-Galante, les Saintes, la Basse-Terre et la Dominique.
Dans cette région, la côte est une alternance de zones rocheuses et de plages interrompues çà et là par quelques auréoles de zones humides imbriquées dans le littoral. Elle repose sur un socle calcaire avec une topographie relativement plane, surtout dans la zone de Sainte-Anne. L’image satellite montre également, une succession d’espaces densément urbanisés entrecoupés de paysages agricoles encore authentiques, ainsi que des espaces naturels à forte valeur écologique et paysagère. Ces espaces naturels de la côte Sud de la Grande Terre offrent de véritables coupures présentant des zones humides (mangroves, marais, salines, lagunes, étang) qui alternent avec les zones urbanisées.
Toutefois il demeure dans le Sud Grande Terre une zone à fort potentiel touristique partiellement exploitée : les Grands Fonds. Facilement identifiables sur l’image satellite, de forme quasi circulaire, partagés entre cinq communes, les Grands Fonds sont encore sous-exploités comme site touristique alors qu’ils se situent en contact avec des pôles d’attractivité. Une gestion intégrée du massif apparait comme un défi mais aussi une nécessité à la vue des atteintes perpétrées au cours des dernières décennies par une urbanisation galopante et peu maitrisée. Afin de valoriser l’activité agricole, plusieurs pistes peuvent être explorées dans le domaine de l’agrotourisme. Le développement de sentiers de découverte est un levier de mise en valeur de cette activité traditionnelle.
Des activités et des aménagements favorisant la mise en tourisme
La proximité et la présence d’infrastructures et d’axes de transport permettent de renforcer l’accessibilité et l’attractivité touristique du Sud-Ouest Grande Terre. Cette zone est tout d’abord située à quelques kilomètres de l’aéroport Pôle-Caraïbes (Abymes) qui permet d’accueillir des touristes de la région Caraïbes, d’Europe et d’Amérique du Nord. Un agrandissement est projeté pour 2025 afin de permettre l’accueil de plus de 3 millions de passagers par an. Le port de Croisières de Bergevin à Pointe-à-Pitre a lui été rénové récemment et permet d’inclure davantage la Guadeloupe au sein du tourisme de croisière caribéen.
Différents services de taxi assurent le transport vers les plages de Gosier-Ste Anne. Ce transport est permis par la présence d’axes routiers qui renforcent la proximité du Sud-Ouest Grande Terre avec l’agglomération pointoise et le lien entre les différents espaces de la zone étudiée. La RN4 (« Riviera ») permet ainsi de relier directement les trois unités avec une partie en voie rapide (90) jusqu’à l’entrée du Gosier. Depuis cet axe, différentes voies secondaires permettent de rejoindre les différentes plages du littoral mais aussi les Grands Fonds qui, avec l’installation récente de panneaux de signalement, permettent de contourner les bouchons des axes littoraux souvent saturés, mais aussi de découvrir des paysages atypiques.
Différentes infrastructures permettant d’accueillir et de restaurer les touristes consacrent le dynamisme touristique de la zone. Des zones hôtelières sont ainsi très marquées et localisées à Bas-du-Fort (Fort Fleur d’Epée), la Pointe de la Verdure à Gosier, au Club Med et à Pierre & Vacances de Ste Anne. De multiples gîtes et résidences à la spatialité plus diffuse le long de littoral mais aussi dans l’intérieur (Grands-Fonds) proposent leurs services d’hébergement aux touristes. Concentrés à la Marina du Gosier, sur les plages du bourg de Gosier et Ste Anne, les restaurants-bars présentent eux aussi une diffusion tout au long de la Riviera. Ainsi, 36 % des emplois guadeloupéens dans l’hôtellerie et la restauration se situent sur la Riviera (16 % à Ste Anne, 14 % au Gosier, 6 % à St François) et le lycée hôtelier de Saint-Felix permet de former la jeunesse locale à ces différents services. La modernisation récente (Club Med…) ou prévue des infrastructures hôtelières mais aussi la volonté d’une montée en gamme vise à renforcer l’attractivité de ces différents « aménagements » et sert aussi celle de la zone étudiée.
Enfin, différents aménagements et activités de loisirs permettent de divertir les touristes. Ainsi, le trait de côte a été aménagé et différentes animations attirent les touristes qui investissent et profitent des sites touristiques tels que la Marina et les plages, ainsi que leurs abords : bar-restaurants avec concerts, marchés locaux des bourgs du Gosier et de Ste-Anne, soirées « ka », (chant et musique locale à base de tambour, à la Datcha par exemple). La présence de services de loisirs diffus sur tout le littoral (Casino du Gosier, sorties mer, sports nautiques, « snorkelling » et plongée, …) mais aussi l’ouverture des Grands Fonds au tourisme vert (ballades à pied, vélo, segway) permettent de proposer aux touristes une offre de loisirs de plus en plus diversifiée et attrayante.
La touristicité présente toutefois de fortes limites qui affectent sa « réussite »
Tout d’abord, les contraintes qui affectent les Grands-Fonds, à savoir l’accès limité aux réseaux principaux notamment d’eau et aux services en font des espaces qui demeurent isolés face à la Riviera qui concentre les services et les activités. Pourtant, cette concentration de réseaux, de services et d’activité sur la Riviera en fait un espace congestionné qui présente une forte saturation du trafic routier mais aussi d’importantes nuisances ou pollutions atmosphériques, sonores et visuelles. Cette pollution se situe aussi le long d’axes secondaires avec la présence de décharges sauvages qui nuisent à l’environnement et affectent aussi les habitants et les touristes.
Les aménagements liés au transport et à l’activité touristique et de loisirs présentent aussi des limites quant à leur caractère durable : certaines infrastructures hôtelières doivent par exemple être rénovées et leur concentration dans certaines zones ne permet pas le développement d’autres territoires plus en retrait. Ces aménagements et activités peuvent aussi fragiliser l’environnement de la zone avec la destruction d’écosystèmes particuliers, des décaissements/terrassements mais aussi l’érosion du trait de côte qui renforcent la vulnérabilité de certains espaces et populations face aux risques.
