S’étendant sur 3 200 km, la frontière américano-mexicaine est l’une des plus longues du monde. Loin de disparaître avec l’Alena / AEUMC, elle n’a cessé ces dernières années de s’indurer et de se renforcer en devenant un enjeu géopolitique majeur entre Washington et Mexico. Dans ce cadre, la région de Mexicali / Calexico est à la fois un symbole et un laboratoire des réalités frontalières et transfrontalières : mur exemplaire, deux sas d’ouverture qui avec 4 millions de véhicules et 4,8 millions de piétons par an forment le 3em passage frontalier le plus fréquenté de Californie, villes-jumelles, boom des survalorisation agricole et nouveaux enjeux hydrogéopolitiques régionaux et internationaux pour l’« or bleu », industries des maquiladoras, violence des cartels et trafic de drogue.
Légende de l'image
Cette image de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique à Calexico / Mexicali, a été prise par le satellite Sentinel-2B le 21 décembre 2022. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
Ci-dessous, la même image satelitte présente des repères géographiques de la région.
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Présentation de l'image globale
La frontière Etats-Unis-Mexique à Mexicali / Calexico
Un bassin encaissé en milieu désertique : la dépression de Salton
Comme le montre l’image, nous sommes ici dans une vaste dépression encaissée. Elle est dominée de chaque côté par des sommets assez élevés (nord-est ; cf. Orocopia puis Chocolate Montains). A l’ouest, le littoral – hors image - se trouve à moins de 200 km avec le grand port de San Diego et la grande métropole de Los Angeles se trouve à 370 km au nord-ouest.
Cette analyse de la topographie et des reliefs est essentielle puisqu’ils conditionnent l’organisation du réseau hydrographique. Nous sommes ici dans le sud-est de l’Etat de Californie, dans la dépression de Salton qui accueille la Salton Sea, cette vaste étendue d’eau saumâtre bien visible dans le coin en haut à gauche (nord-ouest). Cette dépression se situe dans un vaste bassin d’effondrement et présente une nette particularité : la Salton Sea se trouve à -72 m., sous le niveau de la mer donc. C’est un système endoréïque, c’est-à-dire fermé sur lui même et sans accès à la mer. On retrouve dans l’ouest de la Californie de telles structures, dont la fameuse Death Valley - ou Vallée de la Mort – à – 86 m. En prolongement de la grande faille de San Andréa qui court de San Francisco à Los Angeles, cette région connaît régulièrement de puissants séismes (1940, 1956, 1979, 2010…). Le tremblement de terre de 2010 qui frappe Mexicali atteint ainsi la magnitude considérable de 7,2 sur l’échelle de Richter.
La Mer de Salton est donc le réceptacle des eaux usées de l’ensemble de l’Imperial Valley depuis sa formation en 1905/1907, des eaux particulièrement polluées par les produits chimiques et phytosanitaires utilisés dans l’agriculture intensive des grandes cultures. Dans ce contexte désertique, l’eau de la Mer de Salton se caractérise par sa forte salinité (sup. à 46 000 mg/L, environ 4,4 % de sel), soit un niveau de + 35 % supérieur à la salinité de l’océan Pacifique (35 000 mg/L) et bien sûr sans commune mesure avec la salinité du fleuve Colorado (650 à 700 mg/L). Alors que la concentration de sel dans la Mer de Salton augmente en moyenne de + 1%/ an, en particulier sous les effets de l’évapotranspiration, la question de la gestion de l’eau et des sols et, en particulier, de l’irrigation est devenu un enjeu majeur pour prévenir l’accumulation de la salinité et améliorer la qualité des eaux.
Une oasis en plein désert : l’Imperial Valley
Comme l’illustre l’absence ou la grande rareté du couvert végétal dans la cuvette ou sur les monts environnants, nous sommes ici dans un milieu désertique très chaud et particulièrement aride du fait de la présence de hautes pressions chaudes permanentes. Les étés y sont torrides avec des moyennes mensuelles de 30 à 34°C durant les quatre mois estivaux, les hivers doux (13°C en janvier). Ceci donne une température annuelle moyenne élevée (23°C), masquant parfois de forts extrêmes (52°C).
Surtout, les précipitations sont très rares. S’il pleut 16 jours en moyenne en décembre, il ne pleut qu’environ un jour par mois pendant huit mois de l’année. Au total, les volumes annuels de précipitation sont très faibles (71 mm/an), face à une évapotranspiration considérable liée bien sûr aux très fortes chaleurs.
Pour bien comprendre et mesurer les enjeux posés par ce déficit hydrique dans l’espace régional, les satellites Sentinel-2 mettent à notre disposition en plus d’images appartenant au champ visible par l’œil humain toute une palette de compositions colorées et d'indices spécifiques basés sur les différences de longueurs d’ondes et notamment celle dans l’infra-rouge.
Les images ci-dessous ont été obtenues avec l'application EO Browser (© Copyright by Sinergise)
Prise début avril en plein printemps alors que la végétation a bénéficié des quelques pluies de décembre/février, cette série d’images nous informe de l’existence très forts contrastes régionaux. Une nette opposition apparait en effet entre les hautes terres de l’Ouest plus fraiches et plus humides – donc disposant d’un couvert végétal printanier un peu plus important - et les hautes terres de l’Est beaucoup plus sèches et arides. A l’Est, l’étroit couloir de la vallée du Colorado, enfoncé dans les plateaux, dessine un fin ruban plus humide. Enfin, l’oasis agricole créée par l’irrigation à partir de la capture et la mobilisation des eaux du Colorado apparait très clairement en plein désert.
