Ouvert en 1956, le cosmodrome russe de Baïkonour est une des plus grandes et des plus actives bases spatiales dans le monde. Il a joué et joue encore un rôle essentiel dans l’affirmation de la puissance russe dans un domaine qui prend aujourd’hui une place grandissante dans les rivalités entre puissances : la connaissance, la conquête et le contrôle de l’espace circumterrestre. Mais avec l’éclatement de l’U.R.S.S et l’accès à l’indépendance du Kazakhstan, le complexe de Baïkonour se retrouve dans un territoire étranger. Malgré de nombreux accords intergouvernementaux, les enjeux géopolitiques et géostratégiques sont tels pour Moscou qu’un nouveau cosmodrome vient d’être inauguré en Sibérie orientale.
Légende de l'image satellite
Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 13/02/2013. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.
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Images complémentaires de cosmodrome de Baïkonour :
- Pas de tir des fusées Soyouz : c'est de la région centrale (zone Korolev)du site que sont lancées les fusées Soyouz. Cette zone regroupe les installations qui ont permis le lancement de missiles balistiques comme celui de fusées. (image prise par un satellite Pléiades le 13/02/2013)
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- Pas de tir des fusées Proton : c'est de la partie occidentale du site (zone Tchelomeï) que sont lancées les différentes version de la fusée Proton. (image prise par un satellite Pléiades le 3/07/2017)
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Les steppes du Kazakhstan : désert et isolement, deux atouts dans le choix de localisation du cosmodrome
Lorsque de fortes contraintes deviennent des atouts dans les choix de localisation
Comme le montre l’image, le cosmodrome est implanté au milieu de la steppe kazakhe, dans la région de Kyzylorda. La végétation steppique est très rase (en gris), les sols sont dénudés (en orange) et les croutes de sel (en blanc) nombreuses. Nous sommes ici en effet dans une zone quasi-désertique et sous-peuplée (2,6 hab./km²) aux très fortes contraintes. La région connait un climat continental extrême avec de rares précipitations, des étés parfois torrides (50 °C) et des hivers glacés (-32°C), des vents parfois puissants et de nombreuses tempêtes de sables.
A ces contraintes environnementales répond une autre très forte contrainte : l’isolement. Nous sommes à 2 100 km au sud–est de Moscou, à 875 km au sud-ouest d’Astrana, la capitale du Kazakhstan, et à 200 km à l’est de la Mer d’Aral. La ville de Baïkounour, plus au sud (hors cadre), est située sur la rive droite de la vallée du Syr Daria, un petit fleuve endoréique qui prend sa source dans les montagnes du Tian Chan puis s’écoule sur 2 200 km pour se jeter dans la mer d’Aral.
Ce sont justement ces contraintes et cette situation - très méridionale et qui permet donc des lancements plus faciles en orbite géostationnaire (satellite en orbite à la verticale de l’Equateur) – qui expliquent l’intérêt du site pour l’installation dans la décennie 1950 en pleine Guerre froide d’un cosmodrome par l’URSS. Initialement, le site est utilisé pour la mise au point et les essais de missiles balistiques intercontinentaux de plus de 10 000 km de portée dans le cadre de la course à l’arme atomique entre l’URSS et les Etats-Unis.
Un site « secret défense » et une « ville interdite »
Le site est choisi par les autorités militaires et gouvernementales en 1955, ouvert en 1956 et connaît son premier lancement en 1957. Il bénéficie du passage à proximité de la ligne de chemin de fer Moscou/Tachkent, qui sert alors de cordon ombilical pour alimenter le site.
Jugé névralgique, il est classé « secret défense » (nom de code Tachkent 59) et Baïkonour est une « ville interdite ». Ceci explique pourquoi ni la ville, ni le site sont portés sur aucune carte. Ces choix sont alors fréquents, en URSS comme aux Etats-Unis, pour tout ce qui touche à l’arme atomique, aux vecteurs stratégiques et à la course à l’espace.