En effet, le Sud-Ouest Grande Terre est fortement exposé aux risques cycloniques, sismiques ainsi qu’aux éboulements de terrains. En sus, le littoral est aussi confronté aux risques d’inondation, de tsunami, alors que le changement climatique renforce le risque d’intrusion marine, notamment pour les espaces bâtis au niveau de la mer sur d’anciennes zones marécageuses et maritimes à coup de remblais comme à Grand-Baie par exemple.
Enfin des conflits d’usages et d’acteurs opposent aménageurs, pouvoirs publics et usagers comme à Grand-Baie ; habitants et touristes, habitants, pouvoirs publics et professionnels du tourisme comme à la plage du Bourg de Gosier … En conclusion, le Sud Grande-Terre est un espace de fortes concurrences dû à l’artificialisation du trait de côte entre les besoins de l’extension de l’habitat et le développement des activités nautiques et touristiques (hôtels, marinas). Les pratiques balnéaires exercent également une pression importante sur les espaces naturels littoraux.
Zooms d’étude
Le littoral : entre pôles attractifs et territoires en difficulté, une mise en tourisme inégale
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Des espaces dynamiques, attractifs et touristiques
Trois espaces se distinguent de l’image par leurs aménagements et leurs activités touristiques et consacrent ainsi la vocation balnéaire de la commune du Gosier et de la Riviera dans son ensemble.
La Marina de Pointe-à-Pitre-Gosier, inaugurée en 1978, forme le pôle touristique attractif du Sud Grande-Terre et de la Guadeloupe en général. Son port de plaisance, visible à travers les différents pontons qui entourent la Marina, est le plus important de la Guadeloupe et forme à la fois un pôle récepteur et émetteur de touristes et visiteurs. Ceux-ci viennent profiter du tourisme de plaisance à l’aide de petites embarcations à moteur permettant les sorties dans le grand et le petit cul-de-sac marin mais aussi d’embarcations moyennes de type voilier utilisées comme habitation et/ou destinées aux croisières. L’accueil des navires de la Route du Rhum tous les quatre ans, permet aussi à la Marina d’être investie par de nombreux visiteurs venus apercevoir ces « monstres des mers ». Les bars, restaurants et commerces, situés le long des quais, contribuent fortement à son dynamisme et sont, pour les habitants mais aussi les touristes, la principale attraction du lieu. L’aquarium, créé en 1985 et rénové en 2018, attire-lui plus de 100 000 visiteurs par an.
En face de la Marina, nous pouvons apercevoir Bas du Fort. Séparé de la Marina par la mer et du bourg par un morne, cet espace isolé n’est accessible que depuis la RN4. Il forme pourtant un espace dynamique et attractif de par ses aménagements touristiques (hôtels, restaurants et résidences) et balnéaires. L’aménagement de sa plage centrale permet ainsi d’attirer touristes et habitants qui peuvent dès lors profiter de la mer et de sa plage tout en portant le regard vers la Basse-Terre, l’ilet Cochon et les autres îles de l’archipel. A l’Est, le Fort Fleur d’Epée, situé en haut de morne, rappelle l’histoire militaire du Gosier et de Bas-du-Fort principalement. Fort bâti au XVIIIe siècle pour repousser les attaques anglaises, c’est un lieu chargé d’histoire qui offre aussi un point de vue étendu sur la mer, les paysages gosiériens (plages, et débuts des Grands Fonds) et la Pointe de la Verdure. Depuis ce site, le visiteur peut ainsi parcourir l’histoire de Gosier qui, d’ancien site militaire destiné à la protection de la rade de Pointe-à-Pitre, s’est transformé en espace touristique au XXe siècle.
A droite de l’image, nous apercevons ainsi la Pointe de la Verdure : un des parcs hôteliers les plus importants de la Guadeloupe situé à l’entrée du bourg de Gosier, avec accès direct à la mer. La zone hôtelière tout comme ses plages, construites par remblais sur une ancienne zone marécageuse, sont une marque de l’artificialisation du littoral, mis au service du tourisme. Là aussi des restaurants ainsi qu’un casino accompagnent les résidences hôtelières et permettent de faire de ce secteur, un des pôles touristiques et de loisirs de Gosier, avec notamment l’organisation de soirées musicales et autres manifestations dans différents hôtels de la zone.
Le tourisme, au service de la réhabilitation des espaces défavorisés et « insalubres » ?
Deux espaces jouxtent ces pôles touristiques, et, s’ils bordent la mer, en sont toutefois en grande partie déconnectés ; ne parvenant pas à dynamiser leur activité malgré les tentatives ou actions de réhabilitation et rénovation promues par les collectivités locales. Les projets et actions d’aménagement les plus marquants présentent un fort aspect touristique visant à mieux intégrer ces territoires au sein de la zone, ainsi confortée dans sa vocation touristique. Pourtant ces projets ont échoué quant à leur vocation dynamisante pour les territoires et les populations concernées, ce qui entraîne de fortes tensions.
De Darboussier à Carénage, nous pouvons tout d’abord apercevoir les quartiers Sud-Est de Pointe-à-Pitre, qui se sont développés en même temps que la Marina mais ne bénéficient pourtant pas de la même attraction et du même dynamisme. Ces quartiers présentent une part de résidences HLM mais aussi d’habitats spontanés et insalubres situés en pente de morne et le long du principal axe routier qui relie Pointe-à-Pitre à la Marina. Malgré l’ouverture de cet axe sur la mer, la présence d’ateliers navals - une des activités principales de Carénage - ne la laisse que peu paraître aux passants.
L’usine Darboussier et l’exode rural qui a permis de répondre à son besoin de main-d’œuvre aux XIX-XXe siècles ont fortement marqué l’histoire économique mais aussi démographique et urbanistique de ces anciens faubourgs. Ainsi, l’installation d’un habitat informel, sous forme de case en bois et tôles arrivées en partie depuis la campagne par bœufs tirants puis par camions ont été photographiées et rappellent aujourd’hui ce passé dynamique. La fermeture de l’usine Darboussier en 1981, dont le seul témoin actuel reste l’ancien bâtiment administratif, a fortement ralenti le dynamisme économique des quartiers Sud-Est. La destruction de cases délabrées ou insalubres, et la construction de résidences pour accueillir les personnes « dékazées », visent à améliorer les conditions de vie des habitants tout en promouvant le passé économique, sportif ou culturel du secteur de par les appellations données aux résidences nouvellement construites.
