Sur le littoral normand de la Manche, dans le département du Calvados, Deauville est une station touristique de réputation internationale qui illustre bien les transformations d’un espace par sa mise en tourisme. Commune de moins de 4 000 habitants permanents, mais d’une capacité d’accueil touristique de 32 000 personnes, dont 28 000 en résidences secondaires, elle est devenue un haut lieu du tourisme mondialisé, à la fois en raison de ses origines élitistes liées à son ancienneté mais aussi de sa capacité à s’adapter aux systèmes touristiques successifs. Si l’ancienneté de sa fonction se lit toujours dans ses paysages, la station est confrontée à de nouveaux enjeux.
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Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 04/05/2016. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.
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Repères géographiques
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Deauville et la Côte fleurie normande
En Normandie, en pays d’Auge, dans le département du Calvados, cette portion de la façade littorale de la Manche s’inscrit dans le prolongement de la rive méridionale de la Baie de Seine, qui se déploie entre Le Havre et Caen. Nous sommes sur la Côte fleurie, un des littoraux touristiques les plus renommés. De Honfleur à Merville-Franceville, sur une trentaine de kilomètres, ce littoral est ponctué de villes évocatrices de la première mise en tourisme de la Manche, au XIXe siècle : Cabourg, Houlgate, Trouville et Deauville. Les vergers en fleurs et les jardins des villas en bord de mer lui valent le choronyme de « Côte Fleurie » au tout début du XXe siècle.
Un littoral du pays d’Auge sous pression urbaine et touristique
D’orientation sud-ouest / nord-est, la portion de littoral visible sur cette image est coupée verticalement par le bassin versant de la Touques, petit fleuve côtier séparant Trouville (sur la rive droite) de Deauville (sur la rive gauche), identifiable par ses deux hippodromes et son plan en damier, véritables géomarqueurs de cette station. L’estuaire de la Touques est ainsi intégralement englobé dans la matrice urbaine, sa zone d’accrétion sablo-vaseuse à l’embouchure du fleuve ayant pratiquement disparue en raison de nombreux aménagements.
Les discontinuités entre espaces bâtis et non bâtis apparaissent nettement sur l’image. Les espaces non bâtis rappellent l’inscription de ce territoire dans des logiques de paysages régionaux : les espaces bocagers sur les terrasses sédimentaires (le bocage du Pays d’Auge) et les espaces forestiers résiduels sur les coteaux. Ces paysages « naturels », qui occupent la moitié de la surface de l’image, sont sous pression foncière en lien avec l’attractivité touristique de la Côte fleurie.
L’urbanisation se concentre essentiellement le long du littoral mais aussi le long des rives de la Touques, axes principaux de diffusion. Ainsi les espaces bâtis de Deauville jouxtent à l’ouest ceux de Bénerville-sur-Mer et Blonville-sur-Mer. Et sur la rive droite de la Touques, ceux de Trouville rejoignent ceux de Touques et de Bonneville-sur-Touques.
Une intercommunalité polarisée par Deauville qui sert de marque d’appel
Ces cinq communes présentes sur l’image sont associées à six autres dans une intercommunalité, la Communauté de Communes Cœur Côte Fleurie. Elles forment la région la plus touristique de Normandie avec 1/5e des nuitées touristiques régionales, loin devant la Vallée de la Seine (1/7e).
À la faveur de la loi NOTRe (Nouvelle organisation du Territoire de la République, qui transfert depuis 2017 la promotion touristique aux intercommunalités), dix d’entre elles ont choisi de mettre Deauville en avant. La nouvelle marque de territoire « InDeauville » traduit cette polarité, en convoquant l’imaginaire touristique d’une station renommée au rayonnement international. La 11e commune désirant assurer seule sa promotion est justement l’autre centralité de l’intercommunalité : Trouville-sur-Mer. Cette ville de 4 800 habitants est une station balnéaire de 1e génération, qui précède Deauville à la fois en ancienneté et en fréquentation et qui tient donc à conserver son autonomie.
