États-Unis - Nouveau Mexique/Texas : le bassin permien au cœur de la révolution du gaz et du pétrole de schiste

En vingt ans, les États-Unis ont connu une véritable révolution énergétique avec l’essor du gaz et du pétrole de schiste lié à deux innovations majeures : la fracturation hydraulique et les forages horizontaux. Celle-ci a permis un boom historique de la production comme des réserves d’hydrocarbures. Surtout, au plan géostratégique, les États-Unis sont aujourd’hui devenus totalement autonomes, voire exportateurs, et se hissent à hauteur de l’Arabie saoudite ou de la Russie comme grand producteur mondial. Dans ce contexte, le bassin permien - à cheval sur le Texas et le Nouveau Mexique et qui fut le bastion historique de la famille Bush - se place au cœur du système énergétique en produisant 60 % du pétrole et 22 % du gaz national. L’espace, l’économie et la société en sortent profondément bouleversés. Dans cet ancien Nouveau Monde, ce nouveau cycle minier spéculatif porté par le culte du dollar va pourtant totalement à l’encontre d’un développement plus durable tant ses effets sont considérables.

 

Légende de l’image

 

Cette image de la région de Hobbs, dans la région de Rolling Plains et dans la vallée de la rivière Clear Fork Brazos, a été prise par le satellite Sentinel-2A le 12 septembre 2021. Il s'agit d'une image en couleur naturelle et la résolution est de 10m  

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Repères géographiques

 

 

 

Présentation de l’image globale

La révolution du gaz et du pétrole de schiste dans deux « Energy States » : un profond bouleversement territorial

Les régions de hauts plateaux arides et désertiques du Centre-Sud

Nous sommes ici dans le Centre-Sud des États-Unis dans une région partagée entre le Nouveau Mexique à l’ouest et le Texas à l’est par une frontière tracée au cordeau, comme très souvent aux États-Unis. Cette frontière nord/sud est aussi la limite entre deux fuseaux horaires : le Central Standard Time à l’est, le Mountain Standard Time à l’ouest. Cette grande région est organisée au plan topographique comme un vaste escalier d’organisation méridienne qui descend de l’ouest vers l’est, où s’étendent les plaines littorales du golfe du Mexique.  

Un système étagé. A l’ouest se déploie en effet le piémont des Sacramento Mountains - hors image - qui annoncent les Montagnes Rocheuses en culminant à 3.073 m et qui séparent les bassins du Pecos et du Rio Grande.  Facilement repérable, on trouve ensuite la vallée du Pecos qui coule nord-ouest/sud-est pour rejoindre hors-image le Rio Grande qui marque la frontière avec le Mexique tout proche. Alors que tous les grands axes logistiques de la région sont globalement d’orientation ouest/est, le Pecos est ici un des rares grands axes nord/sud. Au plan tectonique et topographique, la région en grisé au centre de l’image sur la frontière mexicaine aux couleurs grises correspond à un horst, un terme qui définit un bloc de terrain soulevé entre deux dépressions  

On trouve ensuite la vaste écharpe des hauts plateaux du Llano Estacado qui sont perchés entre 800 et 1.800 m. et qui couvrent presque toute l’image. Ils accueillent des grandes cultures irriguées lorsque l’eau est disponible, des élevages stabulés d’embouche qui engraissent les animaux avant leur livraison aux abattoirs et des champs de coton, la région étant le premier pôle producteur du pays. Dans cet espace la concurrence pour l’eau entre agriculture irriguée et production d’hydrocarbure est de plus en plus sensible, au détriment des cultures - moins rentables - qui reculent à certains endroits fortement.

Aridité, montées des tensions et évolutions climatiques. Dans cet espace, la compétition pour l’eau est en effet féroce car la région appartient à l’écharpe des hautes terres désertiques qui coure le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Ce climat semi-aride se caractérise par des étés longs, chauds avec 32°C en juillet - et 40 °C à Midland - et secs et des hivers froids. Surtout, les précipitations sont limitées, moins de 460 mm par an, et la ponction de l’évapotranspiration importante. Dans le comté de Loving au sud-ouest de l’image, on tombe à seulement 254 mm par an, à Kermit à 300 mm. La région connait des cycles de sécheresse récurrents : 1900, années 1950 (1951, 1954, 1956), 1996, 2000, 2011/2013. Ceci explique en particulier que le débit annuel de la rivière Pecos soit extrêmement variable, de 1 à 8.

La sensibilité croissante des populations et des économies aux épisodes de sécheresse et les grandes questions posées par le changement climatique se sont traduites par un essor ces dernières décennies des recherches météorologiques. Dans la région, trois grands systèmes météorologiques sont aujourd’hui de plus en plus intégrés dans l’étude des évolutions du fait de leur impact sur les dynamiques du climat régional : El Niño/La Niña dans le Pacifique équatorial central et centre-est, l'Oscillation Décennale du Pacifique - PDO entre l'océan Pacifique oriental et occidental et enfin l'Oscillation Multidécennale Atlantique - AMO dans l'océan Atlantique.

Dans ce contexte, le Texas et son Texas Water Development Board - TWDB ont été contraints en 1997 de créer seize aires de planification hydrologique afin de gérer au mieux la montée des tensions entre territoires et entre acteurs et d’engager des réflexions stratégiques via des State Water Plan. Pour autant, on peut constater qu’au niveau méthodologique, et au-delà politique, une large partie de la consommation d’eau de l’industrie pétrolière n’est pas prise en compte dans les statistiques locales et régionales, et est donc largement sous-évaluée.   

Une région sous-peuplée. Du fait des fortes contraintes, naturelles, nous sommes là dans une région désertique et sous-peuplée. Sur l’image, la densité moyenne est de seulement 8 hab./km2, en intégrant les deux métropoles régionales de Midland et Odessa situées au sud-est de l’image et qui polarisent la moitié de la population régionale. Si on enlève ces deux pôles urbains la région tombe à 4 hab./km2. On tombe même dans l’angle sud-ouest vers le Mexique à 3 hab./km2 dans le comté de Winkler autour de Kermit, à 2 hab./km2 dans celui de Reeves, à 0,2 hab./km2 au sud dans le comté de Culberton et à 0,003 hab./km2 dans celui de Loving. Même dans l’angle nord-est dans lequel les cultures irriguées sont plus nombreuses, les densités vont de 5 à 6 hab./km2.

Dans ce contexte, les petites villes polarisent une grande partie de la population de leur comté face à des campagnes désertes : 84 % pour Kermit dans le comté de Winkler, 75 % pour Andrew dans le comté éponyme, 73,5 % pour Roswell dans le comté de Chaves ou 51 % pour Carlbad dans le comté d’Eddy.   