La construction du Memorial ACTe, inauguré en 2015 sur l’ancien site de Darboussier, accompagnée d’un parking, d’une passerelle et d’une promenade offrant une vue sur la Basse-Terre (ainsi que d’une salle de conférence et d’un restaurant) vise à dynamiser le quartier et à le rendre attractif pour les touristes mais aussi les habitants lors d’évènements comme la Route du Rhum en 2018. Si ce lieu attire ainsi de nombreux visiteurs, cela ne permet pas pour l’instant d’impacter le dynamisme de l’ensemble des quartiers Sud-Est qui conservent de fortes difficultés et restent évités par les touristes malgré des opérations d’embellissement réalisées par l’association « pli bel la-ri » sur les différentes façades qui bordent l’axe central.
Nous pouvons apercevoir ensuite le quartier de Grand-Baie, territoire en marge malgré sa situation entre les deux sites de Bas-du-Fort et de la pointe de la Verdure reliés par sa vaste plage. Ancien village de pêche construit en grande partie sur une ancienne zone marécageuse, Grand-Baie s’est densifié après le passage du cyclone Hugo en 1989 avec l’élévation de nouveaux habitats spontanés.
Malgré un projet de RHI établi dès 1994 et quelques réalisations (éclairage public, digues de protection, …), Grand Baie est en échec de réhabilitation. Des projets touristiques ont émergé depuis 2010 pour redynamiser le quartier, profiter de sa plage et conforter la vocation touristique de la zone mais ces projets (construction d’un complexe de plaisance en 2010, d’un pôle nautique et balnéaire en 2016) se sont heurtés au rejet d’associations environnementales et de riverains qui s’opposent à leur expulsion au profit de motifs économiques et touristiques. Malgré l’arrêt de ces projets, les tensions restent vives entre habitants attachés à leur quartier ainsi qu’à leurs emplois (marins-pêcheurs, restaurants, entrepreneurs, …) et élus qui souhaitent les déloger.
En effet, Grand-Baie est un territoire fortement exposé aux risques naturels : en sus des risques cycloniques et sismiques communs à la Guadeloupe, des risques de liquéfaction des sols, d’inondation et de submersion marine affectent son littoral. Face à ces risques, la mairie du Gosier a donc projeté en 2016 de délocaliser l’opération de RHI (Rénovation de l’Habitat insalubre) par la destruction des habitats de Grand-Baie et le relogement des habitants qui s’opposent à toute expulsion à l’extérieur de la zone.
Des enjeux importants
Ces espaces présentent des enjeux d’ordre environnementaux, économiques mais aussi de cohésion entre les territoires.
Ce sont tout d’abord des espaces qui manquent d’intégration entre eux : une intégration spatiale avec la RN4 comme seul axe reliant ces différents territoires mais aussi une intégration socio-économique avec un dynamisme et des situations sociales disparates qui font de ces territoires des ilots au sein d’un même littoral. Ce manque d’intégration est encore plus flagrant quand il s’observe à grande échelle. Ainsi, Fouillole, principale université de Guadeloupe située au sein même de l’entrée de Carénage semble pourtant en être déconnectée et se tourne vers la Marina. Ce manque d’intégration alimente les tensions entre les populations et les pouvoirs locaux, lors de divers projets d’aménagement qui touchent les populations les plus fragiles, mais aussi quand le littoral devient lui-même enjeu d’appropriation. C’est le cas à Grand-Baie mais aussi dans les espaces les plus dynamiques de la zone. Ainsi, la fermeture entre 2016 et 2019, par le Département, de l’accès à un sentier reliant Bas-du-Fort à une petite crique en contre-bas de la résidence départementale, pour cause d’intrusions dans l’enceinte de la résidence et d’insécurité (liée au sentier emprunté), avait créé de nombreuses contestations de la part de riverains et locaux. Ceux-ci dénonçaient une privatisation du littoral, soutenus en cela sur les réseaux sociaux.
L’urbanisation du littoral liée en particulier à l’activité touristique de la zone étudiée pose aussi un enjeu environnemental fort. Comme nous pouvons le voir derrière la Pointe de la Verdure, un étang bois-sec est né, causé par la construction de la zone hôtelière par remblais sur une partie de ce milieu inondé empêchant ainsi son accès à la mer. Mise à part la construction de la Marina effectuée par déblaiement d’une mangrove dans les années 1960, l’accrétion du littoral par remblais est un élément qui distingue l’Ouest de Gosier aux autres territoires du Sud Grande-Terre (victimes d’érosion).
La quasi-urbanisation du littoral émergé et la construction par remblais sur milieux inondés porte atteinte aux écosystèmes mais aussi aux populations qui deviennent plus vulnérables face aux risques naturels notamment marins. C’est le cas de Grand-Baie qui, construit de manière spontané sur des marécages est exposé à des risques importants. Se pose alors la question de développer l’activité touristique sur ces territoires ou de la contenir pour protéger et ménager les milieux qui composent ce littoral. Ainsi, en 2010, le projet de faire de Grand Baie un pôle touristique et économique avec la construction notamment d’un port de plaisance avait été vivement dénoncé par l’ASFA (Association pour la Sauvegarde et la réhabilitation de la Faune des Antilles) comme atteinte aux milieux humides et par les habitants qui reprochaient aux décideurs de ne pas avoir été consultés. Ce projet a dû être abandonné par la suite par la municipalité et a permis de ménager ces milieux, assurés en cela par l’acquisition de la bande littorale rejoignant Grand-Baie à la pointe de la Verdure par le Conservatoire du Littoral et le classement des prairies de la plaine côtière entre Grand-Baie et la RN4 en ZNIEFF.
