En Terre de Baffin, Iqaluit (ᐃᖃᓗᐃᑦ) est la plus grande ville et la capitale du Nunavut (ᓄᓇᕗᑦ), territoire fédéral au Nord du Canada. Sur le 63°45’ nord, la ville est située dans la baie de Frobisher, et son histoire est marquée par les grandes explorations, la colonisation puis la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, une base militaire étasunienne étant en 1942 à l’origine de la naissance de la ville. Aujourd’hui symbole des revendications des Peuples autochtones, cette ville - capitale du territoire depuis 2001 - abrite des administrations fédérales, territoriales et municipales. Si elle ne compte environ que 7 000 habitants, elle est d’une importance géopolitique majeure dans l’occupation, le contrôle et la valorisation des immenses espaces désertiques d’un Arctique convoité sur lequel le Canada n’a de cesse de réaffirmer sa souveraineté. Enfin, elle se trouve aux premiers rangs face aux changements climatiques
Légende de l’image
Images de la ville de la baie de Frobisher et de la ville d’Iqaluit, prise par par le satellite Sentinel 2B le 6 septembre 2018. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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L'image ci-contre indique quelques repères géographiques de la baie de Frobisher
Présentation de l’image globale
Iqaluit (ᐃᖃᓗᐃᑦ) et la baie de Frobisher
A l’échelle locale, l’image nous montre au centre la baie de Frobisher, qui constitue une immense échancrure nord/sud longue de 320 km qui pénètre cette portion du bouclier canadien dont les altitudes culminent à 650 m/750 m (cf. Mont Augustus, sud-est Iqaluit, 756 m.). Elle est comprise entre deux très grandes péninsules : à l’est, la Hall Peninsula ; à l’ouest la Meta Incognita Peninsula. A l’échelle régionale, nous sommes ici au sud de la Terre de Baffin. Au sud-est (hors image) se déploie l’Hudson Strait qui relie l’immense Baie d’Hudson à la Mer du Labrador et au delà à l’Océan Atlantique Nord. A l’est se déploie le Davis Strait et de l’autre côté de celui-ci l’immense Groenland. La région est donc en position frontalière. La ville d’Iqaluit est ainsi à la même latitude que Nuuk, la petite capitale du Groenland, mais dans un contexte beaucoup plus froid. Dans un milieu aux très fortes contraintes, la ville se trouve donc au fond de la baie dans un site en position d’abri.
Un site d’abri dans un milieu aux très fortes contraintes
Sur l’image, on distingue à peine en fond de baie, la ville d’Iqaluit. À part cette petite ville, l’endroit apparaît désert. La ville d’Iqaluit, bien que située (63°45’ nord) au sud du cercle arctique (66°33’ nord) se trouve au contact de deux grandes zones bioclimatiques du climat polaire : la zone subarctique au sud, la zone arctique au nord.
La ville se situe au nord de la ligne de Köppen : il n’y a plus d’arbres – d’où ce paysage très largement dénudé dans lequel on ne distingue que la roche qui affleure. La température annuelle moyenne est de – 9,6°C, et varie de + 6,8°C au mois d’août à – 26°C en janvier et février. Certaines pointes ont pu descendre à – 45°C, avec des températures ressenties de – 65°C du fait de blizzards glaciaux venant du nord. Par contre, les précipitations sont globalement médiocres (404 mm par an) du fait d’un climat continental froid, 57 % tombant sous forme de neige.
On peut déceler encore çà et là des patchs de couleur verte qui correspondent à la toundra arctique. Le mot toundra vient du sami - peuple autochtone du nord de la Scandinavie et dont le territoire s’étend de la Norvège à l’est de la Russie en passant par la Suède et la Finlande - qui signifie « terre sans arbre ». Il s’agit ici de toundra arctique, le biome que l’on retrouve entre la bande occupée par la forêt boréale – ou taïga en russe - et la glace permanente. Compte tenu des conditions extrêmes – froid et ensoleillement absent une partie de l’année (ou très limité), ce type de végétation se caractérise par le paysage rocailleux que l’on peut voir ici. Au moment de la fonte saisonnière des neiges, l’abondance d’eau peut cependant entraîner la formation d’une dense végétation estivale constituée de mousses et de lichens. On distingue par exemple ici encore quelques motifs sur la roche, attribuables aux lichens, typiques de la toundra arctique.