Région frontalière et présence latino. Historiquement, la guerre de conquête de 1846/1848 contre le Mexique qui s’achève par le Traité de Guadalupe-Hidalgo permet aux États-Unis de s’emparer de toutes les terres en rive gauche, ou au nord, du Rio Grande du Texas et du Golfe du Mexique à la Californie et donc l’océan Pacifique. A ce conflit succèdent les guerres indiennes, en particulier contre les Apaches et les Comanches dans la région. Si le Texas est constitué en État fédéré dès 1845, il faut attendre 1912 pour le Nouveau-Mexique. Nous sommes ici à seulement 150 à 200 km à vol d’oiseau de la frontière mexicaine. Cette intégration et cette proximité y expliquent l’importance de la population d’origine latino-américaine, en particulier bien sur mexicaine : 38 % à Midland, comme au Texas, et 43 % à Carlsbad, mais 48 % à Seminole, 52 % à Livington et 62 % à Hobbs.  

La vallée du Pecos : pression sur les ressources en eau et conflits hydrogéopolitiques

L’eau est donc rare et l’irrigation indispensable pour la culture face à des zones d’élevages extensifs ou vides. La pression sur les ressources en eaux ne cesse donc de croitre face à l’explosion des besoins de la population et des activités économiques de plus en plus en concurrence, en particulier entre agriculture et production d’hydrocarbures.

Le Pecos : un fleuve asséché. Servant au XIXem siècle de limites symboliques entre l’Est et les territoires ouverts à la conquête de l’Ouest, le Pecos est aujourd’hui devenu emblématique de l’exacerbation des conflits hydrogéopolitiques entre collectivités territoriales et acteurs économiques aux États-Unis. Prenant sa source à 3.700 m. d’altitude, il est long 1.490 km et draine un bassin de 115.000 km2 ; mais son débit moyen n’est que plus que de 7,5 m3/s à la station de Langtry au Texas, située près de sa confluence avec le Rio Grande. En un siècle, sa vallée a en effet été équipée de nombreux barrages pour l’irrigation agricole, les besoins urbains et la production électrique : Santa Rosa Lake, Sumner Dam, puis sur l’image Avalon Dam et Brantley Dam près de Carlsbad ou Red Bluff Dam. Construit à 861 m d’altitude en 1936, ce dernier permet la création du Red Bluff Reservoir qui alimente 4.530 ha. irrigués. Le débit du fleuve est suivi par l’United States Geological Survey - USGS fédéral et la Water Resources Branch. Celle-ci entretient 31 appareils d'enregistrement permettant d’avoir une bonne connaissance des apports d’eau sur tout le bassin et d’administrer de manière fine les droits sur les eaux de surface dans le PVSWD.

La rivalité hydrogéopolitique entre États fédérés. Les rivalités pour le partage de ses eaux entre les États fédérés du Texas et du Nouveau Mexique sont tranchées en 1948 par le gouvernement fédéral à travers le « Pecos River Compact » après un décret de la Cour suprême des États-Unis, modifié en 1988. En mars 2003, le Pecos Settlement Agreement - PSA est un nouvel accord de gestion et de partage signé entre les États-Unis, l’Interstate Stream Commission, le Carlsbad Irrigation District et le Pecos Valley Artesian Conservancy District. Enfin, à l’échelle locale existent des Water Rights District. Celui de Roswell doit, par exemple, administrer les droits des différentes collectivités territoriales : Capitan, Carlsbad, Causey Lingo, comté de Curry, Fort Sumner, l’Hagerman Canal, Hondo, Jal, le comté de Lea, Peñasco, Portales et le Roswell Artesian Underground Water Basin.

 

Eau et hydrocarbures. Le développement du pétrole et du gaz de schiste exige beaucoup d’eau du fait de la fracturation hydraulique : on compte en moyenne trois à quatre litres d’eau pour extraire un litre de pétrole. Les études soulignent ces dernières années une explosion de la consommation d’eau qui aboutit à l’épuisement des eaux souterraines dans certaines régions semi-arides, comme par exemple dans une partie du gisement d’Eagle Ford. A ceci s’ajoutent les potentielles pollutions des nappes phréatiques et des aquifères lors du creusement des milliers de puits lorsque ceux-ci ne sont pas suffisamment étanches entre les couches géologiques traversées. A l’ouest, entre Rosswell et Carlsbad, les eaux de la Pecos sont surexploitées. A l’est de l’image, les terres irriguées qui mobilisent les eaux de l’aquifère des Hautes Plaines, le High Plains Aquifer - HPA, dit d’Ogallala dont c’est ici la terminaison méridionale, sont en pleine crise hydrique comme en témoigne le fort recul des surfaces agricoles irriguées ces dernières décennies.   


Doc 1. Texas/Nouveau Mexique : le fort recul des surfaces irriguées
ces deux dernières décennies

 

 

 

La militarisation du désert durant la Guerre froide et ses héritages avec la « nuclear alley »

Comme dans toute une partie de l’Ouest des États-Unis, avec par exemple les laboratoires de Los Alamos au Nouveau Mexique, ces régions arides et désertiques sous-peuplées ont été fortement militarisées durant la Guerre froide. La « nuclear valley » qui accueille aujourd’hui deux sites d’enrichissement ou de stockage de produits nucléaires témoigne de la vivacité de cet héritage.

Roswell et ses missiles balistiques. La ville de Roswell fut longtemps un important pôle militaire. L’US Air Force y installe une importante base en 1941 à 15 kilomètres au sud de la ville : elle accueille une école de pilotage pour les nouveaux bombardiers B-29 Superfortress qui vont jouer un rôle stratégique majeur en Europe comme au Japon. Le Roswell Army Air Field connait en particulier une heure de gloire inattendue en 1947 lorsque la base récupère les débris d’un présumé OVNI qui s’était écrasé à 120 km de la ville, près de Corona. A partir de ce qui devient pour certains « l’homme de Roswell », la ville continue depuis d’attirer dans ses musées et ses clubs certains touristes s’intéressant aux OVNI, aux extra-terrestres et autres « soucoupes volantes ».

Durant la Guerre froide, Roswell abrite surtout une des plus importantes bases du SAC - le fameux Strategic Air Command, qui y employa jusqu’à 5.000 militaires et 5.000 civils. L’économie locale en fut bouleversée. En novembre 1945, l’unité ayant largué les deux bombes atomiques sur le Japon y est ainsi transférée pour créer le 509th Bombardment Wing. Cette fonction aérienne fut complétée par l’installation entre 1961 et 1965 de silos abritant les premiers missiles balistiques intercontinentaux mis en œuvre au monde : les SM-65 Atlas de 121 tonnes, à ogive nucléaire unique et de 11.000 km de portée. La base militaire fut fermée en juin 1967 du fait de l’évolution des systèmes d’armes et de la réorganisation géographique des bases de missiles. Le site est transformé en aéroport civil et en nouvelle zone industrielle, le Roswell International Air Center (RIAC).

