Territoire d’outre-mer le moins peuplé des États-Unis, les Mariannes du Nord forment avec Guam un archipel volcanique dont la situation stratégique, au sud du Japon et à l’est des Philippines, explique que ces petites îles aient été, à plusieurs reprises, le siège d’épisodes-clés de la géopolitique mondiale.
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Cette image de trois des îles Mariannes du Nord (Saipan, Tinian et Aguijan), territoire des États-Unis le Pacifique, a été prise par un satellite Sentinel-2 le 5 et le 12 octobre 2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Présentation de l’image globale
Les îles Mariannes sont politiquement divisées en deux ensembles, tous deux sous la juridiction des États-Unis : le Commonwealth des îles Mariannes du Nord et, à l'extrémité sud de la chaîne, le Territory de Guam. À l'exception des « Îles mineures éloignées des États-Unis », les îles Mariannes du Nord sont aujourd’hui le territoire d’outre-mer le moins peuplé des États-Unis, avec moins de 60 000 habitants elles ne représentent que 1,6% de leur total et leur capitale, Hagåtña (1) , ne comptait en 2010 qu’un peu plus de 21 000 habitants avec les « villages » (nom local des subdivisons administratives) qui l’entourent. Les Asiatiques (y compris philippins, chinois, coréens, japonais, bangladais et autres asiatiques) y sont 49,9% du total, les Chamorro et autres insulaires du Pacifique 34,9% et la catégorie « multiracial » 12,7%.
L’archipel s’étend du nord au sud sur 2 500 km, comprend quinze îles d’une superficie totale de 1 026 km², dont Guam représente à elle seule représentant 54 %. Le groupe des Mariannes du Nord se compose de deux sous-groupes, au nord dix îles volcaniques, actuellement toutes inhabitées, et au sud cinq îles de calcaire corallin (Rota, Guam, Aguijan, Tinian et Saipan), toutes habitées sauf Aguijan. Les récifs coralliens qui bordent les côtes des îles du sud ont de très faibles altitudes, alors que dans le groupe volcanique du nord l’altitude maximale atteint de 820 m, certains cratères y sont actifs et les tremblements de terre sont fréquents.
Ces îles sont la partie méridionale d'une chaîne de montagnes submergée qui s'étend sur plus 2 500 km, depuis Guam jusqu’au proximité du Japon. Leur genèse est née à la subduction du bord ouest de la plaque du Pacifique sous celle de la Mer des Philippines, la frontière de plaques la plus volcaniquement active sur Terre. La région de subduction, juste à l'est de la chaîne d'îles, forme la fosse des Mariannes, la partie la plus profonde des océans de la planète (- 10 900 m).
L’histoire des îles est jalonnée par des dates qui ont toutes à voir avec la géopolitique planétaire, depuis sa découverte jusqu’à nos jours
- Ce sont les premières îles que Magellan a rencontrées en 1521, après avoir découvert le détroit qui porte son nom et traversé le Pacifique depuis la pointe sud de l'Amérique du Sud. Il souhaitait y aborder pour reconstituer ses provisions, mais les premiers contacts ont été désastreux : quand leurs habitants sont montés sur les navires, ils y ont volé tout ce qu'ils pouvaient, y compris le petit bateau attaché à la poupe du navire de Magellan. En représailles quarante hommes armés sont alors descendus à terre, ont incendié une cinquantaine maisons, tué sept hommes et récupéré leur esquif. Les fruits rapportés à bord après ce raid ont aidé à sauver les malades du scorbut, qui avait déjà tué des dizaines de membres d'équipage. Malgré tout, mécontent du comportement de ses habitants sur ses navires, Magellan les baptisa (d'après le chroniqueur de l’expédition, Antonio Pigafetta), « Las islas de los Ladrones » (les îles des Voleurs).
- En 1668, L’Espagne revendiqua formellement la possession des îles, établissant sa capitale sur la plus grande des îles, Guam, et donna aux îles le nom officiel de Islas Marianas, en l'honneur de la reine espagnole Marianne d'Autriche, veuve du roi Philippe IV d'Espagne et de régente de l'Empire espagnol. L’archipel, et en particulier l'île de Guam, était une escale pour les galions espagnols en route d'Acapulco, au Mexique, à Manille, aux Philippines dans un convoi connu sous le nom de « Galion de Manille ». Elles étaient donc une dépendance la colonie mexicaine (bientôt vice-royauté) de Nouvelle-Espagne, jusqu'en 1817, date à laquelle elles ont été rattachées aux Philippines. Au moment de l'occupation espagnole, la population de Chamorros, les habitants originels, était estimée à 50 000, mais un siècle plus tard, elle était tombée à 1 800, la majorité de la population étant alors métissée.
- Les Mariannes sont restées une colonie espagnole jusqu'en 1898 quand, à la suite de sa défaite dans la guerre hispano-américaine, l'Espagne céda Guam aux États-Unis. Affaiblie, elle ne pouvait plus contrôler et protéger efficacement les quelques 6 000 îles qu'elle conservait dans toute la Micronésie, y compris les îles Mariannes du Nord, et les vendit à l'Allemagne. La population totale des îles n'était alors que de 2 646 habitants, les dix îles du nord étant pour la plupart inhabitées.
- Pendant la Première Guerre mondiale Le Japon s'est emparé de toutes les possessions coloniales de l'Allemagne et les a occupées jusqu'à la fin du conflit. Le traité de Versailles ayant privé l'Allemagne de toutes ses colonies, les îles furent placées sous tutelle de la Société des Nations, qui les assigna au Japon.