Et pourtant, malgré ces très fortes contraintes, l’image présente un vaste ensemble de terres agricoles particulièrement verdoyantes et de villes. Nous avons devant nous une véritable oasis créée ex-nihilo. Ces 1 820 hectares de terres irriguées prélèvent 3 700 millions m3 par an d’eau dans le Colorado voisin. L’eau qui traverse et irrigue la région vient en effet de l’extérieur. Elle arrive par le sud–est de l’image via l’All American Canal (AAC) ; long de 129 km, il est construit en 1942 et longe la frontière mexicaine jusqu’à Calexico. Elle est ensuite redistribuée par deux grands canaux orientés vers le nord. L’AAC est complété par un autre canal sud/nord qui court au pied des Chocolates Mountains (trait fin sur l’image), le Canal Coachella qui remonte vers le nord pour desservir en particulier l’agglomération de Palm Springs qui se trouve au nord de la Salton Sea.
L’espace couvert par l’image est quadrillé par 25 700 km de canaux d’irrigation et de drainage qui sont gérés par l’IID – Imperial Irrigation District. Au total, la valeur annuelle de la production agricole dépasse les 2,2 milliards de dollars, ce qui place le Comté au 9 rang des 58 Comtés californien. Le bétail - avec 382 000 têtes dans les feedlots dans le cadre du complexe grain/maïs - vient au premier rang devant la luzerne et les foins (n°2), les légumes de plein champs (laitues, brocolis, maïs, carottes, oignons, épinards ...), les fruits (melons, pastèques, citrons...) et les semences.
Faut-il élever un tel troupeau et consacrer autant de surfaces à des cultures d’exportation en plein désert au prix d’une consommation d’eau aussi considérable ? Cette question est de plus en plus posée, en particulier du fait de la montée de l’urbanisation de la Côte Sud de la Californie polarisée par la métropole de San Diego à la recherche de nouvelles ressources.
Un « Miracle » dorénavant confronté aux enjeux d’un développement plus durable et à des conflits hydrogéopolitiques régionaux et internationaux
Ce « miracle » en plein désert qui débouche sur la création du grand périmètre irrigué de l’Imperial Valley est né dans le cadre de très grands travaux hydrauliques et d’aménagement portés par l’Etat fédéral. L’eau est pompée plus à l’est dans le fleuve Colorado, qui fait la frontière entre la Californie et l’Arizona, à partir du grand barrage de l’Imperial Dam construit entre 1935 et 1938. Au-delà de l’Imperial Valley, le Colorado fournit au total un quart des besoins en eau de tout le sud de la Californie, en particulier aux agglomérations de Los Angeles/ Long Beach et San Diego.
Mais ce fleuve est surexploité. Les énormes ponctions réalisées par l’agriculture - qui absorbe à elle seule 95 % des volumes – pour produire 365 jours par an sont donc de plus en plus remises en cause. Depuis plusieurs décennies, l’accent est mis sur la relative rareté de la ressource, la montée des concurrences entre secteurs économiques et entre territoires (agriculture, besoins sociaux, industriels et urbains croissants), la forte irrégularité interannuelle des précipitations et les effets croissants du réchauffement climatique dans la région.
Ceci débouche sur la montée des conflits hydrogéopolitiques pour la gestion, le partage et l’usage de l’eau au sein des collectivités étatsuniennes (Etats fédérés, collectivités, acteurs…) et entre les Etats-Unis et le Mexique.
C’est ainsi qu’un accord de partage et de transfert d’eau, le Colorado River Quantification Settlement Agreement - CRQSA, a été signé entre l’Imperial Irrigation District – IID et la San Diego County Water Authority – SDCWA, dans le cadre en particulier du Metropolitan Water District of Southern California. Il protège les intérêts de San Diego, une métropole peuplée de trois millions d’habitants et surtout une grande base stratégique de l’U.S Navy. Depuis 2000, les collectivités territoriales et les acteurs économiques se poursuivent en justice. Mais en juillet 2013, la Sacramento Superior Court valide définitivement l’accord CRQSA et surtout la Cour d’Appel de l’État de Californie – state Court of Appeal – met fin à tout recours en mai 2015. Au total, entre 2003 et 2022, les volumes d’eau concédés par l’Imperial Valley à San Diego augmentent considérablement. Dans ce contexte, la San Diego County Water Authority lance un grand programme de modernisation des canaux déjà existants d’un côté, et un projet de construction d’un nouveau canal dont le tracé n’est pas encore définitivement fixé mais dont la construction est programmée entre 2020 et 2045.
Surtout, le Mexique - situé à l’aval – connaît des situations de stress hydrique de plus en plus tendues malgré des accords de partage transfrontaliers, cependant pas toujours respectés et qui, de toute façon, le désavantage de manière structurelle.
La frontière Etats-Unis / Mexique : deux villes, deux Etats et deux systèmes
Dans la partie méridionale de l’image, un vaste trait sombre apparaît dans le désert à l’est. Il se continue dans la région irriguée où deux tâches grises de tailles très différentes sont bien identifiables : ce sont les villes de Mexicali au sud (Mexique) et de Calexico (Etats-Unis) au nord, littéralement collées l’un à l’autre via la frontière. Puis ce trait, bien que moins visible, se continue vers l’ouest. Il est en partie masqué par un tout petit nuage dont on voit bien l’ombre au sol et qui se distingue lui-même comme une tâche blanche très lumineuse.
