Le pont Ambassador, qui relie Détroit aux États-Unis et Windsor au Canada est le passage frontalier national le plus fréquenté d’Amérique du Nord. Bloqué pendant une semaine par des manifestants dans le cadre du mouvement du « Convoi de la liberté », il a été ré-ouvert dimanche 13 février 2022, permettant à nouveau la libre circulation du commerce entre les économies canadienne et américaine.

Une semaine de conflit social et de blocage
Durant une semaine au mois de février 2022, le Pont Ambassador qui relie les États-Unis au Canada, plus exactement la ville de Détroit à celle de Windsor sur les Grand Lac, a été bloqué par un mouvement social des chauffeurs routiers canadiens. L’intervention du président des États-Unis Joe Biden demandant au Premier Ministre canadien Justin Trudeau de rétablir l’ordre - c’est-à-dire la libre-circulation sur l’ouvrage - est venue rappeler le rôle majeur joué par cette infrastructure dans les échanges commerciaux entre les deux pays.
En effet, si 400 poids-lourds pouvaient paralyser par une température pouvant atteindre - 30°C, car nous sommes en hiver, durant deux semaines Ottawa, la capitale fédérale, ceci restait une affaire intérieure au Canada ; en bloquant le Pont Ambassador le mouvement changeait à la fois d’échelle et de dimension en « internationalisant » le conflit. Car si dans l’Ouest, quelques postes frontaliers furent bien un peu perturbés entre le Manitoba et le Dakota du Nord ou entre l’Alberta et le Montana, ces phénomènes étaient sans commune mesure avec la situation dans les Grands Lacs.
L’importance du pont Ambassador : 25 % des échanges Canada/États-Unis
On évalue en effet à 323 millions de dollars étasuniens la valeur des biens - industriels (produits automobiles...) ou agricoles - traversant chaque jour le pont, tant les deux économies voisines sont intégrées et interdépendantes dans une division régionale - la région des Grands Lacs - et continentale du travail. Soit 25 % des échanges États-Unis/ Canada qui passent par un seul nœud frontalier.
C’est ainsi que les constructeurs automobiles Ford, Stellantis et Toyota qui disposent d’usines de chaque côté de la frontière ont été contraints de suspendre ou de ralentir la production de leurs usines de l’Ontario et de renvoyer quelques 5 000 salariés chez eux. Soulignant ainsi l’imbrication des chaînes techniques d’approvisionnement et les fragilités induites par le « juste-à-temps ». A ceci s’ajoutent les flux de dizaines de milliers de travailleurs frontaliers, en particulier canadiens, qui traversent le pont pour rejoindre chaque jour leur lieu de travail.
Le pont, les accès et les postes frontaliers : la cristallisation de la frontière
Comme le montre les images satellites, le pont est une infrastructure majeure reliant les deux villes séparées par la puissante rivière Détroit qui passant des lacs Hurons puis Saint Clair dans le Lac Erie sert de frontière internationale. De chaque côté de manière symétrique de puissants axes routiers ou autoroutiers drainent la circulation jusqu’au pont. Celui-ci est complété vers l’est - donc à droite de l’image - par un tunnel ancien aujourd’hui largement déclassé. Du fait de sa saturation et de son vieillissement, le Pont Ambassador va être doublé d’ici une décennie par un nouveau pont beaucoup plus moderne, dont les premiers travaux viennent d’être lancés.
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Partie étatsunienne de la frontière et la ville de Détroit
Les friches industrielles le long du fleuve sont nombreuses, tout comme les surfaces abandonnées dans les zones pavillonnaires qui apparaissent en vert du fait de la végétation qui reprend ses droits. Frappée par une profonde crise structurelle - économique, industrielle, sociale et urbaine - depuis des décennies, Détroit est bien une « Shrinking city », une ville rétrécissante vivant dans des vêtements urbains dorénavant bien trop larges pour elle. Sur les deux rives du même fleuve, la frontière sépare deux trajectoires urbaines bien dissemblables malgré la proximité des territoires.
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Partie canadienne de la frontière et la ville de Windsor
La ville semble bien tenue, dynamique et assez vivante. On distingue facilement les zones pavillonnaires, le grand centre commercial et le pôle des services. On distingue bien aussi la quatre- voies empruntée par de nombreux poids-lourds, qui aboutit au poste frontalier contrôlant côté canadien les entrées, alors que l’itinéraire de sortie du Canada vers les États-Unis contourne l’ensemble par l’est. Une vingtaine de portillons sont ouverts : à droite ceux destinés aux voitures, à gauche ceux destinés aux poids-lourds. En ce 7 mai 2019, un vaste bouchon créé par les contrôles douaniers remonte largement vers le pont et y freine la circulation.
Pour compléter
Sur le site CNES Géoimage :
Laurent Carroué : Canada / États-Unis. Détroit-Windsor : un doublet urbain dans la région transfrontalière des Grands Lacs
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/etats-unis-canada-detroit-windsor-…
Laurent Carroué : États-Unis - Détroit : une « Shrinking city », entre crise automobile, ségrégation et évitement
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/etats-unis-detroit-une-shrinking-c…
Auteurs
- Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, et directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)
- Fabien Vergez, IA-IPR histoire-géographie - académie de Toulouse.