Thaïlande - Bangkok : la mégapole qui ne dort jamais

Située au fond du Golfe de Thaïlande, Bangkok est une mégapole de 19 millions d'habitants marquée par une expansion accélérée, diffuse et sans limite qui génère des recompositions spatiales génératrice d’une violence sociale et politique indéniable. Alors que les gratte-ciels se multiplient formant une skyline de plus en plus imposante, des milliers d’habitations très vulnérables subsistent, en particulier le long des khlongs, ces canaux typiques de la capitale thaïlandaise. Territoire largement mondialisé et ville d'adrénaline et de tous les excès, où les malls côtoient les temples, les marchands de street-food et d’innombrables salons de massage, Bangkok est une ville de contrastes, dont la « liberté de faire et d’être » fait la fierté des habitants.

 

Légende de l’image satellite

Cette image de la capitale de la Thaïlande, Bangkok, a été prise par un satellite Sentinel-2, le 22 janvier 2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2019, tous droits réservés.

 

 

L'image ci-contre indique quelques repères géographiques de l’agglomération de Bangkok.

Pour cette étude cas trois zones sont présentées dans la partie "zooms d'études". l'image ci-contre montre leurs localisations dans la capitale thaïlandaise.

Au dessous, l'image présente quelques repères géographiques de l'hyper-centre de Bangkok. Cette zone est décrite plus bas dans la premère partie de "zooms d'étude".




 

 

Présentation de l'image globale

Bangkok : la capitale politique et économique d’une puissance
asiatique en devenir

Bangkok : une mégalopole littorale dans un grand delta fluvial de l’Asie des Moussons

Comme le montre l’image, nous sommes ici dans un espace de plaine alluviale de très basses altitudes (2 à 10 m). La température moyenne annuelle est élevée (28°C) et les variations saisonnières très faibles (26°C en janv., 30° C en avril et mai.). Par contre, les précipitations sont très abondantes avec un cumul annuel de 1,45 m. par an, avec des amplitudes très sensibles liées à la mousson : il tombe 5 à 10 mm./mois en décembre et janvier, contre 342 mm en septembre. La moitié des précipitations annuelles tombent entre août et octobre. La question de la gestion de l’eau est un enjeu majeur d’aménagement et de développement durable.

L’espace rural et agricole est très peuplé et très largement mis en valeur par la riziculture inondée comme l’indique le parcellaire et l’organisation de l’espace. Nous sommes ici en Thaïlande, dans un des grands deltas fluviaux de l’Asie des Moussons dont l’image ne couvre qu’une petite partie. Les altitudes sont faibles, les cours d’eau - fleuve, rivières canaux très nombreux, et l’eau omniprésente.

L’espace couvert par l’image est drainé et organisé en son centre par un fleuve d’orientation nord/sud : la Chao Phraya. Celui-ci se jette au sud en bordure de l’image dans la mer, ici le très grand Golfe de Thaïlande. Long de 372 km et drainant un vaste bassin de 160 000 km2, l’axe fluvial de la Chao Phraya sert de colonne vertébrale à la construction du Royaume du Siam (dénomination jusqu’en 1939) puis à la Thaïlande contemporaine. L’hinterland de cette ville littorale et portuaire – constitué en particulier par la grande plaine centrale qui mesure 460 km de long et 200 km de large et qui, au sud de Chainat, correspond au très grand delta de la Chao Phraya - est donc considérable, alors que tout l’est du pays (plateau de Korat) est drainé par le bassin du Mékong.  

Mais bien sur, le plus frappant sur l’image est la place occupée par la mégalopole de Bangkok. Son centre historique se trouve le long du fleuve sur une terrasse insubmersible au nord-ouest du vaste méandre vert de Bang Krachao bien visible sur l’image. Après la destruction d’Ayuthaya, située à 80 Km au nord de Bangkok, par les Birmans en 1782, les rois du Siam choisissent d’établir leur nouvelle capitale sur ce site défensif dans un méandre de rive gauche.

Bangkok : une des principales mégalopoles d’Asie du Sud-Est

Comme le montre l’image, Bangkok atteint une taille en tout point considérable. Au plan démographique, la population de l’aire métropolitaine de Bangkok – soit le territoire visible sur l’image satellite - est de 19 millions d’habitants en 2018, ce qui en fait la 18em métropole la plus peuplée du monde. Alors qu’aucune autre ville en Thaïlande ne dépasse les 500 000 habitants, Bangkok écrase la hiérarchie urbaine nationale pour aboutir à une structure macrocéphale d’une intensité exceptionnelle. Au plan spatial, l’aire métropolitaine couvre près de 8 000 km² - soit la taille d’un grand département français - et sa largeur maximale dépasse les 100 km d’est en ouest. Au plan économique enfin, elle est incontestablement au cœur de la dynamique productive du pays.