L’importance de la mer et de la vie maritime
En Inuktitut, Iqaluit signifie « eau poissonneuse », et la pêche y est une ressource importante. L’image est ici prise en septembre – d’où une absence complète de glace, et seulement quelques patchs de végétation restants. La glace de mer se reforme habituellement entre octobre et novembre et toute la baie reste alors gelée pendant environ huit mois. Ce qui a longtemps permis aux populations locales de pratiquer la chasse et la pêche autour de la baie (caribous, poissons, phoques, morses, baleines…).
On peut distinguer ici la présence de nombreuses îles ou îlots qui ferment partiellement l’accès à la baie, correspondant à des racines de plis de roches plus dures et résistantes à l’érosion. Le modelé glaciaire et périglaciaire domine toute l’image. On doit aussi relever l’importance des estrans – cet espace alternativement couvert et découvert par le jeu des marées - le long des côtes, soulignant d’importantes marées. À Iqaluit, les marées sont en effet parmi les plus importantes au monde, en pouvant aller jusqu’à 11 m d’amplitude.
En été notamment, puisque la mer est libre de glace, les marées sont particulièrement hautes. Mais cela n’empêche pas une navigation saisonnière, qui prend fin avec l’apparition de la glace. Enfin, Iqaluit est située à proximité directe de la rivière Sylvia Grinnell, que l’on distingue à l’ouest de la ville et qui se jette directement dans la baie de Frobisher. Il s’agit d’une importante source d’eau douce.
Une situation marquée par l’isolement et l’éloignement
Sur l’image, on constate nettement l’isolement et l’éloignement qui sont deux grandes caractéristiques du Grand Nord canadien. Le territoire est immense, mais très peu peuplé. La densité de population au Nunavut est ainsi inférieure à 1 habitant au km2, avec un seuil situé à environ 0,017 habitant au km2. C’est l’une des zones les moins peuplées au monde.
Les Inuits de la région ont vécu pendant des siècles en petits groupes nomades autour de la baie, subsistant grâce à la chasse et à la pêche, qui fournissaient vêtements et nourriture. L’explorateur anglais Martin Frobisher – qui donna donc son nom à la baie - est le premier européen à entrer en contact avec eux en 1576, alors qu’il était à la recherche d’un détroit qui le conduirait vers l’Asie. Plus tard, en 1914, la compagnie de la Baie d’Hudson y établit un comptoir d’échange.
Le poids des héritages de la Guerre froide : une ville portée par la militarisation du Grand Nord arctique
Mais ce n’est qu’avec la Deuxième Guerre mondiale et surtout la Guerre froide que les populations vont établir des campements sédentaires là où se situe actuellement la ville d’Iqaluit. En 1942 en effet, les États-Unis fondent conjointement la base (Frobischer Bay Air Force Base) et la ville de Frobischer Bay : celle-ci s’inscrit dans le pont aérien et maritime qui relie les Etats-Unis au Royaume-Uni via en particulier le Grand Nord, le Groenland, l’Islande et l’Irlande. Cette base aérienne à la pointe de la baie emploie alors des Inuits de façon saisonnière.