Le littoral de Gosier, une touristicité aux forts impacts
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Des atouts paysagers importants
Le littoral de Gosier possède de nombreux atouts paysagers qui contribuent à sa touristicité. Ancien site militaire, la commune a su profiter de ses atouts paysagers pour se tourner vers le tourisme dès 1934 avec l’ouverture du premier hôtel-restaurant de l’archipel : plages de sable blanc, eaux turquoises, point de vue sur la Basse-Terre-Les Saintes-Marie-Galante, faune (« gousiers », pélicans qui ont donné leur nom à la commune) er flore particulière. Autant de facteurs rendent certains de ses sites remarquables.
Tout d’abord, nous pouvons apercevoir sur l’image, l’ilet Gosier, érigé en symbole promotionnel de la commune de Gosier. En effet, avec son phare, sa plage, sa végétation et ses eaux turquoise, il donne une image de carte postale. Accessible depuis le bourg par la nage, en kayak ou par une petite embarcation, il offre détente et vue sur les falaises et la plage du bourg de Gosier. Celle-ci, appelée aussi communément « la Datcha », offre un point de vue sur l’ilet Gosier et la Basse-Terre et se trouve au cœur de la vie du bourg. La présence d’un marché hebdomadaire, l’installation de bars-restaurants sur la plage et les concerts de fin de semaine sont attractifs.
Deux réseaux de plages moins urbanisées s’organisent ensuite à l’Est du Bourg. Le premier est celui qui relie l’Anse Vinaigri à la Pointe Saline par un corridor naturel ennoyé : il permet de traverser des paysages particuliers composés de plages de sable blanc, mangroves, marais, prairies, forêts marécageuses et petites falaises notamment entre St-Félix et la pointe Saline, toutes deux préservées de l’urbanisation. Le second réseau est constitué des plages qui, reliées par des sentiers, entrecoupent les falaises boisées de la façade maritime des Grands Fonds située entre Mare Gaillard et Durivage à Ste-Anne. Certaines de ces plages sont aménagées pour accueillir les touristes (parkings, carbets, douches) : c’est le cas de Petit-Havre qui offre aussi un plan d’eau calme et peu profond et en fait une des plages privilégiées des touristes mais aussi des locaux qui viennent s’y détendre ou se réunir lors de repas festifs et autres moments conviviaux.
Toutefois, l’ensemble de ces plages est exposé à différents risques telles que l’afflux de radeaux de sargasses – algues brunes qui empêchent l’activité balnéaire et entraînent une pollution importante du littoral – mais aussi les tempêtes et cyclones qui ont des répercussions sur la végétation et le trait de côte. Celui de l’Anse Dumont-St Felix a reculé de plus de 60 m entre 1956 et 2004 contre 27 m en moyenne sur les côtes basses sablonneuses du Sud Grande-Terre. Tout comme à la pointe Saline, le sol meuble et la forte exposition à la houle de ces plages renforcent leur sensibilité face au processus d’érosion littorale.
C’est aussi le cas pour la plage de Petit-Havre dont la cause serait surtout climatologique. Peu protégées par un récif frangeant, des facteurs anthropiques (aménagement d’un port pour l’Anse Dumont, piétinement lié à la fréquentation mais aussi prélèvements sédimentaires pour la construction au XXe) renforcent cette vulnérabilité. Ce processus risque de s’aggraver avec le dérèglement climatique pour ces plages sablonneuses constituées de zones basses en arrière. Des travaux d’enrochement ont ainsi eu lieu en 2019 à la pointe reliant l’Anse Dumont à la plage de St-Felix pour en limiter l’érosion littorale.
Une urbanisation qui accompagne la touristicité gosiérienne
L’urbanisation progresse le long du littoral sur la majorité du trait de côte et accompagne la vocation touristique et balnéaire de la commune. Toutefois, l’urbanisation est différente entre le bourg de Gosier et les espaces périphériques de l’Est de la commune.
Nous pouvons voir sur l’image que l’urbanisation est très dense dans le bourg de Gosier et tournée vers la mer avec des habitations en haut de falaise, des commerces, restaurants et bars en bord de plage. En dehors du bourg, elle s’organise le long du principal axe routier (RN4 appelée communément « route de la Riviera ») avec des restaurants et le lycée hôtelier de St Felix qui consacre la dimension touristique du Sud Grande Terre. Les habitations concentrées entre cet axe et le littoral s’organisent selon la topographie et forment des zones plus ou moins diffuses d’habitation. Ainsi, les zones protégées (mares et salines), les mornes ainsi que les coupures d’urbanisation imposées pour conserver « des espaces naturels de respiration », comme à Petit Havre, permettent d’aérer l’urbanisation mais conduisent aussi à sa densification sur les espaces déjà bâtis comme à Périnet, Anse Vinaigri ou Mare Gaillard.
Le bâti est lui aussi différent selon les zones : ancien et spontané à l’ouest et dans le centre-bourg, il est concerné par des opérations de réhabilitation et rénovation (RHI, assainissement, …) qui entraînent la réalisation de constructions récentes en dur. Le bâti est plus récent et d’un meilleur standing à l’est, comme en amont de l’Anse Vinaigri et le long du littoral qui la relie à Périnet. Nous pouvons y observer la présence de pavillons et résidences de standing qui se trouvent être ornées d’une végétation importante (palmiers, bougainvilliers, arbres du voyageur, …). Certains des habitants profitent de la localisation de leur habitation pour faire du logement saisonnier et accueillir des touristes, ce qui participe au dynamisme touristique de la commune.
Si le trait de côte est un élément organisateur de l’urbanisation, nous pouvons voir sur l’image que c’est surtout le réseau routier qui impacte l’urbanisation mais aussi la fréquentation/saturation des sites touristiques. En effet, l’axe central concentre les constructions et avec les habitations mais aussi les services. Surtout, l’accès unique aux plages de St-Felix, Petit-Havre ou Morne à Jacques, depuis la route de la Riviera entraîne des difficultés pour circuler mais aussi stationner aux abords de ces plages.