Comme en témoigne le processus de croissance urbaine bien visible sur l’image, Bangkok est le symbole et le principal réceptacle de l’urbanisation accélérée du pays : en vingt ans, la population urbaine passe de 30 % en 2000 à plus de 50 % aujourd’hui. A elle seule, l’aire métropolitaine de Bangkok polarise 60 % de tous les urbains du pays. Mais comme de nombreuses mégapoles, elle est très fragmentée administrativement puisque les ⅔ du territoire mégalopolitain sont situés à l’extérieur des limites de la commune de Bangkok.

Bangkok : une croissance urbaine spectaculaire

Nichée dans le delta de la Chao Praya, alors que plus à l'est s'étend un vaste delta marécageux très difficile à traverser, Bangkok devient comme nous l’avons vu la capitale du Royaume du Siam en 1782 alors que la Thaïlande sera un des très rares Etats d’Asie à n’avoir jamais été colonisé.

La trame urbaine de Bangkok reprend l'ancien réseau des centaines de canaux ou khlongs. Comme l’illustre très bien l’image, le maillage est en damier à l’est à dominante rizicole avec un parcellaire aux très étroites lanières, et plus irrégulier à l’ouest où dominaient l’hortillonnage et des cultures maraichères sur billons irrigués hautement productives. A partir de la fin du XIXe siècle, certains canaux ont été convertis en axes routiers, d'autres ont été réhabilités et, comme le fleuve, ils sont parcourus par des bateaux-bus. Ces khlongs font partie de l’identité paysagère de la métropole que l’on surnomme parfois – de manière bien excessive - “la Venise d’Asie”. Ces bras verdâtres sont des lieux de vie - d’où ont progressivement disparu les marchés flottants -, de circulation et représentent des pauses “naturelles” au milieu d’un univers urbain minéral ultra-dense.

D'ouest en est, la ville s'est étalée très rapidement. Thonburi à l'ouest de la Chao Praya, reste un vieux quartier populaire qui se compose de nombreux villages agricoles “aquatiques” dans un milieu dominé par les canaux et les hortillons. De l'autre côté du fleuve, le quartier historique, s'organise autour du Palais royal. Ce quartier est surtout animé par des temples majestueux aux couleurs splendides. Wat Pho, Wat Phra Kaew sont les plus impressionnants et les plus visités.

A l'est du quartier historique s'étend le quartier administratif. Puis toujours vers l'est, c'est l'immense université Chulalongkorn, puis le quartier des affaires le long du Lumphini Parc. Commence ensuite la Sukhumvit Road, parfois présentée comme « la plus grande avenue du monde » qui file sur 300 kilomètres vers la frontière cambodgienne. Les quartiers commerçants s'étendent de part et d'autre de cette route. C'est le territoire des farangs (étrangers) européens, australiens, indiens, américains et japonais. Vers l'est encore, le long de deux fois 4 voies, se déploient des espaces résidentiels aérés, ponctués de malls.

Vers le sud, au-delà de la poche verte de Bang Krachao, la ville continue de se déployer le long de la Chao Praya jusqu'à son estuaire. Les habitations grignotent inexorablement les maraîchages à l'ouest et les rizières à l'est pour former un paysage mité où usines, centres commerciaux, immeubles d'habitations et zones d'activités se succèdent.

Vers le nord-est, c'est le même phénomène d'étalement urbain. Tentaculaire, la mégapole de Bangkok s'étend désormais à perte de vue, pour qui l'observe depuis le sommet de la tour Maha Nakhon à 314 mètres d'altitude, au cœur de la mégapole. Un océan urbain et indistinct dont émerge une skyline monumentale tout autour du parc Lumphini.

Bases aéroportuaires et insertion dans la division internationale du travail

Au nord et à l’est, Bangkok est dotée de deux aéroports internationaux. Relégué à l’accueil des compagnies low cost depuis la construction du Suvarnabhumi à l'est de la métropole, Don Muang, situé au nord de la métropole, n’en demeure pas moins un hub important et une plateforme incontournable pour qui veut voyager en Thaïlande. Les plages bétonnées de Phuket, qui font le bonheur des touristes occidentaux et chinois, ne sont qu’à 30 € pour le prix du billet.

