Publié le 08 février 2024

1970 : première mesure de la distance Terre/Lune

En 1970, on associe pour la première fois le télescope et les lasers pour mesurer précisément la distance Terre/Lune.

Lunakhod



50 ans de résultats scientifiques

1970 : première mesure de la distance Terre/Lune.

 

Pour mesurer précisément la distance Terre/Lune, Jean Rösch, Directeur de l'Observatoire du Pic du Midi a l’idée d’associer le télescope et les lasers, dont la technologie se développait dans les années soixante, pour effectuer des tirs laser vers la Lune.

Pour cela il fait appel à un spécialiste des lasers Alain Orszag, d’un laboratoire de l’Ecole Polytechnique. Il lui propose d’utiliser le télescope de 1 mètre du Pic du Midi afin de réaliser les mesures.

Des essais avaient eu lieu aux Etats-Unis en tirant au laser sur la surface naturelle de la Lune mais le relief de la surface ne permettait pas d’obtenir des précisions meilleures que 150 m.

Parallèlement, en France notamment, la géodésie spatiale se développe à l’initiative de Jean Kovalevsky du Bureau des Longitudes, de Jacques Blamont et Roger Bivas du Service d’Aéronomie et bien d’autres.

Afin de déterminer avec précision l’orbite des satellites, l’idée est apparue de les équiper de réflecteurs lasers. Ainsi, les satellite du CNES « Diadème » D1C et D1D lancés en février 1967 furent équipés de ces premiers réflecteurs. Cette technologie permettait des mesures de distance métrique jusque là inégalées. Ces succès aboutiront à la création en 1971 du Groupe de Recherche en Géodésie Spatiale du CNES.

Le CNES fournit des réflecteurs lasers pour les premiers rovers lunaires

C’est à la suite du succès des missions Diadème que les soviétiques proposent au CNES en 1968 de fournir des réflecteurs lasers pour les rovers lunaires, Lunakhod 1 & 2, devant être déposés sur la Lune au début des années soixante-dix.

Jean-Claude Husson, alors responsable de la géodésie spatiale à la Division des Programmes scientifiques du CNES, fait réaliser les réflecteurs par l’entreprise Sud Aviation (aujourd’hui Thales Alenia Space) de Cannes.

Le 17 novembre 1970, la mission LUNA 17 dépose le Lunakhod 1 dans la région de Mare Imbrium.

Dans le contexte de la course à la Lune avec les américains, les soviétiques n’avaient pas mentionné que la mission contenait un véhicule mobile et les coordonnées du site d’atterrissage ont été transmises au CNES dans le plus grand secret.

Les premiers tirs laser ont eu lieu depuis l’Observatoire du Pic du Midi dans les nuits des 5 et 6 décembre 1970. A. Orszag utilisait un puissant laser à rubis, à la limite du savoir-faire de l’époque.

Les tirs n'étaient possibles que quelques jours par mois

Les conditions expérimentales étaient difficiles :

  • le bilan de liaison étant très médiocre (encore aujourd’hui sur 1020 photons émis,1 à 2 photons sont détectés au retour), les mesures n’étaient envisageables qu’avec le Lunakhod dans la nuit lunaire
  • le télescope ne pouvant être pointé que par repérage (sur des cratères) dans la partie éclairée de la Lune, donc loin du rover, il fallait finalement placer « en aveugle » le spot laser, de 2 à 3 km de diamètre, sur le réflecteur en visant un amer situé à plus de 600 km de distance ! Le calcul préalable de cet écart devait donc être très précis.
  • comme chaque mesure nécessitait 70 à 200 tirs lasers, se déroulant en 10 à 20 minutes, le pointage devait tenir compte du déplacement de la Lune pendant toute la durée des tirs.

En 1965, la durée de chaque impulsion laser était de 50 ns ce qui conduisait à une incertitude d’une dizaine de mètres, précision qui ne cessera ensuite de s’améliorer. En pratique, les tirs n’étaient possibles que quelques jours par mois quand la Lune présentait un fin croissant éclairé et … par beau temps ! Néanmoins ces premiers tirs furent un succès et les premiers échos de la Lune furent reçus.

Mais très vite, plus aucun écho ne fut reçu du Lunakhod 1 et diverses interprétations furent données à l’époque :

  • mauvaise coordonnée du rover ?
  • fermeture accidentelle du capot protecteur ?
  • mauvaise orientation du réflecteur ?
  • dégradation du réflecteur du fait du cycle thermique jour-nuit très exigeant pour les optiques ?

Ce n’est qu’en 2010, la caméra de Lunar Reconnaissance Orbiter de la NASA ayant pu localiser précisément le rover, qu’un tir laser depuis le Nouveau Mexique a permis d’avoir un écho, révélant que le problème était probablement une mauvaise localisation du véhicule.

A ce jour 5 réflecteurs lunaires ont été déposés sur la Lune : les deux franco-soviétiques et ceux des missions Apollo XI, XIV et XV. Ce dernier de très grande dimension pesait 10 fois plus lourd que les réflecteurs français. Par contre, en terme d’efficacité les réflecteurs des rovers se sont avérés de très bonne qualité. Aujourd’hui, le réflecteur d’Apollo XV est le plus utilisé et représente la cible de près de 80% des tirs lasers sur la Lune.

La Lune s'éloigne de la Terre de 3,8 cm par an !

Les lasers à rubis ont été progressivement remplacés par des lasers néodyme (Nd-Yag), plus puissants et capables d’émettre des impulsions plus brèves (0,1 ns). La précision sur les mesures de distance a constamment augmenté passant du mètre dans les années soixante-dix, à 20 cm au début des années 80 et à quelques millimètres aujourd’hui.

Par ailleurs, le bilan des tirs depuis le Pic du Midi a mis en évidence que ce site, s’il était parfaitement adapté (voire le seul possible) par la qualité de ses images pour effectuer une démonstration de faisabilité de télémétrie laser-Lune avec la technologie de l’époque, il n’était plus, en raison de sa situation géographique avec une météo peu favorable, et la faible disponibilité du télescope, le mieux placé pour valoriser et poursuivre ces premiers succès. Ceci a incité la communauté à développer un instrument dédié qui sera installé sur la plateau de Calern près de Grasse au début des années 80. En effet, même si la précision de la mesure est importante, la régularité des mesures sur plusieurs années voire des décennies est également nécessaire, en particulier pour avoir accès à la variation de certains paramètres sur de longues périodes. On a pu ainsi déterminer, par exemple, que la Lune s’éloigne de la Terre de 3,8 cm par an.

L’intuition des chercheurs des années soixante de pouvoir mesurer avec précision la distance Terre-Lune s’est avérée excellente. Pour preuve, un demi siècle plus tard, des tirs lasers Lune sont encore effectués depuis plusieurs observatoires dans le monde et en particulier celui de Calern. Ces mesures de précision permettent d’étudier le mouvement très complexe de notre satellite naturel. Elles donnent également accès à certains paramètres de la structure interne de la Lune et de la Terre ainsi qu’aux mouvements fins de notre planète (mouvement des pôles, dérive des continents, ..).

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