Dans le cadre de la Nouvelle Zone de Pudong, l’aménagement urbain du quartier de Lujiazui est lancé en 1993. Cet espace agricole est devenu en quelques décennies une des plus grandes places financières du monde en connaissant une véritable métamorphose avec la verticalisation spectaculaire de sa skyline. Il symbolise l’affirmation de la Chine dans la mondialisation contemporaine comme seconde puissance mondiale. Il est la vitrine de la modernité et du dynamisme de Shanghai, la grande métropole de 24 millions d’habitants organisant tout le centre du pays.
Légende de l’image
Cette image du quartier de Lujiazui dans la ville de Shanghai en Chine a été prise prise par le satellite SPOT 6, le 27 mai janvier 2017. La résolution est de 1,5m
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L'image ci-contre indique quelques repères géographiques de l’agglomération chinoise
Présentation de l’image globale
Le quartier de Lujiazui : la création d’une nouvelle
place financière de rang mondial
Le quartier de Lujiazui : dans la boucle d’un méandre face au Bund
Le fleuve que nous voyons ici est le Huangpu qui coule de gauche à droite de l’image pour se jeter quelques kilomètres plus à l’est dans le gigantesque delta du Yangzi, un des plus puissants fleuves du monde qui draine toute la Chine du centre. C’est d’ailleurs pour se mettre à l’abri de ses crues redoutables que la ville de Shanghai est née sur ce site de hautes terrasses insubmersibles bien en retrait du fleuve principal.
En haut de l’image se trouve en effet le Bund, qui correspond à la façade de l’ancien quartier d’affaires de la Shanghai coloniale des concessions internationale et française de 1846/1847. Son front urbain est construit entre 1900 et 1948. La confluence entre la rivière Suzhou et le Hangpu est là encore bien visible.
En bas de l’image se déploie en rive droite du Hangpu le méandre dans lequel est installé le quartier de Lujiazui. Le fleuve par sa largeur constitue une vraie coupure urbaine. Mais le quartier est aujourd’hui relié à la rive gauche par six grands tunnels autoroutiers, trois lignes de métro elles aussi souterraines et on aperçoit aussi à droite au centre l’emplacement d’un bac (petits bateaux blancs).
Une grande opération d’urbanisme et d’aménagement portée par le pouvoir
Il y a trente ans, le quartier était une zone quasi exclusivement agricole ; c’est aujourd’hui un espace quasi-totalement urbanisé à l’exception de quelques terrains encore disponibles : la métamorphose est complète avec la création d’une vraie ville. Celle-ci est organisée par un immense axe central bien visible sur l’image, c’est l’Avenue du Siècle avec ses voies autoroutières et son métro souterrain. On remarque aussi l’importance des axes autoroutiers secondaires aux tracés en arcs de cercle ou plus droits.
Sur la pointe du méandre se concentre un très important quartier de hautes ou très hautes tours. Il s’organise autour d’un certain nombre d’espaces verts, en particulier le grand parc central de Lujiazu et son bassin bien visible. Le quartier de Lujiazui est le symbole des quartiers centraux d’affaires (QCA), ou Central Business district (CBD), qui dominent les grandes économies métropolitaines mondiales. Plus en retrait, se trouvent des quartiers plus résidentiels, constitués soit de hautes tours sur la gauche, soit d’immeubles plus bas, longs et rectilignes au centre bas de l’image.
Même si l’on trouve quelques très grandes tours et hauts immeubles sur la rive gauche, la comparaison entre rive droite et rive gauche fait apparaître très clairement la juxtaposition de deux villes aux trames urbaines, aux densités du bâti et aux morphologies totalement opposées. A la ville globalement basse et très dense historique répond une nette affirmation de la modernité architecturale et urbaine.
Cette métamorphose spectaculaire s’explique par le lancement par le pouvoir chinois d’une gigantesque opération d’urbanisme et d’aménagement. Historiquement, le quartier de Lujiazui de 32 km2 appartient en effet à la Zone de Développement Spécial de Pudong définie dès 1990. Elle voit progressivement émerger sur les champs agricoles des zones industrielles et de nouvelles technologies, des zones résidentielles pour les nouvelles catégories salariées aisées en plein essor, un nouvel aéroport international et de nombreux équipements de transport (métro, tunnels et voies autoroutières…). Lancée officiellement en 1993, elle correspond à trois objectifs stratégiques de réformes internes, d’ouverture internationale et d’insertion progressive et contrôlée dans la mondialisation. Le quartier de Lujiazui est ainsi aujourd’hui voisin de la Zone de Développement de Jinqiao, du parc de hautes technologies de Zhangjiang et de l’aire d’exposition de Sanlin Expo (hors image). Il est relié en accès rapide à l’aéroport international de Pudong et à la Zone Portuaire de Waigaoqiao (hors image).