Les deux portes d'entrées commerciales de la Thaïlande - l'aéroport international Don Muang, au nord, et le port fluvial de Bangkok, situé au centre, au bord de la Chao Praya - polarisent de vastes espaces productifs où sont implantées la moitié des usines thaïlandaises (textile, automobile, électronique…).

La proximité des plateformes multimodales (ports, aéroports) et l’importance des investissements des autorités thaïlandaises font de la région métropolitaine de Bangkok l’espace privilégié de localisation des principales entreprises et des investissements étrangers, participant à une industrialisation à grande échelle et à l’expansion rapide de la production thaïlandaise depuis les années 1990.


 

Zooms d’étude

 



L’hyper-centre de Bangkok : centralité et spécialisations fonctionnelles

La question des mobilités dans une métropole saturée : canaux et transports en commun

Cette image représente le cœur hyper-dense de la métropole. On peut observer des grandes voies radiales qui s'étendent du nord au sud et d'est en ouest, sans pour autant distinguer une organisation en damier, régulière du réseau.

La ville est en effet quadrillée par de très larges avenues, des 2 fois 4 voies, difficiles à franchir. De ces très grosses artères partent de nombreuses rues, des soi. Ces rues souvent étroites sont dépourvues de trottoirs et fourmillent de monde. Elle se terminent le plus souvent en impasse. La trame des rues est en effet limitée par le réseau de canaux dont on peut voir les plus importants sur l'image en vert. Originellement, ces bras d'eau servaient pour le transport (les routes étaient alors beaucoup plus rares), le commerce avec les marchés flottants et aussi d’égouts à ciel ouverts. Au fil du temps, nombre de ces canaux furent comblés et transformés en rues, ce qui accentua le trafic routier. Pour autant, de nombreux canaux, plus ou moins larges, sont encore actifs. Ce sont des lieux de vie avec, le plus souvent, des habitations précaires. Les plus larges sont des voies de circulation, les habitants utilisant la voie fluviale pour se déplacer pour une somme modique.

La ville de Bangkok est également parcourue par quelques lignes de transport en commun qui se superposent au réseau routier. On distingue des lignes de bus vieillissants, mais surtout deux lignes de métro souterrain (MRT pour Mass Rapid Transit) qui irriguent l’hypercentre et le nord-ouest de la métropole, deux lignes de skytrain (BTS pour Bangkok Mass Transit System) qui s’étendent de l’hypercentre vers le sud-est et le sud-ouest de Bangkok, une troisième ligne aérienne, la Airport Railway Link qui relie l’aéroport de Suvarnabhumi au centre de la ville, et enfin une ligne de BRT (Bus Rapid Transit) dans le sud.

Ces lignes ont toutes pour vocation à être prolongées ou multipliées. De nombreux travaux d’extension du BTS sont à l’oeuvre pour mieux desservir les périphéries notamment. On peut déjà observer les pilotis en béton qui soutiennent les futures lignes. Les stations sont déjà prêtes à être desservies.

Bangkok a lancé un ambitieux programme de réseau de transport en commun pour lutter contre la saturation du trafic et pour mieux desservir son immense périphérie. L'objectif est d'encourager les usagers à prendre le train plutôt que la voiture, pari ambitieux tant le parc automobile est important et en constante croissance. Les moyens de transport les plus efficaces pour échapper aux bouchons quotidiens étant les motos. Des milliers de moto-taxis dont les chauffeurs sont reconnaissables à leurs gilets oranges sillonnent d’ailleurs la capitale et slaloment dans le dédale de voitures.

Le système autoroutier : une forme de ségrégation verticale

Surplombant ce réseau saturé, les autoroutes aériennes payantes reposent sur d'énormes pilotis en béton. Ces autoroutes permettent d'accéder à la « partie haute » de la ville. Elles sont jalonnées de centaines de panneaux publicitaires immenses – souvent de 20 mètres sur 10 – montés sur pilotis au milieu des habitations. On peut y observer la promotion d'une bière rafraîchissante brassée en Thaïlande, d’une imprimante 3D de marque japonaise, d’une cravate sur fond bleu ou encore d’un épilateur dernière génération. Des films publicitaires pour le blanchiment de la peau, des bandes-annonces pour la plateforme Netflix ou pour la dernière production des studios hollywoodiens tournent sans cesse et électrisent tels des stroboscopes la circulation. Images de synthèse à l’appui, de nombreux panneaux publicitaires promettent une future énième résidence luxueuse au nom moderne et exotique. Le marketing territorial de Bangkok, très actif, a pour objectif de vanter des morceaux de ville, souvent des résidences fermées ou un nouveau centre d’affaires.          