De forme très linéaire, ce trait noir correspond au mur édifié par les Etats-Unis le long de la frontière avec le Mexique. Sur l’image, seulement deux passages frontaliers existent entre le nord et le sud. Au centre historique dans la zone la plus urbanisée se trouve le poste frontalier Calexico Ouest (Calexico West Port) souvent saturé ; vers l’est plus à l’écart se trouve le poste frontalier Calexico Est (Calexico East Port), bien plus moderne et efficient. La comparaison des deux emplacements et des deux organisations techniques de franchissement est fort instructive.
Délimitée par traité international en 1848 puis démarquée (bornes…), la frontière est ici très clairement dans un processus de renforcement (édification de barrières physiques, voire de murs, moyens de surveillance et de contrôle avec caméras thermiques, vol de drones…). La frontière terrestre entre les Etats-Unis et le Mexique est avec ses 3 200 km l’une des dyades – terme désignant une portion de frontière entre deux Etats - les plus longues au monde.
Cette frontière internationale est fixée par le Traité de Guadalupe de 1848 qui met fin à la guerre entre les deux Etats. Vaincus, le Mexique est contraint de céder un territoire de 1,3 million de km² qui correspond aux actuels Etats fédérés de Californie, du Nevada et de l’Utah, à une partie de l’Arizona, du Colorado, du Nouveau Mexique et du Wyoming. A ceci s’ajoute le Texas.
Cette frontière met en contact direct deux Etats et deux systèmes économiques et sociaux très différenciés. Au nord se trouvent les Etats-Unis, un pays riche, attractif et première puissance mondiale ; au sud se trouve le Mexique un pays moyennement développé, relativement pauvre, en forte croissance démographique et en graves difficultés. A l’échelle mondiale, dans aucun autre espace la césure Nord/Sud n’apparaît avec une telle évidence et une telle violence dans un contact terrestre direct.
Alena / AEUMC, intégration continentale et Division Internationale du Travail
Les Etats-Unis et le Mexique sont étroitement liés, avec le Canada, par les accords de l’Alena – pour Accords de libre-échange nord-américain (NAFTA en anglais) visant à faciliter le libre-échange et les investissements entre les trois pays. Sous la pression du Président républicain Donald Trump qui dénonce l’Alena comme trop peu favorable aux intérêts étasuniens, les trois pays signent en novembre 2018 un nouvel accord d’intégration, l’Accord Etats-Unis – Mexique – Canada / AEUMC (USMCA en anglais).
Dans ce contexte général, contrairement aux deux autres grandes régions transfrontalières très intégrées que sont les régions de Seattle/ Vancouver au Nord-Ouest et les Grands Lacs au Nord-Est, la construction frontalière entre le Mexique et les Etats-Unis apparaît comme juxtaposant deux espaces proches et solidaires mais seulement associés du fait en particulier de l’existence de ce long mur.
Le Mexique optant pour une ouverture internationale croissante (adhésion au GATT en 1986, Alena en janvier 1994, AEMC en 2018…), ce choix se traduit par une insertion dans une division internationale du travail (DIT) à base continentale qui le transforme en annexe productif des Etats-Unis dont le symbole le plus éclatant est ces dernières décennies le développement de l’industrie maquiladoras. Le Mexique est ainsi devenu avec la Chine puis le Canada un des principaux fournisseurs des Etats-Unis.
Cette intégration dominée a des répercutions directes sur la frontière. Elles sont très directement et facilement lisibles dans les structures spatiales et territoriales : mur de séparation d’une grande étanchéité, Twin-Cities juxtaposées mais aux fonctions bien différenciées et hiérarchisées, industrie des maquiladoras dominée, milliers de salariés agricoles résidant au Mexique mais travaillant aux Etats-Unis…
Coopérations transfrontalières et gestions communes
Malgré les tensions, les stratégies de coopération transfrontalière se sont multipliées aux échelles locales et régionales avec la création de l’International Boundary and Water Commission (IBWC), de huits Border Environmental Health Initiative Régions (BEHIR), de quatre Border Regional Workgroups (BRW) qui organisent sur une bande transfrontalière de 200 km de large les coopérations.
Aux échelles métropolitaines, un certain nombre de coopérations tente de gérer aux mieux les relations d’échange et de transit à la frontière : infrastructures de transport, énergie, eau, environnement et sécurité. Ainsi, un programme de coopération entre les deux États fédérés de Californie et de Baja California (Basse Californie) a été mis en place qui réunit agences fédérales, services des Etats fédérés et des collectivités locales, agents économiques et institutions publiques et privées.
Pour autant, la fonctionnalité de cet espace, son organisation géographique, ses dynamiques géopolitiques et géoéconomiques, les questions migratoires et de sécurité demeurent surdéterminés par des enjeux interétatiques d’échelle continentale qui en freine largement les potentialités et en expliquent le caractère ambivalent d’attraction / répulsion.
Le Mur : une nette césure spatiale
Comme le montrent les images Sentinelle ou Pléiade, le Mur matérialise directement dans l’espace la césure frontalière entre deux pays, deux sociétés et deux espaces pourtant voisins et très intégrés culturellement et fonctionnellement. Sur les quelques 110 km ouest/est de l’image générale, il n’y a que deux points d’ouverture et de passage ; entravant ainsi totalement les circulations Nord/Sud pour les polariser et donc les contrôler. Ces dernières années, la région de Mexicali/Calexico a vu son système mural frontalier – le Border Wall System - sensiblement renforcé comme le souligne le site de l’U.S. Customs and Border Protection (US. CBP).
Sur la longue durée, les deux grandes vagues migratoires de 1985/1986 et 1999/2000 -qui s’étaient traduites par de nombreuses arrestations de migrants clandestins dans le secteur d’El Centro/ Mexicali (1986 : 95 000 ; 2000 : 238 000) - semblent bien loin avec 30 000 à 35 000 arrestations par an ces dernières années, ce qui reste malgré tout considérable.