Dans ce cadre, si Pékin demeure la capitale nationale et accueillent officiellement les sièges sociaux de nombreuses institutions financières, Shanghai - métropole de 23 millions d’habitants au centre de la façade littorale et au débouché du Yangzi qui draine tout le centre du pays - a été progressivement promue capitale financière du pays. En s’appuyant sur les immenses ressources du pays, l’objectif est d’en faire la grande place financière de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, en concurrence avec Tokyo, Singapour et Hong Kong, et un levier d’affirmation du pays dans la mondialisation financière.
Verticalisation, modernité et affirmation de puissance
Dès 1994, l’ouverture de la fameuse Oriental Pearl Tower (468 m) témoigne de la volonté des autorités de faire du quartier un des pôles mondiaux de la modernité urbaine et architecturale, comme en témoigne aujourd’hui la mobilisation des plus grands architectes et des matériaux les plus récents. La transformation de la skyline shanghaienne est bien visible sur l’image car la verticalisation du bâti est ici spectaculaire : la métropole de Shanghai accueille aujourd’hui plus de 160 tours et bâtiments faisant plus de 150 m. de haut, qui cumulent au total une hauteur de 31 300 m. et 6 800 étages. Le capital financier et immobilier investi dans ce territoire atteint des sommes fabuleuses : la construction entre 1997 et 2008 du Shanghai World Financial Center (SWFC) de 492 m. de haut coûte 1,2 milliard de dollars.
Cette verticalisation s’accompagne d’une course effrénée au gigantisme symbolisée au centre de l’image par la présence de la Shanghai Tower, du World Financial Center et de la Jin Mao Tower. Achevée en 2015 et dessinée par Thornton Tomasetti, la Shanghai Tower fait ainsi 632 m. et est en 2016 le 2em gratte-ciel le plus élevé du monde derrière la Burj Khalifa (828 m) du Golfe persique. Lancée en 2008 et inaugurée en février 2015, sa construction et son aménagement ont donc duré sept ans. Elle comporte 128 étages desservis par 106 ascenseurs se déplaçant à la vitesse de 20,5 m/seconde. Représentant 510 000 m2 de surface, ce bâtiment mixte accueille des bureaux et dispose de 258 chambres d’hôtel et d’un parking de 1 800 places. De même, le Shanghai World Financial Center - achevé en 2008 - fait 492 m. et comporte 101 étages ; la Jin Mao Tower (1999) fait 420 m. et comporte 88 étages ; le Shimao International Plaza (2006) fait 333 m. et comporte 60 étages ou enfin le Sinar Mas Center (2017) fait 320 m. et comporte 65 étages.
Au plan fonctionnel, certaines tours accueillent uniquement des bureaux, d’autres sont plus mixtes (bureaux/ hôtels, bureaux/ appartements résidentiels/ commerces…). Le Shanghai World Financial Center accueille ainsi 62 étages de bureaux, de conférence, de restaurants et de commerce et l’hôtel Park Hyatt. La Jin Mao Tower est un complexe mixte de bureaux, de centre de convention et d’hôtels.
Au total ce quartier concentre sièges sociaux et de gestion des plus grandes firmes mondiales, grands hôtels internationaux, immeubles résidentiels de luxe pour la nouvelle bourgeoisie et les couches moyennes supérieures, centres commerciaux ou d’exposition, restaurants ou musées. Au plan résidentiel de luxe, le quartier le plus abouti se trouve sans doute à gauche de la Shanghai Tower et du World Financial Center où de hautes tours sont entourées d’un parc urbain très soigné avec un petit lac bleu.
Le nouveau district financier de Lujiazui, 1ère place financière d’Asie
Mais au delà des enjeux immobiliers et urbains locaux, cette image représente un territoire d’une très grande importance géoéconomique et géopolitique : le quartier de Lujiazui symbolise la création d’une nouvelle place financière de rang mondial emblématique de l’affirmation de la Chine comme nouvelle puissance mondiale. On trouve certes de grands hôtels internationaux (cf. Radisson New World Hotel, de208 m) ou d’autres firmes très puissantes mais l’essentiel n’est pas là.
La Lujiazui Finance and Trade Zone est la première place financière d’Asie et une des premières au monde : elle accueille plus de 750 institutions financières et bancaires et plus de 200 000 emplois dans les services financiers. L’organisation des marchés financiers repose sur la présence de la Bourse de Shanghai (Shanghai Stock Exchange), douze institutions gérant les contrats sur les titres financiers et de placements (marchés actions, dettes et crédits, contrats à terme, diamants, hydrocarbures…). Il s’appuie sur le WFC (World Financial Center), l’IFC (Shanghai International Finance Center, tour de 260m.) ou l’ICC (International Convention Center, Centre de conférence international). Enfin, les autorités de régulation des marchés (China Banking, China Insurance et China Securities Regulatory Commissions) sont localisées un plus loin dans le quartier administratif de Dajin Jiaxiang (hors image), au plus près des autorités politiques.