Le projet Gnome d’essai nucléaire sous-terrain. Du fait de son isolement, de son caractère désertique et de certaines spécificités géologiques, la région est choisie en décembre 1961 pour abriter le projet Gnome. Il consiste en l’explosion souterraine d’une ogive nucléaire de 3,1 kilotonnes dans un dôme de couches de sel gemme à 360 m de profondeur sur un site situé à 40 KM au sud-est de Carlsbad. Cet essai nucléaire sous-terrain s’inscrit alors en plein dans la course aux armements nucléaires entre l’URSS et les États-Unis.

Le WIPP - Waste Isolation Pilot Plant : le stockage des déchets nucléaires militaires. Aujourd’hui, ce centre de stockage accueille les déchets radioactifs à longue durée de vie, essentiellement au plutonium, produits par les laboratoires militaires des États-Unis, en particulier ceux de Los Alamos. Le site se trouve en pleine nature au nord-est de la ville de Carlsbad. Lancé en 1979 par le Département de l’Énergie et d’un cout de deux milliards de dollars, il est ouvert techniquement en 1993 et accueille ses premiers déchets en 1999. Couvrant 14 hectares en surface, ses galeries sont creusées à plus de 650 m. de profondeur dans des dômes de sel, une structure géologique stable et censée être imperméable. Sa capacité théorique d’accueil est de 173.600 m3 de déchets. Ce centre d’enfouissement devrait normalement être actifs jusqu’en 2070, la durée de vie des déchets étant évaluée à 10.000 ans. Il représente pour la région un impact économique considérable en employant un millier de personnes.  

Le WCS - Waste Control Specialists : le stockage de déchets nucléaires civils. Situé à l’est du WIPP et du Gnome Project, d’où l’expression de « nuclear alley » employée dans la région, le WCS est un centre de stockage et d’élimination de déchets radioactifs civils de faible et moyenne intensité provenant des centrales électriques, des universités et des académies de médecine. Il emploie 115 salariés. Au milieu d’une zone sous peuplée, le site valorise la présence géologique d’un vaste gisement d’argile rouge Dockum particulièrement imperméable. Il est situé dans le comté d’Andrews côté Texas à la limite de la frontière avec le Nouveau Mexique, à 8 km de la bourgade d’Eunice. Ouvert en 2012 et couvrant 57 km2, ce site est un véritable complexe réunissant cinq systèmes différents.

La National Enrichment Facility d’Urenco : un site d’enrichissement d’uranium. Cet établissement se trouve juste à côté du WCS, mais du côté Nouveau Mexique de la frontière. Cette usine d’enrichissement d’uranium du groupe Urenco de 230 salariés est ouverte en 2010. Le site peut fournir la moitié des besoins annuels en uranium enrichi des centrales nucléaires civiles du pays.

 

Le bassin permien : 60 % du pétrole et 22 % du gaz des États-Unis

Le bassin permien au cœur du système énergétique du pays. Mais le principal intérêt de cette image satellite est de couvrir le bassin permien, le Permian Bassin.  A cheval sur l’ouest du Texas et le sud-est du Nouveau Mexique, ce bassin géologique couvre 220.000 km², l’équivalent de 40 % de la surface de la France métropolitaine. Si les premiers puits exploitant des gisements conventionnels apparaissent dès 1926, ceux-ci sont peu à peu épuisés. Mais depuis une dizaine d’années, la région connait une nouvelle véritable ruée vers l’or noir grâce à la révolution introduite par le pétrole et le gaz de schiste.  

Le bassin permien est aujourd’hui l'une des plus grandes régions productrices d’hydrocarbures - pétrole et gaz - au monde et le premier des grands gisements étasuniens, devant ceux de Bakken, Marcellus, Fayetteville, Haynesville, Barnett ou Eagle Ford. En 2021, il réalise 60 %, de la production de pétrole, se hissant au 1er rang donc, et 21,5 % de la production de gaz, au 2em rang derrière les Appalaches.

Doc 2. La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis

 

 

 

La mise en valeur de ces gisements d’hydrocarbures bouleverse les économies régionales du Texas, de l’Oklahoma, de la Louisiane, du Colorado, du Wyoming, du Kansas et du Nouveau Mexique, qui deviennent des « Energy States ». Le Texas arrive au 1er rang pour la production et le Nouveau Mexique au 6em. Les hydrocarbures représentent dorénavant 74 % des recettes fiscales de l’Alaska, 43 % du Nord Dakota, 34 % du Wyoming et 15 % du Nouveau Mexique contre 4,4 % du Texas ; du fait d’une économie plus diversifiée et plus puissante, mais qui vient cependant au 2em rang pour les volumes financiers versés.

 

Un bassin composite. Le bassin permien est en fait géologiquement composé de nombreux gisements et réservoirs vastes et profonds contenant du pétrole léger et du gaz. Les trois principaux sont, présents pour partie sur l’image, le bassin du Delaware, qui réalise aujourd’hui la moitié de la production régionale, la plate-forme du bassin central et enfin le bassin Midland. Comme le montre bien l’image, ces champs comptent des milliers de puits en train d’être forés, actifs, en veille ou abandonnés. Selon la structure des formations géologiques, la profondeur des puits peut aller de quelques centaines de mètres à - 3.000 m de profondeur.


Une région pionnière des UOG : choix économiques, techniques et politiques. Historiquement, le bassin permien est une des régions pionnières dans la valorisation des gisements non-conventionnels, les « unconventional oil and gas », ou UOG. Ceci tient à la cohérence de choix à la fois économiques, techniques et politiques réalisés par des élites locales et régionales entretenant des liens symbiotiques. L’État du Texas et de grandes sociétés pétrolières financèrent ainsi conjointement de grands programmes de recherches géologiques, dans le cadre en particulier du programme STARR. Ces lourds investissements permirent de disposer d’une connaissance fine du gisement de Barnett Shale dans le gaz de schiste entre 2006 et 2010, d’Eagle Ford Shale dans le pétrole de schiste dans le sud du Texas entre 2010 et 2014, puis des formations Wolfcamp et Spraberry dans le bassin permien...

Doc 3. La structure géographique et géologique du bassin permien

 

 

 

 

L’État fédéré du Texas joue donc un rôle historique majeur dans le déploiement de cette nouvelle révolution. Le bassin permien et sa capitale, la ville de Midland, sont en effet le berceau d’origine de George H. W. Bush et George W. Bush et de leurs femmes. Il convient de rappeler que George H. W. Bush (1924/2018) fut membre de la Chambre des Représentants de 1967 à 1971, directeur de la CIA en 1976/1977, vice-président de Ronald Reagan de 1981 à 1989 puis 41e Président des États-Unis de 1989 à 1993. Son fils George W. Bush fut Gouverneur du Texas de 1995 à 2000 puis 43e Président des États-Unis de 2001 à 2009. Sur trois décennies - de 1981 et 2009 - , les Bush ont donc occupé les fonctions suprêmes durant vingt ans. Jamais dans l’histoire des États-Unis un telle conjonction entre un territoire, des intérêts économiques et le pouvoir de la première puissance mondiale n’a été avant et après réalisée. Ce phénomène correspond aussi historiquement à la vague néoconservatrice qui se lance au Proche et Moyen Orient puis en Afghanistan dans de nombreuses aventures militaires.   