Des conflits d’usage et des limites
Le réseau routier concentré autour de l’axe principal de la Riviera est la source de forts embouteillages le long de la Riviera dans le cadre des mobilités pendulaires avec l’agglomération pointoise. La congestion se renforce autour des nœuds principaux de cet axe comme aux entrées du bourg du Gosier par exemple. Des travaux d’aménagements routiers ont ainsi été réalisés récemment avec la création de deux ronds-points pour fluidifier le trafic à Dampierre entre les flux qui proviennent du bourg, de l’Est de la Riviera ou des Grands Fonds. Mais l’axe principal et l’entrée Ouest de Gosier restent fortement saturés et entraînent des stratégies de contournement par les axes secondaires intérieurs. A cela s’ajoute la pollution visuelle le long de la RN4 particulièrement à Mare Gaillard, centre névralgique entre le littoral et les Grands Fonds, où les panneaux publicitaires sont nombreux.
Cette saturation s’explique aussi par le dynamisme démographique de cette zone avec une forte pression urbaine autour de l’axe principal et du littoral comme nous pouvons voir sur les portions reliant Périnet à Dampierre et Mare Gaillard à Simonet. Cette pression urbaine porte atteinte à l’environnement puisque la construction de lotissements et résidences s’est réalisée par terrassement et remblais au détriment des prairies et mornes boisés comme dans les sections de Dunoyer-Dampierre. Nous pouvons voir aussi dans le secteur d’Anse Vinaigri que la pression urbaine crée un mitage qui nuit ainsi à la lecture des paysages naturels. Ce mitage peut aussi se voir à Petit Havre avec la création de coupures d’urbanisation qui permettent ici de protéger une partie des paysages de la côte via le maintien d’espace naturel de respiration.
Si, sur l’image, seules St-Felix et la Pointe Saline ont réussi à conserver une unité paysagère forte du fait d’une protection accrue de leurs écosystèmes, une grande partie du littoral bénéficie pourtant d’une protection sensée le protéger et en limiter l’artificialisation. Le Conservatoire du Littoral a ainsi acquis et gère avec l’aide d’autres acteurs (ONF, collectivités locales, …) l’îlet du Gosier, St-Felix, la Pointe Saline ainsi que le trait de côte reliant Petit-Havre à l’Anse à Saints en direction de Ste Anne. Les zones de St-Felix-Anse Dumont-Salines sont de plus classées ZNIEFF en raison de leur richesse aquatique, floristique et faunistique. Cette protection a toutefois ses limites puisque certaines plages ne sont pas protégées (ex : la plage du bourg).
Surtout, cette protection, concentrée sur des zones bien précises, n’empêche pas l’aménagement et le développement d’activités aux abords ce qui affecte ces littoraux protégés et perturbent les transferts sédimentaires. Ainsi, l’aménagement d’un port de pêche à l’Anse Dumont en 2008 et de digues avait été contesté par l’ASFA (Association pour la Sauvegarde et la réhabilitation de la Faune des Antilles) pour son impact sur les écosystèmes de la zone humide et du rivage de St-Felix.
Enfin différents conflits d’acteurs et d’usage liés à l’attractivité touristique et de loisirs du Gosier peuvent opposer habitants, bars-restaurants principalement à la « Datcha » (plage du Bourg) pour des raisons de nuisances (sonores par exemple). Cependant, le principal conflit concerne l’emprise spatiale de ces services sur la plage du bourg et le flou existant entre le domaine privé (revendiqué par les restaurateurs) et le domaine public maritime en lien avec la loi Littoral de 1986. La destruction du bar-restaurant « le Karissima plage », démoli sur décision de justice pour occupation illégale du domaine public maritime en 2017 dépasse l’opposition entre le restaurateur, la municipalité de Gosier qui avait obtenu un arrêté d’expulsion et l’Etat puisque un comité de soutien avait été créé par les habitants de Grand-Baie (Zoom 1) pour faire front commun contre les menaces d’expulsion de la mairie du Gosier. Toutefois, des tensions liées à l’empiètement d’autres restaurants sur la plage persistent puisque des habitants, réunis en collectif, s’y sont opposés en 2018. Ils réclamaient un libre-accès et déplacement à et sur cette plage alors que la loi Littoral impose que doit être laissée libre de toute occupation, une bande de trois mètres entre la dernière vague et la plage. La municipalité a adopté une convention de gestion et des arrêtés pour en contrôler l’occupation.
En somme, le littoral de Gosier se démarque par une forte touristicité qui impacte le dynamisme de la commune mais favorise aussi les tensions environnementales et les conflits d’acteurs.
Les Grands Fonds un espace en mutation
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Un paysage atypique en apparence homogène
L’image montre une vue centrale du territoire des Grands Fonds. Le cœur du massif représente bien ce territoire escarpé, composé de mornes très pentus, de versants abrupts et de cuvettes. Toutefois si le relief est d’apparence homogène, il cache en réalité de nombreuses singularités topographiques. Sur l’image satellite nous distinguons deux types de particularités morphologiques séparées par la RD 104. D’un côté nous voyons les grands paysages de crêtes et de l’autre des paysages de fonds de vallée. Plusieurs stades d’occupation par l’homme sont remarquables dans ce milieu :
Les Grands Fonds des « coulées » ou des fonds de vallée concernent la grande partie Ouest et centrale de l’image satellite. Les vallées profondes ont subi une urbanisation ancienne et importante, surtout au Sud. La concentration urbaine occupe les fonds de vallée en général, même si la pression foncière amène des développements sur les crêtes ou en versant des mornes. C’est également une urbanisation linéaire, c’est-à-dire que la plupart des axes routiers sont accompagnés d’un alignement plus ou moins continu de constructions, presque toujours destinées à l’habitat individuel.
Au Nord-Ouest, les mornes sont plus espacés et permettent à l’urbanisation de s’agglomérer sur des terrains plats. Aussi, le contact direct avec le centre bourg des Abymes justifie les densités plus importantes (jusqu’à 900 unités bâties au km2). Dans cette partie des Grands Fonds, les espaces naturels sont plus réduits.