L’invention de Deauville : site, situation, acteurs et pratiques touristiques font système
Deauville est une grande station balnéaire et de villégiature de luxe née au XIXe siècle, sous le Second Empire, de la conjonction d’atouts liés à son site, à sa situation, et surtout au contexte socio-culturel de l’ère industrielle, entre la 1e et la 2e révolution touristique.
La topographie de la Côte Fleurie facilite, au XIXe siècle, le développement de Deauville. Les vastes estrans sableux - d’un continuum de près de 4 km visibles sur l’image, avec plus de 2,5 km au sud de l’embouchure de la Touques – sont propices à la création de stations. Ils alternent avec des falaises calcaires, bien visibles aux deux extrémités de l’image, prolongées par des profils doux et bosselés. La Côte Fleurie est en effet un linéaire de calcaires érodés qui appartient à la Normandie sédimentaire, par ancrage de la partie orientale du Calvados au Bassin parisien. La transition vers le plateau augeron s’effectue ensuite par des coteaux moyennement pentus où les altitudes maximales sont de 112 m au sud-ouest de l’image et de 143 m au nord-est. Ces coteaux accueillent initialement les noyaux villageois initiaux.
Par ailleurs, les eaux fraiches de la Manche (6 à 8° C l’hiver, 18-20 °C l’été) deviennent des aménités biogéographiques recherchées au XIXe siècle, car elles sont propices aux bains thérapeutiques alors pratiqués. Et la Côte Fleurie est relativement protégée de la houle et des fortes variations thermiques grâce à la proximité de la presqu’ile du Cotentin.
A la faveur d’un nouveau regard des élites sur le rivage, jusque-là « territoire du vide » (A. Corbin), de nouvelles pratiques sont adoptées puis se diffusent. Elles sont d’abord thérapeutiques (bains à la lame en eau froide) puis de plus en plus récréatives et « recréatives » : casino, courses, pratique sociale de la plage, promenade et contemplation du paysage littoral … Elles s’inscrivent dans un tourisme de villégiature puis de stations mondaines cultivant l’entre-soi et le luxe des équipements caractéristiques du 1e système touristique.
La Manche est 1e littoral au monde à être mis en tourisme. Le foyer initial est britannique avec les stations balnéaires du 1e système touristique telles que Brighton ou Ramsgate (fin 18e siècle, début du 19e siècle). La diffusion spatiale du tourisme se réalise en partie le long de cette côte, en Bretagne (Dinard) comme en Normandie, puis vers la Mer du Nord (Ostende) et l’Atlantique (Arcachon, Biarritz). Les perspectives de développement balnéaires sont considérables. Une dizaine de plages normandes sont déjà fréquentées au milieu du XIXes comme Cabourg, Villers-sur-Mer, Houlgate ou Trouville-sur-Mer. Ainsi la proximité géographique de grands foyers émetteurs de clientèle distinguée (élites aristocratiques et bourgeoises européennes, essentiellement de Paris et de Londres) est déterminante pour Deauville.
D’un point de vue géohistorique, Deauville est l’archétype du lieu produit par un 2e système touristique alors en émergence : la station balnéaire née d’une logique économique capitalistique menée par des acteurs volontaristes et organisés. L’image en témoigne par la présence deux marqueurs spatiaux significatifs.
Une observation de la rive gauche de la Touques, au niveau de l’embouchure, révèle le premier : un vaste plan « en damier et en étoile », caractéristique de la station ex-nihilo qu’est Deauville (contrairement à Trouville). Elle se caractérise par ses rues perpendiculaires et parallèles au rivage et ses centralités majeures : la plage et sa promenade des Planches, les villas et hôtels luxueux, le casino, les hippodromes et la gare, au débouché d’un tracé ferroviaire qui longe la Touques et connecte le lieu aux principaux foyers touristiques émetteurs d’un écoumène touristique en plein essor. La gare est le second marqueur, car Deauville est née du rail, une des caractéristiques majeures des lieux produits par le 2e système touristique.