- Durant la Seconde Guerre mondiale, les Marines américains y débarquèrent le 15 juin 1944, voulant les reprendre pour en faire des bases de bombardement d’où atteindre le Japon, et l'invasion de Saipan fut avant même celle de Guam. Une fois capturées, les îles de Saipan et de Tinian ont été largement utilisées car le Japon était désormais à portée des bombardiers B-29 et ceux qui ont largué des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki ont décollé de Tinian (situés respectivement à 2 526 et 2 533 km). Cette île devint la plus grande base aérienne du monde (ses pistes sont encore bien visibles sur l’image), abritant cinquante mille hommes et un millier de B-29.
- Le 26 juillet 1945, le croiseur USS Indianapolis y livra les éléments des deux bombes atomiques qui furent lâchées sur Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945. Pendant les années 1980, l’une des pistes de l'aéroport de Tinian est resté active afin de permettre aux C-130 de l’US Air Force de décoller et atterrir dans le cadre des exercices d'entraînement.
- Après la guerre, l’archipel a été administré par les États-Unis comme partie du « Territoire sous tutelle des îles du Pacifique », statut accordé par les Nations unies, dont la défense et les affaires étrangères étaient sous le contrôle américain.
- Après quatre referendums (1958, 1961, 1963 et 1969) et le rejet par Guam (lors d'un referendum local en 1969) de l'intégration demandée, les Mariannes du Nord décidèrent de ne pas chercher à devenir indépendantes, mais au contraire de se rapprocher davantage de la puissance tutélaire. Un accord établissant un commonwealth fut approuvé en 1975, dont la constitution entra en vigueur en 1978. En 2005 une loi permit aux Mariannes du Nord d'élire un délégué sans droit de vote au Congrès des États-Unis, à compter de l'élection présidentielle américaine de 2008.
Sur le plan économique, le Commonwealth des îles Mariannes du Nord a longtemps bénéficié de son statut de territoire des États-Unis, et d'une main-d'œuvre à bon marché en provenance d'Asie. Son économie reposait sur deux bases, le tourisme, principalement japonais, et le secteur de la confection. Son statut l’incluait dans la zone de libre-échange avec les États-Unis, tout en n'étant pas soumises aux mêmes lois du travail. Le salaire minimum, de 1997 à 2007, était inférieur à celui des États-Unis et d’autres protections des travailleurs étaient plus faibles, ce qui baissait les coûts de production, la majorité des employés étant des femmes venues de Chine.
Cela permettait aux vêtements d'être étiquetés « Made in USA » sans avoir à se conformer à toutes les lois du travail américaines. Mais l’exemption de la législation du travail américaine avait conduit à de nombreux cas d’exploitations (ateliers clandestins, travail et prostitution d'enfants). La loi de 2007 sur le salaire minimum a entraîné des augmentations progressives du salaire minimum des Mariannes du Nord, en 2018, il a finalement atteint le salaire minimum fédéral américain, ce qui a finalement conduit toutes les usines de confection de Saipan à fermer en février 2009. Le tourisme a également diminué après 2005 lorsque Japan Airlines a cessé de desservir les Mariannes. La situation économique de ces îles n’est donc pas bonne et en raison de ces crises, la population a diminué : selon le recensement de 2010, leur population était de 53 883 habitants, contre 69 221 en 2000, soit une diminution de 22,2%.
Pourquoi donc les États-Unis veulent-ils en garder le contrôle ? Certainement pas pour des raisons économiques, mais pour des raisons géopolitiques : comme l’explique Laurent Carroué dans la GeoImage consacrée à Guam, « Le Quartier Général de l’État-Major des forces militaires de Guam et des Mariannes intègre dans son champ de responsabilité Guam, le Commonwealth des Iles Mariannes du Nord, la République de Palau et les États fédérés de Micronésie, associés aux États-Unis ».
Et il poursuit en situant Guam – et les Mariannes du Nord – dans un plus large contexte : « Au total, Guam fait partie des nombreux territoires de l’océan Pacifique sous souveraineté étatsunienne, qu’ils soient habités (Hawaï, Guam, Mariannes du Nord, Samoa américaines) ou non habités (îles, récifs ou atolls de Midway, Wake, Howland, Baker, Jarvis, Kingman, Palmyra, Johnston…). Leur prise de contrôle progressive transforme depuis la fin du XIXe siècle cette immense partie de l’Océan pacifique en un véritable "lac étatsunien" ».
D’autres ressources
Sur le site GeoImage
Le réseau des territoires et bases sous contrôle ou souveraineté des États-Unis outre-mer : affirmation et projection de puissance
Système caraïbe
Laurent Carroué : Cuba/États-Unis : Guantanamo : une base étasunienne au rôle géostratégique au cœur de la Méditerranée américaine.
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Système Indo-Pacifique/ Océan indien
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Hervé Théry : États-Unis. Océan pacifique. Saipan et les Mariannes du Nord, petites îles et épisodes-clés de la géopolitique mondiale
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Laurent Carroué : Océan indien : BIOT - Diego Garcia, une base aéronavale géostratégique pour les États-Unis
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Sur le site Géoconfluences
Les territoires ultramarins des États-Unis au cœur de la première ZEE mondiale
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/etats-unis-espaces-de-la-puissance-espaces-en-crises/articles-scientifiques/territoires-des-etats-unis
Contributeur
Hervé Théry, directeur de recherche émérite au CNRS-Creda - professeur à l'Université de São Paulo (PPGH-USP)