La vile connaît un nouveau boom durant la Guerre froide qui accélère tant du côté étasunien que russe la militarisation des territoires du Grand Nord arctique (cf. base de Thulé avec armes atomique au Groenland voisin). La ville sert en effet de support entre 1954 et 1957 à la construction de la ligne DEW (Distant Early Warning Line). Cette ligne de 63 stations de surveillance radar du système d’alerte NORAD est déployée sur 10 000 km d’ouest en est de l’Alaska à l’île de Baffin et le Groenland. L’île de Baffin compte une dizaine d’installations du DEW (nord de la péninsule de Cumberland), dont deux proches d’Iqaluit : le littoral de la Hall Peninsula à l’est et au sud l’île de Resolution Island qui contrôle l’Hudson Strait.
Elle constitue un mécanisme de surveillance essentiel des missiles terrestres intercontinentaux (sol/sol) de l’URSS pendant la Guerre Froide. Mais l’apparition des sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) équipés de missiles balistiques mer/sol accélère l’obsolescence d’une partie de la DEW. Une partie des installation est fermée et abandonnée, une partie reprise et modernisée : c’est le cas de la ville de Frobischer Bay, même si la Frobischer Bay Air Force Base ferme pour sa part en 1963. Dans la région, à la pointe de la Meta Incognita Péninsula, l’île de Resolution Island abrita de 1954 à 1973 une des bases américaines du DEW. Elle entra dans les projecteurs de l’actualité du fait de la polémique développée entre les Etats-Unis et le Canada sur ses très forts taux de pollution (métaux lourds, amiantes, hydrocarbures…) et la prise en charge technique et le financement des très lourds travaux de dépollution.
L’ancienne DEX est en effet remplacée en 1985 par le NWS (North Warning System, Système d’alerte du Grand Nord), déployé de l’Alaska au Groenland, qui surveille l’espace aérien du Grand Nord grâce à 13 grandes stations radars modernisées à longue portée. Dans ce contexte, cinq grandes stations principales sont conservées dans le Grand Nord canadien : Inuvik, Yellowknife, Rankin Inlet, Kuujjuaq et bien sur Iqaluit. En 1990, l’effondrement de l’URSS pousse les Etats-Unis a reconfigurer leur dispositif géostratégique. L’US Air Force, qui avait en charge la gestion du système, retire ses hommes du Canada et transfère le commandement aux Forces armées canadiennes. Rachetée par Ottawa, l’ancienne base aérienne militaire devient un important nœud de communication régional.
L’affirmation des revendications inuites : l’émergence du Nunavut et de sa une nouvelle capitale
Comme dans toute le Grand Nord arctique, de l’Alaska au Groenland, la montée des revendications des Peuples premiers se traduit par d’importants changements dans les années 1980/1990. En 1987, la ville change ainsi de manière très emblématique de nom pour revenir « Iqaluit ».
En 1993, l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, posant la première pierre de la création du Territoire du Nunavut, est signé. Deux ans plus tard, en 1994, Iqaluit est désignée comme capitale du nouveau Territoire du Nunavut. Ce Territoire fédéral du Grand Nord Arctique couvre 2 millions de km2 et est peuplé de 36 000 habitants. Forte de ce statut de capitale fédérale, elle bénéficie de liaisons aériennes plus fréquentes et directes avec le reste du territoire canadien que d’autres communautés. Cependant, le coût très élevé des voyages et l’importante contrainte que constitue la glace pour la navigation plus de 8 mois par an isole – de fait – la ville.
Zoom d'étude
Iqaluit, une ville au cœur de l’Arctique canadien face aux changements climatiques
Une petite ville littorale constituant un isolat
Iqaluit est une petite ville, qui compte seulement un peu plus de 7 000 habitants. Elle se trouve au fond d’une petite baie sur un littoral relativement bas et émoussé dans lequel l’estran – espace alternativement couvert et découvert par le jeu des marées - est considérable comme le montre cette image prise à marée basse.
L’image montre un peuplement clairsemé et étalé. La ville est reliée, en direction du sud-est, à la petite communauté d’Apex (Niaqunngut en Inuktitut). Quand Iqaluit était une base militaire, c’est notamment ici que résidaient les populations inuites qui y travaillaient. Il s’agit des deux seuls établissements de population bien visibles.