Ces autoroutes payantes sont l'illustration d'une forme de ségrégation verticale de la ville. Construites pour désengorger les voies terrestres, elles donnent à voir une métropole de gratte-ciels, celle des sièges des grandes firmes transnationales thaïlandaises (Banques UOB ou Krungsri, téléphonie True …), ou étrangères (Siemens, BMW, Michelin …) et des hôpitaux internationaux. C'est la ville qui attire des capitaux et qui est lancée dans un développement effréné. Depuis cet entrelacs autoroutier, on peut prendre la mesure de la puissance de la monumentalité urbaine sacralisée par les portraits royaux qui ornementent de nombreuses façades sur des dizaines de mètres de hauteur.

Une ville en chantier urbain permanent, très polluée et en voie d’affaissement

L'image satellite montre bien que dans cette zone rectangulaire, qui s'étend surtout à l'est du fleuve Chao Praya, c'est le blanc ou le gris qui domine. Bangkok est en effet une métropole très minérale, dans laquelle le moindre espace est voué à être bâti.

Bangkok s’impose, multiple et complexe, en des grappes de béton dont émergent des tours aux reflets bleus, gris ou dorés. Les centaines de grues rappellent que la ville est en chantier permanent. Partout, les voies aériennes, les villas, les tours, les centres-commerciaux poussent comme dans le jeu Sim City, reconfigurant les espaces en quelques années au point de rendre un quartier méconnaissable à celui qui l’habitait tantôt.

Cette activité intense - associée à la chaleur et l’humidité - rendent délicate la circulation piétonne. Bangkok n’est pas une ville pensée pour les habitants mais pour les voitures. Ce trafic routier très dense est une source de pollution très importante. Aux émissions de CO2 s’ajoutent les émissions de particules fines qui proviennent notamment de l’abrasion des pneumatiques et des freins. Autre facteur de pollution atmosphérique et sonore, les nombreux chantiers de malls, condominiums, gratte-ciels, pilotis de béton censés supporter les voies aériennes du futur, qui contribuent de surcroît à l’affaissement du sol de la capitale.

Bangkok s’enfoncerait en effet d’environ trois centimètres par an. Construit sur une plaine alluviale d'argile, l'affaissement est exacerbé par le pompage excessif des eaux souterraines par l'industrie et par le poids des énormes bâtiments. On compte en 2019 plus de 140 immeubles de plus de 150 mètres de haut et 700 bâtiments de plus de 20 étages. Cet affaissement rend la société de plus en plus vulnérable au risque de submersion.

Une mégapole de l’hyper-consommation particulièrement duale : les marchés traditionnels

Le maître-mot de la vie à Bangkok semble être la consommation. On trouve tout, partout, tout le temps. La consommation se lit d’abord dans les paysages du quotidien : dans la rue, sur un bout de trottoir avec les marchands de street-food, dans les petits commerces et restaurants de quartiers qui se succèdent le long des grandes avenues, dans les marchés couverts ou ouverts, de jour comme de nuit... sans oublier Chinatown, quartier bouillonnant du commerce de gros, juste à côté du centre historique. Et puis il y les grands malls commerciaux, de plus en plus omniprésents et exubérants.

Pôle de la consommation “populaire”, le marché de Khlong Toei est situé au coeur d’un vaste quartier très paupérisé, près du port fluvial, au pied des gratte-ciels. C’est l’un des plus importants de la métropole, accessible par le MRT (métro souterrain). Connectés, ces populations indigentes n'en sont pas moins invisibles. Elles co-habitent avec les autres habitants le temps du marché, mais appartiennent définitivement à une sphère socio-spatiale différente. Parmi eux, de nombreux migrants venant de Birmanie, du Cambodge et de Malaisie, qui sont dans l'obligation d'adopter une stratégie de survie. Ils vivent donc à côté des autres, se battent l'un contre l'autre générant une société de plus en plus individualiste.