- Les Grands Fonds des crêtes marquent la majeure partie Est de la photographie. Ici, l’urbanisation se concentre sur les crêtes le long des voies de communication orientées Est-Ouest : la RD 102 et la RD 105. Toutefois elle reste soumise aux contraintes du relief et à la largeur de la crête : parfois la route est longée par deux rideaux bâtis de part et d’autre, parfois sur un coté uniquement. Bien sûr, cette organisation spatiale en crête est générale et certaines voies secondaires y dérogent, descendant exceptionnellement en fonds de vallée. Globalement, ce secteur est moins densément bâti qu’à l’Ouest de la photographie satellite, excepté la frange Sud qui est très urbanisée. En effet cette zone subit la conurbation de Pliane à Mare-Gaillard et se situe à proximité immédiate de la RN 4 et du centre-ville du Gosier. Entre ces crêtes urbanisées, le territoire est plus rural.
Cette organisation du territoire a toutefois des limites. En effet, depuis quelques années la pression foncière amène les développements sur les crêtes ou sur le versant des mornes qui jusque-là étaient préservés. Le relief resserré oblige les nouvelles extensions urbaines à entamer ses flancs. La densification accrue se traduit par l’agglomération de bâti dans certains espaces : les lotissements ont pris le pas sur l’urbanisation linéaire. Cela est particulièrement visible dans le secteur de Cocoyer. De plus, la dissémination du bâti favorise l’extension des voies de desserte et les accès privés, souvent en impasses, rendent complexe la lecture du réseau. En effet, l’urbanisation de dernière génération s’est développée en grande partie autour de ses voies sans issue. Ces appendices sont bien souvent des chemins non carrossables ou bétonnés qui donnent accès à des parcelles reculées et difficilement accessibles. L’accaparement de ces voies est un vecteur de l’émiettement urbain des Grands Fonds. Ce phénomène est plus marqué à proximité des pôles urbains. La périphérie des Abymes en particulier est soumise depuis plusieurs décennies à des mutations importantes liées au processus de périurbanisation du territoire.
Une façon « d’habiter » en évolution
L’urbanisation croissante des Grands Fonds a également entrainé une mutation dans la façon de l’habiter. Aussi l’habitat traditionnel, issu de la conquête initiale des Grands Fonds, disparaît. Cela permet l’intrusion de nouveaux modes d’habiter pour lesquels le contexte rural constitue une opportunité. Cette mutation d’usages, amorcée dès le début des années 1970, se traduit par l’abandon progressif des anciennes cases attenantes aux jardins créoles, symbolisant la rupture avec les modes de vie traditionnels. En même temps, les villas qui s’imposent dans le paysage transcrivent l’arrivée de populations en provenance d’un milieu urbain qu’elles ont désaffecté au profit d’un meilleur cadre de vie. Les Grands Fonds sont en effet apparus comme une opportunité foncière majeure, offrant des alternatives confortables au « tout urbain ». Un cadre de vie, une meilleure tranquillité et des prix des terrains intéressants sont autant de facteurs qui ont motivé bon nombre d’habitants à s’établir dans le massif.
Ancien grenier vivrier de la Grande Terre, les Grands Fonds ont en effet modifié leur usage depuis plusieurs décennies. Sur l’image satellite on distingue des carrés de cultures légumières et des prairies d’élevage dans la partie Est. Celles-ci, toutefois, sont moins le fait d’agriculteurs véritables que de polyactifs ayant des activités professionnelles autres que l’agriculture. Les pratiques agricoles qui subsistent sont, toutefois, un témoin du passé. Elles participent désormais à l’entretien des valeurs du paysage et d’une certaine manière, sont garantes de l’équilibre espaces agricoles/espaces naturels que l’homme, à travers ses pratiques traditionnelles, a su maintenir notamment par une culture sur brulis raisonnée. L’élevage permet lui aussi de maintenir une certaine ouverture du paysage et d’entretenir les fonds enherbés.
Aujourd’hui, les modes de vie s’éclatent sur des surfaces nettement plus vastes. Lieux de travail, d’habitat, de loisirs ...etc., sont localisés à différents endroits du territoire. Cela amène la population à une progressive dépendance aux moyens de transport. Au-delà des infrastructures routières très onéreuses, la diffusion des canalisations d’eau potable, d’assainissement et autres apporte de nouvelles problématiques de rentabilité et d’extension de réseaux. D’autre part, un tissu urbain plus relâché rend complexe la mise en place d’un réseau de transport efficace. Il en est de même pour la localisation des services et des commerces qui se trouvent éloignés des foyers d’habitat disséminés. De plus, les Grands Fonds sont confrontés à des dysfonctionnements pas seulement liés aux réseaux mais bien à la qualité du cadre de vie et à l’accessibilité des services de santé, d’éducation et de culture, d’accès à l’eau et à internet. Les inégalités se développent du fait de l’isolement de certaines zones par rapport aux services ou à leurs moyens d’accessibilité.
Les Grands Fonds se présentent comme un espace périurbain sur lequel les influences des centres économiques et touristiques sont à l’œuvre. De ce fait, on en est réduit aujourd’hui à résider dans les Grands Fonds plutôt qu’à y vivre réellement. Les questions des densités urbaines sont une problématique complexe à laquelle d’autres thématiques doivent être raccordées. On constate que les implantations humaines d’antan montraient elles aussi des configurations très éparses. Cependant, les modes de vie étaient fondés sur des principes de proximité : l’eau, la nourriture, les relations sociales étaient regroupées sur des périmètres restreints. Les réseaux se résumaient alors aux chemins et quelques rares routes de liaison avec les centres.
Une conséquence de l’urbanisation : l’érosion du massif par l’exploitation de tuf
Les Grands Fonds représentent, à plus d’un titre, un espace remarquable par ses richesses naturelles, notamment pour ses ressources géologiques. Cependant ce territoire est depuis plusieurs décennies soumis à une forte pression liée à l’extraction de tuf. Ce matériau est très utilisé dans le cadre du BTP et l’accessibilité aux mornes permet une exploitation facile. Ce phénomène d’extraction commence réellement à la fin des années 1960, et de nombreuses carrières s’ouvrent alors sur les flancs des mornes des Abymes. A l’époque, le remblais extrait est acheminé vers la mangrove pour l’allongement de la piste d’aviation du Raizet.