On distingue relativement peu d’infrastructures de transport : un port, sur la pointe sud-ouest, lui-même relié à un aéroport, et quelques routes. L’aéroport établit quelques liaisons avec d’autres communautés du Nunavut, mais aussi avec Yellowknife, Vancouver et Québec. C’est beaucoup plus que pour toutes les autres communautés du Nunavut où le transit via Iqaluit – nœud aérien régional donc - est obligatoire pour rallier le Sud.
Isolement, infrastructures et impact du changement climatique
Les infrastructures routières sont très limitées : il existe d’ailleurs une route à Iqaluit qui s’appelle littéralement la « route vers nulle part » : et effectivement la ville n’est reliée à aucune autre communauté par la route. De fait, la présence de glace huit mois par ans est un vrai défi en termes d’infrastructures. Lorsque la glace est suffisamment solide, les communautés se déplacent directement dessus. Cependant, parmi les conséquences du changements climatiques les plus ressenties par les communautés locales, la grande imprévisibilité des conditions de glace et sa plus grande friabilité ont entraîné plusieurs accidents.
A ce titre, ce mode de déplacement – indispensable à la subsistance des communautés durant l’hiver – est à risque. En effet, l’une des conséquences de cet éloignement est le coût très important des denrées alimentaires disponibles dans les épiceries. Le maintien d’un mode de vie traditionnel est donc essentiel pour la sécurité alimentaire des communautés.
Une petite capitale régionale
En tant que capitale territoriale du Territoire du Nunavut, la ville dispose de bâtiments administratifs, et notamment de celui de l’Assemblée législative du territoire. La ville compte également un hôpital et une école : les services de base sont fournis, mais pour un accès à des soins spéciaux ainsi qu’à l’enseignement supérieur, les communautés n’ont d’autre choix que de se rendre dans le sud. Cela ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes, notamment en termes de rétention de la population. Le taux d’éducation supérieur demeure faible, bien qu’en augmentation, et il est parfois complexe de faire revenir les jeunes qui avaient quitté la ville pour des études supérieures, faute d’emplois disponibles.
À l’ouest de la ville et de la rivière Sylvia Grinnell se situe le parc éponyme. La rivière est un endroit privilégié pour la pêche de l’omble chevalier, un poisson très important pour l’alimentation des populations locales. Le parc accueille aussi un petit nombre de touristes chaque année, et propose ainsi plusieurs sentiers de randonnées qui permettent l’observation de la faune locale notamment. Compte tenu des coûts de transport pour se rendre à destination, le tourisme demeure toutefois très limité. Dans la région du parc, des ruines archéologiques suggèrent une occupation humaine de la zone ancienne, remontant à plus de trois millénaires.
Le paysage du parc a été modelé par la dernière glaciation qui remonte à plus de 7 000 ans. A l’époque, la glace mesurait plus de 1.000m d’épaisseur et était donc pérenne. C’est le mouvement de ces glaciers massif qui a façonné la roche telle que l’on peut la voir aujourd’hui. Le cycle de glace saisonnier continue de marquer la morphologie aujourd’hui, mais dans une bien moindre mesure. L’érosion commence à progressivement attaquer les côtes, même si la ville d’Iqaluit n’est pas parmi les plus à risques dans l’Arctique canadien.
Zoom de l'image générale sur la ville d'Iqaluit
Repères géographiques
D’autres ressources
Le Pan Inuit Trail Atlas : Un outil très intéressant pour visualiser les circuits empruntés par les populations inuits et mesurer l’importance à la fois de la mer et de la glace dans le mode de vie des populations autochtones
Sur le site Géoconfluences de l’ENS de Lyon :
Bibliographie : les régions de l’Arctique
Dossier : Les mondes arctiques, espaces, milieux, sociétés
Contributeur
Pauline Pic, agrégée de géographie, doctorante à l’Université Laval (Québec, Canada)