Le poste frontalier central : une synapse territoriale modernisée et mise à niveau
Comme à la campagne, le Mur constitue une nette césure urbaine comme l’indique l’inadéquation de la trame des rues et des avenues. Les axes Nord/Sud viennent buter sur le mur, d’où côté mexicain par exemple l’Internacional Bl. qui longe celui-ci. La terminologie employée par les Etats-Unis est à cet égard intéressante de la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes – un vaste Mainland continental - et de leurs frontières : nous sommes sur l’image devant le « Calexico West « « Land Port » of Entry », la « porte d’entrée terrestre » de Calexico Ouest.
Une synapse. Pour autant, les postes frontaliers - au-delà des systèmes sophistiqués de sécurité, d’interdiction et de défense mis en place - apparaissent comme une synapse entre les deux espaces. Avec plus de 4 millions de véhicules et 4,8 millions de piétons traversant les deux postes frontaliers chaque année, Calexico – avec ses deux ports Est et Ouest - est le troisième passage frontalier le plus fréquenté de Californie. Les grandes zones commerciales qui s’étendent côté étatsunien témoignent de ces complémentarités fonctionnelles entre espace ; le différentiel économique, fiscal (cf. duty free) et monétaire créant des opportunités spécifiques. Car partout, la frontière reste une ressource.
Modernisation. L’autre intérêt de l’image est de témoigner des importantes opérations de modernisation de ce poste douanier lancées en 2015. En voit en effet converger vers le poste frontière Calexico West trois grands axes : la Route 111 au Nord, la Route 5 et l’axe Calz. de Los Presidentes côté Sud. Il y a encore quelques années, c’est la Route 5 qui aboutissait directement aux postes, mexicain puis étasunien. Mais ces infrastructures construites en 1974 étaient devenues inadaptées, car trop étroites et à la circulation sinueuse pour absorber les 20 000 véhicules et 12 500 piétons qui y passent quotidiennement du Mexique vers les Etats-Unis.
Les deux pays se sont donc concertés pour rénover profondément depuis 2015 leur poste frontière afin d’en augmenter la fluidité et la sécurité des contrôles, un facteur essentiel pour l’U.S. Customs and Border Protection (CBP). Le poste frontière Calexico West est en complète voie de reconfiguration, d’agrandissement et de modernisation. Il va ainsi passer à 16 voies dans la direction Sud/Nord et à cinq voies dans le sens Nord/Sud, recevoir un nouveau bâtiment d’exploitation, un nouveau bâtiment administratif, un bâtiment piétonnier et un parc de stationnement de plus de 300 places pour le personnel étatsunien y travaillant ; car les emplois de douaniers y sont nombreux. Comme le reconnait le site de l’U.S. General Services Administration (US.GSA), le service fédéral qui finance les travaux : « construit en 1974, le LPOE de Calexico West ne pouvait plus répondre aux charges de circulation des véhicules et des piétons, entraînant de longs temps d'attente aux passages et affectant la capacité des douanes et de la protection des frontières américaines à accomplir leur mission ». L’US.GSA souligne en particulier l’importance des flux de travailleurs mexicains absolument nécessaires aux travaux agricoles de l’Imperial Valley.
La création de Calexico East. Enfin, le poste frontière de Calexico West a été doublé en 1996 par la création du poste de Calexico East. Celui-ci se trouve à 10 km à l’est de Calexico West, isolé en zone rurale et agricole là où le Mur et le grand canal, traversé par un grand pont, sont parallèles. De chaque côté, les installations douanières mexicaines et étatsuniennes s’étalent donc sans problème. Le site est équipé d’une voie rapide 4 voies qui facilite la traversée de l’agglomération aux poids-lourds.
Ce site est en effet tout particulièrement spécialisé dans les « inspections commerciales » des milliers de poids-lourds qui traversent la frontière. Lors des gros travaux de rénovation engagés à Celexico West, l’US.GSA demande aux transfrontaliers de reporter leur passage vers ce poste afin d’alléger la pression. Mais à eux seuls, par leur localisation, leur histoire, leur structure et leur spécialisation fonctionnelle respective, ces deux postes - Calexico West et Calexico East – symbolisent l’ambivalence des rapports entre les deux pays. Si les flux de marchandises et de travailleurs agricoles temporaires mexicains sont bienvenus aux Etats-Unis, les migrants latino-américains doivent rester aux portes du pays pour les autorités de Washington.
Le Mur : le vieux fantasme d’un système totalement hermétique
Si dans les zones les plus urbanisées ou les plus denses la matérialisation de la frontière américano-mexicaine à l’aide d’une séparation physique est déjà bien ancienne (1978), on a assisté ces dernières décennies à une course au renforcement de celle-ci par les autorités fédérales (cf. passage d’un simple grillage relativement franchissable à un véritable mur en béton). Ainsi, le président républicain George Walter Bush a durant ces deux mandats (2001-2009) fait ériger sur 1 300 km le véritable mur que l’on voit sur l’image.
Symbolisant et matérialisant la frontière, il est constitué d’un puissant mur de plusieurs mètres de hauteur doublé de chaque côté d’une route ou d’une piste en parallèle qu’utilisent du côté Etats-Unis les patrouilles des forces de sécurités frontalières (United States Border Patrol), une force de 20 000 agents déployés pour l’essentiel à la frontière mexicaine. Au-delà de la limite frontalière elle-même, c’est toute la zone frontalière qui est étroitement surveillée (patrouilles, capteurs, avions, drones, satellites…).
