Le toponyme Santa Barbara n’évoque pas forcément l’aventure spatiale mais c’est pourtant dans ce comté californien, situé à mi-chemin entre Los Angeles et San Francisco, que les Etats-Unis disposent de leur deuxième centre spatial après celui de Cape Canaveral. Moins connue que son homologue de la façade Atlantique, la base de Vandenberg n’en est pas moins un pilier de l’activité spatiale américaine.
Légende de l’image
Image prise le 13 décembre 2018 par un satellite Sentinel 2. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
Accéder à l'image générale
Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.
Présentation de l’image globale
La base aérienne de Vandenberg est une installation militaire qui, en 2015, compte 51 pads et silos et a ainsi permis plus de 700 lancements de satellites ou sondes et 1 100 lancements balistiques. Sur ces 50 pas de tirs, une moitié a servi à des lancements pour la mise à poste de satellites et l’autre moitié était consacrée à accueillir des silos pour lancements de missiles balistiques.
Tout comme le Cape Canaveral Air Force Station, Vandenberg dépend de l’Air Force Space Command. Par contre, à l’inverse de sa prestigieuse consœur de la côte Atlantique, la base de Vandenberg est restée relativement discrète à l’échelle internationale. On peut l’expliquer par l’absence de Vandenberg dans la Mission Apollo, celle qui a certainement marqué les populations du monde entier par la force de l’épopée lunaire.
Vandenberg, un port spatial complémentaire de Cape Canaveral
C’est un lieu commun de préciser que la double ouverture océanique du continent américain a constitué un des facteurs de la puissance des Etats-Unis dans le monde. Dans le domaine spatial, cette localisation a été extrêmement bénéfique puisque les azimuts de lancement de Cap Canaveral (ouverture atlantique, vers le nord) et celle de Vandenberg (ouverture pacifique, vers le sud) sont complémentaires. La création de ces 2 bases assure donc à la puissance américaine un accès à des orbites nombreuses, permettant la mise à poste de satellites aux caractéristiques multiples.
En effet cette base militaire est située à une latitude de 34,5° N. La zone autour des pas de tir est totalement dégagée vers le Sud Sud-Ouest. Cela autorise des lancements avec des azimuts situés entre 140° et 201° et permet d'atteindre des orbites inclinées à 36 et 104° sur l'équateur. Les satellites gouvernementaux ou commerciaux lancés à partir de ce site rejoignent des orbites polaires.
La base de Cape Canaveral en Floride située à une latitude plus faible (28°N) est idéalement placée les satellites en orbite équatoriale et pour les satellites en orbite géostationnaire. En effet, les navettes spatiales sont lancées dans le sens de rotation de la Terre, pour bénéficier d'un effet de fronde comme accélérateur. Pour cela les lancements se font en direction de l’Est entre les azimuts de 35° N et 120° S, pour ne pas survoler les zones habitées. Ces azimuts de lancement permettent d'atteindre des orbites inclinées à 57 et 39°.
Outre la position stratégique, la base présente des conditions locales favorables. En effet, le relief accidenté des montagnes de Santa Ynez offre des postes d’observation et la possibilité de mettre en place des relais de communication, des outils de mesure… Ainsi « le Tranquillion Park » culmine à 700m d’altitude et surplombe les différentes aires de lancement.
Autre point positif, le relief accidenté, le climat méditerranéen aride et les formations végétales rases de type garrigues n’ont jamais été vraiment exploités par les hommes dans cette zone, ce qui fait de cette portion du littoral californien un espace peu peuplé, permettant des lancements et des essais de tirs balistiques sécurisés quant à d’éventuelles retombées lors d’un accident technique.
Le développement des villes de Lompoc et de Santa Maria ainsi que des activités agricoles de type huertas ou viticoles qui les entourent n’est cependant pas inexistant mais concernent davantage l’immédiat arrière-pays que les zones de lancement en elles-mêmes. En effet, on remarque sur l’image comment les terres agricoles s’étendent le long des 2 vallées fluviales principales, la Santa Maria et la Santa Ynez. La présence de cultures, souvent agrémentées de serres démontrent le développement d’une agriculture intensive irriguée dans cette région californienne au climat méditerranéen.
La seule activité humaine directement au contact de la base spatiale que les autorités militaires ont autorisé est matérialisée par un accès à l’Océan entre la partie Nord et la partie Sud du camp pour les… adeptes du surf : lorsque les Beach Boys et le « surf in USA » rencontrent Kubrick et le Dr. Folamour…
Vandenberg, une base à l’origine militaire
Comme Cape Canaveral, la conquête spatiale à Vandenberg se conjugue avec l’histoire militaire, en particulier celle des lancements de missiles que les Etats-Unis développent après la 2ème Guerre mondiale en s’appuyant notamment sur les travaux des équipes dirigés par Werhner Von Braun, scientifique allemand exfiltré d’Allemagne au moment de l’effondrement du Reich.