Doc 4. La mise en valeur du Bassin permien : le rôle des programmes STARR au Texas,
les projets d’études géologiques 2018/2020

 

 

 

 

Grâce aux booms des hydrocarbures non-conventionnels qui réalisent 60 % de la production nationale de pétrole et 70 % de la production de gaz naturel, les États-Unis se sont hissés aujourd’hui parmi les trois grands producteurs mondiaux, aux côtés de la Russie et de l’Arabie saoudite. Cette révolution énergétique est aussi économique et géopolitique, Washington améliorant sensiblement sa sécurité énergétique en réduisant fortement sa dépendance aux importations, en particulier du Proche et du Moyen Orient.


Doc 5. Permian Bassin : le boom de la production d’hydrocarbures

 

 

 

 

Le statut de propriété du sous-sol. Contrairement à de nombreux pays européens dont la France, toutes les ressources du sous-sol, quelle que soit la profondeur, appartiennent aux États-Unis au propriétaire du terrain. Celui-ci a donc toute liberté de concéder l’exploitation du gaz ou du pétrole de schiste de la roche-mère, situés souvent à des profondeurs considérables, à des firmes spécialisées. Si le mouvement initial fut porté par de nombreux entreprises moyennes, on assiste ces dernières années à l’arrivée des grands Majors comme ExxonMobil, Chevron, ConocoPhilipps, Pioneer Natural Ressources, Occidental Petroleum et au renforcement de nombreuses autres sociétés cotées de second rang du fait de nombreuses fusions.

Doc 6. Gisements, exploitations et polarisation des puits : système technique, système spatial

 

 

 

Le bassin permien polarise ainsi 40 % de la production étasunienne d’ExxonMobil, dont le siège est à Irving dans la banlieue de Dallas et qui est l’héritière directe de la fameuse John D. Rockefeller’s Standard Oil. Les firmes étasuniennes profitent aussi de la tendance au désengagement des grands européens comme Shell ou BP sous la pression des groupes environnementalistes. Ainsi, en 2021, ConocoPhillips, déjà présent dans le Nouveau Mexique, rachète pour 9,5 milliards de dollars les activités de Shell dans le Comté de Loving qui se trouve à l’est du Red Bluff Lake sur l’image : ces 910 km2 fournissent une production annuelle de 175.000 barils par jour. A côté des majors interviennent des sociétés financières de capital-investissement ou de portefeuille qui investissent à court-moyen terme dans des sociétés avant de les revendre en en tirant le maximum de profit.  

Le rôle des réseaux de tubes. Le développement de l’exploitation puis l’accès au marché national et à l’exportation des productions du bassin permien dépendent étroitement de la densité et de la taille des infrastructures de transport, en particulier vers le Golfe du Mexique. Le boom de la production a saturé les installations existantes et constitue un facteur de blocage.

Face à la saturation des infrastructures, on assiste à la multiplication à partir du hub de Waha des ouvertures de nouveaux oléoducs et gazoducs comme le Permian Highway Pipeline - PHP, le Gulf Coast Express, le Whistler... Du fait de ce goulet d’étranglement, les hydrocarbures du bassin permien se vendent un peu moins cher que le WTI de Houston, la référence étasunienne sur le marché national et mondial.

Deux innovations majeures : fracturation hydraulique et forages dirigés ou horizontaux

Historiquement, alors que les ressources conventionnelles s’épuisent, le relais est pris par l’exploitation de ressources dites non-conventionnelles grâce à deux innovations majeures : les forages directionnels ou puits horizontaux et la fracturation hydraulique.

Les forages dirigés ou horizontaux. Contrairement aux gisements classiques historiquement mis en valeur par des puits verticaux, la technique de la fracturation hydraulique nécessite de développer des forages inclinés ou dirigés. Une fois la couche de la roche-réservoir atteinte à la bonne profondeur, les forages vont voir se déployer une partie horizontale, longue de plusieurs kilomètres. Cette technique est beaucoup plus productive puisqu’elle permet d'exploiter une couche géologique sur une surface beaucoup plus importante. Une fois le forage terminé, la fracturation va permettre de disloquer la roche puis de drainer les hydrocarbures libérés sur toute la longueur de la couche géologique.

La fracturation hydraulique ou fracking. Contrairement au gaz ou au pétrole conventionnels piégés dans des poches relativement facilement exploitables sous formes directement liquides ou gazeuses, le gaz et pétrole de schiste est piégé sous forme de micro-bulles dans une roche-réservoir, souvent marneuses ou argileuses qui peut présenter des structures litées comme le schiste.

La technique de fracturation, ou fracking, consiste à injecter à haute pression, par exemple 300 bars à 2 500 mètres de profondeur, de l’eau complétée d’additifs - produits chimiques, sable... - améliorant la fracturation. En pulvérisant ainsi la couche, l’objectif est de constituer de multiples micro-fractures rendant la roche-réservoir poreuse afin de permettre aux hydrocarbures emprisonnés de rejoindre par migration des fluides un puit de pompage. Chaque champ présente ses propres caractéristiques géologiques, tectoniques et géophysiques et donc ses propres logiques techniques : profondeur du/des puits, longueurs des canalisations latérales, nombre d’étages géologiques traités, espacement des étages de fracturation plus ou moins denses, intensités des agents de soutènement nécessaires lors des injections...

Deux types de puits. On doit cependant bien distinguer deux types de puits : les puits de pompage, le « production well », et les puits d’injection beaucoup plus nombreux.  En effet, afin d’améliorer les rendements de la fracturation, de nombreux puits sont forés afin d’injecter de grandes quantités de fluides - eaux, Co2... - qui visent à pousser les hydrocarbures libérés à migrer vers le puit de pompage principal. Afin de limiter les emprises au sol, les têtes de puits sont souvent regroupées sur un site central pouvant juxtaposer plusieurs dizaines de puits.

Le nombre de puits, l’organisation spatiale des systèmes techniques, l’équilibre entre puits d’injection et de pompage dépend étroitement des structures du champs exploité et sont donc très variables dans l’espace comme dans le temps au cours de la durée de vie de l'opération de production comme le montrent bien les images.

 

La multiplication des tremblements de terre. La fracturation hydraulique et l’injection massive d’eaux usées souterraines dans des puits profonds débouche, comme en Oklahoma, à la multiplication des séismes comme celui près de Stanton, dans le comté de Martin juste au sud-est de l’image, de 4,5 de magnitude en décembre 2021. Ces tremblements de terre sont dus aux déséquilibres tectoniques locaux ou régionaux enclenchés par la modification des champs de pression autour des lignes de failles. Dans la zone de Stanton, les 18 puits en activité peuvent voir leurs rejets limités ou arrêtés par la State Railroad Commission qui gère l’exploitation pétrolière au Texas. La firme ConocoPhillips dispose par exemple de 15 puits d'élimination dans la région dans laquelle les injections ont été suspendues, et la firme Pioneer Natural Resources huit.