Cette très longue bande frontalière est découpée en sections par les USBP afin d’en faciliter la gestion : nous sommes ici dans celle d’El Centro. Ce mur semble assez efficace puisqu’entre 2000 et 2020 le nombre annuel de migrants clandestins interceptés dans cette section est tombé de 240 000 à 35 000. Ces dernières années, la variation de ces arrestations est sensible : 14 500 en 2014 et 12 800 en 2015 contre 29 200 en 2018. De fait, alors que la pression migratoire de l’Amérique centrale vers les Etats-Unis ne cesse d’augmenter, le renforcement des contrôles dans cette portion frontalière se traduit par un report géographique des tentatives de passage plus à l’est, vers le centre désertique de l’Arizona et du Nouveau Mexique.
Car ce système de mur frontalier est loin d’être complet, en particulier vers le centre (Nouveau Mexique, Arizona) et l’est (Texas) de la dyade. Pour des raisons à la fois matérielles et financières, car son érection puis son entretien et sa surveillance couterait des milliards de dollars. Au centre-ouest, la traversée du désert est particulièrement redoutable et constitue souvent un piège mortel ; c’est en Arizona dans le quadrilatère Phoenix/Tucson – San Luis/Nogales que le piège est le plus redoutable aujourd’hui. Au centre-est et à l’est, la situation est un peu différente. Car la frontière entre El Paso et le Golfe du Mexique est fixée sur le fleuve Rio Grande (Rio Bravo del Norte au Mexique) dont la vallée est plus facile à surveiller et le franchissement est souvent malaisé. Pour autant, lors de la campagne présidentielle de 2016, Donald Trump reprend cette proposition d’érection d’un mur - enfin complet et hermétique - le long de la frontière pour lutter contre l’immigration latino-américaine aux Etats-Unis.
Ce mur n’est que le dispositif le plus voyant et le plus symbolique d’une stratégie de lutte contre l’immigration clandestine. Le personnel de contrôle est très largement renforcé et soutenu par l’armée, les arrestations et expulsions de clandestins s’accélèrent … Sur plus de 12 millions de mexicains vivant aux Etats-Unis, près de la moitié est entrée sans titre légal. On estime que chaque année entre 200 000 et 500 000 Mexicains franchissent la frontière pour s’installer aux Etats-Unis. A ceci s’ajoutent des millions de migrants originaires d’Amérique centrale qui fuient, eux aussi, misère, mal-développement et violences sociales, politiques ou criminelles. Ils fournissent à de nombreux secteurs (industrie de main d’œuvre, bâtiment travaux public, services déqualifiées, restauration…) une vaste main d’œuvre corvéable et surexploitée.
La lutte contre les trafics illégaux dont la drogue
Dans le nord du Mexique, la ville de Mexicali a meilleure réputation (bonne gestion, calme relatif, bonnes écoles de formation supérieure…) que d’autres pôles frontaliers comme Tijuana ou Juarez. Il faut cependant se garder de toute illusion. La Basse Californie est une des principales portes d’entrée de la drogue latino-américaine aux Etats-Unis, et Mexicali est l’un des premiers postes frontaliers pour les saisies de cocaïnes selon l’U.S Customs and Border Protection.
Ces dernières années, les forces de police ou l’armée mexicaines ont en effet multiplié les découvertes entre Calexico et Mexicali de « narco-tunnels » de plusieurs centaines de mètres de long entre des maisons. Les cartels les ont creusés pour passer clandestinement la drogue en contrebande. On estime ces découvertes le long des 3 200 km de frontières à 80 tunnels entre 2010 et 2017.
Ces trafics divers - (vol, attaques à main armée, enlèvements et rançons, chantage et extorsion de fonds, trafic de migrants…), dans lesquels la drogue joue cependant un rôle déterminant - concernent des enjeux financiers absolument considérables. Au point qu’une partie non négligeables des plus hautes autorités politiques, militaires, policières, judiciaires ou économiques et bancaires de certains États d’Amérique centrale est étroitement liées aux cartels par des pactes de corruption. Tout en étant intéressée aux blanchiments des capitaux issus des trafics.
A Mexicali, environ 60 homicides sont associés pour l’année 2018 aux conflits entre le cartel de Sinaloa et les gangs régionaux en compétition pour le contrôle de ces rentes frontalières. Le cartel de Sinaloa - du nom de sa ville d’origine - est en effet une des plus puissantes et des plus sanglantes organisations criminelles du Mexique et d’Amérique centrale. Il a profité ces dernières années des coups portés aux cartels de Tijuana et de Juarez ou à Los Zetas pour étendre ses territoires d’influence. Présent dans une vingtaine d’Etats fédérés mexicains, il est particulièrement bien implanté en Basse Californie, dans le Durango, le Sonora et le Chihuahua ; et aux Etats-Unis en Californie, en Arizona, au Texas, dans l’Illinois et à New York. Il joue un rôle majeur dans le trafic de drogue (cocaïne colombienne, héroïne, méthamphétamine, marijuana, MDMA…) à destination des Etats-Unis. Cette guerre des cartels explique une explosion des violences quotidiennes qui provoquent plus de 35 600 homicides au Mexique en 2021 selon l’Institut national mexicain de la statistique, dont 3 200 en Basse Californie (2em rang national) contre 809 en 2011.