Sur l’image satellite de nombreuses traces blanches sont visibles, elles symbolisent en réalité des carrières de tufs. Ici ce n’est pas l’ampleur de chaque carrière qui est problématique, un grand nombre d’entre elles étant assez circonscrites. C’est davantage la répétition des petites carrières (pas toujours légales), à flanc de mornes (surtout dans la partie Ouest et Sud), qui rend ces sites d’extraction problématiques. En 2012 seules douze carrières sont légales dans les Grands Fonds, dont la moitié sur le seul territoire des Abymes. Sainte-Anne compte quatre carrières d’extraction de tuf calcaire, Gosier une seule. Toutefois, à côté des carrières autorisées, le paysage des Grands-Fonds est ponctué de sites clandestins d’extraction de matériaux, développés à l’écart des voies et suffisamment masqués dans le paysage pour n’être repérables que par voie aérienne, comme c’est le cas sur l’image satellite.
Ensemble, ces carrières, légales et illégales, opèrent un véritable mitage des Grands Fonds. Le phénomène est directement lié à l’urbanisation de cet espace. En effet, la croissance démographique provoque une augmentation des besoins de tufs calcaires. Sur la période 2015-2020, elle devrait atteindre un million de tonnes par an. L’exploitation de tuf est un processus qui met en péril le milieu écologique surtout lorsqu’il est associé au processus d’urbanisation. La végétation naturelle peine à recoloniser ces parois verticales. La présence du bâti s’en trouve considérablement renforcée.
Qu’il s’agisse de carrières illicites ou de terrassements conséquents, les impacts environnementaux et paysagers sont importants dans des secteurs pour la plupart mal préparés en termes de réseaux et d’équipements. Trop souvent, quand une carrière est abandonnée, elle devient une décharge, notamment de carcasses de VHU (véhicules hors d’usage) et autres déchets (gravats, ferrailles et ordures ménagères) avec tous les inconvénients que cela comporte : défiguration des lieux, possible pollution de la nappe phréatique par le lixiviat ou par les métaux lourds, etc. Ainsi le site de Caraque est aujourd’hui laissé en friche. A Pliane, l’urbanisation s’y est invitée, les constructions sont inscrites à proximité de versants abrupts augmentant le risque d’éboulements et de glissements de terrain.
Pourtant, des solutions existent pour que les carrières intègrent un développement harmonieux du territoire, au moyen d’études morphologiques des sites d’extraction et de mesures de limitation de certaines extensions, par des modes d’exploitation adaptés, ainsi que des travaux de cicatrisation écologique et paysagère.
Sainte-Anne une station balnéaire entre développement et changement climatique
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La « touristification » du littoral de Sainte-Anne
Ancien port de pêcheurs, la commune bénéficie d’une touristification de son littoral depuis les années 1980. C’est d’abord par la grande hôtellerie internationale que débute la mise en tourisme de Sainte-Anne. Le « cliché » touristique atteint son paroxysme sur la plage de la Caravelle, visible sur l’image satellite, au-devant des installations touristiques du Club Méditerranée. Puis ce sont des résidences secondaires, des résidents aisés travaillant dans l’agglomération de Pointe-à-Pitre, et des gîtes qui s’installent sur le littoral saintannais. Cela entraine le développement du secteur de la restauration, de la location de voitures et des entreprises qui proposent des excursions en mer. Ainsi, le bourg de Sainte-Anne est organisé pour l’activité touristique, concentrée autour du boulevard maritime où le traitement de l’espace public devient plus sophistiqué (plantations, mobiliers urbains, etc.), loin du statut de route nationale de cette voie (RN 4).
Sur l’image satellite on distingue, au centre, la plage du bourg et des équipements à vocation touristiques : jeux et bases nautiques, cafés et restaurants de plage, marché artisanal proposant des productions locales et divers services. Il y a également un site de l’autre côté du boulevard maritime, accueillant des magasins d’artisanat et de produits locaux qui intériorise cette centralité. En effet, de part et d’autre, le long du front de mer, les magasins de souvenirs et de vêtements de plage, de restauration rapide remplacent peu à peu l’appareil commercial traditionnel (épicerie) et l’habitat ancien… Les petites cases traditionnelles ne répondant plus aux normes de confort disparaissent. Un dernier marché artisanal dédié au tourisme assure la jonction entre la zone hôtelière et le bourg.
Les activités et les aménagements liés à la pêche, qui constituaient l’essentiel de l’occupation du front de mer, ont été regroupés à la marge du bourg, autour d’un petit port accueillant les canots de pêche et les catamarans qui effectuent des sorties en mer. À la zone hôtelière, qui occupe l’ouest de l’image satellite, répondent les petits hôtels, les entreprises proposant une dizaine de bungalows et les résidences secondaires qui s’étendent en bordure de mer à l’Est du bourg. Ce passage d’un lieu tourné vers la pêche aux fonctions ludiques et touristiques est pleinement approprié par les habitants, qui y développent toutes les pratiques de plage standard : baignade, natation, aquagym, longe côte, promenade, sans oublier les pratiques locales des déjeuners et des repas familiaux en bord de mer.
La « cartepolisation » du territoire par la mise en tourisme de l’arrière-pays
Loin de se cantonner aux richesses du littoral, les guides touristiques mettent aussi en avant les multiples éléments liés à l’identité cannière, dans l’arrière-pays. Ils citent unanimement les vestiges de moulins à vent, caractéristiques de la Grande-Terre en général et particulièrement nombreux sur ce territoire. La commune possède d’autres visages paysagers en plus de la bande littorale : les Grands-Fonds à l’Ouest et les plateaux de l’Est. L’organisation de ces différents territoires est visible sur l’image satellite.