Doc 7. Un mois de tremblements de terre : l’impact directe de la fracturation hydraulique de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste dans la localisation des séismes

 

 

 

Une forte consommation d’eau et de sable

En moyenne, pour un puit horizontal, on compte 30 opérations de fracturation par kilomètre de longueur. Mais plus la roche-mère est mécaniquement dure et imperméable, plus celles-ci doivent être nombreuses. Chaque opération de fracturation consomme en moyenne 300 m3 d’eau, 30 tonnes de sable et 0,5 % d’additifs chimiques. Soit 9 000 m3 d’eau et 900 tonnes de sable au kilomètre.

Le sable : le « sand king » incontournable. Peu connue en Europe, la mobilisation de nombreux additifs - dont le sable, qui joue un rôle majeur - est considérable.  Au total, on estime en effet qu’un forage doit injecter entre 10.000 à 15.000 tonnes de sable, le « sand king ». Le rôle de ce sable de silice de haute pureté est de maintenir les micro- fractures induites ouvertes. On remarque donc dans les gisements en cours de fracturation des sites avec de grands tas blancs : ce sont d’immenses châteaux de sable pour la fracturation. En 2018, on estimait que le bassin permien consommait 45 à 50 millions de tonnes de sable.  

Ce sable venait à l’origine par train d’États éloignés comme le Wisconsin, où plus de 40 mines ou carrières sont installées, ou le Minnesota. Les villes d’Odessa, de Pecos ou de Big Spring sont ainsi équipées d’importants terminaux ferroviaires avec silos pour le stockage du sable. Ce sable blanc du nord - le « Northern White Sand » - a un avantage considérable sur les « sables bruns » - le « Brown (Brady) Sand » de la région : il présente une plus grande résistance à la compression et une plus grande résistance à l'écrasement pour maintenir les fractures soutenues pendant que les puits produisent.

Mais face aux coûts de transport, à l’explosion des besoins et au manque de réactivité de la chaîne logistique, on a assisté ces dernières années dans la région à l’ouverture de dizaines de carrières de sable de fracturation par des entreprises spécialisées, telles par exemple Black Mountain Sand ou Atlas Sand. Dans cette logistique de proximité, un site minier qui fournit 3 millions de tonnes par an représente le mouvement de 120 000 camions. Sur l’image, la région de Kermit polarise une vingtaine de sites d’extraction des grandes dunes de sable qui dominent la Sand Prairie.   

La question de l’eau. Tous ces fluides - pétrole, gaz, eau - sont pompés et remontent à la surface où ils doivent être séparés et traités de manière spécifique. Selon les gisements géologiques et les sites, on estime qu’un puit produit de 2 à 10 barils d'eau pour chaque baril de pétrole extrait. A mesure que les volumes d’eau produite augmentent, les puits d’évacuation deviennent de plus en plus nombreux, mais de plus en plus couteux. La question du recyclage des eaux et la montée des questions environnementales, certes encore timides, poussent les opérateurs à traiter et à réinjecter dans les puits ces eaux, au lieu de simplement les rejeter en surface. De même, la mobilisation des eaux des nappes, parfois à haute teneur en chlorure, pour stimuler la production des réservoirs pose là encore des problèmes techniques et environnementaux considérables. Dans tous les cas, les compagnies ont pour habitude de distinguer les besoins en eaux liés à la fracturation hydraulique d’un côté, l’eau produite - ou produced water - de l’autre.  

Si dans les années 1970/1980 les pratiques de forage se sont traduites par des mélanges de fluides parfois spectaculaires, avec apparition de jets de gaz enflammés aux robinets des salles de bain par exemple, les pressions de l’opinion publique puis des différentes autorités ont débouché sur la mise en œuvre de nouvelles techniques moins invasives et plus protectrices : tubage de surface protecteurs, gainage des puits... Si la Loi énergie de 2005 introduisait une exemption au Safe Drinking Water Act - SDWA, la montée des règlementations fédérales et fédérées pour lutter contre la pollution des eaux introduite par la fracturation hydraulique a été plutôt positive. Pour autant, la présence de plus de 20 000 puits dans la région constitue toujours une menace potentielle pour la qualité de l'eau, en particulier pour les ressources en eaux potables des aquifères peu profonds.

Les dynamiques du vivant : les biocides. Enfin, il convient de relever l’importance des dynamiques du vivant dans la gestion des puits. Les entreprises doivent injecter des biocides, tels par exemple les biocides oxydants, qui sont des produits chimiques devant lutter contre le développement des bactéries, indigènes ou exogènes. On relève ainsi que certaines bactéries indigènes au réservoir peuvent se multiplier après la phase de fracturation, puisqu’elles mobilisent des réducteurs de friction et autres produits chimiques contenant des nutriments - comme les huiles... - pouvant stimuler leur croissance. Pour lutter contre les bactéries de fond de trou, les exploitants utilisent donc des biocides à longue durée d’action, dits prolongateurs.

Contraintes techniques et paysages. Comme en témoigne bien les images, on assiste dans la région a une complète réorganisation du foncier et des paysages à travers la construction de routes ou de pistes sur lesquelles circulent des dizaines de milliers de poids-lourds, au creusement des milliers de kilomètres de tubes souterrains, à la multiplication ses stations spécialisées d’injection, de pompage ou de traitement et, surtout, au creusement de milliers de puits.

Sur un terrain nu, l’exploitant va créer un pad - un « tampon » - qui correspond à la surface dégagée puis aplanie afin d’accueillir les installations, et donc au rectangle blanc sur les images. Puis on fore - drilling - le puit à la profondeur voulue et on fracture la roche : ce sont les deux périodes maximales d’occupation du site. En effet, la phase de production se traduit par une empreinte minimale du fait de l’installation d’une petite station de pompage reliée à des tubes qui vont emporter les fluides extraits vers la station de traitement. Une grande partie des efforts d’investissements des firmes exploitantes est orientée vers la robotisation et l’automatisation des tâches, avec si possible un pilotage à distance afin d’économiser les salaires de la main d’œuvre. Les salariés du pétrole sont donc au total assez peu nombreux une fois la phase de forage et de fracturation réalisée, habitent en ville et sont peu présents sur les sites matures.   

Le boom énergétique : un impact démographique économique et fiscal considérable

L’impact du boom des hydrocarbures est considérable pour les territoires en bouleversant toutes les structures antérieures, au plan démographique, urbain, économique et fiscal. Il est cependant très dépendant des cours nationaux et mondiaux, et donc très cyclique. Il faut en général un prix du baril supérieur à 45 dollars pour que l’exploitation soit rentable.  

