Etats-Unis - Le Grand-Prismatic du Parc National du Yellowstone : entre wilderness, protection, patrimonialisation et tourisme de masse

Situé au cœur des Montagnes Rocheuses, principalement dans l’État du Wyoming, le parc national de Yellowstone est le plus ancien parc naturel national au monde. Il abrite l’un des paysages archétypaux des grands espaces sauvages de l’Ouest américain : la plus forte concentration mondiale de geysers, au cœur d’une forêt naturelle traversée par la rivière Yellowstone.

Créé en 1872, ce vaste parc — qui couvre près de 9 000 km², soit l’équivalent du département de la Dordogne — s’inscrit dans la dynamique de la « conquête de l’Ouest » et de l’extension du contrôle territorial, associant ligne ferroviaire transcontinentale et mise en valeur touristique.

La patrimonialisation ancienne de ce milieu, ainsi que la forte fréquentation du parc — 4 millions de visiteurs par an — en font un haut lieu touristique soumis à des enjeux majeurs : concilier l’activité touristique et ses retombées économiques avec la préservation d’un patrimoine naturel, inscrit dès 1978 sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.

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Légende de l’image

Image du Grand Prismatic Spring, dans le parc national de Yellowstone, prise le 18 juin 2012, par un satellite Pléiades. Cette image en couleurs naturelles, a une résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m 

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Le Parc National du Yellowstone - Yellowstone National Park : la mise en parc naturel d’un


Une immense caldeira

Aux limites entre les États fédérés du Montana au nord, de l’Idaho à l’ouest et du Wyoming (mal orthographié « Woyming » dans le document), l’image nous présente un paysage iconique des Montagnes Rocheuses : celui de l’un des plus grands supervolcans au monde. Il sommeille sous un haut plateau perché à plus de 2 000 m d’altitude, entouré de montagnes qui le dominent d’environ 1 000 m. La région demeure marquée par une importante activité sismique (cf. les tremblements de terre de magnitude 7,5 en 1959 et 6,1 en 1975). Nous nous trouvons ici au cœur du parc national de Yellowstone, qui abrite la plus forte concentration de geysers au monde.

L’image est centrée sur une partie de la gigantesque caldeira — un terme désignant le cœur d’un volcan aujourd’hui effondré. Elle mesure 45 kilomètres de large pour 85 kilomètres de long. Cette dépression presque circulaire correspond à l’ancien cratère d’un très puissant volcan dont l’histoire remonte à plus de 16 millions d’années, marqué par trois éruptions majeures, la dernière datant d’environ 70 000 ans. Les retombées de cendres volcaniques ont alors couvert entre un tiers et la moitié des États-Unis actuels. L’espace visible sur l’image correspond à des rhyolites — roches volcaniques effusives — âgées de 160 000 à 70 000 ans.

Alors que l’épaisseur de la croûte terrestre est habituellement d’environ 30 km, elle n’est ici que de 7 à 10 kilomètres. Les pressions verticales exercées par le gonflement de la gigantesque chambre magmatique, située en profondeur, sont donc sensiblement plus fortes. Elles font enfler et désenfler la caldeira au rythme de la « respiration » des remontées de magma basaltique, provoquant des déformations de surface, des secousses fréquentes et surtout l’activité géothermale la plus intense du continent.


Une activité géothermique unique au monde : l’emblématique Grand Prismatic Spring

Cette activité géothermale se manifeste sur l’image par ce qui attire immédiatement l’œil : un cratère d’eau chaude, sorte de marmite géante aux couleurs vives qui lui ont valu son nom : la Grand Prismatic Spring — « prismatic » signifiant « aux couleurs vives ». Il s’agit de l’une des surfaces hydrothermales les plus fascinantes du parc national de Yellowstone.