Plus au nord, le marché de Chatuchak, ville dans la ville, est une étape incontournable dans le programme du visiteur temporaire et manifestation exacerbée de l’hyper-consommation - et donc de l’hyper-production. On y voit de tout : les boutiques vendent des durians (fruit remarquable par sa taille et son odeur), des petits bouddhas, des plaques vintage, des souvenirs, des meubles, des smartphones, des orchidées, de la parapharmacie dont les pots de baume du tigre, des shorts de boxe thaï, des t-shirts, des fruits secs…. Ce sont des millions de pantalons et robes en tissu léger aux imprimés couleur locale qui s’entassent dans les dizaines d’échoppes de cet hyperlieu marchand.

Organisé en quartiers spécialisés, comme le sont les souks, le marché abrite quelques 15 000 étals sur plus de 11 hectares. Bien desservi par le métro souterrain (MRT) et aérien (BTS), cet espace polarise de nombreux flux (marchandises, visiteurs, financiers …). Les produits du marché de Chatuchak sont très prisés par les nombreux touristes, dont une majorité de Chinois. Les habitudes de consommation de ces derniers redéfinissent d’ailleurs de plus en plus l'industrie de la vente au détail à Bangkok, une tendance observable dans les marchés en plein air populaires comme Chatuchak mais aussi dans les nombreux centres commerciaux.

L’affirmation des grands malls commerciaux

Comme dans de nombreuses métropoles de pays émergents, les malls - toujours plus grands, toujours plus beaux - expriment la mondialisation en mariant syncrétiquement la culture et le commerce locaux et les marques mondialisées. Outre leur dimension marchande, les malls de Bangkok sont aménagés pour devenir de véritables espaces récréatifs dans lesquels il fait bon se promener. Ils assurent le rôle que les espaces publics ouverts proposent traditionnellement, mais qui sont ici si contraints.

Dépourvue de ces espaces, la ville de Bangkok se pare en effet de malls plus originaux les uns que les autres avec une identité spécifique marquée. Soir par l’architecture : le mall Terminal 21 a des allures de terminal d’aéroport, le mall Em-Quartier reconstitue une ruelle piétonne au pied d’immeubles de verre végétalisés d’où jaillit une cascade, les toits de Icon Siam rappellent ceux d’un wihan d’un temple bouddhiste. Soit par la fonction : on a ainsi l'embarras du choix tout le long de la ligne BTS Sukhumvit Line sur deux kilomètres parmi les 10 malls qui se succèdent. Les 4 stations de BTS qui jalonnent cette portion sont saturées par les consommateurs en transit. La ligne de transport BTS étant doublée d’une skywalk qui permet de passer à pied d’un centre commercial à un autre en dominant le trafic routier, saturé lui aussi.

Enfin, la fonction récréative de ces espaces se retrouve dans les aménagements monumentaux à l’intérieur. Par exemple, le centre commercial Siam Paragon, fort de ses sept niveaux et de ses 500 000 m2, abrite au sous-sol le plus grand aquarium d’Asie.

L’Icon Siam : le plus récent et plus grand mall de la ville

L’événement de ce début d’année 2019 fut d’ailleurs l’inauguration du dernier et plus grand mall de la ville, Icon Siam affublé de ses deux tours qui semblent veiller sur le temple doré de la consommation moderne comme deux gardes du corps.

Donnant sur la Chao Praya, colonne vertébrale fluviale bleu-marron de la métropole, le mall brandit ses marques luxueuses venues du monde entier et que l’on retrouve déjà en quantité dans les dizaines d’autres exemplaires de cet hyperlieu marchand. Icon Siam se dresse dans la vieille-ville de Thonburi, sur la berge du fleuve qui fait face au vieux quartier européen de Bangrak.

En face du luxueux Mandarin Oriental, de l’Ambassade de France et des ruines des anciennes douanes et autre anciens docks, Icon Siam est le symbole de l’obsession thaïlandaise et des autres métropoles d’Asie du Sud-est : la consommation in-door dans un vaste espace climatisé, ouvert à tous. Garants d’une certaine justice spatiale, ces lieux sont le rendez-vous de tous les habitants qui y flânent, se restaurent dans les food-court, à l’abri de la chaleur souvent invivable de l’extérieur.

Même si ces commerces monumentaux offrent des occasions de sortie pour les Bangkokiens, il n’en demeure pas moins que la profusion de biens et d’enseignes marchands comme seul horizon récréatif, voire culturel, est révélateur d’une autre réalité : le poids des modèles consuméristes, la grande majorité des Thaïlandais se contentant d’imiter les modes de comportement et de reproduire les codes vestimentaires véhiculés par les médias dans une société qui se fissure. Au milieu des centres commerciaux, le BACC (Bangkok Art and Culture Centre), un centre culturel à contre contre-courant, accueille de nombreuses expositions temporaires d’art contemporain où l’on peut prendre la mesure de la vitalité de la scène artistique thaïlandaise.