La drogue, un enjeu de sécurité nationale et une question géostratégique majeure pour les Etats-Unis
La question des drogues est devenue aux Etats-Unis, dans le Grand Bassin Caraïbe, dans l’isthme et au Mexique une question brûlante. Elle s’inscrit dans des interactions continentales à grand rayon d’action qui relient le 1er marché mondial de consommation, les Etats-Unis, aux zones de production méridionales. Celles-ci connaissent une extension des zones de culture des différentes drogues des pays andins (Bolivie et Pérou) vers le nord (Colombie), les pays de l’isthme (Nicaragua, Guatemala), le Mexique (plus de trois millions de paysans concernés), le cône Sud (Brésil, Paraguay) et la Caraïbe (Jamaïque).
Loin d’occupée une place marginale dans des zones de non-droit périphériques, les énormes profits issus du trafic de drogue irriguent tout le tissu économique d’une large partie du continent latino-américain, en particulier mexicain. Toute cette économie de transformation, de transit et de blanchiment débouche sur la création de poches de narco-développement.
Dans ce contexte continental, le Mexique se retrouve en position centrale du fait de sa localisation géographique : le Département d’État étatsunien estime ainsi que 95 % de la cocaïne consommée aux Etats-Unis passe par le Mexique du fait de la porosité de la frontière et du rôle des cartels qui se dotent de véritables armées privées. A la fin des années 1990, les justices étatsunienne et suisse mettent en lumière les vastes opérations de blanchiment réalisées en Suisse par Raul Salinas, le propre frère de l’ancien Président du Mexique. Au total, l’argent de la drogue blanchi annuellement au Mexique représenterait entre 3 et 8 % du PIB. Ce cancer ronge une part croissante de l’économie (blanchiment dans le système bancaire, le bâtiment, l’immobilier, le tourisme…), de la société et du pouvoir d’État et constitue un danger manifeste pour une démocratie sociale et politique très fragile.
Dans ce contexte très dégradé, Washington a décidé depuis plusieurs décennies d’un élargissement vers le sud de ses impératifs de sécurité nationale. Le Mexique est intégré depuis 2002 avec le Canada dans un nouveau concept de « périmètre de sécurité nord-américain» qui unifie questions économiques (Alena) et stratégiques (défense aux frontières externes). Ce processus explique la large remilitarisation de la frontière américano-mexicaine au nom d’un triple impératif de la lutte contre les migrations clandestines, les cartels et organisations criminelles et le terrorisme. Mais ce traitement purement sécuritaire ne s’attaque pas aux racines de la crise. La seule réponse viable à long terme est de répondre enfin aux défis posés par la pauvreté, les inégalités et le mal-développement qui constituent un terreau favorable.
Les images ci-dessous ont été prise par un satellite Pleaides le 3 avril 2022.
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Le système des villes-jumelles transfrontalières
Symbole de l’osmose frontalière, le terme même de Mexicali inventé au début du XXem siècle juxtapose les termes Mexique/Californie alors que celui de Calexico juxtapose les termes Californie/Mexico. Ce système de « villes-jumelles » (twin-cities) se développant de chaque côté de la frontière n’est pas propre à l’Amérique du Nord ; il est même assez général dans le monde (cf. Strasbourg/Kehl en Alsace sur le Rhin) du fait à la fois de la rupture introduite (arrêt aux postes frontaliers…) et des liens d’interaction existants entre les deux espaces. Mais ce phénomène prend sur cette dyade frontalière une importance considérable, voire quasi-systématique. Il y débouche parfois même sur l’existence de véritables conurbations transfrontalières de grande ampleur urbaine, démographique et économique : Tijuana/San Diego, Nogales/Heroica Nogales, El Paso/ Ciudad Juares, Laredo/ Nuevo Laredo, Brownsville/ Matamoros.
Calexico. Du côté des Etats-Unis, Calexico est une ville pionnière des marges frontalières portée par le développement agricole et les échanges frontaliers. Créée en 1899 par l’Imperial Land Compagny, elle compte 800 habitants en 1910, 5 400 hab. en 1940 et 18 000 hab. en 1990. Ces trente dernières années, elle connaît un boom encore plus considérable en passant à 40 000 habitants aujourd’hui (+ 22 000 hab., + 121 %). Pour autant, comme le montre l’image elle paraît bien petite par rapport à sa voisine méridionale. Cela est largement du au fait que la ville principale de la région est située quelques kilomètres plus au nord : c’est El Centro, qui sert de pôle urbain, administratif et productif dominant à l’Impérial Valley. Dans la ville frontière de Calexico, une très large partie de la population est d’origine latino-américaine (97 %). C’est un des taux les plus élevés des Etats-Unis. Il est vrai que 40 % des habitants de Californie sont d’origine latino-américaine et que cet Etat fédéré polarise un quart de la population latino des Etats-Unis.
Mexicali. Du coté mexicain, Mexicali - fondée en 1903 - est à la fois la principal pôle urbain, économique, agricole et industriel du bassin de l’Imperial Valley et la capitale administrative de l’Etat fédéré mexicain de Basse Californie, au territoire largement désertique et sous-peuplé. Cette agglomération est peuplée d’1,1 million d’habitants, soit 27,5 fois plus que Calexico. On y retrouve le même parcellaire très régulier, rectiligne et géométrique qu’au nord ; avec cependant aux marges ouest, sud-ouest et sud le développement de quartiers d’habitat informel assez bien visibles par leurs microstructures.
Séparation frontalière et intégration économique : l’agrobusiness
Paradoxalement, alors que les deux villes et les deux territoires régionaux sont séparés par un long mur frontalier largement hermétique, leurs économies sont interdépendantes. Dans la région de Mexicali, le boom du coton des années 1950/1960 a fait place à une large réorientation des productions agricoles vers les légumes (asperges, brocoli, carottes, oignions, laitues, poivrons, tomates…). Soleil, chaleur, eau, technologies modernes et main d’œuvre salariale à bas coût permettent d’y produire d’importantes quantités de légumes. Une très large partie est exportée vers le marché étatsunien voisin, en particulier via les commandes des grandes centrales d’achat des géants mondiaux de la grande distribution et de l’agro-industrie. On retrouve ce modèle de spécialisation extraverti dans d’autres régions du monde, comme dans le sud de l’Andalousie par exemple.