La Grand Prismatic Spring est la plus grande source chaude des États-Unis et la troisième au monde, avec environ 110 mètres de diamètre et jusqu’à 50 mètres de profondeur. Elle libère près de 2 100 litres d’eau à 70 °C chaque minute. Cette eau provient d’une saumure très chaude, située entre 2,4 et 4,8 kilomètres sous la surface. En remontant, elle transfère sa chaleur à des couches d’eau douce situées au-dessus, un phénomène facilité par la structure poreuse et fracturée des roches volcaniques.

Les couleurs spectaculaires qui ornent ses bords — bleu, vert, jaune, orange, rouge — sont dues à la présence de tapis microbiens de bactéries thermophiles, qui varient selon la température de l’eau. Plus il fait chaud, plus le centre est stérile (bleu intense). En bordure, la diversité des pigments (chlorophylle, caroténoïdes…) crée un spectre de couleurs unique, particulièrement visible en été. En hiver, les teintes tendent davantage vers le vert foncé.

Ce site constitue aussi un écosystème extrême, où certains insectes rares, comme le coléoptère tiger beetle, se sont adaptés aux températures extrêmes — certains vivant à plus de 90 °C grâce à des adaptations morphologiques uniques.

La rivière Firehole, visible dans la vallée, reçoit toutes les eaux chaudes issues de ces phénomènes géothermiques. La rencontre entre ses eaux initialement plus froides et les eaux chaudes des geysers fait littéralement fumer la rivière à certains endroits, comme si elle était en feu — d’où son nom.

Au total, Yellowstone abrite plus de 300 geysers, soit les deux tiers des geysers de la planète — première concentration mondiale devant la péninsule du Kamtchatka, dans l’Extrême-Orient russe, et l’Islande. Ils sont répartis en différents bassins (cf. Norris Geyser Basin et Midway Geyser Basin hors image, Upper Geyser Basin sur l’image). Parmi eux figure le populaire Old Faithful, situé hors de l’image, à plus de 10 km au sud par la route. Il projette, presque toutes les heures, une gigantesque colonne d’eau de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Hors de l’image également, et plus éloigné, à 40 km au nord par la route, le geyser Steamboat — le « bateau à vapeur » — est le plus haut du parc, avec un jet pouvant atteindre 152 mètres. Les nuages de vapeur des Mammoth Hot Springs, célèbres vasques de concrétions calcaires situées au nord, à plus de 65 km par la route, contribuent également à la renommée du parc.

L’un des grands sanctuaires naturels de l’hémisphère Nord

Le parc est aussi l’un des plus grands écosystèmes encore « intacts » de la zone tempérée de l’hémisphère Nord. Les forêts de conifères — pins, sapins, épicéas… — recouvrent l’ensemble de l’image, bien que leur densité soit très inégale. Il s’agit essentiellement d’une forêt subalpine, dans laquelle les incendies jouent un rôle majeur dans la sylvigenèse, c’est-à-dire la régénération naturelle du couvert forestier. Les feux permettent de limiter certaines maladies, de contrôler les insectes phytophages, de fertiliser les sols par les cendres, tout en créant des ouvertures dans le manteau forestier dense. Partout, on peut observer des zones où des jeunes pins tordus (Pinus contorta) envahissent les pentes, surplombés de troncs brûlés, blanchis par les éléments.

Cependant, l’incendie exceptionnel de l’été 1988 a marqué durablement le parc : 322 000 hectares de forêts ont été détruits, soit 36 % de la surface totale. Les séquelles de cet épisode sont encore visibles aujourd’hui.

La richesse du parc est également faunistique. Ces terres sauvages concentrent d’immenses troupeaux de bisons, mais aussi des espèces emblématiques comme l’ours grizzli, le loup (éradiqué au début du XXe siècle, puis réintroduit en 1994) ou encore le wapiti. On y trouve également des truites et des oies sauvages, notamment dans les ruisseaux (White Creek), les rivières (Firehole River) et les lacs (Goose Lake) présents dans cette zone.