Du marais à la station mondaine, de l’endroit au haut-lieu
En plein essor depuis les années 1830 et alors spatialement très à l’étroit, Trouville lorgne alors sur des terrains inexploités (des marais) situés en continuité de sa plage, sur l’autre rive de la Touques. Ils correspondent aux zones basses de déversement des eaux, coincées entre le Mont Canisy (repérable au centre et au sud de l’image) et les collines de Trouville. Ils appartiennent à Deauville, qui n’est alors qu’un petit village flanqué sur le flanc septentrional du Mont Canisy, avec sa chapelle et quelques maisons rurales. C’est sur ces marais qu’est créée, ex-nihilo, à partir de 1859, une station balnéaire au plan conçu par un architecte parisien : Desle-François Breney, auteur du casino de Trouville et futur maire de Deauville.
Les terrains sont acquis et commercialisés par des promoteurs immobiliers (Société des Terrains de Deauville, associant le docteur Olliffe et le banquier Armand Donon), avec le soutien et la forte empreinte du célèbre Duc de Morny, demi-frère de l’Empereur Napoléon III. Les capitaux mobilisés permettent de créer la station ex-nihilo en quelques mois, d’en faire la promotion et de la placer à 5 heures de Paris grâce au prolongement de la ligne de chemin de fer Paris-Lisieux.
Équipements, fréquentation et accessibilité d’un haut-lieu au rayonnement international
Aujourd’hui, l’accessibilité du territoire est multimodale et reflètent les singularités de Deauville. La gare de Trouville-Deauville met Paris à deux heures de Deauville. La fréquentation de Deauville est essentiellement nationale, avec une clientèle de proximité francilienne (50 % des nuitées touristiques) qui impose son rythme au lieu, parfois surnommé « Le 21e arrondissement de Paris » ou le « Faubourg Saint-Germain maritime ».
Les visiteurs étrangers représentent à Deauville 20 % des nuitées touristiques (essentiellement des Britanniques, Belges, Néerlandais et Américains), plaçant l’aéroport Deauville-Normandie, situé à Saint Gratien, au 1e rang des aéroports de Normandie avec celui de Caen-Carpiquet, loin devant donc Le Havre, Rouen et Cherbourg.
Deauville est connectée à l’autoroute A13 Paris-Caen, via l’autoroute A131(échangeur de Pont-l'Évêque – Lisieux). Mais l’accessibilité interne est parfois difficile, en raison de la saturation de l’autoroute et des voies d’accès en saison estivale et en fin de semaine.
L’aéroport de Deauville est également 2e aéroport français pour le fret des chevaux (derrière Roissy). Car le cheval est un enjeu territorial majeur pour Deauville. Ses impacts locaux sont forts, notamment en matière de paysage. Le cheval est partout : hippodromes (au nombre de deux, ce qui est unique en France), écuries, établissement de vente, et même sur la plage. ... Depuis cent cinquante ans, la station balnéaire utilise l’hippisme comme outil de développement touristique, non en complément de l’activité balnéaire, mais bien comme vecteur d’une véritable identité territoriale.
La promotion territoriale est également portée par d’autres géosymboles de Deauville. Sa célèbre Promenade des Planches et ses 450 cabines de bains attribuées, depuis 1897, au risque de la saturation, à une célébrité cinématographique lors d’un des Festivals est l’un d’eux. Le dessin des lices de ces mêmes cabines est d’ailleurs commercialisé par la ville en partenariat avec des prestataires haut de gamme (Guy Degrenne, Chanel), tout comme le noeud deauvillais des parasols sur la plage (commercialisé par la Maison Longchamp).
Haut lieu du tourisme de luxe avec ses hébergements haut de gamme (dont deux palaces 5 étoiles), Deauville est aussi un lieu de coprésence entre résidents permanents, résidents secondaires et visiteurs de passage. La station est devenue ville. L’économie présentielle et le développement résidentiel (60 % des logements sont des résidences secondaires) nourrissent des défis majeurs, comme la baisse tendancielle du nombre d’habitants permanents et l’arrivée de résidents secondaires, dans un chassé-croisé démographique au sein du territoire dont la population vieillit. Également, si Deauville a échappé à la verticalisation de son front de mer, la pression immobilière est forte, menaçant les patrimoines les moins protégés et des espaces naturels et agricoles.