Division continentale et internationale du travail et industrie maquiladoras
En regardant de près l’image, on aperçoit nettement le long de l’axe qui coupe l’agglomération de Mexicali en deux jusqu’au poste frontière et vers le sud-est de grands blocs blancs. Ils correspondent aux toits des usines et des entrepôts, souvent organisés en zones industrielles.
Ces usines sont des industries maquiladoras dont la présence est directement liée aux accords passés entre les Etats-Unis et le Mexique dans le cadre d’une division intra-continentale du travail. L’industrie des maquiladoras est devenue un des facteurs structurels des transformations économiques, sociales et territoriales du Mexique en représentant 56 % de la base industrielle.
Ces activités importent sous douane, des Etats-Unis ou du monde entier, et sans droit des composants et des pièces détachées. Ceux-ci sont ensuite montés dans ces usines qui produisent donc des sous-ensembles ou des produits finis qui sont ensuite réexportés aux Etats-Unis. Au total, le rôle économique, industriel et social des industries maquiladoras est très important avec 66 500 salariés à Mexicali.
Dans la DIT, Mexicali capte les segments terminaux (montage banal de masse à la chaîne) des processus productifs d’activités très taylorisées (faibles salaires et qualifications) et géographiquement très mobiles (automobile, électronique…) organisées par les grandes firmes transnationales. Les firmes américaines dominent l’organisation du système productif : la répartition des tâches entre les deux pays se concrétise par la construction d’usines–jumelles (twin-plants) à cheval sur la frontière, la partie étasunienne assurant les fonctions de gestion, de recherche/innovation et d’encadrement, la partie mexicaine les fonctions de productions banales.
Important 80 % de leurs consommations intermédiaires, ces usines ont des effets d’entraînement assez faibles. Loin de se diversifier fonctionnellement et de monter en gamme, les niveaux de qualification demeurent faibles : face à une masse ouvrière peu qualifiée, les techniciens de production et les postes administratifs ne représentent en général que 20 % de la main d’œuvre.
Par rapport aux autres pôles frontaliers, Mexicali présente cependant une spécificité. Il s’est spécialisé progressivement avec l’arrivée de Rockwell Collins dès 1966 dans les activités aéronautiques. Ceci se traduit par la présence de nombreux groupes comme Honeywell, GKN Aerospace, Gulfstream ou UTC Aerospace. Mais on y trouve aussi des firmes transnationales dans l’électronique, l’énergie, l’équipement automobile ou l’agro-alimentaire comme SunPower, LG Electronics, Sony, Mitsubishi, Nestlé, Coca-Cola ou Bosch.
La ville-centre ; entre unité, ségrégation et écartèlement
La zone centrale de l’agglomération, presque collée au Mur au nord, apparait à la fois dans son unité urbaine d’un côté et son écartèlement social et fonctionnel de fait de sa structure à la fois duale, dominée et en crise de l’autre. Elle est organisée par les grands axes – Route 5 et Bl. Rio Buevo – qui se dirigent vers le poste frontière de Calexico West.
On y trouve en particulier le Centro Civico, le quartier regroupant les principaux services politiques et administratifs de l’État fédéral du Mexique et de l’État fédéré de Basse-Californie dont Mexicali est la capitale (administration, justice, fiscalité...). On y trouve aussi la faculté de médecine et l’hôpital général. Dans une ville très basse, ce quartier fait exception avec des bâtiments modernes de 5 à 8 étages entourés de nombreux parkings pour les salariés et usagers.
Dans ce vaste espace urbain très étalé, quelques pôles secondaires spécialisés émergent comme le quartier des universités, le petit lac et son parc zoologique ou encore les zones d’entrepôts et les usines des parcs industriels au sud-est. La présence de grandes surfaces, comme le géant étasunien Wallmart, souligne l’ancrage au Nord d’un important fragment du marché de consommation de masse mexicain aux côtés du petit commerce traditionnel. Une étude détaillée fait progressivement apparaitre des phénomènes de ségrégation socio-spatiale d’une grande intensité comme en témoigne la comparaison entre le quartier de Coahuila, du nom d’un État fédéré mexicain d’où pouvaient venir des migrants qui y logeaient, et celui de Jardines del Valle beaucoup plus cossu et aisé. On voit surtout apparaitre au sud du Wallmart le Parque Veneto Residencial de construction récente qui correspond à un quartier résidentiel fermé, ou Gated community en anglais.
Le front urbain vers l’est : le boom de quartiers résidentiels fermés huppés
Cette image couvre les marges orientales de l’agglomération juste au sud du Mur frontalier en allant vers San Augustin et la Pluma. Nous sommes ici sur un front pionnier urbain en plein bouleversement. A l’ouest se trouve les quartiers denses du faubourg d’Independancia. La C. Novena est le grand axe routier qui mène les poids lourds vers le poste frontière de Calexico Est. Cette limite orientale symbolique est aujourd’hui largement dépassée par la construction. On y trouve par exemple le Parc industriel EX-XXI qui accueille un certain nombre d’usines et d’ateliers travaillant pour les Etats-Unis, les fameuses maquilas.