Ces espaces naturels exceptionnels sont accessibles par la route : sur une distance relativement courte, la Grand Loop Road — la route principale reliant les entrées nord et sud du parc sur plus de 200 km — traverse ici deux des trois principaux bassins de geysers du parc : le Lower Geyser Basin, au nord-est de l’image, et le Midway Geyser Basin, auquel appartient l’emblématique Grand Prismatic Spring. Plus au sud, tout proche, en empruntant la Grand Loop Road sur 12 kilomètres, se trouve la zone de l’Upper Geyser Basin, avec le geyser Old Faithful. Mais, comme le montre l’image, la circulation automobile y est très étroitement contrôlée et limitée à certaines portions du parc, via des itinéraires obligatoires et des parkings aménagés.

L’« invention » du Yellowstone : un « Wonderland », instrument de la conquête de l’Ouest

Le parc national de Yellowstone, premier des 59 parcs états-uniens, est officiellement le premier parc naturel national au monde reconnu internationalement. En 1872, son acte de naissance est fondé sur un arrêté du Congrès américain : il s’agit donc d’une création volontariste, portée au niveau fédéral. Le texte précise sa vocation et les principes qui président à sa création : il est fondé « pour le bénéfice et l’agrément public » des habitants d’un État en cours de constitution.

Il s’inscrit fondamentalement dans un contexte de conquête territoriale — la « conquête de l’Ouest » — qui, après l’achèvement de la guerre de Sécession en 1865, reprend de plus belle. Les États-Unis, tout comme leur voisin canadien, encouragent les expéditions militaires et scientifiques vers l’intérieur du continent, en territoire amérindien, débouchant sur des conquêtes par voie violente ou négociée.

Dans le cas du Yellowstone, après plusieurs récits d’explorateurs pris pour des affabulateurs en raison de leurs descriptions des geysers, il faut attendre deux expéditions, dont celle de 1871 menée par le géologue Ferdinand Hayden, financée par le gouvernement, pour révéler au grand public les « curiosités naturelles » de ce qui est érigé en parc dès l’année suivante.

De manière concomitante, la prise de possession territoriale repose sur un second levier : le train. À partir de la ligne transcontinentale Grands Lacs–Pacifique — qui va de Chicago à Tacoma-Seattle — en cours d’achèvement, la Northern Pacific Railway Company (NPRC) construit, au début des années 1880, une ligne secondaire spécifiquement dédiée à la desserte du parc, jusque-là réservée à quelques privilégiés venus à grands frais à cheval ou en bateau. L’objectif est de créer, au cœur des Rocheuses, une halte touristique fondée sur l’iconographie des pionniers et la valorisation de la « nature » pour les voyageurs venant de la côte Est. Les visiteurs peuvent désormais affluer en nombre : on en compte 5 000 en 1883, un chiffre alors déjà conséquent.

Dans le même temps, les Amérindiens résidant encore dans le parc — soit 400 Tukadika, une branche des Shoshones du Nord — sont déportés vers la réserve de Wind River, située à plus de 200 km au sud-est de l’image, réserve qui existe encore. Longeant la rivière Yellowstone sur 80 kilomètres en direction du sud, la ligne ferroviaire (aujourd’hui disparue) débouche sur la porte septentrionale du parc (Cinnabar, puis Gardiner), que l’on rejoint aujourd’hui uniquement par la route : la route 89, connectée à la route 191 et à la Grand Loop Road (visible sur l’image), toutes accessibles toute l’année. À partir des années 1920, la route a progressivement remplacé la desserte ferroviaire.

Des paysages supports de promotion ferroviaire et touristique : considérations esthétiques et commercialisation du paysage

Dès la création du parc, un système promotionnel associant la compagnie ferroviaire et l’administration du parc mobilise des artistes afin de susciter l’intérêt touristique. La Grand Prismatic Spring apparaît sur de nombreuses affiches, avec ses couleurs singulières — or et turquoise — dans son écrin forestier, accompagnée de fumerolles rappelant la nature volcanique de cette source chaude.