Au final, l’énergie est constante dans cette ville. Elle ne dort jamais, elle est une grande scène de théâtre : les gens circulent sans arrêt, consomment sans discontinuer. Thaïs et farangs s’affairent, se croisent, se contournent au milieu des fumées des pots d’échappement et des brochettes des vendeurs de street-food. A la chaleur écrasante et liquéfiante de la rue, répond le glacial de l’intérieur d’un centre commercial sur-climatisé. Ce qui fait dire à Arnaud Dubus (1964-2019), journaliste et l’un des meilleurs connaisseurs occidentaux de cette ville : “Bangkok c’est un fouillis qui défie l’imagination, un chaos inextricable, des immeubles de 60 étages, immaculés, avec à leur pied des gens qui vendent des brochettes dans des petites carrioles. C’est un contraste entre l’ultra-modernité et le sous-développement. C’est d’ailleurs ce qui fait l’attraction de Bangkok. A la fois séduisante et agaçante, c’est une ville organique, qui vit, qui respire, qui étouffe.”

 

 



Suvarnabhumi Airport : la porte d’entrée d’une des villes les plus visitées au monde

Bangkok : le 3ème aéroport d’Asie du Sud –Est

“Ce fouillis (...) qui fait l’attraction de Bangkok”.  En effet, selon le classement du Mastercard’s 2018 Global Destination Cities Index, Bangkok est la ville la plus visitée au monde avec plus de 20 millions de personnes qui restent en moyenne 4,7 nuitées sur place et y dépensent 173 $ par jour. Selon cet indice, cette domination s’explique notamment par de solides infrastructures (offre en hébergements, hubs de Bangkok), une forte attractivité pour les affaires et pour les loisirs, et une culture locale qui séduit beaucoup.

Bangkok apparaît en particulier comme une plateforme de redistribution à l’échelle nationale des touristes vers les différents espaces de la Thaïlande grâce à ses deux aéroports de Don Muang, le plus ancien, au nord de la ville, et de Suvarnabhumi, à l’est de la métropole, dans la localité de Samut Prakhan. Ce dernier, bien visible dans cette image, est aujourd’hui le troisième hub d’Asie du Sud-Est avec près de 61 millions de passagers derrière l’aéroport Soekarno-Hatta à Jakarta, et l’aéroport Changi à Singapour. Pour faire face à l’engorgement - Suvarnabhumi accueille aujourd’hui 60 millions de passagers par an alors que sa capacité annuelle est de 45 millions - la construction d’un second terminal est programmée, ce qui devrait à terme porter la capacité annuelle à 90 millions de voyageurs.

Bangkok : l’interface entre l’échelle nationale et mondiale

L’attractivité de Bangkok s’explique par plusieurs facteurs. Dans un premier temps, la Thaïlande tend à développer des stratégies de valorisation économique grâce au tourisme domestique et international. Le pays est la 9e destination touristique mondiale (35 millions en 2017, soit 100 fois plus que dans les années 1970) et vient au 3e rang dans le classement mondial des recettes du tourisme international.

Ceci reflète avec éclat la stratégie active d’accession au rang de puissance régionale, qui passe notamment par la valorisation d’un patrimoine naturel (conversion en parcs nationaux de nombreuses îles et forêts) et culturel exceptionnels, ainsi que d’un marketing urbain très offensif qui tend à faire de Bangkok une destination privilégiée du tourisme d’affaires.

Le succès thaïlandais - et de Bangkok - s’explique aussi par le positionnement de la Thaïlande sur des marchés de niche tels que les séjours gastronomiques, le tourisme de fête et le tourisme médical avec près de 3 millions de patients étrangers en 2017 (ce qui en fait la première destination mondiale de tourisme médical).

La Thaïlande est aussi une destination privilégiée pour les Chinois avec 12 millions de visiteurs en 2017. Le film chinois “Lost in Thailand” sorti en 2012 n’y est pas étranger. Les agences de voyage chinoises proposant des lieux cultes du film. Ces flux Chine-Thaïlande sont en pleine explosion et alimentent la croissance du marché aérien thaïlandais.  La croissance du trafic aéroportuaire s’explique également par l’émergence et la consolidation d’une classe moyenne en Thaïlande, en Chine et dans la région.