Mais le plus frappant réside dans l’essor spectaculaire ces toutes dernières années des quartiers résidentiels fermés comme le Parque Privada Vistahermosa au nord-est. Ce sont par exemple les deux îlots urbains occupés par le San Pedro 1 et 2 qui par leur taille, leur structure et leur niveau d’équipement, sont les plus emblématiques du processus d’enfermement résidentiel des couches sociales les plus aisées. Les comparaisons entre le Monte Carlo, le Coronado ou le San Sebastian témoignent de la déclinaison de toute une gamme de qualités urbaines différenciées, des couches aisées aux couches moyennes salariées solvables. Ces dynamiques résidentielles entrainent dans leur sillage la création de commerces ou de services de proximité correspondant aux revenus et aux besoins de ces catégories résidentielles.
Le front urbain Sud : loger les populations modestes
Nous sommes sur l’image au sud de l’agglomération, dans un espace en pleine urbanisation. Au nord se trouve le faubourg dense d’Hidalgo qui fait la jonction avec le centre ; à l’est se trouvent les parcs industriels des maquilas travaillant pour le marché étasunien comme le symbolise l’usine de l’équipementier aéronautique Colins Aerospace. A l’ouest se trouve la Laguna Mexico qui témoigne dans cette zone désertique de l’état du réseau hydrographique.
La vallée de la Laguna Mexico constitue une vraie coupure et limite urbaine. Au nord, nous sommes encore dans une banlieue résidentielle moyenne, comme en témoigne la Villa Residencial Grand Venecia qui est un quartier résidentiel fermé. Cependant, ce modèle se diffuse largement de plus en plus loin comme en témoigne la présence des Privadas Campreste 1, 2 et 3 dans l’angle sud-est.
Nous avons en fait dans cet espace toute une déclinaison de produits immobiliers moyens et bas de gamme – de Porticos del Valle à Solidaridad Social - qui cherche à répondre au boom démographique et migratoire et aux besoins en logements. Au cœur de l’image se déploie en effet un vaste ensemble de lotissements pavillonnaires destinés à accueillir ou à reloger les populations précaires : Mision del Angel, Popular Leandro Valle...
Les deux images suivantes témoignent des modalités d’extension du front urbain dans le sud-ouest et l’ouest de l’agglomération avec la présence des exploitations agricoles anciennes progressivement rattrapée par des formes d’habitat assez lâche plus ou moins formel puis par des systèmes de lotissements plus ou moins denses.
L’exemple d’un des grands périmètres irrigués du désert étatsunien
Cette image de l’Imperial Valley met en lumière le contraste saisissant entre le vaste périmètre irrigué, qui s’étend sur plusieurs kilomètres, et les zones désertiques. A l’est, un vaste canal d’irrigation est bien repérable. Au centre, deux rivières coulent vers le nord pour se jeter dans la dépression du Salton. Ce lac intérieur est aujourd’hui en voie de régression et ses eaux saturées d’agents chimiques ; ce qui pose des problèmes de santé publique à la population résidente. Face au développement des vents de sables, un certain nombre d’opérations de restauration des berges ont été lancées ces dernières décennies. On distingue bien enfin une petite ville (El Centro) et deux ou trois villages.
Mais le plus marquant est le quadrillage géométrique très régulier des parcelles agricoles aux Etats-Unis : ce paysage en damiers très réguliers s’explique par une opération de mise en valeur historiquement relativement récente et donc les aménagements sont pensés et très organisés. Les réseaux d’irrigation et les fossés de drainage jouent un rôle majeur dans le découpage du parcellaire. Les différences de couleurs s’expliquent par la nature et l’état d’évolution des cultures que porte chaque parcelle. On y trouve essentiellement de la luzerne, qui sert de fourrage pour les troupeaux, des laitues, des céréales, des betteraves à sucre et des élevages en stabulation.
Si on retrouve les mêmes logiques d’organisation au Mexique, au sud de la frontière, puisque ce furent les capitaux, les technologies et les ingénieurs étasuniens qui en furent aussi à l’origine, le modèle n’a pas pris la même ampleur ni tout à fait les mêmes structures régulières.
Une grande opération volontariste d’aménagement créant un grenier agricole en plein désert
Cet espace est aujourd’hui mis en valeur et géré par l’Imperial Irrigation Distric (IID), une agence publique - créée en 1911 à l’origine - qui a pour mission de fournir de l’eau potable à prix abordables et de l’énergie aux communautés locales. Si son périmètre d’action est beaucoup plus large que celui de l’image, l’Imperial Valley constitue le joyau de son champ d’action.
Au total, cet ensemble constitue le 4em plus important périmètre irrigué des Etats-Unis. Il compte 5 477 exploitations agricoles. En trente ans, les surfaces irriguées ont doublé en passant de 200 000 à 432 000 ha. La gestion de l’eau mobilise 2 240 km de canaux d’irrigation et 1 800 km de canaux de drainage. Il participe du fait que la Californie est le 1er État agricole des Etats-Unis par la valeur de sa production. Cette agriculture très moderne et intensive bénéficie très largement de la main d’œuvre journalière mexicaine ou latino-américaine, d’autant parfois plus mal payée et surexploitée qu’elle est dans une situation illégale.
D'autres ressources
Documents complémentaires
- Gérard Dorel : Atlas de la Californie, Autrement, 2008.
- Gérard Dorel : Atlas de l’empire américain, Autrement, 2006.
- Laurent Carroué et Didier Collet : Les Amériques, Bréal, 2015.
- Laurent Carroué : Atlas de la mondialisation. Une seule Terre, des mondes, Coll. Atlas, Autrement, Paris, 2020.
- Bruno Tertrais et Delphine Papin : Atlas des frontières : murs, conflits, migrations, Editions Les Arênes, 2016.
Contributeur
Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)