Dans le même temps, les premiers équipements touristiques permettent d’accueillir les visiteurs arrivant par train. L’enjeu touristique du parc est donc majeur dès sa création. La diffusion de supports et de récits sur ses paysages volcaniques contribue à forger un puissant imaginaire national, où la nature devient un pilier de l’identité étasunienne. Yellowstone naît de cette convergence d’intérêts : considérations esthétiques, d’une part, et commercialisation du paysage, d’autre part, marquant la première étape de sa patrimonialisation.

L’intérêt esthétique est, en effet, ce qui préside initialement à la création des parcs naturels nord-américains. Reliefs montagneux, sources chaudes comme celle de la Grand Prismatic Spring, cascades... Ces éléments, dans le prolongement du romantisme, sont les composantes paysagères constitutives du Wonderland — le « pays des Merveilles » — lié à la Wilderness, la nature sauvage des origines, au cœur du mythe civilisationnel nord-américain.

Une sanctuarisation de la « nature sauvage » qui s’inscrit dans l’histoire états-unienne

La géohistoire montre qu’en général, le tourisme précède et impulse la création d’espaces protégés. Mais ici, à Yellowstone — comme dans d’autres parcs naturels états-uniens — c’est l’inverse. La création du parc précède le tourisme ; elle devient vectrice d’attractivité et résulte de la volonté d’une société urbaine en expansion qui confère, par son regard, une forte valeur culturelle à ces paysages. Dans cet immense pays encore jeune, que ses habitants découvrent et parfois dévastent (ruées vers l’or, barrages, mines…), le patrimoine ne repose pas sur des « monuments historiques » mais sur des « antiquités naturelles » d’une beauté inouïe.

Dans ce contexte, le patrimoine national — ici naturel — doit être protégé. Mais selon quelle intensité ? Une protection stricte d’une supposée pureté originelle à préserver, promue par des figures comme Thomas Cole ou John Muir (paradigme radical) ? Ou une conservation raisonnée, respectueuse des ressources, intégrant les besoins humains, notamment récréatifs — défendue par Gifford Pinchot (paradigme naturaliste-sensible) ? Le mouvement écologique mondial s’est construit autour de cette tension fondatrice, une dualité qui apparaît pour la première fois aux États-Unis.

Une mise en tourisme concentrée : le principe des « honey pots »

La sanctuarisation de la nature intègre à la fois une logique d’aménagement touristique — dominante dans les parcs états-uniens — et des préoccupations environnementales visant à préserver les paysages tout en limitant les conflits d’usage (entre faune et véhicules, par exemple). Concrètement, le National Park Service (NPS), organisme public gestionnaire des parcs nationaux, identifie certains lieux stratégiques appelés « honey pots » — littéralement, « pots de miel » — rendus accessibles et aménagés pour les touristes. Ces derniers, ne s’éloignant en moyenne guère au-delà de 500 mètres de ces sites, concentrent l’essentiel de la fréquentation.

Ce modèle permet de limiter les impacts : seulement environ 5 % de la surface du parc est directement concernée par cette mise en tourisme, permettant ainsi de préserver la quasi-totalité du reste du territoire.

Grand Prismatic Spring : un des principaux « honey pots » du Yellowstone

L’image du Grand Prismatic Spring et la zone du Midway Geyser Basin illustre parfaitement ce principe. Il s’agit de l’un des « honey pots » les plus fréquentés et photographiés de l’ensemble du parc. L’image nous révèle un certain nombre d’équipements significatifs : routes, parkings, chemins piétonniers, dispositifs de médiation culturelle.