Les Grands-Fonds de Sainte Anne représentent 49% du territoire de la commune. Ils offrent d’autres perspectives liées à la touristification du territoire. Ils occupent la partie Ouest de l’image satellite. La végétation y est plus sèche (avec de nombreux taillis d’épineux : Acacias, Campêche…). Cela joue un rôle prépondérant dans la spécificité de l’ambiance de ce secteur. Le relief est plus doux également, favorisant une plus grande ouverture visuelle des paysages amplement déboisés où les prairies pâturées constituent un motif récurrent. Plusieurs sentiers permettent de découvrir cette zone et participent à un tourisme plus vert.
De même reconnaissables sur l’image satellite, les plateaux de l’Est, reposent sur un socle calcaire plus jeune que celui des Grands-Fonds. L’érosion a creusé ponctuellement le socle calcaire au niveau de petites dépressions appelées « dolines ». Le cœur de ces dolines est souvent occupé par une mare. Leur présence répétitive est un trait identitaire. Ces sols fertiles ont donné lieu à une culture presque exclusive de la canne à sucre, dès le début du XVIIIe siècle, créant un paysage cannier où se dressent encore de nombreux moulins, témoins directs de ce passé sucrier. Cette culture est restée très pérenne à travers les siècles puisque c’est la principale production agricole de la région encore à ce jour. Ces paysages participent à une patrimonialisation concrète du territoire.
Cet élargissement vers d’autres pôles touristiques est symptomatique de la mutation du tourisme dans les DROM. Les plateaux de l’Est de Sainte-Anne sont en effet révélateurs de l’évolution des territoires du tourisme aux Antilles : longtemps cantonné dans quelques lieux fonctionnant parfois en bulles touristiques (Club Med par exemple), le tourisme se diffuse pour répondre à la concurrence des autres îles de la Caraïbe.
Les problématiques de l’environnement
La diversité, l’originalité et l’intégrité des paysages de Sainte-Anne sont donc des richesses inestimables en matière de valorisation touristique, qu’il faut impérativement préserver pour le maintien et le développement de ce secteur.
Toutefois, entre 1950 et 2013, la commune de Sainte-Anne a perdu 50 mètres de plages soit 9 000 m2 dont 2 500 m2 sur la seule plage de la Caravelle (en recul de 40 mètres). La vulnérabilité de la commune repose sur la localisation du bourg-centre (partie rouge sur l’image satellite), des équipements publics et des routes qui, en quasi-totalité, sont en zone basse et proches du rivage. La bande littorale est en effet marquée par un fort recul du trait de côte. La plage du bourg, poumon économique et touristique de la commune, a reculé de 120 mètres entre 1955 et 2010. Plusieurs projets sont à l’œuvre pour ralentir le phénomène, même si ce n’est pas conforme à la carte postale « sable blanc et cocotiers » : optimisation de la gestion de la végétation par des plantes dont le système racinaire permet de capter et maintenir le sable, rechargement en sable, suppression des stationnements et de la circulation sur la route littorale qui serait rendue piétonne (sauf exception pour les riverains), les zones basses seraient en outre progressivement débarrassées de l’urbanisation spontanée qui s’y est développée au cours des années, au profit d’espaces naturels et de parcs urbains à la disposition de tous.
Au-delà de cette action sur la bande côtière, il est prévu une recomposition ambitieuse de l’urbanisation elle-même. En effet, la bande littorale, est étroite et très urbanisée, du fait de la demande pour le tourisme, mais aussi la demande en résidences principales pour les retraités, ainsi que les résidences secondaires. Cette demande est concentrée sur les bords de mer, avec une préférence pour les maisons avec vue. Ces constructions, surtout dans la zone de Ffrench et de Le Helleux qu’on distingue sur l’image satellite, engendrent une discontinuité urbaine. Le modèle architectural dominant de l’habitat pavillonnaire construit au milieu de sa parcelle, génère en effet un tissu urbain lâche et sans continuité avec le reste du bourg (généralement dense).
Dès lors, le paysage urbain devient moins lisible, puisqu’il présente des caractéristiques moins homogènes, moins clairement identifiables. De plus, ces nouvelles zones urbanisées, secteur de Douville et Châteaubrun à l’Est de l’image satellite, s’équipent simultanément en zones de services et centres commerciaux. Ce phénomène d’extension (aussi appelé « rurbanisation ») finit par former un paysage désorganisé où s’entremêlent zones d’habitations pavillonnaires et zones d’activités. Cette tendance à l’urbanisation ponctuelle est génératrice de pollution et de nuisances qui peuvent affecter la faune et la flore locales : intrusion anthropique dans les milieux naturels accueillant la faune et la flore locale, assainissements individuels mal contrôlés, mauvaise gestion des déchets allant parfois vers la création de décharges sauvages multiples réparties sur l’ensemble du territoire, etc...
Documents complémentaires
Autres ressources sur le site GeoImage
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Éléments de bibliographie et sitographie
Atlas des paysages de l’archipel Guadeloupe, DEAL Guadeloupe, 2013, modifié 2018.
http://www.guadeloupe.developpement-durable.gouv.fr/consultez-l-atlas-de...
Dynamique actuelle des côtes de la Guadeloupe et ses dépendance", rapport "BRGM/RR-31176-FR, P. Lacassagne, juillet 1990.
Gestion et développement Équilibre du littoral guadeloupéen, États des lieux, Rapport de Phase 2", Direction Départementale de l'Équipement de la Guadeloupe, septembre 2008
Évolution et dynamique du trait de côte de l'archipel guadeloupéen, étude de 1956 à 2004, Rapport final", BRGM/RP-58750-FR, juillet 2010
conservatoire-du-littoral.fr : http://conservatoire-du-littoral.fr/
faune-guadeloupe.fr : http://faune-guadeloupe.fr/
villedugosier.fr : http://villedugosier.fr/
Image complémentaire
Cette image de la Guadeloupe dans la mer des Caraïbes a été prise par le satellite Sentinel 2A le 27 janvier 2020. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
Contient des informations ©
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Contributeur
Jonathan Fieschi, professeur, Lycée Jardin d’Essai, Les Abymes.
Ericka Mephara, professeure, Collège du Raizet, Les Abymes.