Son existence est cependant officialisée en 1961 lors de la mise sur orbite de Youri Gagarine. Mais le site est alors affublé du nom de Baïkonour, qui est en fait une petite ville minière située 320 km au nord-est. Il faut en définitive attendre 1989 et la politique de glasnost (transparence) de Mikhaïl Gorbatchev pour que la véritable localisation du site soit officiellement reconnue, malgré cependant les visites sur place respectivement en 1966 et 1970 du général de Gaulle et du président Georges Pompidou, par exemple.
D’un site aux activités duales à un site aux activités civiles
Le site présenta longtemps des activités à la fois militaires, dominantes, et civiles dans un secteur aéronautique et spatial aux technologies largement duales. Ainsi, le site lance aussi les premiers satellites artificiels (cf. spoutnik 1 en 1957) et envoie le premier homme dans l’espace, Youri Gagarine, le 12 avril 1961.
Aujourd’hui, le cosmodrome de Baïkonour est utilisé uniquement pour des lancements civils ; russes ou internationaux, gouvernementaux ou privés, en particulier vers la Station spatiale internationale (I.S.S). De nombreux astronautes étrangers viennent y séjourner dans le cadre de grands programmes de coopération internationaux.
L’activité spatiale du cosmodrome a nécessité la création ex-nihilo d’une ville-support en pleine steppe. Située sur la rive droite du Syr Daria, la ville de Baïkonour est une enclave sous étroit contrôle russe pour des raisons de sécurité et est bordée par deux faubourgs kazakhs, celui d’Akay au sud-ouest et de Tiouratam au nord.
Le cosmodrome : un ensemble juxtaposant des complexes spécialisés
Le complexe du nord-est : une toute petite partie du complexe
L’image présentée porte sur une toute petite portion du très vaste complexe de Baïkonour. Nous sommes ici dans la partie nord-est de celui-ci, à 45 km de la ville de Baïkonour et à 22 km du centre géographique du complexe.
La photo couvre les sites consacrés au complexe technique de préparation puis au pas de tir des lanceurs Sémiorka et Soyouz-Vostock. On distingue bien les différents bâtiments, principaux ou secondaires et de taille bien marquées, et la hiérarchie qui apparaît entre les différentes opérations menant au final au pas de tir au sud-ouest des installations.
Cette forte segmentation et le cloisonnement interne de l’espace répondent à des impératifs de sécurité. Le complexe de Baïkonour a en effet été frappé au cours de son histoire par de nombreuses catastrophes, certaines causant parfois des dizaines à des centaines de morts lors d’échecs de lancements. C’est d’ailleurs pourquoi le complexe juxtapose plusieurs pas de tir, soit encore opérationnels (5), soit désaffectés et abandonnés (11) après la destruction partielle ou totale de leurs installations.
Pour autant, l’importance des voies ferrées et des axes routiers - qui relient ce site à l’ensemble du reste du complexe - apparaît bien sur l’image. Elle témoigne de l’importance de l’intégration technique qui relie les différents ilots spécialisés entre eux.
Le plus grand complexe spatial du monde
Le cosmodrome couvre au total une superficie de 6 700 km2, égale donc au département de la Charente maritime. Il s’étend sur 75 km nord/sud et 90 km ouest/est. Il est donc par sa taille le plus grand complexe spatial du monde. Son gestionnaire est Roscosmos. Avec environ une quinzaine de tirs par an, selon le cahier des charges, c’est un des cosmodromes les plus actifs de la planète.
C’est un système très complexe comportant plus de 254 sites techniques différents. Le cosmodrome compte en effet les zones-vie pour le personnel civil et militaire (hôtels et logements…), les centres de gestion administrative et de commandement, les centres de radiotransmission, de télécommunication et de pilotage des fusées et des vols, les installations de fabrication du carburant (cf. ergols cryogéniques), les bâtiments d’assemblage des lanceurs, les sites de préparation des vaisseaux et des satellites ou les centrales électriques. Il est desservi par deux aérodromes et 500 km de voies ferrées.