En particulier, la Grand Loop Road, route d’orientation méridienne sur l’image, serpente à partir du site de l’Old Faithful, situé au sud (hors image), pour épouser au mieux le tracé de la rivière et les principaux geysers qui la jouxtent. Cette route relie l’ensemble des « honey pots » du parc, d’où son nom. Trois parkings principaux sont nettement repérables sur l’image, accueillant voitures et cars de tourisme. Celui situé au sud du Grand Prismatic Spring permet d’observer le site en traversant la rivière Firehole par un pont pour accéder à un sentier, le Fairy Falls Trail, qui offre une vue imprenable, loin de la foule et des fumerolles. Celui situé plus au centre de l’image, au plus près du Grand Prismatic Spring, d’une cinquantaine de places (voitures et cars de tourisme), presque plein et souvent saturé, permet l’accès à une déambulation des visiteurs au plus près des sources d’eau chaude, sur des chemins piétonniers aménagés sur pilotis, avec ou sans garde-corps, en fonction de la dangerosité du lieu. L’expérience touristique est ainsi intensifiée par cette forte proximité avec les phénomènes volcaniques.

Des panneaux d’interprétation parsèment le parcours — l’un d’eux, présent sur l’image, s’intitule « Grand Prismatic Spring Prism of Light, Spectrum of Life » — et expliquent, pour celles et ceux qui voudraient bien le lire, les origines volcaniques du lieu. Ces panneaux nous rappellent que les parcs nord-américains sont pionniers en matière d’interprétation des patrimoines, tant naturels que culturels.

En direction du nord, la route principale change ensuite d’orientation, s’éloignant de la rivière en direction de la forêt. L’image révèle des routes secondaires menant d’abord à une aire de pique-nique, puis à une boucle fermée en hiver, avant d’atteindre une autre concentration de geysers regroupés dans le Lower Geyser Basin (Fountain et Jelly Geyser, Deep Blue Geyser et Gentian, non visibles sur l’image), avec le troisième parking principal de notre image, à son extrémité nord-est. Au-delà, la route permet d’accéder à des équipements touristiques (campings, hôtels, boutiques). Certains sont anciens et prestigieux, comme le fameux Mammoth Hotel, véritable palace situé à proximité de l’entrée nord du parc, à 70 km du Grand Prismatic Spring ; d’autres, plus récents. L’accessibilité externe et interne du parc par la route accentue indéniablement son attractivité et sa fréquentation, en forte hausse.

Une pression touristique croissante, des retombées économiques majeures

Pour le gestionnaire du parc, le National Park Service, la protection de la nature n’est donc pas incompatible avec d’importants flux touristiques. Les parcs sont devenus des outils phares de l’action environnementale des États nord-américains. Mais ils représentent aussi une véritable manne économique.

Ainsi, le parc de Yellowstone est organisé en une importante filière économique, géré par près de 800 employés, dont les fameux Rangers, avec un budget de 33 millions $ en 2020. Soit plus du tiers du budget alloué à l’ensemble des onze parcs nationaux en France, qui comptent également près de 800 personnes. Chaque année, les touristes dépensent environ dix fois plus, soit environ 333 millions $, dans les 2 225 chambres, 28 lieux de restauration, 21 boutiques, 11 épiceries et 5 campings gérés par le parc… sans oublier les droits d’entrée au Yellowstone, fixés à 35 $ par véhicule en 2020. Ces lieux d’hébergement et de commerce sont positionnés à proximité de la Grand Loop Road et jamais très loin des « honey pots ». On doit également relever la pratique autorisée de la pêche — contrairement à la chasse — mais encadrée, ainsi que la plaisance, avec un port sur le lac Yellowstone qui génère des revenus et attire des visiteurs.

Entre 2008 et 2015, la fréquentation annuelle du parc national de Yellowstone a augmenté de + 40 %, portant le nombre de visiteurs à plus de 4 millions par an, un record qui s’est maintenu jusqu’en 2019. La fréquentation du parc a évidemment été fortement impactée par la crise sanitaire mondiale, avec la fermeture ponctuelle du parc en 2020 en raison du COVID-19.