Boom démographique. La région passe globalement de 450 000 à 643 000 habitants entre 1980 et 2020, soit une hausse de 43 %. Elle gagne 90 000 habitants ces dix dernières années, soit + 16 %. Mais ces gains sont inégalement répartis dans l'espace car directement corrélés aux effets locaux du boom pétrolier : les deux capitales régionales polarisent à elles seules 70 % de la croissance régionale en augmentant leur population de + 25 %. De même, les comtés d’Andrews, de Gaines, de Martin, de Reeves et de Lea augmentent de 26 % à 16 % leur population. A l’opposé, tout le reste du territoire est en crise ou en stagnation démographique. Dans les espaces dynamiques, on assiste à l’explosion des prix du foncier et de l’immobilier, à la multiplication des créations d’emplois, aux effets d’entrainement - directs et indirects - sur le bâtiment, les transports, l’industrie, l’hôtellerie, les commerces et les services.

Un effet richesse considérable. En dix ans, le revenu par habitant passe de 29.000 à 40.300 dollars dans le comté de Chaves (+ 35 %), de 22.800 à 30.000 dans celui d’Ector (+ 34 %), de 37.000 à 45.000 dollars dans celui de Lea (+ 22 %). La ville de Midland se hisse au 1er rang du Texas, en dépassant de 9 % la moyenne fédérée. Au Nouveau Mexique, les deux Comtés d’Eddy et de Lea, sont économiquement et fiscalement les deux territoires les plus riches, largement devant Los Alamos.

L’impact fiscal est considérable pour les collectivités territoriales. Dans le comté de Léa, où se trouve Hobbs, la taxe sur les hydrocarbures passe de 20 à 57 millions de dollars en dix ans, soit une hausse de 37 millions (+ 185 %), et donc de 25 % à 37 % des revenus fiscaux locaux totaux. Au Nouveau Mexique - dont un tiers du budget annuel dépend directement des hydrocarbures, 45 % si l’on compte les effets induits sur le système productif - les comtés d’Eddy et de Lea sont devenus les premiers contributeurs au budget de l’État fédéré, largement devant celui de Los Alamos, n°3.

La montée des nuisances. Revers de la médaille, ce boom des hydrocarbures se traduit par une explosion des nuisances. On assiste au plan sanitaire et médical à la multiplication des maladies dues à de nombreux facteurs : fuites de gaz comme le méthane, le benzène ou le sulfure d’hydrogène ; rejets massifs d’eaux usées ; pollution de l’air et des eaux ; bruits ; poussières...

De même les autorités fédérés et locales sont contraintes du fait de l’explosion de la circulation de dizaines de milliers de poids-lourds et des accidents de la route de revoir les plans de circulation et l’organisation de la voirie d’un côté ; de transformer des axes jusqu’ici secondaires en nouveaux « corridors de fret » avec le passage à des axes à 3 ou 4 voies. Aux environs de la ville de Midland par exemple, les autorités estiment que la circulation a augmenté de + 30 % entre 2015 et 2019 et qu’elle va augmenter de + 45 % entre 2019 et 2038. Vers Carlsbad dans la vallée du Pecos, la route 285 qui traverse l’agglomération est devenue une ligne continue de camions citernes.  

Enfin, un des grands enjeux actuels réside dans les puissants rejets de méthane, un gaz à effet de serre. D’après les estimations, le bassin permien en émet un million de tonnes par an, soit l’équivalent de 22 centrales thermiques à charbon. Dans leur communication, toutes les sociétés exploitantes mettent en exergue les efforts techniques réalisés pour réduire ces rejets et aboutir à la fameuse « neutralité carbone » d’ici quelques années.  

 

Zooms d’étude

 

Zoom 1. Roswell/Dexter : la vallée du Pecos, système bovin/maïs et boom immobilier

Entre deux plateaux arides et vides se déploie l’axe de la Pecos River, avec Roswell comme petite capitale régionale. La densité du comté de Chaves n’est que de 4 hab./km2, et le pôle urbain polarise 74 % de la population totale. Située à 1.100 m. d’altitude, Roswell connait un important boom démographique, économique et urbain lié au gaz et pétrole de schiste : elle passe de 25.700 à 47.500 habitants - dont 53,4 % de latino-américains - entre 1950 et aujourd’hui.  

Comme nous l’avons vu, la ville a abrité à partir de 1941 une importante base aérienne puis de missiles balistiques durant la Guerre froide jusqu’en 1967. La ville accueille aujourd’hui le musée et un centre de recherche international sur les ovnis. L’ancienne base a été transformée en Roswell Industrial Air Center, un aéroport à usage public appartenant à la ville. Le RIAC abrite des entreprises de réparation et de remise à neuf d'avions, un fabricant de plastique, une usine de bus et de nombreux fournisseurs d’équipements.

Pour autant, ce qui marque le plus l’image est l’espace agricole créé par irrigation à partir des eaux du Pecos et des nappes phréatiques du bassin. Cet espace-oasis bénéfice de plusieurs ressources, dont les eaux de l'aquifère artésien de Roswell, un vaste aquifère calcaire hautement transmissif qui s'étend de la rivière Pecos à environ 20 milles plus à l'ouest. Cet aquifère assez profond est lui-même recouvert par un aquifère alluvial peu profond s'étendant sur plusieurs milles dans le bassin de la rivière Pecos. Cette agriculture irriguée porte deux types de spécialisations : les traditionnels feedlots d’engraissement des bovins pour l’abattage ; les fermes laitières qui alimentent une large partie du marché régional du Nouveau Mexique. Mais la pression multiforme sur les ressources hydriques devient de plus en plus difficile à gérer.

 


Dexter

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 2. Carlsbad : un bassin agricole et minier

Le bassin agricole irrigué de Carlsbad et la pression sur la ressource en eaux : les enjeux du Pecos River Compact

En continuant à descendre la vallée du Pecos, on tombe sur le bassin de Carlsbad. Comme pour Roswell, Carlsbad est une petite ville perchée à 1.000 m d’altitude et qui organise un important bassin agricole et minier dans un vaste espace désertique et sous-peuplé présentant des densités de 5 hab./km2. Elle aussi connait un spectaculaire boom démographique et urbain en passant de 18.000 à 30.000 habitants entre 1950 et aujourd’hui. Elle polarise la moitié de la population du Comté d’Eddy. Comme tous les pôles urbains de la région, la ville accueille une importante main-d'œuvre de passage trés mobile alors que de nombreux travailleurs du pétrole vivent dans un mobil-home ou une simple caravane dans des camps de fortune autour de la ville.

Son activité économique repose initialement sur l’agriculture et l’élevage grâce à l’arrivée du chemin de fer en 1891 puis aux progrès de l’irrigation permise par les eaux du Pecos. Dans cette zone aride du Centre-Sud, la vallée du Pecos a en effet été transformée en un escalier de barrages successifs qui forment des lacs-réservoirs comme le lac Santa Rosa, puis le lac Sumner (1939) entre Santa Rosa et Fort Sumner, situés bien plus à l’amont donc hors-image. Dans la région, Carlsbad se caractérise par la précocité de ses aménagements : les deux barrages d’Avalon Dam et de Brantley Dam, au nord de Carlsbad, permettant d’irriguer 10 000 ha. dans le cadre d’un projet lancé dès 1906.