Zooms d’étude
Une station balnéaire et son plan hérité, aux mutations successives
Le plan en damier, marqueur spatial de la station des origines
L’image spatiale permet clairement d’identifier la composition d’ensemble du plan de 1859, celui de la station des origines dont il reste fort peu aujourd’hui. Ce plan repose sur une structure géométrique en damier et en étoile : rues perpendiculaires et parallèles au rivage, larges boulevards, plan orthogonal classique inspiré de principes haussmanniens du XIXe siècle et permettant à une clientèle urbaine et distinguée de conserver ses repères. Parallèle à la Terrasse, l’Avenue Impériale (actuelle rue de la République) reprend l’ancien chemin vicinal dit des douaniers qui se prolonge vers la gare et un Pont de l’Union reliant Deauville à Trouville. Une avenue (actuelle rue Edmond Blanc) relie le bord de mer au casino. L’espace urbanisé est ainsi délimité et structuré par de larges boulevards.
L’espace est initialement divisé en quatre zones de manière fonctionnelle : deux zones résidentielles (avec villas luxueuses et leurs jardins en front de mer), une zone autour de l’hippodrome, une zone d’habitats populaires entre station et village d’origine (non réalisée). Enfin, le projet initial de Morny étant de créer une ville et non une seule station de villégiature balnéaire, une zone d’activité est aménagée le long de la Touques avec un port et la gare (1863). Reconstruite au début des années 1930 dans un style régional normand, la gare de Deauville-Trouville est inscrite aux Monuments historiques.
Sur les hauteurs, plus au sud, le noyau villageois, volontairement exclu par cet urbanisme de l’entre-soi est désormais englobé dans le tissu urbain, comblé progressivement par des constructions successives, essentiellement sous forme de lotissements, depuis le début du XXe siècle. Deauville s’est fortement densifiée dans un littoral est sous pression foncière, avec des prix de l’immobilier assez semblables à ceux des littoraux français les plus touristiques (Côte d’Azur, Côte Basque...).
Des centralités en lien avec les pratiques sociales d’un tourisme mondain aujourd’hui patrimonialisées
Deauville possède une ancienne façade patrimoniale, bien repérable sur l’image. Jadis en front de mer et aujourd’hui en position de retrait, elle correspond à l’actuelle Avenue de la Terrasse et boulevard Eugène Cornuche, situé à environ 300 mètres de la plage actuelle de Deauville.
Elle est composée de villas luxueuses aux architectures éclectiques, issues des 1e vagues d’urbanisation de Deauville. L’Aire de mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine (AVAP, ex-ZPPAUP) en recense 21 villas (comme la Villa Grisedilis 1871, la Villa Camelia 1865, ou le Cercle de Deauville, 1876 ...), qui ont échappé aux destructions successives.
Au cœur de ce dispositif architectural remarquable, se positionnent des bâtiments emblématiques de Deauville, tels que le casino, 4e de France (sur l’image, le bâtiment plus vaste, à large toiture grise), plusieurs fois reconstruit, ou les deux palaces 5 étoiles de la station (hôtel Normandy, 1912 et Hôtel Royal construit en 1913 à l’emplacement de la villa de Morny) de part et d’autre du casino. Cette ancienne façade bordait la plage, le long de la Terrasse, aménagée pour les promenades contemplatives de la mer et l’accès aux bains curatifs.
Le secteur des Lais de mer, nouvelle façade patrimoniale en front de mer
La particularité de Deauville est de posséder une importante zone tampon entre la cité balnéaire et la mer. Ce secteur est appelé Lais de mer, ces derniers dégagés par une forte tempête en 1874, faisant reculer fortement le trait de côte. L’aménagement d’une nouvelle promenade en front de mer s’impose après une période de fort déclin (fin XIXe s.), à l’heure du renouveau (premier XXe s.). Il s’agit de la Promenade des Planches, devant les Bains pompéiens construits en 1924 et toujours intacts. En totale rupture architecturale avec le mouvement régionaliste alors en vigueur, ces bains Art Déco associent cabines dévolues aux bains thérapeutiques et cabines ouvertes sur la plage.