Sur un périmètre très restreint fortement polarisé par le Lujiazui Central Park se trouve le gotha de la finance chinoise avec la Bank of Shanghai Tower (252 m), la CITIC Tower (238 m), la Bank of China Tower (226 m), la China Merchants Bank Tower (208 m), la Taiping Financial Tower (208 m), la HSBC Tower (204 m) ou la China Assurance Tower (196 m). Sont aussi présentes l’ICBC (Industrial and Commercial Bank of China), la Bank of East Asia, l’Everbright Bank, la China Minsheng Bank, la Huaxia Bank, la China Bank Construction, la People Bank of China, l’Agricultural Bank of China, la China Devlopment Bank, la China Insurance, la Bank of communications ou la Ping An Bank.
Aujourd’hui, l’ICBC (Industrial and Commercial Bank of China) est la 1ère firme transnationale du monde tout secteurs confondus avec 466 000 salariés et 3 420 milliards d’actifs. Viennent ensuite la China Bank Construction (N°2 mondial), l’Agricultural Bank of China (N°3 mondial), la Bank of China (N°6 mondial) ou la Ping An Insurance Group (N°20). Ces firmes jouent un rôle central dans le financement de l’économie de la seconde puissance mondiale derrière les Etats-Unis et dans son internationalisation (investissements directs étrangers, import/export, Nouvelles Routes de la Soie…).
Ce quartier est aussi un laboratoire de l’insertion chinoise dans la mondialisation. Ainsi, au printemps 2015, Pékin décide d’ouvrir dans le district financier de Lujiazui une zone franche dans laquelle sont autorisés l’achat et la convertibilité en monnaie étrangère de sa monnaie nationale, le yuan. Cette nouvelle importante étape dans la libéralisation de l’économie chinoise reprend le modèle territorial d’ouverture restreinte et progressive de laboratoires littoraux lancé lors des réformes des années 1980 afin de tester son insertion dans la mondialisation.
Le quartier de Lujiazui joue aussi un rôle majeur dans l’organisation du transport maritime mondial avec la présence de 1 200 entreprises spécialisées dans le transport maritime, (cf. tour de l’International Ocean Shipping de 232 m.), les services juridiques et financiers spécialisés, les arbitrages et la gestion (cabinets de consultants…). Enfin, le quartier accueille aussi 117 sièges régionaux d’entreprises chinoises ou étrangères et tous les services périproductifs nécessaires au bon fonctionnement d’une économie mondialisée (cabinets d’avocats d’affaires, services juridiques, audit, conseil, gestion, services informatiques, télécommunications…).
En conclusion, le quartier de Lujiazui appartient à ces places financières qui comme écosystèmes se localisent géographiquement dans les espaces métropolitains en haut des hiérarchies urbaines nationales, continentales et mondiales selon leur importance économique et décisionnelle. Ils sont en effet au cœur du pouvoir décisionnel politique, économique et financier du fait de la localisation des sièges sociaux et des fonctions stratégiques, qui sont en retour des marqueurs métropolitain hiérarchisant fortement les systèmes urbains. Sur les deux rives du fleuve se font face deux symboles de la trajectoire géoéconomique et géopolitique de la Chine : en rive gauche, le Bund renvoie aux temps de la dépendance coloniale, des Traités inégaux et des concessions étrangères arrachés au XIX em siècle ; en rive droite, le quartier de Lujiazui renvoie à l’affirmation foudroyante de la Chine comme nouvelle puissance mondiale
Image complémentaire
La ville chinoise de Shanghai est représentée dans cette image Sentinel-2B du 1 avril 2019.
La mission Sentinel-2 pour le programme européen Copernicus est chargée de surveiller nos territoires en mutation, y compris les villes. Grâce à son imageur haute résolution, il peut suivre l’expansion urbaine et aider les urbanistes à assurer la gestion durable des zones densément peuplées
D’autres ressources
Thierry Sanjuan : Shanghai, coll ; Atlas Magapoles, Autrement, Paris, 2009.
Laurent Carroué : Atlas de la mondialisation, Autrement, Paris, 2018.
Laurent Carroué : La planète financière, Armand Colin, Paris, 2015.
Sur le site Géoconfluences :
- Carine Henriot, « Métropolisation chinoise et villes nouvelles : l’exemple de l’aménagement polycentrique de Shanghai », Géoconfluences, 2016, mis en ligne le 14 février 2016.
- Alisée Pornet, « La communauté des "shikumen" à Shanghai », Image à la une de Géoconfluences, février 2016
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur Général de l’Education Nationale