Fret aérien et zones franches

Dans le transport de marchandises par voie aérienne, Suvarnabhumi est également animé par un trafic de plus de 1,6 million de tonnes par an, soit l’équivalent du fret traité dans les aéroports de Londres ou d’Amsterdam par exemple. L’aéroport accueille en particulier une zone franche d’exportation (ZFE) et des entrepôts directement connectés au terminal cargo. Les produits qui arrivent ici peuvent être réacheminés un peu partout en Asie très rapidement.

La création par l’Etat de telles zones franches a été congruente de la libéralisation des échanges, et un moyen de maintenir une forte croissance économique dans les années 1980-1990 puis après le krach boursier de 1997. Ces investissements visent à mettre en place des « pôles de croissance » dans des villes-clés avec au premier chef la zone métropolitaine de Bangkok et le littoral sud-est de la Thaïlande, autour de Pattaya.

L’aéroport de Suvarnabhumi représente ainsi une véritable porte d’entrée commerciale qui justifie l’emplacement de nombreuses unités de production et infrastructures de transports. Ce programme d'investissement industriel vise à faire de Suvarnabhumi un véritable pôle de croissance comme les autres hubs commerciaux de la zone métropolitaine de Bangkok (aéroport de Don Muang, port fluvial de Khlong Toei, port maritime de Laem Chabang à Chon Buri à l’extrême sud de la métropole, non visible sur cette image satellite).

L’Etat thaïlandais est d’ailleurs en train de développer la liaison ferroviaire entre l’aéroport de Don Mueang et l’aéroport international de Suvarnabhumi via la ligne Airport Rail Link. A terme, cette ligne de train devrait aussi desservir l’aéroport de U-Tapao, dont la vocation est de devenir un futur hub régional, situé au sud-est de Bangkok entre Pattaya et Rayong, au coeur du futur Eastern Economic Corridor (EEC), censée accueillir des smart-cities et des technopôles.

Au nord de l’aéroport, visible sur l’image en vert, les marges rurales de la ville consistent en un paysage où alternent parcelles de rizière, étangs, maisons décrépies, programmes immobiliers, temples extravagants et parcours de golf. On trouve au coeur de ce paysage mité, de larges usines et de vastes entrepôts, des cités en friche mais aussi des lotissements neufs. Le bâti y est très dispersé. Partout, des grues dessinent un nouveau quartier d’habitation.

 

 



Bang Krachao, oasis urbain, territoire d’épreuve : le passé et le futur de la métropole

Un site de méandre exceptionnel

Cet espace quasi-insulaire, lové dans un méandre de la Chao Praya au coeur de la métropole face au port fluvial de Bangkok, est un véritable terrain d’épreuve pour la ville. Il symbolise la nostalgie de la nature éprouvée, disparue sous la pression urbaine et apparaît en même temps comme un laboratoire d’expérimentation répondant à une politique préservationniste.

L’ensemble de cette presqu’île est aménagé en hortillons à différents états de préservation. Certaines fermes sont très bien entretenues et productives, d’autres, abandonnées sont colonisées par la végétation locale, d’autres enfin sont rasées et transformées en … résidences modernes.

On se rend à Bang Krachao en barque depuis un terminal sommaire encerclé par un temple bouddhiste monumental et le port fluvial aménagé composé de nombreux entrepôts et de conteneurs colorés. La traversée dure quelques minutes. On devine le trafic fluvial avec les longues barges stationnées au milieu du fleuve mais aussi les porte-conteneurs plus imposants et la plateforme de transbordement en amont. Un peu plus en aval, toujours sur la rive droite du fleuve, se déploient des espaces de stockage d’hydrocarbures. Un peu derrière, pour décor, des tours au pied desquelles s’étend le plus grand bidonville de Bangkok, Khlong Toei.

Une fois débarqués à Bang krachao, les visiteurs font souvent le choix de louer des vélos pour déambuler dans les routes étroites de ce qui est présenté comme “la plus grande oasis urbaine d’Asie”. C’est l’un des rares endroits où l’on peut faire du vélo, en famille, sans risquer sa vie dans Bangkok. On est frappé par la ruralité, le calme, le vert, qui rompent avec le chaos urbain de l’autre berge. C’est un espace qui est resté assez “intact” et “préservé” et qui permet de mieux comprendre Bangkok, du moins ce qu’était le territoire avant qu’il ne s’urbanise.

