Glissement de terrain majeur dans les oliveraies de Hatay en raison de la rupture d’une faille lors du tremblement de terre en Turquie. Vue aérienne de blocs d’argile concassée et de roches. Crédits : MahmutSonmez - Getty Images.
Le 06/02/2023, 2 séismes de magnitude (MW) 7,8 et 7,5 ont frappé le sud de la Turquie et le nord de la Syrie, provoquant des effets dévastateurs sur le sol en ouvrant de larges ruptures et en déplaçant localement la croûte terrestre de 5 à 10 m.
La plus longue des 2 ruptures s'étend sur près de 300 km en direction nord-est depuis la Méditerranée. La rupture de surface a été créée par le 1er et le plus puissant tremblement de terre de magnitude 7,8 qui s'est déclenché à 4h17, heure locale ; la 2e rupture de surface de 125 km de long s'est ouverte lors du deuxième séisme de magnitude 7,5 environ 9 heures plus tard.
La Charte Espace et catastrophes majeures a été déclenchée le 06/02/2023. Le CNES a ainsi coordonné les programmations des satellites français afin de fournir le plus rapidement possible des images des zones sinistrées (cf. article en ligne du 13/02/2023).
En parallèle, plusieurs actions de la communauté scientifique internationale sont en cours, notamment dans le cadre du CEOS Working Group Disasters, pour étudier en détail les processus géophysiques de l'évènement qualifié de rare (le 2e séisme, directement provoqué par le 1er avec une intensité similaire, est appelé « séisme déclenché »).
Au niveau national, différentes initiatives sont actuellement mises en œuvre dans le cadre du pôle de données et services ForM@Ter (traitant des thématiques Terre solide et aléas telluriques) pour apporter des éléments d'analyse sur la déformation du sol suite à cet évènement majeur à l'aide notamment des données acquises par satellite.
Des 1ers résultats préliminaires sont présentés ci-dessous.
Carte de déplacement par imagerie optique
La constellation actuelle de satellites d'observation de la Terre a permis une acquisition rapide de l'ensemble de la zone touchée peu après les principales secousses. Le satellite Copernicus Sentinel-2 a pu acquérir plusieurs images optiques sur la région en grande partie dépourvues de nuages. En comparant plusieurs images satellitaires optiques avant et après le tremblement de terre, les déplacements horizontaux du sol peuvent être calculés à l'aide de techniques de corrélation d'images.
Les figues ci-dessous illustrent les déplacement horizontaux co-sismiques obtenus à partir de l'analyse de l'imagerie satellitaire Copernicus Sentinel-2, couvrant plus de 300 km le long des failles, à une résolution spatiale de 10 m.
Cartes des déplacements horizontaux co-sismiques obtenus à partir de l'analyse de l'imagerie satellitaire Copernicus Sentinel-2 à une résolution spatiale de 10 m. - Haut : Nord-Sud ; Bas : Ouest-Est. Crédits : laboratoire EOST–Strasbourg.
Ces cartes contribuent de manière significative à l'identification et à la cartographie des ruptures de surface et déterminent le déplacement le long des failles. Des décalages spatiaux impressionnants de l'ordre de 3 m à près de 10 m sont identifiés avec une grande variabilité géographique le long des failles.
Les produits finaux ont été obtenus avec le service GDM-OPT-ETQ du pôle de données et services Terre Solide ForM@Ter de l'Infrastructure de Recherche Data-Terra pour mesurer les déplacements co-sismiques entre les images du 25/01/2023 et du 09/02/2023.
Carte de déplacement par imagerie radar
L'imagerie radar des satellites permet aux scientifiques d'observer et d'analyser les effets des tremblements de terre. La mission Copernicus Sentinel-1 embarque un instrument radar capable de détecter le sol et de « voir » à travers les nuages, de jour comme de nuit.
La figure ci-dessous montre les 1ers traitements interférométriques sans corrections atmosphériques des données Sentinel-1A IW de 240 km de fauchée, : la 1ere image post séisme a été prise le 09/02/2023 à 15h35 (TU) sur l'orbite ascendante 14, la suivante sur l'orbite descendante 21 le lendemain matin le 10/02/2023 à 3h35 (TU), combinées respectivement avec une image prise 12 jours plus tôt dans les mêmes conditions orbitales.
Interférogrammes sans corrections atmosphériques des données Sentinel-1A IW de 240 km de fauchée a) orbite ascendante 14 ; b) orbite descendante 21. Crédits : Léa Pousse UGA/ISTerre.
Sur ces interférogrammes différentiels (relief déduit), chaque tour de phase mesure un déplacement de 2,8 cm (demi-longueur d'onde de la porteuse Sentinel1 de 5,405 GHz) en direction de visée du capteur. Loin de la faille, le déplacement devrait être nul, mais ici les déplacements débordent de l'image et un espacement moindre des franges est uniquement observé, traduisant une moindre déformation. A proximité des failles, les franges se resserrent témoignant du fort déplacement, jusqu'à disparaitre dans le bruit car le déplacement dépasse les conditions admissibles en interférométrie.
La zone de déformation observée est exceptionnelle, en débordant largement de l'image très vaste de 240 km de large et de plus de 300 km le long de la trace : il faut d'ailleurs concaténer plusieurs produits Sentinel 1 pour arriver à ce résultat préliminaire.
Les 1ers produits ont été obtenus par le service GDM-SAR, en phase de validation, du pôle de données ForM@Ter en étroite coopération entre le CNES et les laboratoires ISTerre/IPGP et qui permet, à partir des données archivées sur PEPS (Plate-forme d'exploitation des produits Sentinel au CNES), et d'une interface simple, de générer des séries d'interférogrammes et des séries temporelles pour en déduire de fines mesures de vitesse de déplacement.
Actions en cours et perspectives
- La CIEST2 (Cellule d'expertise Scientifique et Technique) a été activée.
Cette initiative permet aux scientifiques de la communauté française Terre Solide de fournir une première interprétation rapide des phénomènes géophysiques à partir d'une programmation spécifique d'imagerie Pléiades en réponse à une catastrophe naturelle.
Elle permet en particulier la génération de modèles numériques de surface (MNS) à partir d'images stéréo/tri-stéréo Pléiades via le service de calcul à la demande DSM-OPT (Digital Surface Models from OPTical stereoscopic very-high resolution imagery).
- Le service InSAR FLATSIM opéré par le CNES, en lien avec la communauté scientifique, produit des séries temporelles de déplacement sur de larges zones géographiques assurant le suivi spatio-temporel de régions critiques. La Turquie a fait l'objet d'un traitement massif FLATSIM sur la période 2014-2021. Il est prévu de procéder à un traitement incrémental de cette zone (2020-2023) afin d'avoir un historique du déplacement du sol. Par ailleurs, un projet déposé en 2022 sur le Levant viendra compléter les parties Sud des zones affectées.
A moyen terme, une réflexion est en cours au sein du pôle pour mettre en place un « service risque » afin de mieux coordonner les différentes initiatives prises lors d'évènements de ce type.
Contacts
Claude Boniface, chef de projet CNES du pôle de données et services ForM@Ter
Email : claude.boniface at cnes.fr
Philippe Durand, spécialiste imagerie Radar au CNES, en support aux projets FLATSIM et GDM-SAR
Email : philippe.durand at cnes.fr