Mais l’intensification des flux touristiques est une tendance de fond. Elle est à relier à l’explosion générale des flux d’un tourisme de masse mondialisé. L’appartenance des États-Unis au 3e bassin touristique mondial — Amérique du Nord – Caraïbes — explique l’importance assez logique des flux continentaux — américains à plus de 80 % puis canadiens. Mais les flux extra-continentaux croissent encore plus fortement (Européens et Asiatiques, surtout Chinois). Cette pression touristique est accentuée dans le temps et l’espace par une fréquentation essentiellement estivale — juillet et août — pour des raisons principalement climatiques : tous les sites sont alors accessibles, tandis que l’hiver montagnard, enneigé et rude, permet l’ouverture d’une seule route au public.

Vers une meilleure gestion des flux pour concilier fréquentation et protection ?

Yellowstone, déclaré Réserve internationale de la biosphère en 1976 avant d’être inscrit sur la liste du Patrimoine mondial deux ans plus tard, a cependant été placé en 1995 sur la liste du Patrimoine mondial en péril. Les motifs d’inquiétude de l’UNESCO sont alors nombreux : activités minières, mauvaise qualité de l'eau, affluence touristique et usage des motoneiges pour ne mentionner que les principaux. Les efforts du National Park Service ont cependant porté leurs fruits, le parc étant retiré de la liste en 2003.

Mais des problèmes demeurent, montrant que la stratégie des « honey pots », survalorisés, atteint certaines limites. Les flux sont tels que l’expérience des touristes est altérée par la foule, la dégradation fréquente de certains équipements ouverts au public (toilettes…), la congestion routière et la saturation des aires de stationnement. Cette pression touristique perturbe la faune et entraîne le piétinement de la végétation. Elle accentue également les conflits d’usage, autour de sujets multiples tels que les loups, les feux de forêt, le pompage de l’eau…

Les comportements à risque croissants — accidents de la route, randonneurs perdus — sollicitent toujours plus les employés du parc, dont le nombre et le budget n’augmentent pas. Ces comportements ont parfois des conséquences dramatiques, rappelant la dangerosité potentielle d’un site volcanique. Ainsi, par exemple, en 2016, un jeune Américain, transgressant l’interdiction d’accès à un site, est mort dissous dans les eaux bouillantes et acides d'une source chaude. Plus récemment, un couple prenant un selfie est également décédé.

Les défis posés par cette pression touristique croissante, notamment estivale, et par l’évolution des pratiques des visiteurs — mise en danger de soi et des autres, « hors-piste », pratiques contemplatives — poussent les autorités du parc à étudier de futures stratégies de gestion des flux. Elles s’appuient notamment sur une meilleure communication, une gestion plus rationnelle du trafic routier avec des systèmes de navettes ou d’autres transports alternatifs pour limiter les émissions de carbone. Des systèmes de réservation (entrée dans le parc, parking) ou de limitation de durée sur place sont également envisagés. Des enquêtes sont menées chaque été auprès des visiteurs pour recueillir leurs impressions et élaborer des solutions. De nouveaux aménagements routiers sont ainsi programmés (parkings, accotements), notamment dans le Midway Geyser Basin, le bassin de notre image, l’un des plus congestionnés du parc.

Le parc de Yellowstone, comme les 6 500 autres parcs nationaux — et les 200 000 aires protégées — que compte actuellement le monde, est un symbole de fierté nationale, mais à condition de pouvoir protéger encore longtemps cette « nature sauvage » dans l’un des parcs les plus renommés de la planète.

Image complémentaire

Le lac de sources chaudes avec ses couleurs vives

Ressources complémentaires

Bibliographie
  • Lionel Laslaz (dir), Atlas mondial des espaces protégés. Les sociétés face à la nature, Autrement, Collection Atlas/Monde, 2012, 96 pages
  • Samuel Depraz, Stéphane Héritier, « La nature et les parcs naturels en Amérique du Nord », L'Information Géographique 2012/4 (Vol. 76), p. 6-28.
Sitographie

Auteurs

  • Sylvie SANGARNE, professeure agrégée d’histoire-géographie, BTS Tourisme, Lycée Colbert, Lyon.
  • Nicolas VERMEERSCH, professeur d’histoire-géographie, BTS Tourisme, Lycée Fénelon, Cambrai