L'épuisement - par pompages excessifs - des eaux souterraines dans le bassin de Carlsbad a un impact direct sur la capacité du Nouveau-Mexique à se conformer au Pecos River Compact et au décret modifié de 1988 de la Cour suprême des États-Unis. Les limites de la ressource, le boom des besoins économiques et humains et l’encadrement juridique des volumes extraits constituent aujourd’hui des contraintes majeures aux acteurs et aux autorités. Dans ce contexte, la ville de Carlsbad est contrainte d’aller puiser son eau potable dans des champs situés à 11 km au sud-ouest dans les contreforts des montagnes de Guadalupe : les deux champs de captage de Sheep's Draw et Double Eagle lui fournissent 98 % de son eau à partir de 9 puits de 150 à 280 mètres de profondeur.

Une économie dominée par les cycles miniers : potasse, hydrocarbures et déchets nucléaires

Si la présence de nombreux Parcs nationaux ou régionaux dans la région - Carlsbad Caverns National Park, Guadalupe Mountains National Park, Lincoln National Forest, the Living Desert Zoo and Gardens State Park...- alimentent un certain tourisme, l’économie régionale repose fondamentalement sur les cycles miniers.

Comme en témoigne bien l’image avec ses immenses taches blanches qui s’étendent à l’est de la ville, nous sommes là dans le royaume de la potasse. Le cycle minier débute
en 1925 et la région est devenue le premier pôle national de production avec aujourd’hui la présence de deux géants, Mosaic Company et Intrepid Potash. Mais partout, l’image témoigne de la présence de champs de forages pour la production d’hydrocarbure avec la présence locale de grandes firmes comme Halliburton, EOG Resources, Occidental, Devon Energy et Superior Energy.

Rappelons enfin qu’à 40 km au sud-est de Carlsbad - donc hors image - se trouve le site du WIPP - Waste Isolation Pilot Plant, le centre de stockage des déchets nucléaires militaires. On y trouve tout proche le site du Gnome Project d’essai nucléaire militaire souterrain. Cet espace désertique s’inscrit donc bien dans la « nuclear alley ».

 


Carlsbad

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 3. La région de Denver City : d’un système en voie d’épuisement aux projets de capture et de stockage de CO2

Un petit pôle urbain marqué par les cycles miniers

A la frontière entre le Nouveau Mexique et le Texas se trouve le Comté de Gaines et la petite ville de Denver City, à ne pas confondre avec la métropole de Denver dans le Colorado. Nous sommes ici dans le Llano Estacado où l’agriculture irriguée pompe jusqu’à l’épuisement dans le fameux aquifère d’Ogallala. Ce vieux pôle agricole marginal a connu un brusque réveil à partir des années 1930 pour atteindre 5 000 habitants aujourd’hui.

Pour autant, la baisse de 22 % de sa population, qui passe de 5 145 à 3 985 habitants entre 2000 et 2010, rappelle que dans cet espace pionnier de l’ancien Nouveau Monde les dynamiques démographiques peuvent être très instables et liées aux cycles spéculatifs de l’économie locale ou régionale dans un pays où la main d’œuvre est fort mobile géographiquement. 70 % de la population y est d’origine latino.    



Un système minier classique en voie d’épuisement

 Nous sommes ici au plan géologique dans la plateforme du bassin central du bassin permien avec au nord de Denver City le Wasson Oil Field, découvert en 1936. Ce vaste champ est lui-même divisé en six unités, dont la plus grande est celle de Denver qui est située au point culminant géologique de la formation. C’était, avec près de 4 000 millions de barils de pétrole d'origine, l'un des plus grands gisements d'Amérique du Nord. La production principale dans le bassin de Wasson a duré de 1937 jusqu'au milieu des années 1960 avec un pic de production en 1948, avant de diminuer par la suite fortement du fait de l’épuisement progressif de la ressource.

Afin de relancer la production et d’améliorer sensiblement les taux d’extraction qui atteignaient les 30 %, les exploitants ont largement tenté l’injection massive d’eaux dans les années 1960, puis de dioxine de carbone dans les années 1970/1980.  Il y a environ 2 200 puits sur le terrain, dont 600 sont des puits d'injection.

Les projets de capture et de séquestration du CO2 : vers un nouveau marché ?

Le réservoir d’hydrocarbures de San Andres présente la particularité d’être coiffé par une formation supérieure de dolomite imperméable de 120 m d’épaisseur, sans faille et sans fracture. Entre 2016 et 2026, l’Occidental Oil and Gaz y réalise un programme technologique de capture, de réinjection et de séquestration du Co2. En effet, face aux enjeux du changement climatique et des gaz à effet de serre, de nombreuses politiques publiques s’intéressent à la séquestration géologique du Co2.

On réinjecte en quelque sorte dans le sous-sol le carbone extrait et utilisé sous forme de charbon, de lignite, de gaz ou de pétrole depuis le milieu du XIXem siècle. Dans ce cadre, les incitations ou aides publiques peuvent représenter un levier pour trouver un nouveau débouché, donc un nouveau marché, aux anciens sites. Dans ce cadre, le Texas se pose depuis une décennie comme un des États fédérés les plus en pointe dans ces opérations aux États-Unis.    

 


Denver City

 

 


Repères géographiques

 

Doc 8. Denver City : l’exploitation vue par le site de l’EIA

 

 

 

 

Zoom 4. Hobbs : au premier rang de la production nationale de gaz et de pétrole de schiste

L’image couvre la frontière entre le Nouveau Mexique et le Texas et, surtout, le contact entre deux milieux naturels bien différenciés. Aux surfaces arides et vides de l’ouest s’opposent les cercles des parcelles à pivot irriguées. Au contact se trouve à un carrefour routier la petite ville d’Hobbs. On est frappé par le développement des deux champs : l’Hobbs Oil Field au centre et le Monument Oil Field au sud, qui portent tous les deux le nom de leur ville principale. Les champs de puits sont polarisés par des stations principales qui les organisent.  

Nous sommes là dans une des régions les plus dynamiques des États-Unis. En effet, en 2020/2021, le Comté de Lea - dont Hobbs est la capitale économique - s’est hissé au premier rang aux États-Unis pour la production d’hydrocarbure. La ville de 47 300 habitants polarise 70 % des 71 00 habitants du Comté. En vingt ans, sa population a augmenté de 14 %. Pour autant, les emplois directs dans l’industrie du pétrole y sont peu nombreux, environ 8 000 personnes, mais très bien payés. Par contre ces activités ont un effet d’entrainement considérable sur tout le tissu économique et sociale local et régional.  