Un espace rural et agricole, entre préservation et valorisation

Au sein de ce territoire se trouve un petit parc national dont l’intérieur sert de laboratoire d’expérimentation : une partie est laissée à l’état “sauvage” sans autre intervention que celle de laisser-faire, où foisonnent de nombreuses espèces endémiques mais reposant sur un sol aménagé par l’homme pour observer l’évolution des plantes et avoir un échantillon de ce à quoi ressemblait Bangkok avant l’urbanisation. Une autre partie est contrôlée, soignée par les jardiniers paysagistes en une parcelle entretenue de forêt et de jardins clairsemés. Un espace confortable y est recréé avec des chemins de promenade, des ponts qui enjambent les étangs artificiels, les maisonnettes qui servent d’abri pour faire une pause, nourrir les poissons et admirer la “nature” artificiellement agencée.

Autour de ce parc aménagé, se trouvent des dizaines de fermes où l’on pratique l’hortillonage : au cœur d’un site marécageux, il s'agit de l'aménagement de buttes pour avoir suffisamment de terre pour y faire pousser des arbres. C’est le système agricole vivrier typique que l’on retrouve dans tout le delta de la Chao Praya au sud et à l’ouest de Bangkok. C’est un système adapté aux conditions bio-climatiques de Bangkok et de cet espace situé au sud de la plaine centrale de Thaïlande. La multiplicité des canaux qui irriguent les buttes jardinées permet de stocker et répartir l’eau très abondante de la saison des pluies pendant la saison sèche. Toutes les espèces végétales cultivées sur un hortillon sont comestibles à part le bambou : bananiers, cocotiers, papayers, pandanus, gingembre, jacquiers, bétel, chaom, cordylines...

Les racines des arbres hydrophiles sont de fait constamment immergées. Ces canaux accueillent également une faune piscicole qui permet de compléter l’alimentation des habitants-agriculteurs. C’est un système agricole très productif qui explique en partie la richesse et la variété de la cuisine thaïe - l’autre facteur étant le jeu d’influence des cultures étrangères, au premier chef la gastronomie chinoise et dans un moindre aspect, l’influence portugaise.

L’habitation du fermier est posée sur des pilotis pour économiser l’espace et prévenir du risque d’inondation en saison des pluies. La surface de l’eau est d’un vert-émeraude du fait de la colonisation de certaines plantes.

Le territoire aujourd’hui occupé par la métropole de Bangkok était, il n’y a pas si longtemps, totalement recouvert d’hortillons tels qu’on peut aujourd’hui les observer à Bang krachao. Les innombrables canaux ont été comblés avec de la terre réduisant terriblement la capacité de rétention d’eau en saison des pluies. L’imperméabilisation, notamment par l’asphalte et le béton, empêchent ces eaux d’être absorbées par le sol et génèrent un phénomène de ruissellement très intense dans un site plat, situé au niveau de la mer. Les inondations y sont donc très fréquentes.

Ce système d’hortillonage est pris en exemple et investi par des acteurs du localisme à Bangkok, comme moyen d’une alter-métropolisation, c’est-à-dire d’un nouveau système pour redéfinir les politiques urbaines. Ce système ancestral apparaît comme une solution durable pour ceux qui veulent faire évoluer la métropolisation vers une économie urbaine moins mondialisée, moins génératrice d’inégalités sociales, moins prédatrice en terme de ressources et d’environnement mais aussi vers une autre culture de la cité.

 

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Sur la Thaïlande
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Autres ressources

Sattaburuth, Aekarach. "Bangkok 'could be submerged in 15 years'”, Bangkok Post, 23 juillet 2015

Emissions France culture, Bangkok Ville-Mondes, décembre 2014 : Escale 1 - Escale 2 :

Bibliographie

Christine Cabasset et Claire Thi-Liên Tran (dir.), L’Asie du Sud-Est 2019. Bilan, enjeux et perspectives, Irasec et Les Indes Savantes, avril 2019

Arnaud Dubus, Thaïlande. Histoire, société, culture, La Découverte, 2012

Karine Peyronnie, Charles Goldblum et Bounleuam Sisoulath (dir.), Transitions urbaines en Asie du Sud-Est. De la métropolisation émergente et de ses formes dérivées, IRD Editions, 2017

Contributeur

Stéphane Gallardo, professeur au Lycée français de Bangkok