Publié le 22 octobre 2025

La filière spatiale mobilisée pour réduire son empreinte carbone

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L’écosystème spatial français s’est engagé dans une démarche volontaire pour atteindre la neutralité carbone, qui représente aussi une opportunité pour l’innovation et la souveraineté de notre pays.

Présentation de la feuille de route décarbonnation de la filière spatiale française
© CNES/Hervé Piraud, 2025

L’accélération du changement climatique conduit l’ensemble de la société à s’interroger sur les moyens de réduire l’impact carbone des activités humaines. La loi Climat et résilience impose notamment aux secteurs industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre d’élaborer des stratégies de décarbonation, compatibles avec les objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone. Celle-ci affiche un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, ce qui signifie un équilibre entre les émissions de carbone et leur absorption ou leur compensation, permettant d’atteindre le 0 émission nette. 

Sous l’impulsion du ministère de l’Économie, la filière spatiale s’est livrée à cet exercice depuis 2023. Dans le cadre du Comité de concertation entre l’État et l’industrie sur l’espace (Cospace), les acteurs du secteur ont élaboré une feuille de route de décarbonation, rendue publique lors du dernier Salon du Bourget

La feuille de route résulte d’un travail collectif, animé par le CNES, pour que le spatial contribue à sa mesure à la décarbonation de l’industrie française. Il s’agit d’un engagement volontaire de la filière, et c’est une première parmi les nations spatiales.

Laurence Monnoyer-Smith

  • Directrice de la délégation au développement durable du CNES

Identifier les sources de pollution

Le point de départ de la démarche est la réalisation d’un état des lieux pour calculer l’empreinte carbone des activités spatiales. Cet état des lieux prend en compte l’ensemble de la filière, c’est-à-dire les lanceurs et les activités de lancement, mais aussi les satellites et toute la partie aval, qui comprend les utilisateurs de solutions spatiales, plus la génération et le stockage d’importants volumes de données. Ce calcul, qui donne une vision à la fois détaillée et objective, confirme le niveau modéré de l’impact carbone du spatial (environ 0,3% des émissions liées à l’empreinte carbone de la France) et remet en cause certaines idées reçues. 

Par exemple, on pourrait penser intuitivement que les lancements représentent la majeure partie de l’empreinte carbone du spatial. Or, les satellites, les moyens et équipement au sol nécessaires aux activités spatiales, ainsi que tout le volet de gestion et traitement des données, pèsent significativement dans le bilan. Ces résultats peuvent s’expliquer par un nombre relativement réduit de lancements par les Européens, alors que le développement du spatial depuis une dizaine d’années s’est plutôt fait en direction des utilisateurs, avec le recours croissant aux services spatiaux dans la vie quotidienne. 

La généralisation de la connectivité par satellite entraîne une multiplication des terminaux au sol, c’est là que se situent aujourd’hui les principales sources de pollution. Mais le développement annoncé du nombre de lancements en Europe, sur une trajectoire similaire à cette des États-Unis, pourrait changer la donne. Il reste également des incertitudes, par exemple sur les impacts de l’activité spatiale dans la haute atmosphère, que l’on n’a pas quantifiés précisément et qui nécessiteront des travaux complémentaires.

Emmanuel Bourdoncle

  • Chef de projets régulation et durabilité des activités spatiales à la Direction générale des entreprises

Onze leviers à actionner

Sur la base du diagnostic, le groupe de travail a identifié cinq grandes thématiques sur lesquelles travailler, associées à onze leviers de diminution de l’empreinte carbone du spatial. La feuille de route de décarbonation ouvre ainsi des pistes pour réduire les consommations énergétiques à toutes les phases de développement, de qualification et de fabrication des programmes. 

Elle souligne aussi la nécessité d’optimiser les transports et l’ensemble de la chaîne logistique, de travailler sur les matériaux et les procédés industriels pour développer l’écoconception, et également de favoriser les mutualisations pour ne pas dupliquer les outils industriels et les infrastructures. Enfin, une autre priorité a trait au stockage, au traitement et à l’accessibilité des données. 

Nous sommes désormais dans une nouvelle phase où les acteurs privés et publics doivent inscrire leurs décisions stratégiques et opérationnelles dans cette trajectoire. Par exemple, la feuille de route constituera un élément de choix important de l’implication de l’État dans les programmes spatiaux et dans leur financement. La mise en place d’un dispositif de type tableau de bord permettra aux entreprises de suivre leurs propres engagements et d’en rendre compte de manière volontaire.

Laurence Monnoyer-Smith

Sobriété et innovation

Au-delà de l’urgence environnementale, l’enjeu de la décarbonation se pose en termes d’innovation, de compétitivité économique et de souveraineté. L’écosystème spatial trouve aussi dans la feuille de route l’opportunité de réinventer des process, de dynamiser la recherche-développement pour développer des ruptures technologiques, de se prémunir contre la variabilité des prix de l’énergie ou les difficultés d’accéder aux matières premières. 

Les industriels se sont emparés du sujet de manière positive. Nous avons aussi des entreprises positionnées sur de nouveaux services spatiaux qui rejoignent ces préoccupations de transition écologique, par exemple dans les réflexions sur la construction de pas de tir communs à plusieurs activités de lanceurs. Cette appétence pour le sujet qui traduit la maturité de l’industrie française est importante pour que la filière conserve un temps d’avance par rapport aux évolutions du secteur. Le CNES joue un rôle central dans l’animation de cette démarche, par sa maîtrise technique et scientifique des enjeux et le dialogue continu qu’il entretient avec les industriels.

Emmanuel Bourdoncle

La feuille de route de décarbonation constitue ainsi un point de départ et une incitation pour les entreprises et les centres de recherche à travailler sur des projets d’innovation permettant des réduire les impacts sur l’ensemble du cycle de vie des systèmes spatiaux. 

Compte tenu des inconnues sur les évolutions du secteur, cette trajectoire devra être réévaluée régulièrement. D’autant qu’il faut intégrer la dimension européenne : les arbitrages programmatiques au niveau de l’ESA, l’agence spatiale européenne, et les réglementations de l’Union européenne doivent aussi prendre en compte ces évolutions. 

Une chose est certaine, la mobilisation doit rester forte, conclut Laurence Monnoyer-Smith : « Pour l’instant, les leviers identifiés ne permettent pas d’atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050. Nous devons poursuivre nos efforts de sobriété et d’innovation, et aussi faire des choix pour maintenir la compétitivité et la souveraineté de notre industrie, tout en rentrant dans les contraintes environnementales. »

Les réponses spatiales aux défis climatiques

Si les activités spatiales ont des impacts carbone, elles rendent de précieux services dans la lutte contre le changement climatique et la transition écologique. À l’image du satellite MicroCarb lancé l’été dernier pour mesurer les concentrations de CO2 ou du programme européen de surveillance de la Terre Copernicus, les grandes missions d’observation fournissent les connaissances nécessaires à la compréhension des phénomènes environnementaux. Sur les 50 variables climatiques essentielles du GIEC, 26 sont ainsi mesurées depuis l’espace. Les technologies spatiales jouent également un rôle clé dans la résilience climatique et la recherche de solutions pour limiter les effets du changement climatique. 

Consulter la feuille de route de décarbonation de la filière spatiale