 


Hobbs

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 5. Midlands : la fracturation hydraulique et la question de l’eau

Nous sommes là dans une portion du vaste plateau intermédiaire qui se déploie entre Carlsbad, Hobbs et Midland. Un espace très monotone, sans ville ni village. Les deux seuls vrais points de repère sont les axes routiers, telle la Route 128 qui traverse l’image de part en part. Ce qui fait l’intérêt de cette image tient à deux choses. D’abord l’organisation technique des systèmes de puits qui dévoile des logiques d’organisation spatiale en grappes hiérarchisées quadrillant l’espace.

Le second tient dans la multitude des petits carrés noirs ou bleus trés différents de la surface blanche des tampons accueillant les puits. Ce sont les bassins qui accueillent ou recueillent les eaux mobilisées pour la fracturation hydraulique. Leur présence nous permet d’affirmer qu’à la date de prise de vue de l’image, cette portion du bassin permien était en pleine phase de fracturation. Leur nombre considérable renvoie concrètement à l’importance et au rôle de l’eau dans ces opérations.

 


Midlands

 

 


Repères géographiques

 

 

 

Zoom 6. L’agglomération texane de Midland-Odessa : la « petroplex » du bassin permien

La création du duopôle Midland/Odessa : l’émergence de la pétroplex du bassin permien

Midland est historiquement un petit pôle agricole traditionnel à mi-chemin entre El Paso et Dallas/ Fort Worth desservi par la Texas and Pacific Railroad en 1881. Son climat semi-aride se caractérise par une moyenne des températures de 14°C en janvier mais surtout de 34°C en juin/aout, avec des précipitations annuelles limités à 370 mm par an. Midland connait une transformation radicale à partir de la découverte de pétrole dans la région en 1923 : elle passe de 1 700 à 21 700 habitants entre 1920 et 1950. Peuplée de 38 % de Latino-Américains, la ville connait un nouveau boom démographique et urbain en passant de 22 000 à 177 000 habitants entre 1950 et aujourd’hui. Comme nous l’avons vu, elle est le berceau historique de la dynastie Bush qui va accéder en retour aux plus hautes responsabilités du pays grâce au soutien politique et financier du secteur pétrolier.  

Comme le montre bien l’image, tout l’espace compris entre Midland et Odessa est densément occupé. Ce duopôle urbain Midland-Odessa forme aujourd’hui une aire métropolitaine de 7 000 km2 qui se développe sur les trois comtés de Martin, Midland et Ector : c’est la pétroplex du bassin permien. Entre 2010 et aujourd’hui, l’ensemble passe de 274 000 à 300 000 habitants. Longtemps en forte rivalité, les deux villes se regroupent enfin à la fin de la décennie 1990 pour se dessiner un avenir commun.

Pour autant, dans ce système bipolaire organisée par l’axe de l’Interstate 20, la primauté démographique et économique va clairement à Midland, peuplée de 177 000 habitants contre 123 000 habitants à Odessa. Il apparait aussi une nette ségrégation et spécialisation sociale et fonctionnelle entre les deux pôles : Midland polarise les sièges sociaux et les fonctions décisionnelles, les cadres et ingénieurs de haut rang ; Odessa accueillant en retour usines, ateliers et populations ouvrières. 

Une aire métropolitaine centrée sur le pétrole

Historiquement, l’agglomération vit au rythme des cycles spéculatifs liés aux hydrocarbures qui alternent selon le niveau des prix booms et récessions : booms de la Seconde Guerre mondiale, des années 1970/1980 qui finance en grande partie la construction du centre des affaires de Midland, des années 2000 grâce aux pétrole et gaz de schsite. Le tout débouche sur une forte croissance urbaine et un marché immobilier spéculatif dans lequel les prix s’envolent.  

Alors que l’emplois dans l'énergie y augmente de + 30 % en 2010/2020, le secteur pétrolier - et ses annexes comme la construction d’oléoducs ou de gazoducs, les services d’ingénierie spécialisés, les transports... - compte parmi les principaux employeurs privés de l’agglomération et de la région tels Pioneer Natural Resources, avec 3 600 employés, Halliburton, Keane Group, Saulsbury Industries... De manière emblématique, l’Ector County Coliseum accueille tous les ans le Permian Basin International Oil Show qui réunit tous les acteurs de la filière.

 


Odessa

 

 


Repères géographiques

 

 

D’autres ressources

Sur le site Géoimage du CNES : enjeux énergétiques et de la gestion de l’eau

Laurent Carroué : Alaska : Prudhoe Bay, les hydrocarbures du Grand Nord entre épuisement, relance et développement durable (la valorisation d’un gisement traditionnel)
/etats-unis-alaska-prudhoe-bay-les-hydrocarbures-du-grand-nord-entre-epuisement-relance-et

Laurent Carroué : Virginie. Norton : déclin charbonnier, basculement énergétique et crise environnementale des Appalaches
/geoimage/etats-unis-virginie-norton-declin-charbonnier-basculement-energetique-et-crise

Laurent Carroué : Nebraska. Lexington et la vallée de la Platte River : agriculture irriguée des Hautes Plaines et gestion de la crise de la ressource hydrique
/geoimage/etats-unis-nebraska-lexington-et-la-vallee-de-la-platte-river-agriculture-irriguee-des

Laurent Carroué : Kansas : Garden City, l’usine à viande des Hautes Plaines arides confrontée à la surexploitation des ressources hydrauliques  
/geoimage/etats-unis-kansas-garden-city-lusine-viande-des-hautes-plaines-arides-confrontee-la-0

Sites Internet

US Energy Information Administration : Permian Bassin. Wolfcamp Shale Play. Geology review, Washington DC, oct. 2018

Texas Water Development Board - TWDB : 2022 State Water Plan Water For Texas.
http://www.twdb.texas.gov/waterplanning/swp/2022/index.asp

US Energy Information Adm.
https://www.eia.gov/petroleum/drilling/

Carte géologique
https://txpub.usgs.gov/txgeology/

Permian Global Access Pipeline
http://www.pgap.com/

Carte d’évolution The Wolfcamp play has been key to Permian Basin oil and natural gas production growth
https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=37532#tab1

Accès à toutes les cartes pour tous les champs USA TTB
https://www.eia.gov/maps/maps.htm#shaleplay

Bibliographie générale

Gérard Dorel : Les États-Unis, in volume États-Unis, Canada, Géographie universelle, Hachette Reclus, Montpellier, 1992.

Bernadette Mérenne-Schoumaker : Atlas mondial des matières premières. Des ressources stratégiques, coll. Atlas, Autrement, 2020.

Laurent Carroué : Atlas de la mondialisation. Une seule terre, des mondes. Coll. Atlas, Autrement, Paris, 2020.   

Laurent Carroué : Géographie de la mondialisation. Crises et basculements du monde, coll. U, Armand Colin. 2019.

Contributeur

Proposition : Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)