Ces vastes espaces permettent à la station de s’agrandir et sont rapidement paysagés et aménagés. L’image révèle les surfaces végétalisés (jardins) ou investies par des équipements permettant de poursuivre le développement touristique de Deauville et de diversifier son offre. La piscine olympique et la thalassothérapie (1966, construites sous voutes de béton et rénovée en 2006) et les dix cours du tennis club municipal complètent les équipements sportifs.
Le CID (Centre International de Deauville, célèbre centre de congrès semi-enterré) s’installe en 1992 entre les Planches et le casino. Il devient le lieu d’accueil du Festival du Cinéma américain et du Festival du Cinéma asiatique (ainsi que près de 160 autres manifestations). C’est un dispositif majeur dans le développement du tourisme d’affaires et dans la dessaisonalisation de l’offre touristique de la station, participant à la festivalisation du lieu, et à sa renommée.
L’hippodrome de Deauville-La Touques, un des cœurs de l’activité hippique deauvillaise
L’hippodrome de Deauville- La Touques
L’image est centrée sur le premier et le plus vaste des deux hippodromes de Deauville, celui de Deauville-La Touques, inauguré dès 1864 par le Duc de Morny, grand amateur de chevaux. Morny conçut cet équipement comme un outil de développement touristique. C’est une des centralités majeures au cœur de la station mondaine, répondant à la recherche de divertissement et de sociabilité de la haute société d’alors. Il est aujourd’hui au cœur de stratégies multiscalaires de développement économique liées au cheval, unissant Deauville, la région Normandie, terre d’excellence du cheval, le pôle de compétitivité national Hippolia, et des investisseurs du monde entier.
Son orientation en rupture avec le plan orthogonal peut surprendre. Initialement parallèle à la mer dans le 1e plan de l’architecte Breney, son emplacement est modifié, permettant de l’agrandir en optimisant au maximum la platitude du terrain situé entre la face septentrionale du mont Canisy et la rive gauche de la Touques.
Si la fréquentation de l’hippodrome s’est démocratisée et féminisée, quelques lieux exclusifs rappellent la forte ségrégation socio-spatiale constitutive du lieu, comme les tribunes réservées aux membres du prestigieux Cercle de Deauville, composé de propriétaires d’écuries.
D’une surface de 75 ha, il est spécialisé dans l’accueil des courses de plat, au 1e rang national, loin devant Longchamp ou Chantilly. Les courses d’obstacle et de trot ont lieu dans le second hippodrome, celui de Clairefontaine (40 ha), construit dans les années 1920 par Deauville à Tourgéville, le 1e hippodrome devenant insuffisant.
Les trois pistes de La Touques, deux circulaires (en gazon et en sable) et l’une rectiligne (en gazon) sont nettement identifiables sur l’image. La piste rectiligne, longue de 1 600 m, a été aménagée en 1913. Elle traverse un ancien méandre de la Touques (« la Rivière Morte »), condamné lors de la création de la voie de chemin de fer et relié ensuite au nouveau lit mineur du fleuve par deux canaux, toujours visibles.
Cet hippodrome est l’objet de modernisations régulières. La dernière a permis l’installation d’une couteuse piste en sable fibré (plus de 3 millions d’euros) bien visible sur l’image. Inaugurée en 2003, elle répond aux enjeux d’une dessaisonalisation de l’activité hippique, rendant possible l’organisation de compétitions toute l’année, en dépit des conditions météorologiques.
Courses et ventes de Yearlings : un marché mondialisé
Dans un contexte de compétition mondialisée des courses hippiques, stimulées par les paris, les acteurs concernés sont nombreux. La Touques est au 1e rang des réunions du Pari Mutuel Urbain, le PMU, devant les célèbres hippodromes parisiens (Longchamp ou Saint-Cloud). Les courses sont organisées par la Société de Courses de Deauville, appartement à la société France Galop (Longchamp, Auteuil, Chantilly...).
