Pour comprendre d'où vient la vie sur Terre, il faut plonger loin dans l'univers afin d'y observer la naissance des étoiles. C'est au cours de ce phénomène complexe que se forment les molécules à l'origine de la vie tels que les acides aminés. Une naissance correspond à la modification d'un état. Au départ, le milieu entre les étoiles est ténu, sa densité est d'environ un atome par cm3, il est possible de glisser un doigt entre deux atomes alors que sur la Terre, un dé à coudre contient 1020 molécules d'air.
Sous l'influence de divers facteurs tels que les mouvements chaotiques ou le passage d’un choc, la matière interstellaire se condense et les atomes commencent à se lier pour former des molécules. Au fil des réactions, tout ou partie du tableau de Mendeleïev se déploie tandis que les molécules continuent d'évoluer dans la nébuleuse.
Révéler la carte d'identité chimique du milieu interstellaire
La nébuleuse du Crabe, image composite en infrarouges par le télescope Herschel et en visible par le télescope Hubble. Crédits : ESA/Herschel/PACS/MESS Key Programme Supernova Remnant Team; NASA, ESA and Allison Loll/Jeff Hester (Arizona State University)
Plus de 200 molécules interstellaires ont ainsi été identifiées. Leur abondance et leur diversité est tout à fait remarquable quand on rappelle que ce milieu a longtemps été considéré comme "l'éther" ou le "vide". Certaines molécules interstellaires, l'eau (H2O) par exemple, l'ammoniac (NH3) ou le chlorure de sodium (NaCl, sel de table) sont courantes ici-bas, d'autres sont plus exotiques comme l'acide chlorhydrique avec un proton supplémentaire ou le peroxyde d'hydrogène dépourvu de certains atomes d'hydrogène. Enfin, il existe des molécules de la classe des hydrures tout à fait inattendues car elles outrepassent les lois de la chimie en associant des atomes a priori incapables de se lier.
A ce jour, deux molécules ont été identifiées, l'une comprenant de l'argon (ArH+) et l'autre de l'hélium (HeH+). L'argon et l'hélium sont des gaz nobles, également appelés gaz inertes car ils ne réagissent pas avec d'autres composés. Leur configuration électronique, très stable, ne les incite pas à créer de liaison chimique avec d'autres atomes. Seules les conditions physico-chimiques extrêmes, non atteintes dans les conditions sur Terre, peuvent faciliter de telles réactions. "Nous avons tous été extrêmement surpris en 2013 d'apprendre qu'une des molécules détectées dans la nébuleuse du Crabe par Herschel était un hydride. On s'attendait à voir de l'eau (H2O) et des molécules à base de carbone (C), d'oxygène (O) ou d'azote (N), en somme, des éléments abondants qui répondaient à nos modèles chimiques", se rappelle Maryvonne Gerin qui a participé à la construction d'une partie de HIFI, l'instrument ayant permis la détection de l'ArH+.
Herschel pointe un intrus parmi les molécules interstellaires
Une partie de HIFI. Crédits : SRON
D'après la chercheuse, c'est au spectromètre térahertz de la mission Herschel, nommé HIFI, que revient l'honneur de cette découverte. "Sa sensibilité était sans commune mesure avec les instruments préexistant, elle était dix voire trente fois supérieure. De plus, nous pouvions percevoir les signaux émis par les molécules dans des gammes de fréquence auxquelles nous n'avions jamais eu accès". En effet, chaque molécule, ion ou atome émet un signal avec une fréquence spécifique, c'est en quelque sorte sa signature. Pour identifier le maximum de molécules, le spectromètre doit donc couvrir le maximum du spectre des signaux électromagnétiques. Une performance que HIFI a obtenue grâce à sa minutieuse ingénierie. In fine, la qualité des résultats a soufflé un véritable vent d'enthousiasme autour des recherches en astrochimie. Des laboratoires ont décidé de partir en quête de l'hydride N°1, autrement dit, la première molécule à s'être formée après le big bang ... 400 000 ans après la naissance de l'univers, l'espace était principalement peuplé de H et de He, le couple HeH+ était donc susceptible d'être la toute première molécule à se former.
SOFIA prend la relève
L'avion-télescope SOFIA en vol. Crédits : NASA/Jim Ross
Si la découverte de ArH+ était imprévue, celle de HeH+ était donc attendue. En 2019, une équipe d'astrochimistes dirigée par Rolf Güsten de l'institut allemand Max Planck, embarque dans l'avion dédié à l'observation stratosphérique, SOFIA. En braquant leur télescope vers la constellation du Cygne, ils perçoivent la signature d'HeH+ dans l'infrarouge. Cette molécule-là n'est pas issue du big bang, elle date d'il y a 600 ans, période au cours de laquelle une géante rouge a atteint des températures extrêmes et émis des UV capables d'arracher les électrons de l'hélium. La voie emprunté par le jeune univers en expansion il y a 13,7 Milliards d'années, pour former des HeH+ était certainement différente mais le résultat est le même : preuve était faite que le milieu extra-solaire engendre des HeH+.
Pour des spécialistes comme Maryvonne Gérin, il est désormais envisageable de trouver d'autres gaz nobles sous forme moléculaire: "le néon est le meilleur des candidats car le xénon et le krypton sont peu abondants. Mais on n'est jamais à l'abri d'une surprise". D'autant qu'on ne connaît qu'une parcelle de l'univers et qu'une chose est certaine, l'hétérogénéité y est de règle.
Contacts
Maryvonne Gérin, directrice de recherche CNRS
ENS LERMA
24 rue Lhomond 75231 Paris Cedex 05
Mail : maryvonne.gerin at ens.fr
Tel : +33 (0)1 44 32 33 48
Philippe Laudet, Responsable de la thématique Astronomie et astrophysique au CNES
Centre National d'Etudes Spatiales
18 avenue Edouard Belin 31401 Toulouse Cedex 09, France
Mail : philippe.laudet at cnes.fr
Tel : +33 (0)5 61 27 31 18