Cette importance de la base de Vandenberg dans la défense stratégique du territoire américain a été reconnue en 2006 avec la cérémonie qui a donné au centre antimissile le nom de Ronald Reagan, en mémoire de l’ancien Président dont un des projets de défense reposait sur la protection du territoire par la mise au point d’un bouclier antimissile. Par sa position stratégique sur la côte ouest des Etats-Unis, le centre de Vandenberg participe totalement à ce programme de défense dont l’un des centres principaux se situe dans l’archipel des îles Marshall (attoll de Kwajalein)
D’un point de vue historique l’armée américaine acquiert en 1941 quelques 350 km² de terrain sur la côte ouest de la Californie, dans le comté de Santa Barbara entre Santa Maria et Lompoc. Ce grand camp militaire prend le nom de « Camp Cooke ». Il sert d'entraînement pour les troupes blindées et d'infanterie, envoyées sur les fronts de la Seconde Guerre mondiale et des conflits qui suivront. Il sera d’ailleurs repris pour les mêmes fonctions militaires au moment de la Guerre de Corée : comme une grande partie de la façade ouest américaine, la base de Vandenberg, par son ouverture pacifique, se retrouve en première ligne dans le nouvel ordre mondial issu de la 2ème Guerre mondiale. Il est à noter que le site de « Camp Crooke » devait à l’origine servir de centre d’entrainement pour les opérateurs de missiles qui œuvraient sur la base de Cape Canaveral.
L'année 1957 marque un tournant pour l’exploration spatiale, avec le lancement du premier satellite, Spoutnik.
L’armée renforce alors programme et cette base militaire est transférée à l’United States Air Force qui la renomme Vandenberg en l'honneur du général Hoyt Vandenberg, deuxième chef d'état-major de l'armée de l'air.
Vandenberg a commencé sa transformation en un centre d'essais spatiaux et de missiles. Sur la base les activités de lancement sont scindées en deux zones. La partie Nord regroupe les silos pour les missiles tandis que la partie Sud regroupe les pas de tir des lanceurs voués à mettre en orbite les satellites ou à lancer les sondes.
Une aventure spatiale américaine : NASA, « secret-défense » et ouverture au secteur privé
L’une des principales évolutions du secteur spatial aux Etats-Unis, réside dans le passage d’une activité stratégique, très liée au domaine militaire et à la notion de « secret-défense » à une activité de plus en plus ouverte au secteur privé. La base de Vandenberg est représentative de cette évolution majeure puisque que de bases de développement de missiles balistiques à la fin des années 1950, elle a été en octobre 2018, la première base terrestre spatiale à voir le retour du premier étage d’un lanceur qui sera probablement réutilisable… Cette prouesse technique qui ouvre une nouvelle voie dans la conquête de l’espace en permettant, par la réutilisation d’une partie des lanceurs, une réduction considérable des coûts a concerné un lanceur Falcon9…réalisé par la société privée d’Elon Musk, Space X lanceur Falcon9.
Les premiers lancements ont commencé en 16 décembre 1958, avec un lanceur Thor IRBM, dans la partie sud du site. Puis le 28 février 1959 le premier satellite est lancé depuis cette base par une fusée Thor-Agena. Il s’agit du satellite d’observation Discoverer 1 destiné à initier le programme de satellites de reconnaissance Corona. Celui-ci n’arrivera pas sur son orbite, mais le programme Corona fonctionnera jusqu’en 1972. Dans le contexte de Guerre Froide, le programme Corona avait pour objectif l’espionnage des bases de lancement de missiles soviétiques afin de recenser les potentialités militaire de l’URSS.
Dans le cadre de ces observations très précises, nécessitant des résolutions assez fines (à l’échelle des technologies des années 60) l’orbite polaire, basse était fondamentale et fit donc de Vandenberg un site de première importance pour la puissance américaine.
Forte de ces succès et de cette expérience spatiale, en 1972, le Département de la Défense sélectionne la base pour devenir le deuxième site de lancement de la navette spatiale américaine. A cette époque certains responsables avaient estimé que la navette pouvait voler jusqu'à 50 fois par an. Une installation de lancement complète est construite et la piste d'atterrissage attenante est rallongée pour permettre d'accueillir les navettes. Malheureusement l’accident de la navette spatiale Challenger le 28 janvier 1986 a changé pour toujours la politique spatiale américaine. Le programme de navettes à Vandenberg a pris fin en 1989 : aucune navette ne sera lancée depuis la côte ouest. Dans les années 1990, la base a été utilisée pour le lancement de fusée Athena, puis modifiée pour la fusée lourde Delta 4 de Boeing.
Actuellement le site de Vandenberg est le siège de la 14th Air Force et compte plus de 6 000 résidants. Il accueille non seulement des lancements pour l'armée de l'air et le département de la défense, mais également pour la NASA et plusieurs industries privées. On y lance des satellites (moins d'une dizaine de lancements par an ces dernières années) en utilisant des lanceurs Atlas V, Delta IV, Delta II, Falcon, Minotaure, Pegasus et Taurus.
L’installation est également connue pour lancer des missiles balistiques intercontinentaux à des fins de test.
Dernièrement l’activité du site a fait les unes de l’actualité en raison du retour du premier étage du lanceur Falcon9 (7 octobre 2018) mais également avec le départ quelques mois plus tôt (5 mai 2018) d’un lanceur Atlas V avec à son bord la sonde martienne In-Sight, dernier indice d’une prochaine étape de la conquête spatiale, la connaissance (et la découverte ?) de « la planète rouge ».
Contributeur
Vincent DOUMERC, professeur agrégé de géographie, Lycées Saint-Sernin et Fermat (Toulouse)
Pierre FERRAND, chargé de mission CNES