A 200 m, au nord-est de l’hippodrome, un vaste ensemble de plusieurs bâtiments avec gazon et sol en agrégats sableux de couleur rosée abrite l'établissement de vente Elie-de-Brignac, possédé par la société Arquana. Ses célèbres ventes de Yearlings (poulains futurs champions issus des écuries les plus renommées) attirent des acheteurs du monde entier (Golfe persique, Amérique, Asie, Europe). Elles ont lieu au mois d’aout, alors que la saison hippique bat son plein.
L’hippodrome de la Touques collabore avec le groupe Lucien Barrière. Les spatialités de l’hippisme rejoignent celles de l’hôtellerie de luxe dans une synergie d’acteurs publics et privés empreinte de visées marketing. Le Grand Prix de Deauville est désormais dénommé « Meeting de Deauville Lucien Barrière ». L’hippisme reste un marché très prospère et de plus en plus mondialisé (le Darley Prix Morny du nom des haras de Mohamed-al-Maktoum, émir de Dubai, pour l’autre grande course de la Touques).
A proximité de l’hippodrome mais hors image, un Pôle International du Cheval complète actuellement les équipements de la filière hippique.
Hippodrome, urbanisation et patrimonialisation
Enfin, l’image révèle la coexistence de deux formes d’habiter résidentiel autour de l’hippodrome. Entre l’hippodrome et les établissements Elie-de-Brignac, bien visible sur l’image, la Villa Strassburger et ses 2 ha de parc, une des plus fameuses de Deauville, rappelle la filiation aristocratique du lieu. Construite en style néo-normand par Henri de Rothschild à l’emplacement d’une ferme autrefois possédée par Gustave Flaubert, elle a comme atout principal pour ses propriétaires d’être à proximité immédiate de l’hippodrome. Le milliardaire américain Ralph-Beaver Strassburger la rachète dans les années 1920, se rendant à Deauville pour la saison hippique. Léguée par des héritiers à la ville de Deauville, elle se loue et se visite. Sa patrimonialisation est forte. C’est un des quatre Monuments Historiques de Deauville (inscrite en 1975) émettant un périmètre de protection de 500 m.
De l’autre côté de l’hippodrome, en bord de Touques, le Quartier Pavillons Verdun, ensemble de logements ouvriers construit dans les années 1920 à l’emplacement d’habitats spontanés insalubres pour héberger les ouvriers des industries implantées sur la Presqu’île de la Touques. Bien parallèle à la voie ferrée, cette vingtaine de maisons individuelles ou jumelles à la valeur patrimoniale reconnue forme un ensemble inspiré des cités jardins
Le havre deauvillais-trouvillais : le dynamisme des spatialités de la plaisance
Nous sommes ici à l’embouchure de la Touques dont les eaux plus sombres, chargées d’alluvions, se mêlent à celles plus bleutées de la Manche.
Sur la rive droite, Trouville est la doyenne des stations balnéaires de la Côte fleurie. Son maillage urbain est plus spontané et beaucoup moins géométrique que celui de Deauville. Son imposant casino (Barrière) et ses cures marines en bord de Touques sont aisément repérables, tout comme sa longue jetée (en bois), et ses installations sportives (piscine et cours de tennis) en bord de plage, longée également par une Promenade des Planches.
Sur la rive gauche, Deauville, dont apparait, au sud de l’image, une partie du damier de la station mondaine de Morny. L’image révèle la forte emprise spatiale des espaces dévolus aux loisirs de plaisance et permet d’identifier deux ensembles portuaires distincts. Le permier, situé plus au sud de l’image, est le Port Municipal (le vieux port) avec ses deux bassins : le Bassin des Yachts et le Bassin Morny. Le second, les Marinas de Port Deauville, plus au nord de l’image, associe un ensemble immobilier résidentiel privé à un port de plaisance.