De nouveaux enjeux géopolitiques : quel avenir pour Baïkonour dans un Kazakhstan indépendant ?
L’éclatement de l’URSS et l’indépendance du Kazakhstan : un basculement géopolitique et géostratégique majeur
Le cosmodrome de Baïkonour a joué durant des décennies un rôle majeur dans la capacité de l’URSS, puis de la Russie, à s’affirmer comme une grande puissance spatiale, militaire et civile. Elle avait fait de l’espace un levier d’affirmation de sa réussite et de son rayonnement. De plus, il représentait le chainon terminal d’un très vaste et très puissant complexe industriel, scientifique et technique militaro-industriel qui constituait et constitue encore le cœur du système productif du pays, avec le secteur de l’énergie.
Tant que le cosmodrome était situé dans une des Républiques constituant l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S), la situation ne posait pas de problème géostratégiques et géopolitiques majeur du fait du poids écrasant de Moscou et de la Russie dans la fédération.
Mais avec l’éclatement de l’U.R.S.S. en 1991 et l’accès à l’indépendance de la nouvelle République du Kazakhstan en 16 décembre 1991, le cosmodrome de Baïkonour se retrouve dans le territoire d’un Etat souverain, à l’étranger donc. Ce processus constitue un bouleversement géopolitique et géostratégique majeur pour Moscou et un très grave sujet de préoccupation et d’inquiétude.
Dans ce nouveau contexte postsoviétique, les deux Etats signent en 1994 des accords intergouvernementaux. La Russie paye un loyer annuel de 115 millions de dollars au gouvernement d’Astrana. Mais le cosmodrome demeure source de conflits latents, en particulier lors de l’écrasement de deux fusées Proton en 1999 en territoire kazakh. Pour autant, en janvier 2004, un nouvel accord prolonge la location du site jusqu’en 2050 tout en se traduisant par une coopération industrielle et technique plus poussée, en lien avec les nouvelles ambitions spatiales du Kazakhstan qui souhaite se doter de ses propres satellites de télécommunications.
La création du nouveau cosmodrome de Vostotchny en Sibérie orientale
Afin de ne plus être tributaire du Kazakhstan et de garder un contrôle complet sur ses bases de lancement, qui sont un enjeu central de sa souveraineté spatiale, Moscou a choisi de transférer progressivement certaines de ses activités civiles vers un nouveau cosmodrome. Du fait des énormes investissements financiers à consentir, le projet connaît de nombreuses difficultés avant d’être relancé cette dernière décennie.
Inauguré en 2016, le nouveau cosmodrome de Vostotchny est situé en Sibérie orientale dans l’oblast de l’Amour, une région elle aussi sous-peuplée (2,2 hab/ km2). Il réutilise l’ancienne base de lancement de missiles balistiques intercontinentaux de Svobodny qui est fermée en 1993 à la suite du Traité START-2 sur la réduction des stocks d’armes stratégiques entre l’URSS et les Etats-Unis.
A une latitude aussi méridionale que celle de Baïkonour, il est situé près de la ville de Tsiolkovski à 5 600 km de Moscou, dans le sud de la Sibérie orientale et proche de la frontière chinoise. Il bénéficie de liaisons aériennes et, surtout, ferroviaires (Transibérien et Magistrale Baïkal-Amour ou BAM). Le premier pas de tir est opérationnel et le second pas de tir en construction doit entrer en activité en 2021.
Enfin, le cosmodrome de Plessetsk, créé en 1957, demeure spécialisé dans les activités militaires. Il est situé à 200 km au sud d’Arkhangelsk et à 800 km au nord de Moscou, cette haute latitude permettant des lancements sur des orbites très inclinées.
Proposition pédagogique :
Baïkonour et Plessetsk : le basculement géopolitique des territoires spatiaux russes depuis 1991
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur Général de l'Education Nationale