Ces aménagements représentent 1 100 anneaux et placent Deauville au 5e rang des ports de plaisance de la Manche devant le Havre, et au 20e rang national.
Autour du port Municipal, la Presqu’île de la Touques, quartier de front d’eau en pleine reconquête
Au sud de l’image, le quartier maritime est composé des deux bassins à flot du Port Municipal de Deauville et la Presqu’ile. Près de 400 bateaux sont amarrés à l’année, outre une soixantaine de bateaux de passage.
Le Bassin Morny (le plus au sud) est le plus ancien. Mesurant 300 m de long sur 80 m de large, il est inauguré en 1866 par la veuve de Morny qui le conçut non pour la plaisance mais le commerce. Il s’intègre dans le projet initial d’une ville capable de concurrencer le Havre en captant les flux commerciaux britanniques. Dans des conditions techniques difficiles, l’estuaire de la Touques est complètement réaménagé, le bassin est connecté à un terminal portuaire, à la gare ferroviaire (hors image) et à la presqu’île, formant un véritable quartier maritime qui concentre des activités économiques entrées en sommeil au XXe siècle et remplacées par la plaisance.
L’image souligne l’ampleur des travaux de réhabilitation menés depuis 2002 par la ville : modernisation des infrastructures portuaires et réorientation d’un espace productif en friches en un nouveau quartier de ville, sur plus de 6 hectares. Autour d’une place, des commerces, 1 500 m2 de bureaux et 260 logements témoignent d’une mixité fonctionnelle de l’espace. Le projet intègre également une forte dimension paysagère (parc « sauvage » en bord de Touques, mêlant le végétal au minéral et architecture néo-balnéaire) et patrimoniale (l’imposante Caserne des Douanes, construite en 1866, bien visible au nord de la Presqu’île, est conservée). La mixité sociale est également recherchée, dans une ville au positionnement « haut de gamme », qui atteint tout de même 30 % de logements sociaux, en partie grâce à ce programme.
Un espace pionnier du yachting en France
Si l’estuaire de la Touques est un haut lieu de la voile de labeur jusqu’au milieu du XXe siècle, historiquement, c’est aussi un espace pionnier en matière de navigation de plaisance en France, pratique hautement élitaire importée par les Britanniques en Baie de Seine et nommée yachting, de croisière ou de course.
C’est durant l’époque dite du Grand Yachting que le second bassin, le Bassin de Yachts (1891), est construit pour désengorger le bassin Morny et accueillir les yachts de course. Les portes du bassin retiennent l’eau de la marée, évitant l’envasement des rutilants bateaux. Les régates (courses) demeurent des temps forts, comme la Cowes-Deauville ou l’Open International de France organisées par le Yacht Club de Deauville, créé en 1921. Elles contribuent à la renommée internationale de Deauville.
Port Deauville, la marina des années 1970
À l’extrémité orientale de la plage des Planches et protégé par la longue digue brise-lames de la Pointe de la Cahotte s’ouvre un second espace portuaire. Il s’agit de Port Deauville, aménagé sur plus de 10 ha sous concession privée dans les années 1970. Ce port de plaisance a une capacité d’accueil de 700 bateaux sur pontons, dont une cinquantaine pour les visiteurs de passage. Le bassin éclusé, bien visible sur l’image, permet des entrées-sorties 16h/jour (contre 5h pour le port Municipal).
Au cœur du bassin, l’image révèle un ensemble de logements (500) majoritairement collectifs, « Marinas de Port Deauville », avec un vaste parking privé et quelques commerces. L’opération, menée par un promoteur privé sur le modèle des comptoirs touristiques des années 1960-1970 (Port Camargue, Port Grimauld ...) a nécessité des aménagements lourds (création d’un terre-plein d’environ 52 000 m2 sur la mer par endigage). L’ensemble est conçu par les architectes Jacques Labro et Jean-Jacques Orzoni (Avoriaz) et Georges Candilis (Port Leucate et Port Barcarès), dans un contexte d’essor et de démocratisation de la plaisance, et d’essor d’un tourisme de masse. Habitats individuels et collectifs, aux façades plus ou moins inspirées du style normand communiquent entre eux par un réseau de passerelles suspendues en béton. La résidence New-Port (1992) avec ses façades polychromes et la résidence Blue Bay (2010) complètent l’ensemble, désormais très dense.
Les résidences de Port-Deauville témoignent du dynamisme du secteur de la plaisance en France mais aussi des multiples formes d’habiter du lieu (coprésence d’habitants permanents et temporaires, ces derniers en résidence secondaire ou location touristique, adeptes ou pas de la plaisance).
Mais Port Deauville reste un comptoir assez isolé du reste de la ville, entouré qu’il est par le boulevard Eugène Cornuché au sud, un club hippique à l’ouest et un important complexe scolaire à l’est (Collègue-lycée André Maurois) à l’est. Assez conflictuels, des projets d’aménagement sont en cours, pour ouvrir et connecter davantage le lieu, et en valoriser les espaces dunaires (situés en arrière du parking).
Un bocage sous pression
Nous sommes au sud de Deauville, à cheval sur le territoire des communes de Tourgéville (à l’ouest) et Saint-Arnoult (à l’est). L’image est centrée sur deux formes paysagères en rupture fonctionnelle mais en presque continuité spatiale.
La première est celle du bocage normand du pays d’Auge, espace agricole à dominante de vergers de pommiers et d’élevages bovins parsemé de haies vives et de chemins creux, animé par quelques fermes résiduelles comme celle de la Croix Solier (située à l’extrême sud-ouest de l’image). Ses aménités paysagères appréciées des peintres et randonneurs alimentent les imaginaires touristiques de la Normandie. Une portion du GR223 Grande Randonnée Pédestre Tour du Pays d’Auge traverse l’image. Sa section nord-sud en provenance du vieux Deauville coupe à angle droit et partage en deux l’espace bocager, pour longer ensuite la côte normande via les Plages du débarquement (situées à une centaine de kilomètres de Deauville) jusqu’au Mont-Saint-Michel. Sur le territoire de la communauté de Communes de la Côte fleurie, le nombre d’agriculteurs exploitants (à peine 1% de la population active) est en baisse régulière. L’espace bocager est depuis longtemps sous pression.
C’est cette pression qui produit le second type de paysage, par mitage progressif du bocage par des zones résidentielles et touristiques, comme l’imposant et luxueux Hôtel du Golf du groupe Barrière qui occupe une grande partie de l’image.
Construit à la fin des années 1920 en style Art Déco sur les restes d’un château du XVIIe siècle, le 3e grand hôtel du groupe Barrière participe à faire du territoire touristique une destination du tourisme golfique (parcours à 27 trous, bien visibles sur l’image). Sur près de 70 ha, cet établissement dispose d’autres équipements que l’image permet d’identifier, comme la piscine, l’alignement de cours de tennis au nord de l’hôtel avec, à leur droite, l’hélisurface de l’hôtel (plafeforme d’accueil des hélicoptères, de couleur bleutée).
Références ou compléments
Dominique Barjot, Eric Anceau, Nicolas Stoskopf (dir.) Morny et l’invention de Deauville, Colin, 2010 (colloque universitaire à l’occasion du cent cinquantenaire de Deauville).
Diagnostic territorial pour l’élaboration du Plan Local D’urbanisme de la Communauté de Communes Cœur Côte Fleurie, 2012.
Didier Hébert, « Deauville : création et développement urbain », In Situ 6 | 2005.
Maxime Julien, « Le spectacle des courses à Deauville (France) : composante de l’identité territoriale de la station balnéaire », Mondes du tourisme "Cheval, tourisme & sociétés", Juin 2015
Rémy Knafou (dir), Les lieux du voyage, Le Cavalier bleu éditions, 2012
Contributeur
Sylvie SANGARNE, professeure agrégée d’histoire-géographie, BTS Tourisme, Lycée Colbert, Lyon.